xi eme‐ xiii eme siecles - Université Paris-Sorbonne

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16.06.2013 Views

Devant un tel entassement, un passager malade a tôt fait de contaminer les autres. A cela peut s’adjoindre le mal de mer. Eustache Deschamps 379 va droit au but : L’un mettre à bort l’autre desgosiller, L’un dessus l’autre, et venir et aller, Et soy bouter en soulte u fons aval, Pour le tempest. Pour pallier cette défaillance, certains voyageurs du XIV ème siècle conseillent l’achat d’une mixture à base de haschisch appelée « Tériaque » pour se préserver du mal des transports. D’autres proposent une recette d’apothicaire pour combattre ce dernier : « Pour ne pas vomir, faire de la manière suivante : réduire en poudre de l’encens d’herbe, le matin en dissoudre une noix dans un demi gobelet de vin, boire pour ne pas être malade et ne pas vomir 380 ». Felix Fabri restitue également l’ambiance sonore de son voyage, ce sont les cris des passagers se disputant, les hommes avinés qui chantent (des Flamands), les cris des malades la nuit, le bruit des sabots des chevaux qui frappent contre le bois, les appels des matelots. Il rapporte ainsi une dispute à l’heure du coucher : « Cum autem descendunt ad reponendum se, fit ingens tumultus in lectulorum stratione, et excitantur pulveres et communiter concitantur litigia magna inter collaterales, parecipue in principio ; antequam assuescant. Nam ille collateralem suum inculpat quod suo lectulo partem cumbae suae occupet, alius negat, ille affirmat, et uterque suos adjutare advocat, et quando que integrae societates offenduntur ad invicem. » 381 . Quelquefois cela tourne presque au pugilat quand les pèlerins dégainent leur épée ou leur poignard (sic !). Tout le monde ne souhaite pas se coucher en même temps, et c’est encore l’occasion de semer le trouble et de déranger les pèlerins endormis ou désireux de l’être, avec les lampes et les bavardages. La colère semblant l’emporter souvent sur ce microcosme, le frère Fabri rapporte : « Vidi quod aliqui impatientes peregrini cum urinalibus suis jactabant contra lumina ardentia ad extinguendum et tunc iterum excitabantur magna litigia » 382 . Le calme de la nuit est aussi troublé par ceux qui ronflent, ceux qui parlent en dormant et par les gémissements des 379 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, collection des anciens textes français, tome IV, p. 309 380 Santo Brasca, op. cit. p. 82. 381 Félix Fabri, op. cit, p. 178, deuxième traité, le voyage en mer : « de inquieta dormitione peregrinorum in navi. ». 382 Félix Fabri, op. cit , p. 179. 159

