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Revue celtique - National Library of Scotland

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54 La Poésie populaire en Bretagne.<br />

tion, au point de vue du goût littéraire dont les règles ont été posées et<br />

acceptées par les lettrés de tout temps et de tout pays. Il est inutile<br />

d'insister ici sur la différence qui existe entre l'inspiration, spontanée de<br />

sa nature, et le sens du goût, résultat essentiel d'une culture persévé-'<br />

rante. Les deux facultés sont parfaitement indépendantes l'une de l'autre :<br />

la correction se rencontre tous les jours chez des écrivains d'une nullité<br />

écœurante, tandis que des hommes de génie ont des vulgarités qui<br />

déconcertent et rebutent l'admiration la plus robuste. Ces fautes, que les<br />

lettrés commettent par esprit de système, sont naïves et involontaires<br />

chez les auteurs anonymes et illettrés de la poésie populaire, et l'on se<br />

fatiguerait inutilement à les compter. Ainsi dans la fameuse ballade poi-<br />

tevine de Jean Renaud, le héros revient de la guerre « tenant ses tripes<br />

dans sa main et ses intestins dans son chapeau. » Dans un chant gaélique<br />

qui n'est pas de Macpherson, saint Patrice discutant avec Ossian l'ap-<br />

pelle brutalement «vieil âne. » Je n'ose dire ici ce que fait lord Cochrane<br />

d'une lettre du sultan, dans un chant grec de la collection Marcellus. La<br />

poésie bretonne en particulier fourmille de ces naïvetés : je parle ici de<br />

guerz authentiques recueillis par des collectionneurs qui ont fidèlement<br />

reproduit les textes sans les remanier. Des bergers, dans le Marquis du<br />

Guerrand, donnent à ce seigneur le signalement d'une jeune fille qu'il<br />

poursuit : « elle porte des dentelles à trois écus l'aune : Dieu qu'elle est<br />

folle ! » C'est du paysan tout pur. Dans une autre ballade, une jeune<br />

fille est accostée par un noble débauché qui, pour la faire causer, lui<br />

demande combien lui a coûté son jupon : « Faites excuse, monsieur le<br />

marquis, c'est mon père qui l'a payé : votre bourse était fermée ce jour-<br />

là. » Il la souffleté, elle riposte par deux coups de pied, les amis et les<br />

valets du marquis se jettent sur elle, elle joue du couteau avec succès et<br />

s'en va en disant : (i C'est pourtant avec un petit couteau d'un sou que<br />

j'ai saigné ces dix-huit butors! » Dans le Siège de Guingamp, un coup de<br />

canon tue dix-huit cents Français et en blesse autant ou davantage. L'ar-<br />

mée d'Abdérame, dans Sainte Geneviève, u couvre tout le pays depuis<br />

Sodome jusqu'à Tours. » Dans un guerz, fort dramatique d'ailleurs, un<br />

navire en perdition arrive à la côte devant Babylone, et le curé de cette<br />

ville, « un saint homme bien charitable, » vient confesser les mourants.<br />

Il serait facile de multiplier ces exemples. Or, on peut feuilleter les deux<br />

volumes du Barzaz sans rencontrer une seule de ces gaucheries qui pul-<br />

lulent dans les chants authentiques, dans la collection Luzel par exemple,<br />

et les remaniements reprochés à M. de la Villemarqué seraient par ce fait<br />

seul assez prouvés. L'auteur a bien déclaré dans sa préface que lorsqu'il<br />

s'est trouvé en face de plusieurs versions du même chant, il les a corri-

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