JE ME SOUVIENDRAI 2012 Mouvement social au ... - La boîte à bulles
JE ME SOUVIENDRAI 2012 Mouvement social au ... - La boîte à bulles
JE ME SOUVIENDRAI 2012 Mouvement social au ... - La boîte à bulles
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
ISBN : 978-2-84953-160-0<br />
21,0 €<br />
www.la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />
<strong>2012</strong>.<br />
Porté par un mouvement étudiant sans<br />
précédent <strong>au</strong> Canada, le Québec est<br />
depuis de longs mois, témoin, spectateur,<br />
détracteur ou acteur d’une crise<br />
<strong>social</strong>e qui, quoi qu’il arrive désormais,<br />
<strong>au</strong>ra marqué son histoire, <strong>au</strong> même titre<br />
qu’octobre 1970.<br />
Journalistes, chroniqueurs, photographes,<br />
<strong>au</strong>teurs de BD, illustrateurs,<br />
Français et Québécois joignent leur voix<br />
dans ce collectif pour affirmer h<strong>au</strong>t et<br />
fort : Je me souviendrai.<br />
<strong>JE</strong> <strong>ME</strong> <strong>SOUVIENDRAI</strong> <strong>2012</strong> <strong>Mouvement</strong> <strong>social</strong> <strong>au</strong> Québec COLLECTIF
Nous tenons <strong>à</strong> remercier tout particulièrement <strong>La</strong> Presse et Le Devoir,<br />
ainsi que Dominic <strong>La</strong>chance et Nicolas Pellerin pour leur soutien.<br />
Les droits d'<strong>au</strong>teur de cet ouvrage seront reversés <strong>à</strong> Amnistie Internationale<br />
et <strong>au</strong> Fond d’aide <strong>à</strong> l’ASSÉ (Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante).<br />
<strong>La</strong> <strong>boîte</strong> <strong>à</strong> <strong>bulles</strong><br />
5 villa du petit valet 92160 Antony - France<br />
Conception graphique : Thomas B. Martin<br />
Un ouvrage coordonné par : Soulman<br />
Direction artistique : Soulman et Thomas B. Martin<br />
Dessin de couverture et titre du recueil : Thomas B. Martin<br />
Révision : Simon Brousse<strong>au</strong>, Vincent Henry, Delphine Person, Marie-Eve Muller<br />
Dépôt légal : août <strong>2012</strong><br />
isbn : 978-2-84953-160-0<br />
© <strong>2012</strong> <strong>La</strong> Boîte <strong>à</strong> <strong>bulles</strong> & les <strong>au</strong>teurs du collectif<br />
Tous droits de reproduction réservés.<br />
www.la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />
vincent@la-boite-a-<strong>bulles</strong>.com<br />
Sommaire<br />
PRÉAMBULE 6-9<br />
DÉCEMBRE 2010 À FÉVRIER <strong>2012</strong> 10-21<br />
Des origines <strong>à</strong> la grève générale illimitée (GGI)<br />
MARS <strong>2012</strong> 22-55<br />
Le Québec se mobilise<br />
AVRIL <strong>2012</strong> 56-101<br />
Jour de la Terre et Plan Nord<br />
MAI <strong>2012</strong> 102-181<br />
Durcissement du conflit, loi 78 et casseroles<br />
JUIN <strong>2012</strong> 182-245<br />
Grand Prix de F1 de Montréal et Loi Omnibus C-38<br />
6
7<br />
« Le citoyen doit-il un seul instant, dans quelque mesure que ce<br />
soit, abandonner sa conscience <strong>au</strong> législateur ? Pourquoi, alors,<br />
chacun <strong>au</strong>rait-il une conscience ? Je pense que nous devons<br />
d’abord être des hommes, des sujets ensuite. »<br />
— Henry David Thore<strong>au</strong> - <strong>La</strong> loi, la conscience et le juste<br />
Préambule<br />
Soulman<br />
Porté par un mouvement étudiant sans précédent <strong>au</strong> Canada, le Québec<br />
est depuis de longs mois témoin, spectateur, détracteur ou acteur d’une<br />
crise <strong>social</strong>e qui, quoi qu’il arrive désormais, <strong>au</strong>ra marqué son histoire, <strong>au</strong><br />
même titre qu’octobre 1970. Pas une famille, pas une réunion de travail,<br />
pas une p<strong>au</strong>se cigarette n’<strong>au</strong>ra évité ce débat. Des amitiés en <strong>au</strong>ront souffert<br />
et d’<strong>au</strong>tres seront nées ; certains de nos voisins ne sont plus de parfaits<br />
étrangers alors que certains parents le sont devenus. Tout ou presque a été<br />
dit ou écrit sur le sujet, tellement différemment d’une source d’information<br />
<strong>à</strong> une <strong>au</strong>tre : tout le monde a donné son avis, pertinent ou non.<br />
Alors pourquoi ce collectif ?<br />
Parce que, tout d’abord, le monde<br />
d’<strong>au</strong>jourd’hui va vite, trop vite. Parce que<br />
la magie d’internet, de facebook, c’est qu’on<br />
peut lire tous les jours des textes qu’un ami<br />
ou l’ami d’un ami parfaitement inconnu a<br />
posté sur son mur, parce qu’on peut voir<br />
d’un simple clic un court-métrage, une<br />
photo, un article qui va nous informer,<br />
nous émouvoir, nous révolter, mais qui,<br />
deux heures après, sera déj<strong>à</strong> oublié.<br />
Parce qu’<strong>à</strong> peine sorties de l’e<strong>au</strong>, ces petites<br />
perles ont déj<strong>à</strong> disparu dans le courant<br />
d’une information continue et intarissable.<br />
Parce que les textes réunis ici méritent plus<br />
que le temps d’une simple p<strong>au</strong>se café avant<br />
une réunion, ces photos, ces illustrations<br />
méritent plus d’attention que quelques<br />
clics dans un bus, en attendant son arrêt.<br />
Parce qu’enfin, malgré tout ce qu’on nous<br />
en a dit, quand je repenserai <strong>à</strong> cette année<br />
<strong>2012</strong>, je ne me rappellerai non pas la<br />
moindre « violence » ni la moindre « intimidation<br />
» mais, <strong>au</strong> contraire, cette multitude<br />
de gestes de solidarité, ces carrés rouges,<br />
ces casseroles, ces immenses marches<br />
pacifiques où les sourires ont fleuri et<br />
où les générations se sont mêlées. Je me<br />
souviendrai de tous ces symboles, de tous<br />
ces jeunes qui se sont conscientisés et de<br />
ces adultes qui se sont souvenus qu’ils<br />
avaient eux <strong>au</strong>ssi rêvé.<br />
8
9<br />
« Eh bien, je voudrais dire <strong>au</strong>x jeunes gens que l’absence de<br />
foi désoriente : pour que ce monde rime <strong>à</strong> quelque chose,<br />
il ne tient qu’<strong>à</strong> vous.<br />
Il ne tient qu’<strong>à</strong> l’homme, et c’est de l’homme qu’il f<strong>au</strong>t<br />
partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde,<br />
il ne tient qu’<strong>à</strong> vous. Le monde sera ce que vous le ferez. »<br />
Cet ouvrage est né maintes fois.<br />
Une première fois, en janvier 2009, quand<br />
mon ami Maximilien Le Roy m’a demandé<br />
de participer <strong>au</strong> collectif Gaza, réuni<br />
et édité dans l’urgence d’un drame en<br />
Palestine où des milliers de civils<br />
mouraient dans l’indifférence pour<br />
l’injuste et inepte raison que personne<br />
n’entendait leur souffrance.<br />
Il est né <strong>au</strong> gré de ces discussions, de ces<br />
soirées mémorables où on refait le monde<br />
et où on a le sentiment qu’on peut changer<br />
les choses, passé une certaine heure et un<br />
certain nombre de bières. Des soirées où<br />
l’on regarde ses amis en se sentant fier<br />
d’eux et en les aimant encore un peu plus.<br />
— André Gide<br />
Il est né parce que, bien plus qu’une crise,<br />
c’est un éveil collectif que nous venons de<br />
vivre, la renaissance d’une identité et d’une<br />
conscience en tant qu’individus mais <strong>au</strong>ssi<br />
en tant que peuple. Ce livre n’est pas destiné<br />
<strong>à</strong> prêcher des convertis ni <strong>à</strong> exalter<br />
des « partisans » ; vous n’y trouverez ni<br />
haine, ni violence, ni m<strong>au</strong>vaise foi, peutêtre<br />
juste parfois un peu de frustration ou<br />
d’agacement. Il est l<strong>à</strong> pour tendre la main<br />
vers ceux qui ne comprennent pas encore,<br />
ouvrir le dialogue, informer et expliquer,<br />
calmement.<br />
J’ai préféré vous faire partager l’émotion<br />
ressentie en voyant cette petite-fille<br />
avec son grand-père dans Je marche <strong>à</strong><br />
nous de Samuel Matte<strong>au</strong> et Alexandre<br />
Isabelle, ou ce touchant regard d’amour<br />
dans J’entends quelqu’un qui se moque de<br />
Jimmy Be<strong>au</strong>lieu. J’espère que, vous <strong>au</strong>ssi,<br />
vous vous sentirez fiers de notre jeunesse<br />
et optimistes pour l’avenir en lisant avec<br />
un sourire la fougue et l’intelligence<br />
de Léa Clermont-Dion, en voyant ces illustrations,<br />
ces poèmes d’une nouvelle génération<br />
d’artistes ; que vous sortirez grandis,<br />
bouleversés et peut-être même transformés<br />
par la découverte des textes d’Hugo<br />
<strong>La</strong>tulippe, Normand Baillargeon, L<strong>au</strong>re<br />
Waridel ou Frédéric Dubois ; que vous<br />
aimerez la finesse et l’humour de Stéphane<br />
<strong>La</strong>porte, Adib Alkhalidey, Jackie San,<br />
Michel Falarde<strong>au</strong> ou Philippe Girard.<br />
Je pourrais vous citer tous les participants <strong>à</strong><br />
ce collectif un <strong>à</strong> un mais je vais plutôt vous<br />
laisser les découvrir, et nous espérons tous<br />
qu’après la lecture de Je me souviendrai<br />
vous refermerez ce livre avec une étincelle,<br />
une fierté, un espoir ou <strong>au</strong> moins un doute,<br />
une ouverture si son contenu n’est pas en<br />
harmonie avec vos convictions premières.<br />
En octobre 1961, suite <strong>au</strong> massacre de<br />
dizaines d’Algériens en France lors d’une<br />
manifestation pacifiste, le poète Kateb<br />
Yacine disait :<br />
« Peuple Français, tu as tout vu<br />
Oui, tout vu de tes propres yeux<br />
[...]<br />
Et maintenant vas-tu parler ?<br />
Et maintenant vas-tu te taire ? »<br />
Cinquante et un ans après, il pourrait<br />
nous demander <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> : gens du pays,<br />
maintenant que vous avez vu, que vous<br />
avez lu, allez-vous vous taire ?<br />
Vous souviendrez-vous ?<br />
10
11<br />
DÉCEMBRE 2010<br />
À FÉVRIER <strong>2012</strong><br />
Des origines<br />
<strong>à</strong> la grève générale illimitée (GGI)<br />
6 décembre 2010<br />
L’origine du conflit. Les syndicats et<br />
les associations étudiantes quittent la<br />
réunion entre Québec et les partenaires<br />
en éducation, furieux de la h<strong>au</strong>sse des<br />
frais de scolarité prévus pour améliorer<br />
le financement des universités en <strong>2012</strong>.<br />
Des milliers de personnes manifestent<br />
devant le Parlement.<br />
17 mars 2011<br />
Le ministre des Finances du Québec, dans<br />
son budget provincial, confirme la h<strong>au</strong>sse<br />
des frais de scolarité de 325$ par année<br />
pendant cinq ans <strong>à</strong> partir de l'<strong>au</strong>tomne<br />
<strong>2012</strong>. Les étudiants doivent payer leur<br />
« juste part » selon le gouvernement. Des<br />
centaines de personnes manifestent <strong>à</strong><br />
nouve<strong>au</strong>.<br />
10 novembre 2011<br />
À l’appel de la Coalition contre la tarification<br />
et la privatisation des services publics,<br />
une manifestation de 30 000 personnes a<br />
lieu <strong>à</strong> Montréal. Le premier ministre Jean<br />
Charest confirme que la h<strong>au</strong>sse sera maintenue.<br />
<strong>La</strong> Fédération Étudiante Collégiale<br />
du Québec (FECQ), la Fédération Étudiante<br />
