xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne
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A. La prière 1) Comment prie-t-on ? a) En collectivité Nous avons déjà évoqué le déplacement des pèlerins en groupe. Ce phénomène est lié à des raisons pratiques, économiques, sécuritaires et aussi liturgiques comme nous allons le montrer. D’abord, plusieurs textes du corpus soulignent « la meute » des pèlerins. Sans revenir sur les témoignages déjà exploités confirmant les chiffres, nous allons nous intéresser à certains d’entre eux qui mettent en évidence une pratique liturgique collective. Riccold de Monte Croce par exemple organise une procession qui chemine vers le Saint Sépulcre le jour de Pâques et mentionne des participants « erant ultra centum » 755 , ou encore lors de la cérémonie du baptême au Jourdain il rapporte le chiffre de «ultra decem milia » 756 , cette mention est sans doute exagérée mais elle permet cependant, dans son ampleur, de corroborer cette idée selon laquelle la prière est collective. En effet, la célébration de la magnificence de Dieu se fait au grand jour, avec le plus grand nombre. De ce fait, elle est rendue d’autant plus intense qu’elle est collective. De plus, il y a une certaine communion d’esprits qui tend à se dégager de l’ensemble. Ainsi, cette importance marquée de la foule témoigne d’un désir de montrer la ferveur de chacun, d’exacerber la foi qui se dégage de chaque pèlerin. Par conséquent, le culte revêt une dimension spectaculaire voire ostentatoire afin de faire davantage participer les célébrants à la fête. Le pèlerin se sent plus impliqué dans l’événement auquel il participe. Cela se traduit très concrètement dans la gestuelle appliquée lors des messes. Ainsi, les récits rapportent cette pratique de la messe où l’officiant se tourne vers les lieux nommés dans son prêche ou dans sa prière. Les récits d’Ernoul et de son continuateur par exemple en témoignent : « Li diacres, quant il list l’Evangile, si se tourne devers le Mont Calvaire quand il dist « crucifixum », apriès si se retorne devers le Monument et il dist « Surrexit, non est hic ». Apriès si monstre al doit « Ecce locus ubi posuerunt eum ». Et puis s’en retorne al livre et pardist son evangile 757 ». Les verbes « tourner », « retourner » et « montrer » ont une valeur performative, la parole se fait geste afin d’exacerber la foi et les émotions du pèlerin, afin de l’inscrire dans une autre dimension temporelle proche de celle 755 Riccold, op. cit.,p. 70. 756 Riccold, op. cit. p. 54. 757 Ernoul, op. cit., p. 36 et Continuateur anonyme, op. cit., p. 148. 275
du vivant de Jésus Christ. De la même façon l’emploi en grand nombre de déictiques spatiaux tels « hic », « ibi », « in eo loco » souligne la volonté d’inscrire la prière dans un présent propre à « émouvoir la dévotion ». Les récits des Evangiles se superposent une fois encore au monde contemporain des pèlerins. Dans ce cadre spectaculaire, où les pèlerins sont nombreux à se rassembler, la dimension sonore est aussi très présente. La pratique de la prière commune à haute voix semble encore très développée. Sans affirmer que les pratiques de la psamoldie 758 ou de la psamoldie antiphonique telles qu’elles existent au temps du pèlerinage d’Egérie sont encore d’actualité, les différentes mentions de Riccold de Monte Croce quant aux chants et à la participation des fidèles, tendent à prouver que la prière est sonore. Le texte laisse traverser les sons : « flentes cantavimus predicavimus fuit fletus et ululatus » 759 », « gaudentes et flentes clamentes ». Par ailleurs, alors qu’il se rend au Saint Sépulcre avec nombre de compagnons, tous s’impliquent dans la recherche du Christ : « […] et postea cum adpropinquaremus alta voce canentes et repetentes Victime pascali laudes ad omnem passum unum versum unus precinebat et omnes respondebant […] » 760 . En outre, la foule génère un bruit considérable lié à la prière, aux chants mais aussi aux gémissements des croyants en transe ou plus prosaïquement aux cris des êtres qui sont piétinés et aux bousculades ; chacun voulant s’approcher au mieux du lieu de dévotion. Le professeur Labande souligne dans son étude sur le terme du pèlerinage 761 les dangers qui guettent le pèlerin, notamment, les meurtres et la perte de tout contrôle de soi quand il s’agit d’entrer dans le sanctuaire, avec cette envie d’être le premier comme il est écrit dans l’épisode du paralytique à la piscine de Betsaïde 762 : « Je n’ai personne pour me plonger dans la piscine quand l’eau se met à bouillonner, et le temps que j’y aille, un autre descend avant moi. » Sans en arriver à cette extrémité, Daniel de Tchernikov rapporte le bruit et la promiscuité devant le Saint Sépulcre à l’occasion de la cérémonie du feu sacré le samedi saint. Il relate le rassemblement très dense d’une population venue de tous les horizons 758 Pierre Maraval distingue la psalmodie héritée de la tradition juive où un soliste chante un verset de psaume et toute l’assemblée répond par une acclamation, par un refrain après chaque verset ou en reprenant la fin de la phrase chantée par le soliste, de la psamoldie antiphonique où l’assemblée divisée en deux chœurs chante alternativement sur la même mélodie versets, psaumes ou cantiques, le tout étant précédé d’une antienne. 759 Riccold, op. cit., p. 54. 760 Riccold op. cit., p. 701. Chant appartenant à la Messe de la Résurrection selon le Graduel Romain. Les initiales se lisent « praecedet suos in Galileam ». 761 Labande E-R « Ad limina, le pèlerin médiéval au terme de sa démarche », Mélanges offerts à R. Crozet, Poitiers, 1966, p. 283-291. 762 La Bible de Jérusalem, op. cit., Jean, 5-7. 276
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En outre, la foule génère un bruit considérable lié à la prière, aux chants mais aussi aux<br />
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Pierre Maraval distingue la psalmodie héritée de la tradition juive où un soliste chante un verset de psaume et<br />
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Riccold, op. cit., p. 54.<br />
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Riccold op. cit., p. 701. Chant appartenant à la Messe de la Résurrection selon le Graduel Romain. Les<br />
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Labande E-R « Ad limina, le pèlerin médiéval au terme de sa démarche », Mélanges offerts à R. Crozet,<br />
Poitiers, 1966, p. 283-291.<br />
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