xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne
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de permettre une mise en esprit et une recomposition mentale aisée. Mais Burchard de Mont Sion est tout aussi bien placé quant aux décorations du Saint Sépulcre qu’il décrit minutieusement. L’italien Riccold de Monte Croce 32 aux environs de 1294 rapporte les psaumes et les chants prononcés pour chaque trajet. Il envisage les différents moments du périple, semble faire émerger une lente conversion des pèlerins, jour après jour, mille après mille, à mesure qu’ils s’approchent de Jérusalem. Il collecte toutes les informations et les émotions qu’il juge utiles. Ce pèlerin imprime bien sa personnalité dans le récit de ses découvertes et des épreuves subies. Les pèlerins antérieurs au XIV ème siécle ont une conception très fermée du récit de pèlerinage, ils ne rédigent pas un journal contenant les moindres détails de leur journée et sont entièrement tournés vers la contemplation. Sans doute prennent-ils des notes ponctuellement. Leurs actions sont une réminiscence de celles du Christ, les rares paysages qu’ils peuvent décrire se réfèrent au passé biblique pour la plupart. Cependant, certains font la part entre réalité et tradition, ouvrant ainsi davantage leur regard à un environnement contemporain. D’abord, ils ne témoignent que peu de foi aux propos des guides. Il faut dire que le métier est héréditaire, le récit demeure identique au fil des saisons, des générations. Pour pallier le problème, ils n’hésitent pas à choisir des guides Juifs car ces derniers parlent la langue des pèlerins, certains sont polyglottes et commentent davantage les lieux de l’Ancien Testament. C’est le cas du chanoine Willebrand d’Oldenbourg qui effectue en marge de son pèlerinage une mission diplomatique pour l’empereur Otton IV 33 , confronte bien le passé sacré aux conditions réelles des sites parcourus. Ainsi, il note à propos de Tyr : « Hec est civitas bona et fortis, maximum Christianorum solacium, […] 34 , de Sarfente : « Et est civita parva, non bebe munita, iuxta mare iacens, in mediis finibus Tyri et Sidonis ; cui eciam nostri dominantur..[…] Ob cujus rei memoriam ecclesiuncula in eo loco, in quo mulier loquebatur, est edificata, in qua hodie sua apparent vestigia. » 35 et de Saget : « Inde venimus Saget, quam evangelia Sidonem appellant. Que licet nunc temporis inter suas 32 Riccold de Monte Croce, Pérégrinations en Terre Sainte et au Proche-Orient, Les Jacobins, les Nestoriens, édition et traduction de R. Kappler, Champion, Paris, 1997. 33 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit., liber I, chapitre II, p. 164 : «Inde in navi descendentes versus septentrionem, ad agendum negocia domini imperatoris Othonis et ducis Austrie, qui tunc ensem acceperat, pervenimus Sur, quam nos Latini Tyrum appellamus ». 34 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit. liber I, chapitre II, p. 164. 35 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit. liber I, Chapitre II, p. 163. 29
coetanas civitates ferme sit minima, tamen in Sacra Scriptura non est minime recitata. Paucos iam habet habitatores, quibus nostri- pro dolor !- inimici dominantur, aliquantulos reditus nostris pro pace servanda soluentes ; muri etenim et munitiones civitatis sunt destructe. […] » 36 . Nous pouvons remarquer que les verbes dédiés à la présentation des villes qu’il traverse sont au présent d’énonciation, les phrases sont simples et de construction attributive, il va ainsi droit au but et constate laconiquement ce qui est. En revanche il compare ce qu’il perçoit avec ce qui a été écrit sur le lieu en question et il emploie deux tendances stylistiques : le champ lexical de la ruine pour bien en souligner les différences avec des termes tels que « vestigia », « sunt destructe » et les déictiques ancrant la situation d’énonciation : « iam », « etiam », « hec ». Il prend soin de rappeler les dénominations bibliques et les longs propos tenus à leur sujet dans le Livre sacré. Mais c’est pour en appuyer les contrastes. Burchard du Mont Sion excelle dans ce domaine, A. Graboïs note à son sujet qu’il est à l’origine du « premier manuel de palestinographie 37 ». Le pèlerin confronte les versions qui lui sont proposées et insère ses propres commentaires, souligne sa réserve par la proposition incise « ut dicunt » ou des tournures impersonnelles marquées par la forme passive : « habetur », « dicitur », « continuatur », « protenditur », « ostenditur ». Par ailleurs, il insiste sur le caractère personnel de son témoignage, comme à Tyr où il précise : « ut ego per me mensuravi » 38 et « quod per memet expertus sum ». Sur le plan syntaxique, nous remarquons l’emploi massif de formes personnelles soulignant sa propre implication. En outre, dans cette optique de singularité, nous pouvons ajouter qu’il émet d’importantes réserves sur les propos des témoignages bibliques quand ils ne correspondent pas à son expérience ; il en va ainsi de l’épisode qu’il vit au Mont Gelboé et ce, malgré la malédiction de David : « […] nec verum est quod dicunt quidam, quod nec ros nec pluvia super montem Gelboe, quia, cum in die sancti Martini essem ibi, venit super me pluvia ita, quod usque ad carnem fui madefactum » 39 . De même, il n’accorde pas d’intérêt aux traces 36 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit., liber I, chapitre IV, p. 165. 37 Graboïs, A., « Les pèlerins occidentaux en Terre Sainte au Moyen Age : une minorité étrangère à sa patrie spirituelle » in Studi Medievali, III, 30, 1989, p. 15-48. 38 Burchard du mont Sion, op. cit., Hinc incipit quarta divisio, chapitre V, p. 43. Theitmar note sur le même épisode : « Vidi eciam Montes Gelboe, ubi Saul et Jonathas occubuerunt . Unde David : « Montes gelboe, nec ros, nec pluvia descendant super vos ». Si autem super eos pluvia cadat, nec ne, veritatem indagare non potui. Audivi, quod ibi sunt aves psytaci, que pluviam sustinere nequeunt ». op. cit., Chapitre II, p. 7. 39 Nous développons cet aspect dans la partie consacrée à la Terre Sainte. 30
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L’italien Riccold de Monte Croce 32 aux environs de 1294 rapporte les psaumes et les<br />
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qu’ils s’approchent de Jérusalem. Il collecte toutes les informations et les émotions qu’il<br />
juge utiles. Ce pèlerin imprime bien sa personnalité dans le récit de ses découvertes et des<br />
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Les pèlerins antérieurs au XIV ème siécle ont une conception très fermée du récit de<br />
pèlerinage, ils ne rédigent pas un journal contenant les moindres détails de leur journée et<br />
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qu’ils peuvent décrire se réfèrent au passé biblique pour la plupart. Cependant, certains<br />
font la part entre réalité et tradition, ouvrant ainsi davantage leur regard à un<br />
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guides. Il faut dire que le métier est héréditaire, le récit d<strong>eme</strong>ure identique au fil des<br />
saisons, des générations. Pour pallier le problème, ils n’hésitent pas à choisir des guides<br />
Juifs car ces derniers parlent la langue des pèlerins, certains sont polyglottes et<br />
commentent davantage les lieux de l’Ancien Testament. C’est le cas du chanoine<br />
Willebrand d’Oldenbourg qui effectue en marge de son pèlerinage une mission<br />
diplomatique pour l’empereur Otton IV 33 , confronte bien le passé sacré aux conditions<br />
réelles des sites parcourus. Ainsi, il note à propos de Tyr : « Hec est civitas bona et fortis,<br />
ma<strong>xi</strong>mum Christianorum solacium, […] 34 , de Sarfente : « Et est civita parva, non bebe<br />
munita, iuxta mare iacens, in mediis finibus Tyri et Sidonis ; cui eciam nostri<br />
dominantur..[…] Ob cujus rei memoriam ecclesiuncula in eo loco, in quo mulier<br />
loquebatur, est edificata, in qua hodie sua apparent vestigia. » 35 et de Saget : « Inde<br />
venimus Saget, quam evangelia Sidonem appellant. Que licet nunc temporis inter suas<br />
32 Riccold de Monte Croce, Pérégrinations en Terre Sainte et au Proche-Orient, Les Jacobins, les Nestoriens,<br />
édition et traduction de R. Kappler, Champion, <strong>Paris</strong>, 1997.<br />
33 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit., liber I, chapitre II, p. 164 : «Inde in navi descendentes versus<br />
septentrionem, ad agendum negocia domini imperatoris Othonis et ducis Austrie, qui tunc ensem acceperat,<br />
pervenimus Sur, quam nos Latini Tyrum appellamus ».<br />
34 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit. liber I, chapitre II, p. 164.<br />
35 Willebrand d’Oldenbourg, op. cit. liber I, Chapitre II, p. 163.<br />
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