Universitaire du Québec (FEUQ)<br />
et l’Association pour une Solidarité Syndicale<br />
Étudiante (ASSÉ) se positionnent<br />
déj<strong>à</strong> comme les leaders de la contestation<br />
étudiante.<br />
3 décembre 2011<br />
Création de la Coalition <strong>La</strong>rge de l’ASSÉ<br />
(CLASSE).<br />
13 février <strong>2012</strong><br />
Début de la grève, le mouvement de<br />
débrayage est amorcé. <strong>La</strong> grève générale<br />
illimitée est votée et compte <strong>à</strong> la mimars<br />
316 000 étudiants collégi<strong>au</strong>x et<br />
universitaires.<br />
L'École de la Montagne Rouge est créée.<br />
Leurs créations graphiques marqueront le<br />
mouvement pendant des mois.<br />
16 février<br />
Line Be<strong>au</strong>champ, ministre de l’éducation,<br />
envoie le mot d’ordre <strong>au</strong>x administrations<br />
collégiales et universitaires de ne pas tenir<br />
compte des votes de grève et enjoint les<br />
enseignants <strong>à</strong> franchir les piquets de grève.<br />
12
13<br />
Abécédaire populaire<br />
Hugo <strong>La</strong>tulippe<br />
le signal a été donné de nuit<br />
par nos ARTificiers<br />
Timing parfait…<br />
comme asphaltée par en-dedans,<br />
bouchée des deux bouttes<br />
l’espèce-civilisée avait commencé <strong>à</strong> traverser le siècle<br />
avec ses Lumières fermées !<br />
la BÊTE et ses courtiers trépignaient <strong>à</strong> genou<br />
pour le moindre petit pécule<br />
un bâtiment ami,<br />
venu du large<br />
nous a déversé des colonnes d’étoiles<br />
sur la batture…<br />
des barils de poètes !<br />
<strong>à</strong> cet endroit,<br />
lorsque le jour tombe et qu’il y a une percée de soleil<br />
le vent fait renverser les feuilles<br />
et comme par magie…<br />
nous avons défilé en cortège<br />
sur ce pays CRÉÉ<br />
serrés les uns sur les <strong>au</strong>tres, comme un très grand progrès<br />
dans le DÉSORDRE d’une chance incroyable<br />
aimantés par nos aspirations de toujours<br />
ÉTHERnelles, particulières…<br />
aspirés vers nos FOYERS anciens<br />
14
nos meilleurs philosophes<br />
postés<br />
(comme les GRECS)<br />
<strong>au</strong> milieu du torrent<br />
ont dit :<br />
<strong>à</strong> partir d’<strong>au</strong>jourd’hui,<br />
nous mènerons nos propres insurrections<br />
sur tous les lacs gelés du Nord et de l’intérieur<br />
nous marcherons <strong>à</strong> l’envers de l’époque <strong>au</strong> complet si il le f<strong>au</strong>t !<br />
le HOCKEY taillé dans l’épinette de nos gisements<br />
dégoupillés dans l’INDICIBLE<br />
mariés <strong>à</strong> l’air polaire d’<strong>au</strong>-travers nous<br />
JOUER dehors avec nos enfants-flèches<br />
nos enfants-fleuves<br />
connectés <strong>à</strong> ce qui permet de faire sens<br />
KEEP IT MOVING !<br />
nos petites écoles lumineuses cracheront des bataillons de petit monde pas un cade<strong>au</strong><br />
formés pour nous fendre<br />
nous fracturer<br />
formés pour nous contester L’ORDRE<br />
pour nous dire que le roi est nu !<br />
15<br />
ils seront une brèche<br />
une bravade<br />
un mouvement de chair<br />
comme <strong>au</strong> temps des hordes de caribous<br />
et avec eux,<br />
nous réapprendrons <strong>à</strong> MANGER le soir<br />
<strong>au</strong>tour de tables bondées d’amour<br />
le jour est venu d’imaginer d’<strong>au</strong>tres constellations<br />
d’<strong>au</strong>tres NORVÈGE, d’<strong>au</strong>tres Finlande, d’<strong>au</strong>tres Brésil, d’<strong>au</strong>tres Bolivie,<br />
de réveiller nos mots fragiles<br />
nos mots enfouis,<br />
bafoués ou enterrés<br />
nos mots carquois !<br />
nos voix qui disent OUI !<br />
qui demandent POURQUOI ?<br />
QU’EST-CE QUI EST SACRÉ pour un Québécois ?<br />
dans le grand effort de conscience que notre époque exige<br />
le jour est venu d’être ce qu’on RÊVE<br />
de faire ce qu’on dit<br />
le jour est venu de se bâtir une arche<br />
une arche comme un pays !<br />
<strong>au</strong> cas (SI)<br />
<strong>au</strong> cas où l’Alberta deviendrait notre TOMBEAU<br />
<strong>au</strong> cas où la déclaration UNIVERSELLE des droits de l’homme était brûlée<br />
sur l’<strong>au</strong>tel du commerce international<br />
une arche pour dire VOICI ! un peuple nourri de be<strong>au</strong>té<br />
et voici de quoi il est capable<br />
face <strong>au</strong>x géants<br />
<strong>à</strong> WALMART<br />
et la fin des temps<br />
vous verrez…<br />
nos filles et nos fils émergeront deboutte,<br />
comme une forme de l’art<br />
ils seront comme un vent ch<strong>au</strong>d, ils viendront de partout<br />
pour nous sortir le X des petites cases<br />
pour nous remettre le feu<br />
en arrière des YEUX<br />
nous serons ZAPATISTES de nouve<strong>au</strong><br />
nous nous interposerons par le rêve,<br />
Nous serons la marée<br />
et le Bouclier<br />
16
17<br />
18
21<br />
drea-portfolio.com<br />
22
23<br />
MARS <strong>2012</strong><br />
Le Québec se mobilise<br />
22 mars<br />
Près de 200 000 manifestants défilent<br />
pacifiquement dans les rues de Montréal<br />
contre la h<strong>au</strong>sse des frais de scolarité. C’est<br />
la plus grande manifestation étudiante<br />
dans l’histoire du Québec. Les images<br />
font le tour du monde. Le carré rouge est<br />
plus que jamais le symbole du mouvement<br />
contre la h<strong>au</strong>sse tandis que le carré vert<br />
rallie les étudiants en faveur du dégel.<br />
26 mars<br />
Court-métrage Je marche <strong>à</strong> nous de Samuel<br />
Matte<strong>au</strong> et Alexandre Isabelle.<br />
27 mars<br />
Plus de 2 300 enseignants signent le<br />
Manifeste des professeurs contre la h<strong>au</strong>sse,<br />
malgré les menaces de sanctions.<br />
Du 27 <strong>au</strong> 30 mars<br />
Les manifestants diversifient leurs<br />
actions. Ils tentent de bloquer le port et<br />
les ponts de Montréal, déroulent une<br />
banderole sur le toit des bure<strong>au</strong>x du<br />
Parti libéral du Québec, organisent des<br />
actions <strong>à</strong> Gatine<strong>au</strong>, Rimouski, Québec,<br />
se dénudent, se costument, manifestent <strong>à</strong><br />
vélo.<br />
<strong>La</strong> Fédération nationale des enseignantes<br />
et des enseignants du Québec exige un<br />
moratoire d’un an sur la h<strong>au</strong>sse.<br />
24
25<br />
Mémoires d’une journée rouge<br />
Bobby Aubé<br />
Les rayons du soleil s’infiltrent doucement<br />
par les fentes des ride<strong>au</strong>x. Je m’éveille <strong>à</strong><br />
nouve<strong>au</strong> seul dans ma chambre, tout juste<br />
sorti d’un rêve déj<strong>à</strong> oublié. Je regarde le<br />
cadran : il est neuf heures, ce qui me laisse<br />
suffisamment de temps pour terminer mes<br />
lectures. Bonheur d’occasion est resté sagement<br />
sur ma table de nuit, je l’ai laissé l<strong>à</strong> la<br />
veille avant de m’endormir en pensant <strong>à</strong> la<br />
mort du petit Daniel. Il est bien dommage<br />
que la jeunesse soit souvent hypothéquée<br />
avant de venir <strong>au</strong> monde.<br />
J’ouvre le livre ; je songe <strong>au</strong>x événements<br />
qui s’annoncent et cela m’empêche de<br />
me concentrer. Je réussis néanmoins <strong>à</strong> en<br />
terminer la lecture avant qu’il ne soit<br />
dix heures, et je me lève. Rapidement je<br />
déjeune, m’habille, me brosse les dents.<br />
Puis, j’empoigne mon sac sur lequel un<br />
petit carré rouge est accroché avec une<br />
épingle. Un soupir s’évade brusquement<br />
de mes poumons pendant que je regarde ce<br />
petit carré. Il f<strong>au</strong>t dire que depuis quelques<br />
jours, il me rend la vie difficile. Mais je<br />
l’assume, c’est mon choix, j’y ai réfléchi<br />
longtemps et j’ai décidé que je me battrais<br />
pour lui.<br />
Lorsque j’entre dans l’<strong>au</strong>tobus, plusieurs<br />
personnes me regardent. Certaines me<br />
sourient par solidarité, d’<strong>au</strong>tres semblent<br />
me mépriser ; je tente de ne pas m’en<br />
soucier. Je m’assieds sur un banc, en face<br />
d’un <strong>au</strong>tre étudiant ; il observe mon sac<br />
avant de lever le regard vers moi. Il semble<br />
hésiter quelques instants et me demande :<br />
— Dans quel programme que t’es ?<br />
Au ton de sa voix, je comprends bien qu’il<br />
n’est pas d’accord avec moi. Il voudra peutêtre<br />
me narguer lorsque je lui répondrai,<br />
mais tout de même, je me lance :<br />
— Littérature.<br />
Un sourire moqueur s’affiche sur ses lèvres.<br />
— Pour quoi faire ? reprend-il.<br />
— Enseigner.<br />
— Si t’as de la misère <strong>à</strong> payer tes études,<br />
pourquoi tu vas pas dans quelque chose<br />
qui peut te rapporter du cash pis où t’es sûr<br />
de te ramasser une job ?<br />
Je suis pris d’un soulèvement que je ne<br />
laisse pas paraître ; je ne pensais pas qu’il<br />
irait jusque-l<strong>à</strong>. Je décide de lui répondre<br />
simplement que c’est ce que je veux faire, ce<br />
qui clôt la conversation. Mais cela me laisse<br />
froid, et je songe : pourquoi la littérature ?<br />
26
Un professeur m’a dit un jour qu’une<br />
nation sans histoire ni littérature n’est rien,<br />
car c’est l<strong>à</strong> l’âme d’un peuple. L’histoire<br />
est née avec l’invention de l’écriture ; ce<br />
geste d’ouverture est <strong>au</strong> fondement de la<br />
mémoire collective, qui permet <strong>à</strong> l’être<br />
humain de préserver son passé afin de ne<br />
pas répéter les erreurs qu’il a déj<strong>à</strong> commises.<br />
Je pense <strong>à</strong> Voltaire, <strong>à</strong> Hugo, <strong>à</strong> Rousse<strong>au</strong>,<br />
<strong>à</strong> Dumas, <strong>à</strong> Zola et <strong>à</strong> tous ces grands<br />
hommes qui ont marqué notre conscience<br />
collective. Ces écrivains du XVIIIe et XIXe<br />
siècles qui ont façonné l’histoire, ceux<br />
qui, grâce <strong>à</strong> leur profondeur d’esprit, <strong>à</strong><br />
leurs idées novatrices, ont permis <strong>à</strong> leurs<br />
contemporains de se soulever contre une<br />
monarchie qui les avait trop longtemps<br />
écrasés dans la p<strong>au</strong>vreté et la misère.<br />
L’histoire défile en moi ; les idées des<br />
Lumières, la liberté de presse, la Révolution<br />
française, la Déclaration des droits<br />
de l’homme, la naissance de l’instruction<br />
publique qui a fait éclore la démocratie.<br />
27<br />
Mais alors que ces images me viennent <strong>à</strong><br />
l’esprit, que ces passions se soulèvent en<br />
moi comme elles l’ont si souvent fait, je<br />
remarque que l’étudiant devant se moque<br />
encore, et je l’entends murmurer :<br />
— Osties d’<strong>social</strong>istes.<br />
Quelle ironie ! Comment pouvons-nous<br />
mépriser ces hommes et femmes qui<br />
ont mené des mouvements afin de lutter<br />
contre les injustices, comme l’esclavage,<br />
l’homophobie, le racisme, le sexisme, la<br />
surexploitation des ouvriers, la p<strong>au</strong>vreté,<br />
l’intolérance religieuse, et j’en passe ?<br />
Comment pouvons-nous, sans remords,<br />
offenser la mémoire de ceux qui nous ont<br />
permis d’évoluer jusqu’<strong>à</strong> <strong>au</strong>jourd’hui ?<br />
