xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne

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) De quelques ruines. Des voyageurs tels que Saewulf, Thietmar, Burchard du Mont Sion ou Riccold de Monte Croce ne restent pas indifférents face au paysage souvent désolant qui s’offre à eux. Ils ne peuvent que remarquer, impassibles, les ruines qui s’élèvent devant leurs yeux. Cependant, fins observateurs désireux de s’exprimer, ils ne se contentent pas de rapporter ce triste spectacle des débris d’un édifice détruit. A partir de leurs propos, nous pouvons élaborer un classement en distinguant les ruines contemporaines ou décombres, (en effet la terre d’outre-mer est ponctuellement désolée par le récent conflit opposant Chrétiens et Musulmans et le frère Thietmar, rappelons-le, voyage lors d’une trêve : il constate les dégats, conséquence directe de la guerre) les ruines plus anciennes, ou vestiges, conséquence d’une dégradation par l’âge et la vétusté, ( elles sont la trace, l’empreinte de la vie et des événements qui se sont déroulés dans l’Antiquité). Enfin, avec un effort intellectuel supplémentaire, nous élargissons la définition aux bâtiments religieux de la Chrétienté qui ont été dépouillés de leurs attributs et qui ont été employés à d’autres fins. C’est le frère Thietmar qui fait le plus de remarques sur les destructions dont il est témoin. Le triste spectacle offert par les décombres de la ville de Haïfa, récemment détruite par les Sarrasins, l’amène à un constat plus général : toutes les villes qui étaient réputées pour leur beauté ou leurs richesses sont désormais en ruines. Il nomme ainsi les cités d’Arsûf, de Jaffa et de Rama et accompagne cela de commentaires tels que : « Assur, quondam civitatem famosam, modo fere desolatam 493 », « Ioppen, relinquens a sinistris Antipatridam desolatam 494 » mais aussi « Ioppe autem sepe et multos vidit bellorum tumultus ab antiquis usque ad hes tempore 495 » et « Rama, que quondam ingentissima fuit, ut patet in ruinis structurarum 496 », enfin il dit d’Ascalon, « hec civitas deserta est. » 497 Cette déploration toute personnelle est ponctuée, à maintes reprises, par l’adverbe « adhuc », qui ancre l’énoncé dans la situation d’énonciation. De même, l’adjectif qualificatif « ruiné » scande chaque description. Ces répétitions permettent d’insister sur l’ancrage contemporain de la réalité des faits, comme si Thietmar cherchait à convaincre son lecteur qu’il ne doit pas chercher ce qui n’est plus, mais qu’il doit se contenter de ce 493 Thietmar, op. cit., p. 23. 494 Thietmar, op. cit., p. 24. 495 Thietmar, op. cit., p. 24. 496 Thietmar, op. cit., p. 24. 497 Thietmar, op. cit., p. 25. 197

qui lui est offert de voir. Burchard du Mont Sion témoigne à son tour de ce qui a été 498 , il distingue une étape révolue avec l’emploi de l’imparfait de l’indicatif et une situation nouvelle grâce à la préposition : « Mons Fortis quod fuerat hospitalis theutonicorum, sed nunc penitus est destructum ». Alors que Daniel se rend dans une Nazareth reconstruite, Saewulf témoigne également d’un spectacle de désolation à Hébron : « adhuc, destructa est Sarracenis ». Nous pouvons aussi considérer ce trait stylistique comme la rupture effective avec le passé prestigieux de ces villes vétéro-testamentaires. Ainsi, Thietmar n’a devant lui que des vestiges de villes réputées antérieurement. Ceci peut également s’interpréter comme une volonté manifeste de ne pas s’enfermer dans un monde illusoire, dans une recréation toute artificielle de la géographie de l’Ancien Testament. En ce sens il va à l’encontre de la démarche de la plupart des pèlerins de notre corpus qui se construisent une bulle coupée de la réalité. Cette idée se lit également dans son récit au lac de Tibériade. Il rappelle combien les habitants du lieu étaient renommés mais ajoute : « […] que a Sarracenis destructa adhuc a paucis tam Sarracenis quam Christianis inhabitatur. » 499 . Par ailleurs, Thietmar insiste sur la toponymie contemporaine en rappelant le nom de la ville biblique et celui attribué à son époque : « Postea veni Tyberiadem, que quondam dicta fuit Cynareth. Que a Cyberio Cesare nomen accepit. […] que munita valde fuit et famosa. […] » 500 . Le temps a fait son œuvre et les pèlerins sont confrontés aux vestiges de sanctuaires réputés. Burchard du Mont Sion ne cache pas sa déception lors de son arrivée à Jéricho : «Il y a à peine huit maisons et les ruines d’un bourg déchu, et tous les monuments des lieux saints qui étaient là sont entièrement détruits 501 », Daniel 502 ne peut que constater que la réalité diffère du texte biblique. Champ de ruine également pour les églises édifiées en commémoration de l’étoile du berger à trois milles de Bethléem « ubi est memoria pastorum maxima ruina ecclesiarum que fuerunt ibi edificate » 503 et constat amer sur l’état général de Jérusalem : « […] etiam vere potest nominari civitas ruine et destructionis. » 504 En plus de la dégradation concrète, visuellement perceptible, un bâtiment peut subir une atteinte dans sa fonction référentielle. Ici, la dimension cultuelle voire spirituelle est plus sensible aux pèlerins et aux hommes d’Eglise que sont Riccold de Monte Croce ou 498 Riccold, op. cit., §29, p. 31. 499 Thietmar, op. cit., Chapitre II, p. 6. 500 Thietmar, op. cit., Chapitre II, p. 6. 501 Burchard, op. cit., 7, §38. 502 Daniel, op. cit., § 35. 503 Riccold, op. cit., p. 60. 504 Riccold, op. cit., p. 48. 198