malades : « quietem etiam impediunt somnus inquietus et stertitatio et locutio quorundam in somnis et gemitus, infirmorum tussitationes, exactiones. » 383 Une nuit c’est le cauchemar d’un passager qui bouleverse toute l’assemblée : « Sic ergo nobis jacentibus et silentibus et dormientibus in tenebris et timore inopinate quidam nobilis somnio horribili perterritus alta voce adeo terribiliter clamare coepit ac si gladio perforatus esset. » 384 L’emploi du participe présent met en place le cadre et installe les personnes dans un environnement serein, le fait mis au premier plan insiste sur la perturbation qu’il génère. Cependant, la bande sonore est également le fruit de codes destinés aux passagers afin d’annoncer le proche départ de la galère de son port d’attache. Les trompettes rappellent aux pélerins distraits par le paysage qu’ils découvrent qu’il est temps de monter à bord : « per tubarum voces revocati sumus in galêam. » 385 La traversée peut aussi tourner court pour certains passagers trop faibles. Le corps du défunt n’est pas conservé sur le bateau. Plusieurs solutions sont envisagées selon la situation du navire : soit il est emporté à terre, si le rivage est proche, soit il est emballé et jeté à la mer, si l’embarcation est en territoire ennemi, soit il est envoyé par le fond après une cérémonie funèbre. Ibn Jubayr en fait mention lors de son voyage et Santo Brasca raconte 386 : « Si l’on est loin de la terre, on prend le drap, on remonte du sable du fond du navire qu’on répand sur le drap étendu, puis on dépose le corps par-dessus, on l’enveloppe et on suspend un sac de pierres à ses pieds. Tandis que tout le monde se tient autour et que les prêtres chantent Libera me, Domine, des galériens saisissent le corps et le laissent tomber dans la mer au Nom du Seigneur : le corps ainsi lesté gagne aussitôt l’abysse et l’âme monte aux cieux. J’ai souvent vu cela […] ». Il ajoute ensuite des considérations plus matérielles sur les possessions du défunt : « Le scribe de la galère inscrit tous les biens laissés, les présente au commandant et solde les dettes si le défunt n’a pas de compagnons. S’il a des compagnons, ce sont eux qui font le nécessaire. ». Il précise qu’en cas d’absence de convention signée avec le commandant de bord, son matelas, son linge et ses vêtements reviennent à celui-ci. Le voyage s’effectuant le long des côtes, il est aussi ponctué d’étapes où les passagers peuvent faire escale pour une visite ou un ravitaillement. Ainsi, à Métone au quinzième 383 Félix Fabri, op. cit, p. 179. 384 Félix Fabri, op. cit., volume 2, p. 3. 385 Félix Fabri, op. cit., volume 2, p.27. 386 Santo Brasca, op. cit., p. 55. 160

malades : « quietem etiam impediunt somnus inquietus et stertitatio et locutio quorundam<br />

in somnis et gemitus, infirmorum tussitationes, exactiones. » 383 Une nuit c’est le<br />

cauchemar d’un passager qui bouleverse toute l’assemblée : « Sic ergo nobis jacentibus et<br />

silentibus et dormientibus in tenebris et timore inopinate quidam nobilis somnio horribili<br />

perterritus alta voce adeo terribiliter clamare coepit ac si gladio perforatus esset. » 384<br />

L’emploi du participe présent met en place le cadre et installe les personnes dans un<br />

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Cependant, la bande sonore est égal<strong>eme</strong>nt le fruit de codes destinés aux passagers afin<br />

d’annoncer le proche départ de la galère de son port d’attache. Les trompettes rappellent<br />

aux pélerins distraits par le paysage qu’ils découvrent qu’il est temps de monter à<br />

bord : « per tubarum voces revocati sumus in galêam. » 385<br />

La traversée peut aussi tourner court pour certains passagers trop faibles. Le<br />

corps du défunt n’est pas conservé sur le bateau. Plusieurs solutions sont envisagées selon<br />

la situation du navire : soit il est emporté à terre, si le rivage est proche, soit il est emballé<br />

et jeté à la mer, si l’embarcation est en territoire ennemi, soit il est envoyé par le fond après<br />

une cérémonie funèbre. Ibn Jubayr en fait mention lors de son voyage et Santo Brasca<br />

raconte 386 : « Si l’on est loin de la terre, on prend le drap, on remonte du sable du fond du<br />

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et on suspend un sac de pierres à ses pieds. Tandis que tout le monde se tient autour et que<br />

les prêtres chantent Libera me, Domine, des galériens saisissent le corps et le laissent<br />

tomber dans la mer au Nom du Seigneur : le corps ainsi lesté gagne aussitôt l’abysse et<br />

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plus matérielles sur les possessions du défunt : « Le scribe de la galère inscrit tous les<br />

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compagnons. S’il a des compagnons, ce sont eux qui font le nécessaire. ». Il précise qu’en<br />

cas d’absence de convention signée avec le commandant de bord, son matelas, son linge et<br />

ses vêt<strong>eme</strong>nts reviennent à celui-ci.<br />

Le voyage s’effectuant le long des côtes, il est aussi ponctué d’étapes où les passagers<br />

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383 Félix Fabri, op. cit, p. 179.<br />

384 Félix Fabri, op. cit., volume 2, p. 3.<br />

385 Félix Fabri, op. cit., volume 2, p.27.<br />

386 Santo Brasca, op. cit., p. 55.<br />

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