Et il ose me parler d’argent ! D’abord estce<br />
que je vais <strong>à</strong> l’université seulement<br />
pour faire de l’argent ? Pour être riche ?<br />
Est-ce que je récolte un savoir dans le seul<br />
but d’obtenir un emploi bien rémunéré ?<br />
Cette instruction ne m’apporte-t-elle pas<br />
davantage ? Comme la liberté de penser,<br />
la capacité d’appréhender <strong>au</strong>trement<br />
ce qui m’entoure, de comprendre mon<br />
environnement ? Et ce développement<br />
personnel, humain, soutenu par la formation<br />
supérieure, n’est-ce pas l<strong>à</strong>, a priori, le<br />
rôle essentiel du système d’éducation ?<br />
Les réponses <strong>à</strong> ces questions devraient<br />
pourtant être évidentes. Malheureusement,<br />
il semble que quelque chose ait<br />
changé ces dernières années, du moins,<br />
pour certains. Hier, en visitant la page de<br />
l’ONU, je suis tombé sur l’article treize<br />
du Pacte international relatif <strong>au</strong>x droits<br />
économiques, soci<strong>au</strong>x et culturels où il est<br />
stipulé que depuis 1976, il y a cette obligation<br />
internationale :<br />
« L’enseignement supérieur doit être rendu<br />
accessible <strong>à</strong> tous en pleine égalité, en fonction<br />
des capacités de chacun, par tous les<br />
moyens appropriés et notamment par<br />
l’homme, Comité des droits économique, soci<strong>au</strong>x et culturels,<br />
« Pacte international relatif <strong>au</strong>x droits économiques, soci<strong>au</strong>x et culturels »,<br />
[en ligne]. http : //www2.ohchr.org/french/law/cescr.htm [Page consultée le 29 février <strong>2012</strong>].<br />
l’inst<strong>au</strong>ration progressive de la gratuité 1 ».<br />
Et quand je regarde cela et que je considère<br />
qu’<strong>au</strong> cours des dix dernières années, les<br />
frais de scolarité en Angleterre sont passés<br />
de la gratuité <strong>à</strong> un peu plus de trois mille<br />
euros par an, j’y vois une régression<br />
majeure. Sans parler du fait que la<br />
mobilité <strong>social</strong>e a complètement chuté <strong>au</strong><br />
Roy<strong>au</strong>me-Uni et que les études universitaires<br />
sont désormais hors de portée pour<br />
plusieurs. Mais pourquoi cette h<strong>au</strong>sse ?<br />
Pourquoi détruire l’espoir des moins<br />
nantis face <strong>à</strong> leur avenir ? Pour la compétition<br />
? Pour avoir une meilleure marchandise<br />
étudiante <strong>à</strong> offrir ? Et depuis quand<br />
l’université est-elle devenue une usine<br />
<strong>à</strong> production d’étudiants surendettés ?<br />
Depuis que les États-Unis ont fixé les règles<br />
du marché ? Ce pays où un enfant p<strong>au</strong>vre<br />
ne peut espérer faire de longues études,<br />
<strong>à</strong> moins bien sûr d’être un virtuose dans<br />
un sport quelconque. Et pour cette raison<br />
nous devrions mettre de côté ce que notre<br />
société a acquis <strong>au</strong> fil du temps ; ses principes<br />
d’équité et de justice ? Je ne savais<br />
pas encore qu’on pouvait outrepasser les<br />
lois internationales sous prétexte qu’elles<br />
peuvent nuire <strong>à</strong> la production…<br />
Au moins, il semble que ce ne soit pas<br />
encore l<strong>à</strong> l’avis de tous. Je pense <strong>à</strong> la France,<br />
la Suisse, la Norvège, le Mexique, l’Inde,<br />
le Danemark, l’Allemagne, et tous les<br />
<strong>au</strong>tres États où l’université ne coûte rien ou<br />
presque…<br />
Bref, j’en suis <strong>à</strong> ce point dans mes réflexions<br />
<strong>au</strong> moment de sortir de l’<strong>au</strong>tobus pour me<br />
rendre <strong>au</strong> pavillon Charles-De Koninck.<br />
28
Lorsque j’arrive <strong>au</strong> local de l’association<br />
étudiante, je vois la montagne de pancartes<br />
près des divans et je cherche celle que j’ai<br />
dessinée. Je la retrouve <strong>au</strong> bout de quelques<br />
minutes ; elle commence <strong>à</strong> s’user. Sur le<br />
carton, j’y avais inscrit les mots suivants :<br />
« Charest : démocrate contre la<br />
démocratisation ».<br />
Et <strong>au</strong> verso, la dernière phrase de<br />
Germinal, de Zola :<br />
« Des hommes poussaient, une armée<br />
noire, vengeresse, qui germait lentement<br />
dans les sillons, grandissant pour les récoltes<br />
du siècle futur, et dont la germination<br />
allait faire bientôt éclater la terre. »<br />
Elle sera appropriée lors de la manifestation.<br />
Zola défendait les droits de l’homme,<br />
après tout.<br />
Le temps passe, il reste quelques minutes<br />
avant d’aller piqueter. Une troupe entre<br />
dans le local : des étudiants de philo-<br />
sophie qui ont besoin d’aide pour bloquer<br />
l’accès <strong>à</strong> un cours dans un <strong>au</strong>tre pavillon.<br />
Le problème, disent-ils, c’est que ce cours,<br />
ouvert <strong>à</strong> tous les programmes, n’est<br />
pas seulement donné <strong>à</strong> des étudiants de<br />
philosophie. Mais il f<strong>au</strong>t tout de même le<br />
piqueter pour respecter le choix démocratique<br />
fait en assemblée générale. Je m’y<br />
rends donc avec eux. Une quinzaine<br />
d’<strong>au</strong>tres étudiants nous rejoignent en<br />
chemin, et nous arrivons devant le local<br />
près d’une demi-heure avant le début du<br />
cours.<br />
29<br />
Nous attendons un moment ; quelques<br />
étudiants passent et se rendent compte que<br />
leur cours est bloqué. Ils nous questionnent<br />
un peu : nous leur assurons que cela<br />
ne mettra pas leur session en péril, et ils<br />
repartent soulagés. Certains nous disent<br />
qu’ils <strong>au</strong>raient aimé faire comme nous,<br />
mais leur association n’a pas encore tenu<br />
d’assemblée générale pour se prononcer sur<br />
la grève. Plusieurs <strong>au</strong>tres restent en retrait <strong>à</strong><br />
attendre sans nous parler, ils semblent<br />
croire que le cours <strong>au</strong>ra lieu quand même.<br />
<strong>La</strong> professeure arrive finalement. Elle<br />
entame une discussion avec le président de<br />
l’association des étudiants en philosophie ;<br />
je peine <strong>à</strong> entendre ce qu’ils se disent, mais<br />
je vois bien que l’enseignante est très compréhensive<br />
face <strong>à</strong> la situation. Elle invite<br />
ensuite ses étudiants dans la discussion<br />
pour qu’il soit possible de parler de la grève<br />
et des conséquences de la h<strong>au</strong>sse des frais<br />
de scolarité. Tous semblent hésiter, mais<br />
l’un d’eux, un type habillé <strong>à</strong> l’Abercrombie,<br />
s’avance enfin et prend la parole avec un<br />
ton provocateur.<br />
— Ouais, moi je veux ben l<strong>à</strong>, dit-il avant<br />
de se retourner vers la ligne de piquetage.<br />
Genre, je comprends pas pourquoi vous<br />
faites ça l<strong>à</strong>, me semble que ça me nuit pas<br />
moi cette h<strong>au</strong>sse-l<strong>à</strong>, l<strong>à</strong>. T’sé, sérieux l<strong>à</strong>,<br />
est-ce que ça va réellement vous nuire ?<br />
Je me dis que si tous pouvaient se<br />
permettre d’appréhender cette h<strong>au</strong>sse<br />
ainsi, personne n’en serait venu <strong>à</strong> la grève.<br />
Mais un <strong>au</strong>tre piqueteur décide de lui<br />
répondre : il lui explique les impacts de<br />
cette h<strong>au</strong>sse. L’Abercrombie semble se<br />
moquer de son interlocuteur. Je me décide<br />
alors <strong>à</strong> prendre <strong>à</strong> mon tour la parole, je lui<br />
explique en quoi la démocratie est soutenue<br />
par le système public d’éducation et en<br />
quoi on brime cette démocratie lorsque<br />
l’on restreint l’accès <strong>à</strong> l’éducation. Il fronce<br />
le sourcil. Je lui fais un petit résumé historique<br />
de la montée de la démocratie et de<br />
l’instruction publique, et il se met <strong>à</strong> rire.<br />
Je lui parle du fondement de la démocratie<br />
et il rit de plus belle. Cela me fait constater<br />
qu’il n’est ni intéressé par le sujet, ni ouvert<br />
<strong>à</strong> la remise en question. Je décide donc de<br />
laisser tomber.<br />
<strong>La</strong> discussion se termine sèchement. Je<br />
retourne <strong>au</strong> local de mon association. Mes<br />
pensées sont encore envahies par le doute :<br />
je me demande si je fais la bonne chose.<br />
Chaque fois que je pèse le pour et le contre,<br />
je reviens toujours <strong>à</strong> la même conclusion<br />
et je ne comprends pas pourquoi je serais<br />
en faveur de cette h<strong>au</strong>sse. L’éducation sert<br />
d’abord <strong>à</strong> instruire un peuple, et non <strong>à</strong> lui<br />
permettre de mieux se vendre. Bien qu’il<br />
soit possible de faire les deux sans brimer la<br />
liberté des <strong>au</strong>tres, puisque cette liberté peut<br />
dépendre de notre façon de gérer l’argent,<br />
plutôt que d’imposer une h<strong>au</strong>sse arbitraire<br />
des frais de scolarité pour tous, <strong>au</strong>x p<strong>au</strong>vres<br />
comme <strong>au</strong>x riches. Pourquoi faire profiter<br />
la compétitivité monétaire <strong>au</strong> détriment de<br />
la compétitivité intellectuelle ?<br />
Et pensant <strong>à</strong> la p<strong>au</strong>vreté, je me rappelle<br />
l’époque où ma mère s’est blessée <strong>au</strong> dos en<br />
travaillant dans un club de golf, <strong>au</strong> même<br />
moment où le commerce de mon père a<br />
fait faillite. Je me souviens de ces deux ou<br />
trois années où je devais m’habiller avec<br />
des vêtements donnés, ces années pendant<br />
lesquelles nous avions peine <strong>à</strong> bien manger.<br />
À l’époque, j’avais un grave problème avec<br />
ma dentition ; presque tous les jours, on<br />
riait de moi parce que mes dents de devant<br />
étaient plus avancées que les <strong>au</strong>tres. On<br />
me traitait de lapin, je me sentais si laid.<br />
Un jour, ma mère a décidé de m’emmener<br />
voir un orthodontiste pour faire corriger<br />
ce problème parce que je revenais souvent<br />
en pleurant <strong>à</strong> la maison. L<strong>à</strong>-bas, on<br />
a fait plusieurs tests. J’étais assis sur la<br />
chaise de l’orthodontiste et j’étais heureux<br />
parce qu’on me donnait de l’espoir. Je me<br />
disais qu’on ne rirait plus de moi et qu’on<br />
me trouverait be<strong>au</strong>. Ma mère <strong>au</strong>ssi était<br />
enthousiaste, jusqu’<strong>au</strong> moment où elle a<br />
demandé les coûts associés <strong>au</strong> traitement.<br />
Deux mille dollars et des poussières. Je<br />
me souviens de l’accablement sur son<br />
visage. C’est trop cher, a-t-elle dit en me<br />
regardant. Les orthodontistes ne savaient<br />
que lui répondre, ils semblaient désolés.<br />
Ma mère m’a alors pris par la main,<br />
résignée, impuissante, nous avons marché<br />
vers la sortie en silence, et je me disais que<br />
toujours je serais laid.<br />
Heureusement, quelques années ont suffi<br />
<strong>à</strong> sortir mon père de la faillite. Bien qu’il<br />
fût encore assez p<strong>au</strong>vre, il décida de payer<br />
pour des broches, ce qui corrigea mon problème<br />