) De quelques ruines.<br />

Des voyageurs tels que Saewulf, Thietmar, Burchard du Mont Sion ou Riccold de Monte<br />

Croce ne restent pas indifférents face au paysage souvent désolant qui s’offre à eux. Ils ne<br />

peuvent que remarquer, impassibles, les ruines qui s’élèvent devant leurs yeux. Cependant,<br />

fins observateurs désireux de s’exprimer, ils ne se contentent pas de rapporter ce triste<br />

spectacle des débris d’un édifice détruit. A partir de leurs propos, nous pouvons élaborer<br />

un class<strong>eme</strong>nt en distinguant les ruines contemporaines ou décombres, (en effet la terre<br />

d’outre-mer est ponctuell<strong>eme</strong>nt désolée par le récent conflit opposant Chrétiens et<br />

Musulmans et le frère Thietmar, rappelons-le, voyage lors d’une trêve : il constate les<br />

dégats, conséquence directe de la guerre) les ruines plus anciennes, ou vestiges,<br />

conséquence d’une dégradation par l’âge et la vétusté, ( elles sont la trace, l’empreinte de<br />

la vie et des évén<strong>eme</strong>nts qui se sont déroulés dans l’Antiquité). Enfin, avec un effort<br />

intellectuel supplémentaire, nous élargissons la définition aux bâtiments religieux de la<br />

Chrétienté qui ont été dépouillés de leurs attributs et qui ont été employés à d’autres fins.<br />

C’est le frère Thietmar qui fait le plus de remarques sur les destructions dont il<br />

est témoin. Le triste spectacle offert par les décombres de la ville de Haïfa, récemment<br />

détruite par les Sarrasins, l’amène à un constat plus général : toutes les villes qui étaient<br />

réputées pour leur beauté ou leurs richesses sont désormais en ruines. Il nomme ainsi les<br />

cités d’Arsûf, de Jaffa et de Rama et accompagne cela de commentaires tels que : « Assur,<br />

quondam civitatem famosam, modo fere desolatam 493 », « Ioppen, relinquens a sinistris<br />

Antipatridam desolatam 494 » mais aussi « Ioppe autem sepe et multos vidit bellorum<br />

tumultus ab antiquis usque ad hes tempore 495 » et « Rama, que quondam ingentissima<br />

fuit, ut patet in ruinis structurarum 496 », enfin il dit d’Ascalon, « hec civitas deserta<br />

est. » 497 Cette déploration toute personnelle est ponctuée, à maintes reprises, par l’adverbe<br />

« adhuc », qui ancre l’énoncé dans la situation d’énonciation. De même, l’adjectif<br />

qualificatif « ruiné » scande chaque description. Ces répétitions permettent d’insister sur<br />

l’ancrage contemporain de la réalité des faits, comme si Thietmar cherchait à convaincre<br />

son lecteur qu’il ne doit pas chercher ce qui n’est plus, mais qu’il doit se contenter de ce<br />

493 Thietmar, op. cit., p. 23.<br />

494 Thietmar, op. cit., p. 24.<br />

495 Thietmar, op. cit., p. 24.<br />

496 Thietmar, op. cit., p. 24.<br />

497 Thietmar, op. cit., p. 25.<br />

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