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JE ME SOUVIENDRAI 2012 Mouvement social au ... - La boîte à bulles

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Lorsque j’arrive <strong>au</strong> local de l’association<br />

étudiante, je vois la montagne de pancartes<br />

près des divans et je cherche celle que j’ai<br />

dessinée. Je la retrouve <strong>au</strong> bout de quelques<br />

minutes ; elle commence <strong>à</strong> s’user. Sur le<br />

carton, j’y avais inscrit les mots suivants :<br />

« Charest : démocrate contre la<br />

démocratisation ».<br />

Et <strong>au</strong> verso, la dernière phrase de<br />

Germinal, de Zola :<br />

« Des hommes poussaient, une armée<br />

noire, vengeresse, qui germait lentement<br />

dans les sillons, grandissant pour les récoltes<br />

du siècle futur, et dont la germination<br />

allait faire bientôt éclater la terre. »<br />

Elle sera appropriée lors de la manifestation.<br />

Zola défendait les droits de l’homme,<br />

après tout.<br />

Le temps passe, il reste quelques minutes<br />

avant d’aller piqueter. Une troupe entre<br />

dans le local : des étudiants de philo-<br />

sophie qui ont besoin d’aide pour bloquer<br />

l’accès <strong>à</strong> un cours dans un <strong>au</strong>tre pavillon.<br />

Le problème, disent-ils, c’est que ce cours,<br />

ouvert <strong>à</strong> tous les programmes, n’est<br />

pas seulement donné <strong>à</strong> des étudiants de<br />

philosophie. Mais il f<strong>au</strong>t tout de même le<br />

piqueter pour respecter le choix démocratique<br />

fait en assemblée générale. Je m’y<br />

rends donc avec eux. Une quinzaine<br />

d’<strong>au</strong>tres étudiants nous rejoignent en<br />

chemin, et nous arrivons devant le local<br />

près d’une demi-heure avant le début du<br />

cours.<br />

29<br />

Nous attendons un moment ; quelques<br />

étudiants passent et se rendent compte que<br />

leur cours est bloqué. Ils nous questionnent<br />

un peu : nous leur assurons que cela<br />

ne mettra pas leur session en péril, et ils<br />

repartent soulagés. Certains nous disent<br />

qu’ils <strong>au</strong>raient aimé faire comme nous,<br />

mais leur association n’a pas encore tenu<br />

d’assemblée générale pour se prononcer sur<br />

la grève. Plusieurs <strong>au</strong>tres restent en retrait <strong>à</strong><br />

attendre sans nous parler, ils semblent<br />

croire que le cours <strong>au</strong>ra lieu quand même.<br />

<strong>La</strong> professeure arrive finalement. Elle<br />

entame une discussion avec le président de<br />

l’association des étudiants en philosophie ;<br />

je peine <strong>à</strong> entendre ce qu’ils se disent, mais<br />

je vois bien que l’enseignante est très compréhensive<br />

face <strong>à</strong> la situation. Elle invite<br />

ensuite ses étudiants dans la discussion<br />

pour qu’il soit possible de parler de la grève<br />

et des conséquences de la h<strong>au</strong>sse des frais<br />

de scolarité. Tous semblent hésiter, mais<br />

l’un d’eux, un type habillé <strong>à</strong> l’Abercrombie,<br />

s’avance enfin et prend la parole avec un<br />

ton provocateur.<br />

— Ouais, moi je veux ben l<strong>à</strong>, dit-il avant<br />

de se retourner vers la ligne de piquetage.<br />

Genre, je comprends pas pourquoi vous<br />

faites ça l<strong>à</strong>, me semble que ça me nuit pas<br />

moi cette h<strong>au</strong>sse-l<strong>à</strong>, l<strong>à</strong>. T’sé, sérieux l<strong>à</strong>,<br />

est-ce que ça va réellement vous nuire ?<br />

Je me dis que si tous pouvaient se<br />

permettre d’appréhender cette h<strong>au</strong>sse<br />

ainsi, personne n’en serait venu <strong>à</strong> la grève.<br />

Mais un <strong>au</strong>tre piqueteur décide de lui<br />

répondre : il lui explique les impacts de<br />

cette h<strong>au</strong>sse. L’Abercrombie semble se<br />

moquer de son interlocuteur. Je me décide<br />

alors <strong>à</strong> prendre <strong>à</strong> mon tour la parole, je lui<br />