de dents, et d’estime. Ma mère, pour<br />
sa part, a réussi <strong>à</strong> décrocher un diplôme<br />
grâce <strong>à</strong> la formation continue et a pu se<br />
trouver un nouvel emploi. Aujourd’hui,<br />
je réalise que nous avons été chanceux de<br />
nous en sortir ainsi. Mais quand je pense<br />
30
<strong>à</strong> tous ces <strong>au</strong>tres qui n’ont pas cette même<br />
chance, <strong>à</strong> ces enfants qui étaient <strong>à</strong> mes côtés<br />
lorsque l’on recevait les dons de vêtements<br />
et de nourriture, un dégoût de la condition<br />
humaine me saisit. Rajouter 1625 dollars<br />
par an, certains disent que cela ne nuira<br />
<strong>à</strong> personne, mais ceux-l<strong>à</strong> ne réalisent pas<br />
que la valeur de l’argent n’est pas la même<br />
pour tous. Et ils déballent leurs arguments<br />
d’investissements dans les prêts et les<br />
bourses… Je sais pertinemment que cela<br />
n’atténuera pas le choc : j’ai vu des gens<br />
dépendre de cet endettement pour étudier,<br />
des gens qui devaient s’empêcher de manger<br />
trois repas par jour pour se permettre<br />
de payer leurs études, et ce, avant que les<br />
coûts commencent <strong>à</strong> <strong>au</strong>gmenter.<br />
Mais tout cela va bien <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> des promesses<br />
futiles d’aide financière. Lorsque j’étais<br />
moniteur <strong>au</strong> camp de jour, je m’entendais<br />
très bien avec un jeune garçon <strong>à</strong> l’esprit vif<br />
qui s’intéressait constamment <strong>à</strong> tout ce que<br />
je pouvais lui apprendre. Un jour, je lui ai<br />
dit qu’il ferait bien d’étudier longtemps,<br />
car il pourrait apprendre be<strong>au</strong>coup de<br />
choses que je ne pouvais lui montrer.<br />
— Je pourrai pas aller <strong>à</strong> l’université,<br />
ma mère dit que ça coûte trop cher. De<br />
toute façon mon oncle travaille dans une<br />
épicerie pis y’est quand même capable de<br />
vivre, m’a-t-il répondu.<br />
De l’aide financière, qu’ils promettent…<br />
Alors que les coûts exorbitants conditionnent<br />
les enfants, même <strong>au</strong> plus jeune âge,<br />
<strong>à</strong> trouver des solutions alternatives, <strong>à</strong> se<br />
consoler de ne jamais pouvoir accomplir<br />
leur rêve en se disant qu’ils pourront tout<br />
de même « vivre ». Mais quelle perversion !<br />
31<br />
Une rage bouillonne en moi lorsque<br />
j’arrive <strong>au</strong> local de l’association. Cette rage<br />
s’atténue néanmoins tranquillement quand<br />
j’aperçois Marie, Joseph, Fabrice, Annie, et<br />
tous les <strong>au</strong>tres qui sont déj<strong>à</strong> l<strong>à</strong> et qui me<br />
soutiennent. Ça me soulage de savoir que<br />
je ne suis pas seul. Je jette un coup d’œil <strong>à</strong><br />
l’horloge ; il est presque dix-sept heures. Je<br />
dois aider mon entraineur de taekwondo <strong>à</strong><br />
donner les cours du soir <strong>au</strong>x enfants. Je dis<br />
<strong>au</strong> revoir <strong>à</strong> tout le monde et je file.<br />
Les enfants sont déj<strong>à</strong> tous <strong>au</strong> dojang, ils<br />
courent, ils rient, cela réduit de plus en plus<br />
ma rage et mon dégoût envers l’iniquité<br />
humaine. Le cours se passe bien, je leur<br />
fais réviser les techniques qu’ils doivent<br />
connaître pour passer leur prochain grade.<br />
À la fin du cours, les adultes arrivent ; je<br />
sais qu’ils sont pour la plupart en faveur<br />
d’une h<strong>au</strong>sse des frais de scolarité : après<br />
tout c’est <strong>à</strong> la mode de dire que les étu-<br />
diants doivent faire leur juste part. J’entame<br />
une discussion avec quelques-uns d’entre<br />
eux, ils me disent ce qu’ils en pensent. Une<br />
fillette nous regarde, elle ne comprend<br />
sûrement pas ce dont il est question.<br />
Quand tous les <strong>au</strong>tres quittent le gymnase,<br />
elle se tourne vers moi et me dit :<br />
— Moi je pense que l’école devrait<br />
toujours être gratuite, parce que tout le<br />
monde devrait avoir le droit d’y aller.<br />
Cela me prend par les sentiments, je lui<br />
souris en me disant qu’il est bien dommage<br />
que tous ne puissent comprendre cela…<br />
Puis j’empoigne mon sac et je retourne<br />
chez moi.<br />
Je m’affale sur la chaise devant l’ordinateur ;<br />
les journées de grève sont be<strong>au</strong>coup plus<br />
épuisantes que les journées de cours. Sur<br />
Facebook, je regarde une vidéo d’opinion<br />
qui circule depuis quelque temps. C’est<br />
une jeune étudiante en médecine de<br />
l’Université de Montréal qui expose son<br />
point de vue sur la grève et sur la h<strong>au</strong>sse<br />
des frais de scolarité. Elle dit qu’il f<strong>au</strong>t<br />
cesser de ne penser qu’<strong>à</strong> nous, qu’il<br />
f<strong>au</strong>t cesser de se comparer <strong>au</strong> pire ;<br />
nous devrions plutôt nous comparer <strong>au</strong><br />
meilleur. Elle explique pourquoi il est<br />
important de vivre dans une société équitable<br />
et elle incite ensuite les étudiants en<br />
médecine <strong>à</strong> faire une levée de cours ou <strong>à</strong><br />
déclencher la grève afin de venir en aide <strong>au</strong><br />
mouvement étudiant. Son message semble<br />
avoir porté ses fruits : l’association de<br />
médecine de l’Université de Montréal<br />
entre en grève générale illimitée <strong>à</strong> partir<br />
du 20 mars <strong>2012</strong>. Cette fille est un ange.<br />
Elle me fait penser <strong>à</strong> mon amoureuse qui<br />
étudie les sciences infirmières, qui hésite <strong>à</strong><br />
poursuivre ses études universitaires, f<strong>au</strong>te<br />
de moyens. Et pourtant elle performe dans<br />
ses cours, elle aime son travail, s’y dévoue.<br />
Enfin, il est temps d’aller dormir ; demain<br />
je participerai <strong>à</strong> la manifestation et me<br />
battrai pour mes convictions, pour cela et<br />
pour la santé de mon peuple.<br />
1 H<strong>au</strong>t-Commissariat des Nations Unies <strong>au</strong>x droits de<br />
32
« Si nous continuons de faire en sorte que rien d'essentiel ne s<strong>au</strong>rait être<br />
changé dans les règles du jeu <strong>social</strong>, si nous nous plions sans cesse devant<br />
les <strong>au</strong>torités qui déterminent d'en h<strong>au</strong>t l'orientation de notre travail,<br />
les conditions économiques de la production et de la consommation,<br />
si nous nous résignons <strong>à</strong> céder la part inconnue de nous-mêmes <strong>à</strong> une volonté<br />
rationnelle de réduction et de planification étatiques, jamais une révolution<br />
<strong>social</strong>e, violente ou non, ne pourra entamer le processus<br />
d'un changement réel de la vie. »<br />
33<br />
— Alain Jouffroy<br />
34
35<br />
36
37<br />
38
39<br />
40
<strong>JE</strong> MARCHE À NOUS<br />
Écrit par<br />
Alexandre Isabelle<br />
Inspiré par<br />
<strong>La</strong> Marche <strong>à</strong> l'amour<br />
de Gaston Miron<br />
42
43<br />
1<br />
INT. SALLE À MANGER DE LA MAISON FAMILIALE - MATIN 1<br />
Dans une salle <strong>à</strong> manger, éclairée par les premiers<br />
rayons de soleil du matin, PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS, un grand-père,<br />
revient s’asseoir avec sa petite fille, Adèle, <strong>à</strong> table. Il<br />
lave la bouche de sa petite fille, pleine de confiture.<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />
Qu’est-ce que t’en dis, Adèle, si on fait un<br />
brico <strong>à</strong> matin, pis qu’on sorte se promener<br />
après ?<br />
Oui !<br />
ADÈLE<br />
Papi Jean-Louis se lève, ouvre le tiroir d’une commode et<br />
prend les instruments de bricolage, cise<strong>au</strong>x, ruban adhésif<br />
et papier de construction.<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />
(Enthousiaste)<br />
On va faire un chape<strong>au</strong> !<br />
ADÈLE<br />
(Contente)<br />
Oui ! Un chape<strong>au</strong> de princesse !<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />
(Cachottier)<br />
Hmmm... Un chape<strong>au</strong> encore plus be<strong>au</strong>.<br />
Papi Jean-Louis déchire un carton rouge du carnet de<br />
cartons de construction. Il découpe rapidement une<br />
languette et la donne <strong>à</strong> Adèle.<br />
ON VOIT UNE SÉRIE<br />
D’ACTIONS DE BRICO<br />
(RUBAN SURTOUT)<br />
44
45<br />
2<br />
INT. HALL D’ENTRÉE DE LA MAISON FAMILIALE - MATIN 2<br />
Papi Jean-Louis s’habille ch<strong>au</strong>dement. Adèle l’attend toute<br />
emmitouflée avec son mortier par-dessus sa tuque.<br />
ADÈLE<br />
Y’est be<strong>au</strong> hein mon chape<strong>au</strong>, Papi ?<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />
(Un peu occupé, car il met son mante<strong>au</strong>)<br />
Oui, ma petite princesse !<br />
ADÈLE<br />
(Corrective)<br />
Bin non papi, je suis pas une<br />
princesse, je suis une étudiante.<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS<br />
Ha ha ! T’as raison, ma petite<br />
étudiante ! (Comme pour se racheter)<br />
Tu vois t’es déj<strong>à</strong> forte. Y marche<br />
le chape<strong>au</strong> hein ? (Convaincant)<br />
Papi Jean-Louis se baisse <strong>à</strong> sa h<strong>au</strong>teur. Il met le mante<strong>au</strong><br />
<strong>à</strong> sa petite-fille et regarde dans les yeux de sa petite<br />
fille.<br />
PAPI <strong>JE</strong>AN-LOUIS (CONT’D)<br />
Pis si t’en veux un, un vrai, un<br />
jour, bin y f<strong>au</strong>t marcher ensemble<br />
<strong>au</strong>jourd’hui.<br />
Papi Jean-Louis lui donne un bisou sur la joue. Il met<br />
son mortier rouge lui <strong>au</strong>ssi sur sa propre tête. Il prend<br />
une pancarte de manifestant sur laquelle il est écrit :<br />
«Je marche <strong>à</strong> nous !»<br />
Il prend Adèle par la main et sort de la maison.<br />
Réalisation : Samuel Matte<strong>au</strong><br />
Scénario : Alexandre Isabelle<br />
46
47<br />
48
49<br />
50
51<br />
52
53<br />
54
55<br />
56
57<br />
AVRIL <strong>2012</strong><br />
Jour de la Terre<br />
et Plan Nord<br />
14 avril<br />
Environ 40 000 manifestants défilent <strong>à</strong><br />
Montréal. On parle désormais d’un « printemps<br />
québécois ». Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois<br />
(GND), porte-parole de la CLASSE, appelle<br />
<strong>à</strong> la « mobilisation citoyenne contre les<br />
gouvernements de Québec et d’Ottawa. »<br />
17 <strong>au</strong> 19 avril<br />
Heurts <strong>à</strong> l’Université du Québec en<br />
Outaouais. Thib<strong>au</strong>lt Martin, un professeur,<br />
est arrêté le 17 pour entrave <strong>au</strong><br />
travail des policiers. Il s’oppose <strong>à</strong><br />
l’injonction de la direction pour un retour<br />
forcé en classe. Judith Émery-Brune<strong>au</strong> sera<br />
également expulsée le 19.<br />
19 avril<br />
Robert Dutil, ministre de la sécurité<br />
publique, déclare : « Les personnes qui<br />
ont pu être victimes de brutalité policière<br />
n’ont qu’<strong>à</strong> se plaindre <strong>au</strong>x instances<br />
compétentes. »<br />
20 avril<br />
Salon Plan Nord <strong>à</strong> Montréal. Le<br />
