xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne
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1) Entre passagers de nationalité ou de région différentes Aucun voyageur du corpus principal ne fait mention des rapports qu’il entretient avec les autres passagers. Nous pouvons conjecturer que les pèlerins s’organisent en groupe de voyage, s’associant selon plusieurs types d’affinité : gens de même maison, de semblable communauté, de même rang ou de région identique. Les voyageurs peuvent tout autant être regroupés par le capitaine du bateau : rapprochant les pèlerins de même nationalité ou à moindre échelle de même région. Ainsi, les différences se perçoivent plus aisément entre grands ensembles, les voyageurs ayant peut-être naturellement tendance à prendre parti pour le groupe qui leur ressemble. Félix Fabri rapporte les difficultés et les mésententes entre les diverses communautés. Les laïcs et les religieux sont également en conflit lors d’une divergence d’opinion sur la marche à suivre alors que la rumeur court que les Turcs vont attaquer le navire. Le religieux rapporte les paroles vexatoires dont il est l’objet parce que très justement, il est un homme d’Eglise. Exprimant son désir de poursuivre jusqu’au terme de son pèlerinage alors qu’une quarantaine de couards souhaite faire demi-tour à Corfou, il s’entend répondre : « Non oportet ad verba et hortamenta, quae dicit Frater Felix attendere. Quid sibi de morte aut de vita ? Ipse est frater de observantia, et non habet divitias, nec amicos, nec honores, nec alia quae in mundo sunt, sicut nos habemus. Facilius est sibi, compendiose gladio turcorum mortem subire, quam in suo monasterio multis mortibus senescere. » 392 2) Entre passagers de confession diverse De la même façon, aucune mention de la présence d’autres confessions à bord n’est lisible parmi les textes étudiés. Sans revenir sur la question de l’état d’esprit des pèlerins tourné vers le Christ, nous pouvons nous demander si ce ne serait pas là une attitude propre à ces personnes qui sont présentes massivement et qui ne se soucient pas de ceux moins favorisés numériquement, à moins que toute personne n’appartenant pas à la même sphère religieuse ne soit pas digne d’être considérée. Inversement, ces « minorités » ont toute latitude d’observer ceux, fort nombreux, qui les entourent. C’est ainsi qu’un autre point de vue se dégage des textes. Lors de son voyage de retour, le musulman Ibn Jubayr voyage sur une galée génoise dont la plupart des passagers reviennent du Saint Sépulcre. Il 392 Félix Fabri, op. cit. , p. 51. 163
précise : « Nous embarquâmes sur un grand navire en nous munissant de provisions d’eau et de vivres. Les Musulmans obtinrent sur le bateau un emplacement à l’écart des Francs 393 ». Le verbe obtenir laisse entendre qu’une demande a été formulée afin que les deux types de fidèles ne se côtoient pas. Cependant, embarqués sur le même bateau, ils peuvent observer à loisir et c’est ce que ne manque pas de faire le Musulman curieux, rapportant tous les faits dont il est témoin. Il tient compte de la nourriture embarquée et dont il est fait un commerce parallèle à bord, de la cérémonie funèbre d’un défunt jeté par dessus bord, en passant par la célébration de la fête de la Toussaint... Au contraire, Benjamin de Tudèle, le voyageur Juif semble uniquement préoccupé par la présence ou l’absence de ses corréligionnaires, (il en fait le décompte à travers chaque ville, chaque village traversé), il évolue avec un certain détachement dans l’univers empreint de christianisme qu’il parcourt 394 . Les récits postérieurs à notre corpus d’étude ne soulignent pas de contacts favorisés entre personnes de religion différente, qu’elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes. 3) Entre les passagers et les marins Seuls Jean de Joinville et Ibn Jubayr font quelques remarques sur les marins, ils en saluent la dextérité lors d’un péril de mer 395 . Au premier abord, pèlerins et matelots paraissent se rencontrer uniquement lors des tâches dédiées à la navigation, dans des conditions peu favorables au dialogue. Ainsi, la traversée de l’entrepont, pour descendre ou carguer les voiles, est-elle perçue comme un dérangement réciproque constant puisque les pèlerins doivent ranger leur matelas et autres effets personnels. C’est une condition nécessaire au bon déroulement des manœuvres des personnes en activité et les matelots s’estiment freinés dans leur effort. Certains marins font commerce de nourriture ou rendent de menus services contre rétribution. C’est encore un rapport inégalitaire qui s’établit entre les deux types d’usagers maritimes. Ce peut-être aussi lors de la cérémonie funèbre d’un passager où la force physique des matelots est requise pour jeter le corps à la mer 396 . De plus, 393 Ibn Jubayr, op. cit., p. 333. 394 Dans son récit, le Juif Jacob ben Natanel, à deux reprises, montre la distance existant entre les deux communautés religieuses. D’abord à travers une anecdote où un chevalier provençal interdit aux Chrétiens d’allumer des cierges sur la tombe d’un saint homme Juif, ensuite en affirmant que les tombes des patriarches présentées aux chrétiens ne sont pas les vraies, tenues à quelque distance de là derrière un mur. Croisades et pèlerinages, p.1346-1347. 395 Joinville, op. cit., §623 et suivants et Ibn Jubayr, op. cit., p. 336. 396 Joinville, op. cit., §635. 164
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