explique en quoi la démocratie est soutenue<br />

par le système public d’éducation et en<br />

quoi on brime cette démocratie lorsque<br />

l’on restreint l’accès <strong>à</strong> l’éducation. Il fronce<br />

le sourcil. Je lui fais un petit résumé historique<br />

de la montée de la démocratie et de<br />

l’instruction publique, et il se met <strong>à</strong> rire.<br />

Je lui parle du fondement de la démocratie<br />

et il rit de plus belle. Cela me fait constater<br />

qu’il n’est ni intéressé par le sujet, ni ouvert<br />

<strong>à</strong> la remise en question. Je décide donc de<br />

laisser tomber.<br />

<strong>La</strong> discussion se termine sèchement. Je<br />

retourne <strong>au</strong> local de mon association. Mes<br />

pensées sont encore envahies par le doute :<br />

je me demande si je fais la bonne chose.<br />

Chaque fois que je pèse le pour et le contre,<br />

je reviens toujours <strong>à</strong> la même conclusion<br />

et je ne comprends pas pourquoi je serais<br />

en faveur de cette h<strong>au</strong>sse. L’éducation sert<br />

d’abord <strong>à</strong> instruire un peuple, et non <strong>à</strong> lui<br />

permettre de mieux se vendre. Bien qu’il<br />

soit possible de faire les deux sans brimer la<br />

liberté des <strong>au</strong>tres, puisque cette liberté peut<br />

dépendre de notre façon de gérer l’argent,<br />

plutôt que d’imposer une h<strong>au</strong>sse arbitraire<br />

des frais de scolarité pour tous, <strong>au</strong>x p<strong>au</strong>vres<br />

comme <strong>au</strong>x riches. Pourquoi faire profiter<br />

la compétitivité monétaire <strong>au</strong> détriment de<br />

la compétitivité intellectuelle ?<br />

Et pensant <strong>à</strong> la p<strong>au</strong>vreté, je me rappelle<br />

l’époque où ma mère s’est blessée <strong>au</strong> dos en<br />

travaillant dans un club de golf, <strong>au</strong> même<br />

moment où le commerce de mon père a<br />

fait faillite. Je me souviens de ces deux ou<br />

trois années où je devais m’habiller avec<br />

des vêtements donnés, ces années pendant<br />

lesquelles nous avions peine <strong>à</strong> bien manger.<br />

À l’époque, j’avais un grave problème avec<br />

ma dentition ; presque tous les jours, on<br />

riait de moi parce que mes dents de devant<br />

étaient plus avancées que les <strong>au</strong>tres. On<br />

me traitait de lapin, je me sentais si laid.<br />

Un jour, ma mère a décidé de m’emmener<br />

voir un orthodontiste pour faire corriger<br />

ce problème parce que je revenais souvent<br />

en pleurant <strong>à</strong> la maison. L<strong>à</strong>-bas, on<br />

a fait plusieurs tests. J’étais assis sur la<br />

chaise de l’orthodontiste et j’étais heureux<br />

parce qu’on me donnait de l’espoir. Je me<br />

disais qu’on ne rirait plus de moi et qu’on<br />

me trouverait be<strong>au</strong>. Ma mère <strong>au</strong>ssi était<br />

enthousiaste, jusqu’<strong>au</strong> moment où elle a<br />

demandé les coûts associés <strong>au</strong> traitement.<br />

Deux mille dollars et des poussières. Je<br />

me souviens de l’accablement sur son<br />

visage. C’est trop cher, a-t-elle dit en me<br />

regardant. Les orthodontistes ne savaient<br />

que lui répondre, ils semblaient désolés.<br />

Ma mère m’a alors pris par la main,<br />

résignée, impuissante, nous avons marché<br />

vers la sortie en silence, et je me disais que<br />

toujours je serais laid.<br />

Heureusement, quelques années ont suffi<br />

<strong>à</strong> sortir mon père de la faillite. Bien qu’il<br />

fût encore assez p<strong>au</strong>vre, il décida de payer<br />

pour des broches, ce qui corrigea mon problème<br />

de dents, et d’estime. Ma mère, pour<br />

sa part, a réussi <strong>à</strong> décrocher un diplôme<br />

grâce <strong>à</strong> la formation continue et a pu se<br />

trouver un nouvel emploi. Aujourd’hui,<br />

je réalise que nous avons été chanceux de<br />

nous en sortir ainsi. Mais quand je pense<br />

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