SPVM (Service de Police de la Ville de<br />
Montréal) est dépassé et se fait appuyer<br />
par la Sûreté du Québec. Des affrontements<br />
éclatent, les policiers repoussent <strong>à</strong><br />
coups de gaz lacrymogènes, de poivre de<br />
cayenne, d’armes non létales, de charges<br />
« stratégiques » les manifestants <strong>au</strong>x abords<br />
du Palais des Congrès. À l’intérieur,<br />
le premier ministre Jean Charest raille les<br />
étudiants dans son discours d’in<strong>au</strong>guration<br />
et s’attirera de nombreuses critiques dans<br />
la presse.<br />
22 avril<br />
Jour de la Terre. Véritable marée<br />
humaine <strong>à</strong> Montréal, plus de 250 000<br />
personnes marchent pacifiquement en<br />
famille et entre amis pour l’environnement.<br />
23 avril<br />
Le gouvernement appelle <strong>à</strong> une trêve et<br />
engage des pourparlers.<br />
24 avril<br />
Début des manifestations nocturnes<br />
quotidiennes, dans une atmosphère de<br />
fête, <strong>au</strong> départ de la place Émilie-Gamelin.<br />
Elles dureront des mois sous le slogan<br />
« Manif chaque soir jusqu’<strong>à</strong> la victoire ».<br />
25 avril<br />
Québec décide d’exclure la CLASSE des<br />
négociations, la FEUQ et la FECQ quitteront<br />
également la réunion par solidarité,<br />
marquant la fin des pourparlers.<br />
27 avril<br />
Québec propose par le biais des<br />
médias une offre globale <strong>au</strong>x associations<br />
étudiantes. Elle propose d’étaler la h<strong>au</strong>sse<br />
sur 7 ans <strong>au</strong> lieu de 5, d’<strong>au</strong>gmenter de<br />
1 778$ plutôt que les 1 625$ prévus. Les<br />
étudiants refusent cette proposition et<br />
la jugent insultante. <strong>La</strong> manifestation<br />
nocturne, en général très bon enfant les<br />
<strong>au</strong>tres soirs, entraîne quelques débordements<br />
qui aboutissent <strong>à</strong> 35 arrestations.<br />
30 avril<br />
Les manifestations nocturnes quoti-<br />
diennes commencent également <strong>à</strong> Québec.<br />
58
59<br />
L’histoire du carré rouge en 2072<br />
Stéphane <strong>La</strong>porte<br />
L’action se déroule durant un cours<br />
d’histoire du Québec, dans un cégep, en<br />
2072. Le professeur s’adresse <strong>à</strong> sa classe :<br />
«Aujourd’hui, on va parler du conflit<br />
étudiant de <strong>2012</strong> surnommé la révolte des<br />
carrés rouges. Qui était le premier ministre<br />
du Québec en <strong>2012</strong> ? Oui, Marie-Bio ?<br />
— Scott Gomez !<br />
— Non, pas vraiment.<br />
— Euh... Tony Accurso ?<br />
— Non plus, Marie-Bio.<br />
C’était Jean Charest.<br />
— Ah ! le même nom que le nouvel échangeur<br />
qu’ils viennent tout juste de terminer...<br />
— C’est ça, l’ancien échangeur Turcot.<br />
Donc le gouvernement Charest voulait<br />
h<strong>au</strong>sser les droits de scolarité et les étudiants<br />
se sont farouchement opposés <strong>à</strong> la<br />
h<strong>au</strong>sse en arborant le carré rouge en signe<br />
de stop et en faisant la grève.<br />
— Une grève ?<br />
— Ouais, ben, ce n’est pas clair. Il y en a<br />
qui disaient que c’était une grève, d’<strong>au</strong>tres<br />
qui disaient que c’était un boycottage.<br />
— C’est quoi la différence entre une grève<br />
et un boycottage ?<br />
— Ben, une grève, c’est quand on refuse<br />
de travailler, pis un boycottage, c’est quand<br />
on refuse un service. Comme les étudiants<br />
travaillaient be<strong>au</strong>coup plus durant le<br />
conflit, en organisant des assemblées et<br />
des manifestations, que lorsqu’ils allaient<br />
<strong>à</strong> leurs cours, on peut dire que c’était<br />
un boycottage, quoique la qualité de<br />
l’enseignement dans ce temps-l<strong>à</strong>, ce n’était<br />
pas toujours un service qu’on leur rendait.<br />
Donc, on va dire que les étudiants n’étaient<br />
ni en grève ni en boycottage, ils étaient en<br />
sacrament !<br />
— Pourquoi ils n’ont pas négocié ?<br />
— Les étudiants voulaient négocier, mais<br />
<strong>au</strong> début, la ministre de l’Éducation, Line<br />
Be<strong>au</strong>champ, ne voulait rien savoir. C’était<br />
ça qui était ça. Les étudiants ont mis<br />
be<strong>au</strong>coup de pression en organisant plein<br />
de manifestations. Alors la ministre a dit<br />
qu’elle était prête <strong>à</strong> rencontrer les étudiants<br />
s’ils ne s’opposaient plus <strong>à</strong> la h<strong>au</strong>sse.<br />
— Pas rapport ! Ce n’est pas ça, négocier ;<br />
rencontrer quelqu’un seulement s’il a déj<strong>à</strong><br />
accepté ce qu’on lui impose.<br />
— Madame Be<strong>au</strong>champ était diplômée de<br />
l’école de négociation Régis <strong>La</strong>be<strong>au</strong>me.<br />
— L’ancien maire de Montréal ?<br />
60
— Exactement, Marie-Bio ! Pis avant ça,<br />
il était <strong>à</strong> Québec. Pour revenir <strong>au</strong>x carrés<br />
rouges, il y avait trois associations étu-<br />
diantes ; la FECQ dirigée par Léo Bure<strong>au</strong>-<br />
Blouin, la FEUQ dirigée par Martine<br />
Desjardins et la CLASSE dirigée par<br />
Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois.<br />
— Le président de la Caisse de dépôt ?<br />
— C’est bien cela.<br />
— Il est mûr pour sa retraite bientôt.<br />
— Ça approche, l’âge de la retraite est<br />
maintenant <strong>à</strong> 89 ans. Donc, la CLASSE<br />
était le mouvement le plus radical et les<br />
manifestations sont devenues de plus en<br />
plus viriles. <strong>La</strong> police ne donnait pas sa<br />
place non plus. <strong>La</strong> situation a viré en chaos.<br />
— <strong>La</strong> ministre a donc accepté de négocier ?<br />
— Pas tout <strong>à</strong> fait. Madame Be<strong>au</strong>champ<br />
était prête <strong>à</strong> rencontrer les leaders étu-<br />
diants seulement s’ils condamnaient les<br />
actes de violence. Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois<br />
n’a pas voulu, donc la ministre les a fait<br />
sécher.<br />
— Je ne comprends pas. <strong>La</strong> semaine<br />
dernière, quand vous nous avez raconté la<br />
crise du Camembert...<br />
— Non, Marie-Bio, pas la crise<br />
du Camembert, la crise d’Oka.<br />
— Oui, c’est ça ! Vous nous avez bien dit<br />
que le gouvernement libéral avait accepté<br />
de négocier avec des Mohawks en cagoule,<br />
armés. Et l<strong>à</strong>, ils ne voulaient pas négocier<br />
avec un sosie de Tintin, parce qu’il<br />
ne condamnait pas la violence. Ce n’est<br />
61<br />
pas juste. Me semble que c’est plus pédagogique<br />
de le rencontrer et de lui prouver<br />
que le dialogue est plus puissant que la<br />
violence.<br />
— Marie-Bio, tu ferais une excellente<br />
ministre dans le gouvernement de notre<br />
premier ministre Nelson Dion-Angélil.<br />
— Comment ça s’est terminé, la révolte<br />
des cônes orange ?<br />
— Les cônes orange, c’est une <strong>au</strong>tre affaire,<br />
ne te mêle pas dans tes formes et dans tes<br />
couleurs !<br />
— Désolée, comment s’est finie la crise des<br />
carrés rouges ?<br />
— On ne le sait pas, parce qu’<strong>au</strong> bout<br />
d’environ 90 jours, le Canadien de<br />
Montréal a nommé son nouve<strong>au</strong> directeur<br />
général, pis les journ<strong>au</strong>x n’ont plus<br />
parlé du conflit étudiant. Aucune trace.<br />
Nulle part, ni sur le web ni sur la vieille<br />
affaire qui s’appelait du papier.<br />
— Aaah, dommage.<br />
— Bon, le cours est fini. Bonne journée,<br />
Marie-Bio !<br />
— Vous <strong>au</strong>ssi !»<br />
Vous vous demandez sûrement pourquoi,<br />
pendant le cours, le professeur n’a échangé<br />
qu’avec l’élève nommée Marie-Bio ? Parce<br />
qu’elle est la seule élève inscrite <strong>à</strong> son cours,<br />
car les droits de scolarité ont continué de<br />
monter jusqu’en 2072.<br />
Je dédie cette humble chronique <strong>au</strong> grand Serge Grenier qui aimait bien, parfois, projeter<br />
notre société dans le temps. Paix <strong>à</strong> son âme. J’espère que l’éternité est <strong>au</strong>ssi drôle que lui.<br />
62
63<br />
« <strong>La</strong> liberté, c'est toujours la liberté<br />
de celui qui pense <strong>au</strong>trement. »<br />
— Rosa Luxemburg<br />
Les coups de matraque<br />
Léa Clermont-Dion<br />
Le rassemblement nocturne visant <strong>à</strong><br />
exprimer notre mécontentement face<br />
<strong>à</strong> l’expulsion de la CLASSE <strong>à</strong> la table des<br />
négociations a débuté calmement hier soir.<br />
Nous étions des milliers <strong>à</strong> marcher<br />
pacifiquement. Pa-ci-fi-que-ment comme<br />
dans tranquillement, doucement, flegmatiquement,<br />
froidement, paisiblement,<br />
posément, sagement, sereinement. Nous<br />
étions souriants. Oui, ai-je bien dit sou-<br />
riants. Souriants malgré l’impasse de la<br />
journée, souriants malgré toutes ces<br />
semaines de non-ouverture, souriants<br />
malgré, malgré et malgré.<br />
Mais le chaos a débuté sans crier gare.<br />
Nous avons alors arrêté de sourire. Un<br />
chaos parmi d’<strong>au</strong>tres ? Un chaos de<br />
trop créé artificiellement par le SPVM.<br />
Cette violence légitimisée (ah oui ?) était<br />
adressée <strong>à</strong> l’endroit de jeunes manifestants.<br />
Je récapitule pour ceux qui n’y étaient<br />
pas : nous marchions pacifiquement sur<br />
la rue Ste-Catherine quand plusieurs<br />
bombes lacrymogènes ont été lancées<br />
dans la foule. Incompréhension ? Certes,<br />
une incompréhension profonde devant<br />
une telle provocation alors que la calme<br />
régnait parmi nous.<br />
Pas d’avertissement clair de notre point<br />
de vue de la manifestation. <strong>La</strong> violence<br />
policière s’est alors fait sentir par les gaz et<br />
ce, trop rapidement.<br />
Résultat ? Un amoncellement de manifestants<br />
pacifiques agressés par les bombes<br />
lacrymogènes, entassés comme des<br />
sardines et cherchant désespérément leur<br />
souffle. L’air était empoisonné. Les uns<br />
pleuraient, les <strong>au</strong>tres toussaient. Bref : la<br />
routine ingrate.<br />
Permettez-moi cet aparté un peu plus<br />
personnel, une historiette parmi des<br />
centaines d’<strong>au</strong>tres hier soir.<br />
L<strong>au</strong>rent-Christophe de Ruelle est un<br />
ami, un garçon de vingt ans, un jeune<br />
comédien, un travailleur supportant<br />
les étudiants. Il m’accompagnait lors de<br />
ladite manifestation. Après avoir été<br />
étouffés par les gaz, nous marchions sur la<br />
rue Ste-Catherine lors du dispersement.<br />
De loin, nous avons pu voir l’anti-émeute<br />
arriver rapidement. Nous avons alors tenté<br />
de quitter la rue. Dommage. L’anti-émeute<br />
s’est mise <strong>à</strong> courir trop vite. Après la foule.<br />
Après nous.<br />
64
Nous avons alors été isolés près d’une<br />
église par quelques policiers. L<strong>au</strong>rent-<br />
Christophe a été pris d’ass<strong>au</strong>t par<br />
ceux-l<strong>à</strong>. À terre, sous mes yeux, il s’est<br />
fait battre violemment, sans raison<br />
particulière, <strong>à</strong> coups de matraque par ces<br />
« supposés agents de la paix ». J’ai alors<br />
imploré le policier de le laisser tranquille.<br />
