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Revue celtique - National Library of Scotland

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50 La Poésie populaire en Bretagne.<br />

moitié des langues de l'Europe est sortie. A ce point de vue de la théorie,<br />

nous sommes tous d'accord; cependant ces mélanges sont l'œuvre d'une<br />

lente alluvion séculaire qu'il est impossible d'annuler à moins de dispo-<br />

ser de circonstances ou de moyens exceptionnels. Sans doute les nova-<br />

teurs peuvent s'autoriser de ce qui a été fait dans ce genre depuis trente<br />

ans en Grèce et en Roumanie, de ce qui se tente aujourd'hui en Bulga-<br />

rie; mais sur cette terre d'Orient, la question a une importance bien<br />

autrement grave et urgente. La langue y est le palladium et le signe le<br />

plus visible de nationalités puissantes, vigoureuses, frémissantes au<br />

milieu de la barbarie qui les entoure et dont elles ne viennent que<br />

d'émerger. Les éléments turcs et slaves dans le grec et le roumain étaient<br />

le souvenir vivant de la domination des bachi-bozouqs et des cosaques :<br />

l'élimination des uns a paru la conséquence nécessaire de l'expulsion<br />

des autres. Les lettrés pouvaient dicter des lois grammaticales à un<br />

peuple qui leur obéissait avec confiance parce qu'il les avait vus sur un<br />

autre terrain. Une presse active, ardente, nombreuse (cent vingt-sept<br />

journaux dans la Grèce seule!) propageait leurs idées, et les gouverne-<br />

ments nationaux les appuyaient de leur sanction irrésistible. Peut-on<br />

comparer à une pareille situation et à de pareils moyens les essais,<br />

d'ailleurs dignes de sympathie, tentés en Bretagne par douze ou quinze<br />

amateurs philologues que le peuple ne comprend pas et qui ne parlent<br />

même pas entre eux la langue « épurée » qu'ils écrivent ?<br />

Le promoteur docilement obéi de ce mouvement de réforme a été<br />

Legonidec, un Breton établi à Paris, né dans la banlieue d'une grande<br />

ville maritime où se parle un jargon informe, et plus naturellement dis-<br />

posé par cette circonstance à réagir contre la triviale grossièreté de ce<br />

jargon. Legonidec savait à fond sa langue, c'était un ardent et patient<br />

collectionneur, mais il n'avait ni érudition ni critique et vivait en tout<br />

dans les rêves. Ainsi, il racontait volontiers qu'il avait été condamné à<br />

mort vers 1794 par le tribunal révolutionnaire de Brest, et que sur<br />

l'échafaud il avait été délivré à main armée par une troupe d'hommes<br />

masqués qu'il n'avait jamais revus depuis. Ce roman improbable en luimême<br />

et dont la fausseté a été démontrée d'une manière irrécusable',,<br />

Legonidec en était venu, par une hallucination bizarre, à y croire ferme-<br />

ment. On peut juger par ce fait de ce que pouvait apporter de sens><br />

critique, dans une science aussi délicate, un esprit si étrangement<br />

organisé : mais le défaut de critique ne lui aliénait guère la confiance :<br />

de l'école philologique bretonne, qui a toujours eu l'habitude regrettable ;<br />

I. Biographie bretonne, t. II, v" Legonidec.<br />

i

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