« Si vous n'êtes pas vigilants, les medias arriveront <strong>à</strong> vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment. » — MalcomX 174
175 Cri de terrain Samuel Matte<strong>au</strong> - Cinéaste et Citoyen Depuis plusieurs mois nous parlons be<strong>au</strong>coup du conflit étudiant, de la prise de conscience actuelle qui semble annoncer les débuts d’une nouvelle ère pour le Québec : d’un éveil. Ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas seulement une transformation <strong>social</strong>e, c’est <strong>au</strong>ssi une révolution individuelle. <strong>La</strong> force du mouvement naît du paradoxe suivant : c’est la génération d’enfants postréférendaire, nés dans la solitude de la société du divorce et du « spectacle », qui se retrouvent <strong>à</strong> devoir opérer un changement de fond et un rapprochement collectif. Nous découvrons notre état de présence, nous découvrons, ébahis, que l’émotion d’être ensemble nous pousse vers l’intime. Les événements que nous vivons sont certainement très révélateurs de notre identité en tant que peuple, mais le sont donc tout <strong>au</strong>tant de notre identité individuelle. Ces transformations marqueront sans doute le reste de nos vies. <strong>La</strong> jeunesse est-elle en train de vivre une sorte de rite de passage ? Depuis le début du mouvement, je suis bouleversé. À vingt-cinq ans, je suis en train de faire mienne des expériences qui m’exigent de désapprendre des notions telles que démocratie, politique, société, individu, pour les re-fonder <strong>à</strong> partir d’une impasse. Voil<strong>à</strong> le travail qui nous est imparti. Nous vivons les changements soci<strong>au</strong>x <strong>à</strong> 200 milles <strong>à</strong> l’heure, de plein front. Nous avons vécu Victoriaville, nous avons vécu la «répression». Nous avons senti les pavés s’envoler ; la glace se casser. Nous avons vécu la rage et la haine, la violence des policiers, et la nôtre <strong>au</strong>ssi. Nous avons été gazés, poivrés, matraqués, nous avons vu et senti des corps qui se battent, s’aident, se serrent les coudes. Nous avons vécu le chaos, la panique, la be<strong>au</strong>té du mouvement. Nous assumons la force de nos convictions. Ce qui se passe dans nos rues rend visible un concentré de sentiments humains qui cherchent <strong>à</strong> s’exprimer, s’incarner dans une parole. Ces expériences qui prennent naissance en marge sont belles, dures et souvent intransigeantes. Nous sommes dans ce que j’appellerais une forme d’éducation populaire où nous goûtons enfin concrètement <strong>à</strong> une forme de commun<strong>au</strong>té, <strong>à</strong> un sentiment d’appartenance. L’individualisme se fissure, notre zone de confort est investie par l’<strong>au</strong>tre qu’on apprend <strong>à</strong> aimer. 176