À son tour de me répondre en me pointant<br />
sa matraque violemment : «Décalisse ostie<br />
de conne !» Les policiers ont alors quitté les<br />
lieux nous laissant en plan.<br />
65<br />
Je vous l’ai dit, nous étions des<br />
milliers <strong>à</strong> marcher pa-ci-fi-que-ment.<br />
Hier soir, le SPVM a agi de manière inacceptable.<br />
L’arrogance du gouvernement<br />
actuel a raisonné une fois de plus par de<br />
violents coups de matraque adressés <strong>à</strong> des<br />
citoyens pacifiques. Madame Be<strong>au</strong>champ,<br />
j’ai hâte que vous condamniez les violences<br />
abusives des brigades anti-émeutes du<br />
SPVM qui font preuve de provocation<br />
vraiment très peu subtile.<br />
66
67<br />
Nous sommes des millions<br />
Hugo <strong>La</strong>tulippe<br />
C’était l’hiver juste avant le basculement,<br />
nous avions le fleuve de gelé raide (nous, les plus vieux).<br />
Les rêves éméchés.<br />
Il f<strong>au</strong>t dire qu’un cynisme de grande amplitude<br />
menaçait de wiper l’Occident <strong>au</strong> grand complet.<br />
On avançait <strong>à</strong> tâtons, hésitants.<br />
Comme des loups dressés, touttes renvallés par en-dedans.<br />
Depuis 1995, peut-être avant.<br />
De l’Oural <strong>à</strong> l’Oregon, en passant par Saint-Raymond,<br />
le système cannibaliste achevait de nous fracturer l’âme en mille morce<strong>au</strong>x,<br />
de nous débrêler les mailles jusqu’en-dessous de la nappe.<br />
C’était l’hiver juste avant le basculement…<br />
Avant que nos enfants surgissent,<br />
qu’ils s’interposent une première fois,<br />
debouttes, comme un océan d’épinettes.<br />
*<br />
68
À Babylone,<br />
suivant leurs habitudes,<br />
les chacals ont tout de suite misé sur une décote.<br />
On gageait contre NOUS sur les marchés.<br />
10 contre 1 pour un premier genou <strong>à</strong> terre, en février !<br />
Ces jeunes révolutionnaires -mon œil- ne passeront pas<br />
l’hiver, qu’ils disaient.<br />
69<br />
Ah !<br />
Dans les grands médias, on ne parlait pas d’eux.<br />
On ne rapportait pas ce qu’ils disaient, ce qu’ils avaient de lumineux.<br />
Pas vraiment, je veux dire.<br />
Pas sérieusement.<br />
Depuis un moment, les grands médias ne travaillaient plus pour nous.<br />
Ils avaient pris le parti de l’argent,<br />
le parti des emplois steadys,<br />
le parti d’une certaine paresse intellectuelle,<br />
le parti de la loi et l’ordre.<br />
Les aboutis, les arrivés, wanabees, les survenus et les parvenus<br />
dormaient <strong>au</strong> gaz dans leurs quartiers.<br />
(Minimiser. Travailler. Oublier. Être sérieux. Produire. Faire du yoga, des étirements.<br />
Regarder un film d’action. Se changer les idées.)<br />
Un jour,<br />
leur homme de main,<br />
flasque comme une grimace,<br />
insecte ventripotent (plein de lui et de ses amis)<br />
dispensa son humour sinistre <strong>à</strong> une foule flasque, cohorte indigne…<br />
<strong>La</strong> foule a gloussé (pleine d’elle-même et de ses amis).<br />
Puis, raillé nos enfants insurgés.<br />
Minimisé l’envergure du geste, la largeur des idées.<br />
Minimisé les milliers d’entre eux dans la rue.<br />
Grave erreur.<br />
L’homme de main et ses vass<strong>au</strong>x<br />
ont finalement envoyé notre police<br />
dans les rues de notre ville.<br />
Notre police en habits pour la guerre.<br />
<strong>La</strong> guerre contre nos filles et nos fils ?<br />
Pourquoi ? Parce que.<br />
Les traquer, les infiltrer, les provoquer.<br />
Notre police pour frapper nos enfants.<br />
Grave erreur.<br />
À partir de l<strong>à</strong>, il y eut un froid polaire entre nous.<br />
Un froid comme sur le flanc nord.<br />
Un froid qui coupe (le souffle, l’allant, la parole, l<strong>à</strong> où il ne f<strong>au</strong>t pas).<br />
Un froid qui f<strong>au</strong>che (l’herbe sous les pieds).<br />
*<br />
70
Un mois plus tôt…<br />
À 1000 km de l<strong>à</strong>, en bas du fleuve,<br />
il y avait eut cette <strong>au</strong>tre brèche, un be<strong>au</strong> matin de février ;<br />
une grande fille du Nitassinan<br />
(dont nous tairons le nom mais pas la be<strong>au</strong>té)<br />
avait dit :<br />
71<br />
Ok les filles, on part <strong>à</strong> marcher.<br />
L’heure est venue de se vidanger les volcans,<br />
de se remettre le monde d’équerre.<br />
Cette fois, nous marcherons sans compter.<br />
Nous irons jusqu’<strong>à</strong> Montréal.<br />
Nous rallierons la horde.<br />
Nous allons leur montrer,<br />
ce qu’on mange en hiver.<br />
Devant nos yeux ravis, charmés,<br />
la belle avait crinqué sa robe <strong>à</strong> flambe<strong>au</strong>x d’une couple de pouces<br />
(pour être certaine de ne pas s’enfarger, cette fois-ci).<br />
Je me souviens, elle a remonté le Grand Rang jusqu’<strong>au</strong> premier surplomb du Bouclier.<br />
C’est l<strong>à</strong> qu’elle s’est dressée,<br />
de sorte que tout le monde <strong>au</strong> village puisse mesurer<br />
l’étendue de sa colère.<br />
Sa colère de 500 ans.<br />
De sorte que tout le monde puisse lire sur ses lèvres de s<strong>au</strong>vagesse.<br />
Sur ses lèvres pleines de mots en forme d’anim<strong>au</strong>x.<br />
Ses lèvres de 10 000 ans.<br />
Tous les garçons de la côte ont fissuré du cœur en la voyant.<br />
Et puis le feu a pris, l<strong>à</strong> <strong>au</strong>ssi.<br />
Instantanément.<br />
Il a couru jusqu’<strong>à</strong> nous.<br />
Nous tous.<br />
Comme si nous avions tous compris la même chose en même temps.<br />
Les blondes, les mères, les pères, les cousins, les cousines pis les aïeux.<br />
Derrière la belle et son peuple, les Québécois ont pris la route.<br />
Ils sont partis <strong>à</strong> marcher ensemble, vers leur grande ville.<br />
Comme en renfort.<br />
*<br />
72
Des jours et des nuits,<br />
la belle cheffe de cordée a avancé sur le pays interstellaire<br />
(malgré le frette, et les barbares).<br />
Sûre de son droit, inextinguible.<br />
Un sourire historique, l’irrésistible.<br />
À un passant qui demanda<br />
pourquoi, mais pourquoi donc ?<br />
elle dit ceci, l’enluminée :<br />
Monsieur.<br />
73<br />
Il y a ces clairières,<br />
<strong>à</strong> l’intérieur de nos terres.<br />
Ces champs de graminées,<br />
qui emb<strong>au</strong>ment déj<strong>à</strong> en juillet.<br />
Ces forêts magiques où nous nous sommes aimés de mères en filles<br />
depuis bien avant la France.<br />
Il y a ces talles de petits fruits dans la taïga<br />
ch<strong>au</strong>ffées par le soleil du mois d’août.<br />
Il y a le s<strong>au</strong>mon dans la fosse,<br />
en septembre,<br />
les oies et leur lumière.<br />
Et puis il y a nos rivières <strong>au</strong>x tonnerres,<br />
nos manicouagans nourricières…<br />
<strong>La</strong> Magpie, la Romaine, la Moisie.<br />
Il y a ces côtes bercées par la mer,<br />
cette baie où les parfums concordent<br />
et tous ces lieux sacrés où nous vivions des jours heureux<br />
(depuis bien avant l’invention de l’Occident).<br />
Ces lieux sont notre temple.<br />
Le passant a joint les rangs, catapulté.<br />
Remarié avec le vent.<br />
C’est ainsi que la belle a rallié tous nos amis des quatre coins,<br />
<strong>au</strong>trefois disséminés.<br />
Rallié nos feux,<br />
notre chapelet de phares.<br />
Et finalement rejoint nos enfants<br />
dans les rues de la métropole.<br />
Ainsi,<br />
comme par enchantement,<br />
comme si tout avait été planifié parfaitement,<br />
nous sommes venus des quatre coins de notre histoire pour être ensemble ce jour-l<strong>à</strong>,<br />
pour nous mélanger les sangs.<br />
Le 22 avril <strong>2012</strong>,<br />
le printemps a pris.<br />
À deux heures précises,<br />
les cloches de nos flèches ont résonné d’un bout <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre du territoire<br />
pour annoncer ce monde vers lequel nous allons.<br />
Pour affirmer notre vigilance,<br />
notre dignité réalisée<br />
(et annoncée par le poète).<br />
Nous étions 300 000 ce jour-l<strong>à</strong>,<br />
serrés les uns sur les <strong>au</strong>tres (comme un très grand progrès).<br />
Nous avons marché en colonnes de lumières<br />
et nous sommes en quelque sorte engagés <strong>à</strong> ceci :<br />
*<br />
74
75<br />
Désormais,<br />
de l’archipel des Madeleines <strong>à</strong> la rivière des Odawas<br />
de Saint-Venant <strong>à</strong> la toundra,<br />
nous résisterons ensemble.<br />
Nous ferons corps.<br />
Nous serons solidaires les uns des <strong>au</strong>tres.<br />
Nous prendrons le parti de nos enfants.<br />
Si cela est nécessaire,<br />
nous fonderons des universités insoupçonnées,<br />
souterraines.<br />
(C’est nous qui avons le souffle le plus long).<br />
Nous sèmerons mille étoiles <strong>à</strong> l’arpent.<br />
Nous serons des gens de mille ans.<br />
Nous ferons les foins jusqu’après nous,<br />
pour préparer nos vies <strong>à</strong> venir,<br />
nos migrations vers d’<strong>au</strong>tres temps.<br />
Et comme <strong>à</strong> d’<strong>au</strong>tres moments de notre histoire,<br />
nous fonderons un pays sur l’espoir.<br />
Et un jour forcément… nous passerons en première République sans clotcher.<br />
*<br />
Lorsque nous ceinturions la montagne, la belle a regardé le jeune homme <strong>à</strong> ses côtés.<br />
(Nous tairons son nom ici, mais pas son courage. Disons simplement qu’il était dans la<br />
rue depuis le début. Nous l’appellerons l’étudiant inconnu.)<br />
Prenant la multitude <strong>à</strong> témoin, la belle a dit :<br />
Je t’espérais depuis longtemps, ce pays nous a tellement donné.<br />
Nos peuples ont cent fois fait la preuve qu’ils étaient capables<br />
du même génie que les océans.<br />
L'heure est venue de lui rendre ce qu'on lui doit.<br />
Nous sommes arrivés <strong>à</strong> ce qui commence.<br />
Le feu a pris pour de bon.<br />
Nous sommes des millions.<br />
* Les gens de la horde, les poètes Desjardins et Miron, les étudiants, les femmes de la côte, les photographes… excuseront,<br />
je l’espère, mes emprunts. J’ai cueilli tout ce que j’ai cueilli en connaissance de c<strong>au</strong>se et je leur suis reconnaissant.<br />
76
77<br />
78
79<br />
-<br />
80
83<br />
84
85<br />
86
95<br />
96
103<br />
MAI <strong>2012</strong><br />
Durcissement du conflit,<br />
loi 78 et casseroles<br />
1er mai<br />
Plus de 200 artistes et personnalités<br />
demandent un moratoire de la h<strong>au</strong>sse des<br />
frais de scolarité, des états génér<strong>au</strong>x sur<br />
l’éducation supérieure et appuient le mouvement<br />
étudiant.<br />
4 mai<br />
Nouvelles négociations entre les associations<br />
étudiantes et le gouvernement<br />
pendant qu’éclatent <strong>à</strong> Victoriaville des<br />
affrontements entre manifestants et policiers<br />
en marge du congrès du PLQ.<br />
5 mai<br />
Une entente est conclue entre le<br />
gouvernement et les fédérations étudiantes<br />
mais très vite l’accord de principe sera<br />
rejeté par les associations.<br />
14 mai<br />
Démission surprise de Line Be<strong>au</strong>champ,<br />
ministre de l’Éducation et vice-première<br />
ministre du Québec. Michelle Courchesne,<br />
ancienne ministre de l’éducation de 2007 <strong>à</strong><br />
2010, lui succède le jour-même.<br />
15 mai<br />
Le Monde, grand quotidien français, donne<br />
une tribune <strong>à</strong> Jean Barbe et <strong>à</strong> Jocelyn<br />
Maclure pour parler de la h<strong>au</strong>sse des frais<br />
de scolarité et du mouvement de protestation<br />
<strong>au</strong> Québec.<br />
17 mai<br />
Des représentants étudiants appellent le<br />
gouvernement <strong>à</strong> négocier une dernière fois.<br />
18 mai<br />
Québec adopte le projet de loi 78, le PLQ<br />
obtenant l’appui de la CAQ (la Coalition<br />
avenir Québec). Dénoncée par be<strong>au</strong>coup<br />
comme une loi « matraque », abusive, elle<br />
restreint les droits d’association, de<br />
représentation et d’expression. Amnistie<br />
internationale et le Barre<strong>au</strong> du Québec,<br />
notamment, formulent de « sérieuses<br />
inquiétudes » <strong>au</strong> sujet de la loi 78 qui porte<br />
« des atteintes <strong>au</strong>x droits constitutionnels<br />
et fondament<strong>au</strong>x des citoyens ».<br />
19 mai<br />
Des témoins filment des abus du SPVM<br />
et les diffusent largement sur internet.<br />
20 mai<br />
Le SPVM durcit encore le ton, plus de<br />
300 manifestants sont arrêtés lors de la<br />
marche quotidienne, portant le nombre<br />
d’arrestations <strong>à</strong> plus de 2 000 depuis le<br />
début de la crise étudiante. Le bientôt<br />
célèbre « mouvement des casseroles » commence<br />
<strong>à</strong> s’installer dans les grandes villes,<br />
puis dans tout le Québec.<br />
104
22 mai<br />
Grande manifestation pour le 100e jour de<br />
la GGI, une habitude qui perdurera le 22 de<br />
chaque mois. 250 000 personnes marchent<br />
pacifiquement dans les rues de Montréal,<br />
mais, en soirée, des affrontements entre<br />
policiers et manifestants éclatent. Bilan :<br />
plus de cent arrestations et une dizaine de<br />
blessés. Les manifestations de soutien se<br />
multiplient partout dans le monde.<br />
23 mai<br />
<strong>La</strong> Police arrête cette fois plus de 500<br />
manifestants <strong>à</strong> Montréal et près de 200<br />
<strong>à</strong> Québec pendant les manifestations<br />
nocturnes, déclarées illégales dès le<br />
départ. CUTV, le rése<strong>au</strong> de télévision et<br />
d’information de l’Université Concordia<br />
présent tous les soirs dans les manifestations,<br />
filme de l’intérieur d’une souricière<br />
en direct. Le mouvement des casseroles<br />
prend de l’ampleur, tous les soirs <strong>à</strong> 8 heures<br />
des gens sortent avec des casseroles partout<br />
<strong>au</strong> Québec pour marcher et faire du bruit<br />
en signe de solidarité avec le mouvement<br />
étudiant.<br />
105<br />
24 mai<br />
Remise de prix pour la démocratie <strong>à</strong> l’hôtel<br />
de ville de Montréal. Les l<strong>au</strong>réats critiquent<br />
vivement le maire de Montréal, Gérald<br />
Tremblay et le gouvernement libéral.<br />
<strong>La</strong> policière <strong>au</strong> matricule 728, dont<br />
l’intervention filmée par un témoin a été<br />
vue plus de 400 000 fois, est retirée de<br />
son affectation. Les plaintes pour violence<br />
policière, zèle et abus de pouvoir affluent<br />
<strong>au</strong> SPVM.<br />
Le film Casseroles de Jérémie Battaglia sur<br />
une musique d’Avec pas d’casque est vu<br />
par tout le Québec et montre <strong>à</strong> l’étranger<br />
une image très pacifiste du mouvement.<br />
Anarchopanda, un panda qui distribue<br />
des calins <strong>au</strong>x policiers s’affiche tous les<br />
soirs dans les manifestations tandis que<br />
la Banane Rebelle est arrêtée. Elle sera<br />
arrêtée <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> le 28 mai.<br />
25 mai<br />
Des associations étudiantes, syndicales,<br />
commun<strong>au</strong>taires et environnementales<br />
contestent devant les tribun<strong>au</strong>x la loi<br />
spéciale 78 et déposent une requête de<br />
sursis d’exécution.<br />
26 mai<br />
Libération, un grand quotidien français,<br />
fait sa une avec le conflit.<br />
28 mai<br />
<strong>La</strong> Banane Rebelle accorde une entrevue<br />
<strong>à</strong> CHOI Radio X, lors de laquelle est lu le<br />
poème l’Ode <strong>à</strong> la Banane rebelle, écrit par<br />
Éric Fournier. Cette ouverture surprend<br />
tant les <strong>au</strong>diteurs que les détracteurs de<br />
la station de radio de Québec qui s’affiche<br />
contre le mouvement étudiant.<br />
De nouvelles négociations sont entreprises<br />
entre les principales fédérations étudiantes<br />
et le gouvernement. Une manifestation<br />
calme est organisée devant l’édifice qui<br />
accueille la réunion, mais plus de 80<br />
sympathisants sont arrêtés, dont deux<br />
négo-ciateurs de la CLASSE qui seront<br />
relâchés le soir même.<br />
500 juristes manifestent contre la loi 78.<br />
29 mai<br />
Deuxième jour des négociations, Jean<br />
Charest intervient pour la première fois<br />
directement dans les réunions, il passe<br />
près d’une heure avec les négociateurs étu-<br />
diants et la tendance semble <strong>à</strong> l’apaisement.<br />
30 mai<br />
Troisième journée des négociations.<br />
L’ambiance a changé, les leaders étu-<br />
diants et le gouvernement ne trouvent pas<br />
d’accord et le débat semble sans issue.<br />
L’ONU s’inquiète de la violence du SPVM<br />
lors des affrontements du 24 mai en marge<br />
de la manifestation.<br />
À l’initiative de la M<strong>au</strong>vaise Tête et de<br />
Cédric Plante, des centaines de mani-<br />
festants virtuels sont illustrés dans<br />
la Manif de bonhommes par toute la<br />
commun<strong>au</strong>té d’illustrateurs et de bédéistes<br />
du Québec, certains même de France.<br />
31 mai<br />
Au quatrième jour les négociations sont<br />
rompues. C’est un échec complet, les<br />
différentes parties ne peuvent s’entendre.<br />
Le Monde laisse une nouvelle tribune<br />
favorable <strong>au</strong> mouvement <strong>social</strong> en diffusant<br />
une lettre signée par des enseignantschercheurs<br />
québécois et français.<br />
106
Hier ou demain<br />
Sam Garne<strong>au</strong><br />
J’ai le goût de crier. Vraiment crier, hurler comme un fou. Crier <strong>à</strong> m’en faire mal <strong>à</strong> la<br />
gorge. Crier, juste crier ; je n’ai rien de précis <strong>à</strong> dire. J’ai envie de détruire quelque chose,<br />
n’importe quoi pour me calmer, mais je ne suis pas en colère. C’est <strong>au</strong>tre chose, un <strong>au</strong>tre<br />
nive<strong>au</strong> et je n’ai pas les mots qu’il me f<strong>au</strong>drait. Ce qui me met dans cet état, ce sont les<br />
arrestations arbitraires que je vois <strong>à</strong> la télé, que je lis dans les journ<strong>au</strong>x, qu’on me martèle<br />
dans les médias soci<strong>au</strong>x. Celles qu’ils justifient de façon stupide du genre « obstruction<br />
d’un coup de matraque » ou refus d’ouvrir les yeux pour administration de poivre de<br />
« cayenne ». Pas parce que je les vois trop, juste parce que ça arrive. Ici. Dans ce que j’avais<br />
l’<strong>au</strong>dace d’appeler mon pays, malgré que ce ne soit qu’une province. Une province que<br />
j’appelais pays, parce que je me sens différent du reste du Canada. Mais quand je vois ce<br />
qui se passe <strong>au</strong>jourd’hui, que selon des sondages une quantité majoritaire de gens appuient<br />
le gouvernement, je me dis que je suis un peu orphelin de contrée. Ça, ça me donne envie<br />
de crier. De pleurer <strong>au</strong>ssi, des larmes de rage, des larmes qui ne coulent que lorsque l’on<br />
a les mâchoires serrées. C’est la loi 78 <strong>au</strong>ssi, qui me révolte, qui me donne des n<strong>au</strong>sées.<br />
Une loi que je ne croyais pas possible chez moi, fallait-il que je sois naïf. Je pense que c’est<br />
ça <strong>au</strong>ssi, la naïveté, ma naïveté qui me donne des n<strong>au</strong>sées. C’est la dilapidation de nos<br />
ressources naturelles <strong>au</strong> coût de rien, c’est Anticosti, c’est le plan Nord. C’est la non-<br />
nationalisation des ressources. C’est la non-nationalisation d’un espoir économique<br />
pour ma province, pour mon futur pays, pour un monde plus égalitaire. 3000 milliards<br />
de dollars. Ça dépasse de loin la dette ça. Je ne comprends pas comment le gouvernement<br />
pense. En fait, oui, je le sais. Il ne pense pas <strong>au</strong>x gens. Et ça me donne envie de crier. Ça<br />
me donne envie de m’ouvrir en me fendant le sternum pis en m’écartelant les côtes. Pour<br />
que ça sorte un peu, un peu plus qu’en criant, parce que ça ne me fait plus grand-chose de<br />
crier, pis que si je garde ça en dedans, m’a finir par vouloir en poser des bombes. Ça me fait<br />
penser <strong>au</strong> Grand Prix ça, les bombes. Vraiment, c’était débile. Une chasse <strong>au</strong>x ch<strong>au</strong>drons<br />
et <strong>au</strong>x carrés rouges dans les métros. Après l’inquisition espagnole, la chasse <strong>au</strong>x sorcières<br />
du Québec. En <strong>2012</strong>. Si un jour il y en a une bombe de posée, je suis certain que cette<br />
bombe le sera par quelqu’un comme moi. Une personne qui <strong>à</strong> force, ne savait plus comment<br />
sortir son trop-plein et qui n’a pas eu le courage de s’ouvrir de h<strong>au</strong>t en bas.<br />
108
109<br />
J’m’en sacre du titre de celui-l<strong>à</strong><br />
Jackie San<br />
Le débat est rendu ailleurs.<br />
Moi, mes études, elles sont terminées. Non<br />
seulement elles sont terminées, mais elles<br />
sont payées.<br />
Les frais de scolarité <strong>au</strong>gmentent<br />
demain matin, ça me calice rien du tout.<br />
Personnellement. À moi. À moi pis mon<br />
portefeuille.<br />
« On s’en calice ! »<br />
— Moi et mon portefeuille<br />
Mais l<strong>à</strong>, le débat, il est rendu ailleurs. En<br />
tout cas, je pense. En tout cas, je l’espère.<br />
C’est pu’ juste geler les frais, dégeler les<br />
frais, indexer les frais ou brûler les frais.<br />
C’est refuser de se faire diriger de façon<br />
malhonnête. C’est reprendre conscience du<br />
pouvoir de la rue, c’est rappeler <strong>au</strong> monde<br />
les choix de société que nous avons faits.<br />
T’aimes pas Gabriel Nade<strong>au</strong>-Dubois ? Fine.<br />
Ça te fait chier de voir des jeunes péter des<br />
vitres ? J’peux comprendre. T’es contre le<br />
gel ? Tu préfères l’indexation ? Ok, correct.<br />
Mais enlève-moi ton esti de carré vert de<br />
sur ta chemise, bonyenne !<br />
Tu ne peux pas être pour une <strong>au</strong>gmentation<br />
de 75 % des frais de scolarité.<br />
TU PEUX JUSTE PAS.<br />
Dans ta p’tite tête de noix, l’éducation ne<br />
peut pas être gratuite ? Parfait, buddy. On<br />
pourrait en débattre longtemps. Mais ça ne<br />
justifie pas de faire un rattrapage de 10-15<br />
ans sur le dos de 5 cohortes étudiantes.<br />
« Ouin, écoute…<br />
ça fait une décennie qu’on charge<br />
pas assez cher <strong>au</strong> monde…<br />
F<strong>au</strong>drait que tu compenses pour<br />
notre gestion de marde des 10<br />
dernières années.<br />
On peut compter sur toé, j’espère ? »<br />
Ben voyons donc !<br />
— Le gouvernement<br />
Tu laisses les universités se graisser <strong>à</strong> même<br />
les frais afférents (pas réglementés, by the<br />
way) pour des salaires de pas d’allure et<br />
des primes de départ qui me donneraient<br />
le goût de partir où tu veux, et t’espères que<br />
moé, Ti-Coune, je fasse ma juste part ?<br />
Euh. Écrase !<br />
« Euh. Écrase. »<br />
— Les étudiants<br />
110
Non.<br />
111<br />
« Euh. Écrase. »<br />
— Le Québec, esti.<br />
T’as une job ? Une maison ? Une famille <strong>à</strong><br />
nourrir ? Des responsabilités de marde ?<br />
Parfait, man. Moi, je comprends que tu<br />
peux pas toute sacrer ça l<strong>à</strong> pour venir<br />
manifester avec nous.<br />
Les étudiants, eux, ils ont rien <strong>à</strong> perdre.<br />
Ils vont la faire la job sale <strong>à</strong> ta place.<br />
« On va la faire la job sale<br />
<strong>à</strong> ta place. »<br />
— Les étudiants<br />
Mais que je te vois pas leur mettre des<br />
bâtons dans les roues.<br />
Mettre des bâtons dans les roues des jeunes,<br />
c’est pas juste appeler la police quand ça<br />
s’attroupe dans ton quartier.<br />
« Tout d’un coup la banque se fait<br />
briser ses belles vitrines. »<br />
— Esti De Colon<br />
Mettre des bâtons dans les roues <strong>au</strong>x<br />
jeunes. M’a t’en donner des exemples, tu<br />
vas capoter.<br />
Discréditer les initiatives régionales. C’est<br />
cave en sacrament. Colporter qu’<strong>à</strong> Québec,<br />
on sort dans la rue seulement pour une<br />
rédio ou pour une équipe de hockey allergique<br />
<strong>à</strong> la victoire quand elle joue icitte.<br />
Nous <strong>au</strong>tres, <strong>au</strong> moins, on a réussi <strong>à</strong> rentrer<br />
quelque part. Complexe G. Assis dans le<br />
lobby, on criait Fonctionnaires, avec nous !<br />
Ben imagine-toi donc qu’on a pas passé<br />
<strong>à</strong> ton bulletin de nouvelles de la métropole…<br />
Scuse. Faque si vous croisez François<br />
Parente<strong>au</strong>, dites-lui donc que ces jeunesl<strong>à</strong><br />
rêvent pas de vivre dans une annonce<br />
de pick-up en faisant des donuts sur du<br />
Metallica. Pis que des douchebags, il a pas<br />
besoin de se taper 250 km de Bixi pour en<br />
trouver. <strong>La</strong>val va faire l’affaire.<br />
Bref, arrêtons de diviser le Québec en<br />
disant que le village voisin est rempli<br />
d’étranges qui pensent pas comme nous<br />
<strong>au</strong>tres. Pis l<strong>à</strong>, j’parle de Québec parce<br />
que c’est l<strong>à</strong> que je vis. Des épais, y en a<br />
partout. Faisons fi des épais, pis battonsnous,<br />
calvaire.<br />
Autre exemple. Être convaincu qu’un<br />
cellulaire, c’est du luxe. C’est quand même<br />
ben juste un téléphone, viarge. Ils peuvent<br />
toujours bien utiliser les téléphones<br />
publics, mais <strong>à</strong> 50 cennes la shot (haha,<br />
t’aimes ça les 50 cennes, Johnny), ça<br />
revient plus cher qu’un cellulaire. Alors<br />
tes memes gossés sur MS Paint de GND<br />
tenant une clope et un téléphone, tu<br />
s<strong>au</strong>ras que ça m’insulte pas mal moins que<br />
de savoir que la Be<strong>au</strong>champ déjeune avec<br />
la mafia, pis qu’elle calice probablement la<br />
facture dans ses frais de fonctionnement.<br />
Tsé, le budget que les élus reçoivent<br />
chaque année, de facto, financé <strong>à</strong> même tes<br />
impôts… Oui. Ce budget-l<strong>à</strong>.<br />
Écouter, lire ou partager Richard<br />
Martine<strong>au</strong>. Même si c’est pour exposer <strong>à</strong><br />
quel point c’est un psychotique dangereux.<br />
Arrête, esti. Si t’as rien <strong>à</strong> lui répondre<br />
pour le casser, un contre-argumentaire<br />
<strong>à</strong> sa vomissure, ben farme ta yeule. Mets<br />
tes efforts sur la résistance, sur l’ouverture<br />
de yeux et d’esprits, sur des pancartes<br />
drôles et intelligentes, sur la ruse <strong>au</strong> lieu<br />
de la confrontation, sur un discours<br />
sensé, éclairé et responsable. Pis l<strong>à</strong>, r’garde<br />
moi pas d’même. Moi, je coach l’équipe. Je<br />
patinerai pas <strong>à</strong> ta place.<br />
Renseigne-toi sur le Plan Nord. Les<br />
prochaines années vont dépendre de ça.<br />
Toute est sur le Web, t’as même pas besoin<br />
de sortir ou de t’habiller. Lis. Les « pour »<br />
comme les « contre ». F<strong>au</strong>t juste que tu<br />
saches. Après, tu penseras ce que tu<br />
voudras. J’te fais confiance.<br />
Prochaine élection, va voter. Oui, parce<br />
que pas voter, ça met des bâtons dans<br />
les roues des jeunes qui se tapent la job<br />
sale <strong>à</strong> ta place. Si tu veux continuer de la<br />
prendre dans l’cul, parfait. On va se<br />
rasseoir pis on va te sacrer patience avec<br />
nos ballounes rouges, notre feutrine, nos<br />
pancartes pis nos trompettes. On va brailler<br />
sur notre stock pendant que tu penses que<br />
t’as pris la bonne décision pour tes enfants.<br />
Tes enfants qui pourront pas full étudier<br />
longtemps, parce que t’<strong>au</strong>ras dit <strong>au</strong>x jeunes<br />
d’<strong>au</strong>jourd’hui de se la farmer. Ils seront<br />
pas l<strong>à</strong> pour payer les impôts nécessaires <strong>à</strong><br />
l’éducation de ta marmaille.<br />
Bah, tu pourras toujours nationaliser tes<br />
ressources naturelles…<br />
Oh fuck, non. Elles vont appartenir <strong>à</strong><br />
kekun d’<strong>au</strong>tre.<br />
Faque chiale contre les bébés gâtés si tu<br />
veux, contre les artisses opportunistes,<br />
contre tout ce que tu voudras, mais arrête<br />
de discréditer un mouvement SOCIAL<br />
conduit et dirigé par des étudiants qui<br />
voient <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> du « moi et mon portefeuille<br />
», <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> de la session prochaine. Ils<br />
sont la clé vers des méthodes de gestion<br />
plus saines, une gouvernance plus transparente,<br />
des dirigeants fair play. Et comme<br />
disait ma mère avant que je parte pour<br />
l’école : Perds la pas, ta clé.<br />
112
117<br />
<strong>La</strong> fêlure<br />
G<strong>au</strong>tier <strong>La</strong>ngevin<br />
Le Québec est perturbé. Comme une<br />
trentenaire <strong>à</strong> peine sortie de l’adolescence<br />
qui vient d’apprendre que son patron met<br />
du GH dans ses drinks <strong>à</strong> tous les cinq <strong>à</strong><br />
sept, pour mieux la baiser <strong>à</strong> son insu.<br />
Le Québec n’est pas en train de changer.<br />
Quelques citoyens sortent de leur torpeur<br />
orgasmique, agressés par la pénétration<br />
trop brutale et par les mécanismes de<br />
contrôle qui tentent de les étrangler maintenant<br />
de manière évidente. À force de<br />
gémir, la gag ball s’est enfoncée trop<br />
profondément dans leurs bouches, et les a<br />
réveillés en surs<strong>au</strong>t.<br />
Et Pourtant !<br />
<strong>La</strong> majorité continue de prendre un plaisir<br />
malsain <strong>à</strong> être créative dans l’horreur,<br />
assiégée par un pernicieux et lucratif syndrôme<br />
de Stockholm. Le sadomasochisme<br />
est <strong>à</strong> la mode. À ceux qui n’en peuvent plus<br />
et qui tentent, tragiquement, de se libérer<br />
de son étreinte, l’agresseur ne fait que donner<br />
quelques baffes de plus qu’<strong>à</strong> l’habitude.<br />
Mais la majorité aime ça, <strong>à</strong> mort.<br />
Se passe-t-il quelque chose ?<br />
Vraiment ?<br />
Nous, qui nous nous débattons tant bien<br />
que mal afin d’éviter l’ivresse de l’abandon,<br />
sommes-nous prêts <strong>à</strong> nous défendre ?<br />
Vraiment ?<br />
Présentement, nous n’avons rien <strong>à</strong> dire, ou<br />
si peu. À entendre nos contemporains, il<br />
f<strong>au</strong>drait se laisser faire, être « pacifiques ».<br />
Accepter de changer de position, <strong>au</strong> mieux.<br />
On aime tous baiser, mais il y a des<br />
limites. Notre chatte n’en peut plus, et ils<br />
sont si nombreux <strong>à</strong> écarter les jambes. Le<br />
Québec n’est pas en train de changer. Il est<br />
perturbé, meurtri. Loin d’être cicatrisé. Il<br />
se peut même que nous jouissions encore,<br />
bien malgré nous, entre deux sanglots. Ce<br />
sera peut-être assez pour nous faire oublier<br />
la cire ch<strong>au</strong>de et les menottes. Peu importe.<br />
L’agresseur ira jusqu’<strong>au</strong> bout. Tant que<br />
les jouets de toutes sortes exerceront sur<br />
nous un pouvoir d’attraction charmeur, la<br />
foreuse s’en donnera <strong>à</strong> cœur joie.<br />
118
Débandons, nous <strong>au</strong>ssi !<br />
L’étreinte romantique dont nous rêvons<br />
implique trop de changements radic<strong>au</strong>x<br />
dans la manière selon laquelle nos<br />
systèmes politiques et économiques se<br />
déploient. Dans cette société huilée <strong>au</strong><br />
désir, la rationalité, la sagesse, la transparence,<br />
l’humilité, l’équité ne sont pas<br />
sexy. Le petit Jérémy ne chantera jamais la<br />
justice <strong>social</strong>e. <strong>La</strong> lenteur et la réflexion<br />
énervent. Ils se font raccrocher la ligne <strong>au</strong><br />
nez par Simon Durivage. <strong>La</strong> plus grande<br />
contestation socio-écologique de l’histoire<br />
de l’Amérique du Nord est ignorée par le<br />
journal le plus lu <strong>au</strong> Québec. Les mouvements<br />
soci<strong>au</strong>x où <strong>au</strong>cune fenêtre n’est<br />
brisée ne sont pas rapportés. Au souper de<br />
famille du dimanche, on se fait dire de se<br />
calmer.<br />
119<br />
C’est vrai, finalement, que le Québec n’est<br />
plus le même. Son masque est tombé,<br />
et le visage qu’il dévoile est paniquant.<br />
L’agresseur est <strong>au</strong>ssi victime. Ses traits<br />
étirés par l’insomnie lui donnent des airs<br />
de spectre. Il n’en peut plus, mais il ne<br />
sait pas quoi faire d’<strong>au</strong>tre. Comme nous,<br />
il est né parmi les panne<strong>au</strong>x réclame, les<br />
carrosseries luisantes, les sièges en cuir<br />
et les jambes de cinq pieds de Barbie. On<br />
<strong>au</strong>rait presque envie de le prendre dans<br />
nos bras, de le consoler. De lui dire que l’on<br />
comprend sa souffrance, et la haine qu’il<br />
recrache <strong>à</strong> notre visage comme une bile<br />
toxique.<br />
Et puis… si ça peut lui faire du bien. On<br />
aime bien baiser. Après tout… non ?<br />
Délit collectif de quadrature écarlate<br />
Moïse Marcoux-Chabot<br />
Délit de rêver d'une société instruite<br />
Délit d'avoir posé trop de questions<br />
Délit de se promener dans un parc<br />
Délit de couleur de ses vêtements<br />
Délit de vouloir prendre le métro<br />
Délit de ne pouvoir se disperser<br />
Délit de désirer le changement<br />
Délit de nez de clown insolent<br />
Délit de ne pas avoir entendu<br />
Délit de désobéissance civile<br />
Délit de marcher sans trajet<br />
Délit de déranger les chars<br />
Délit de rester dans la rue<br />
Délit de filmer la violence<br />
Délit de dire non <strong>à</strong> l'abus<br />
Délit de nudité publique<br />
Délit de la cinquantaine<br />
Délit de visage masqué<br />
Délit d'avoir l'air jeune<br />
Délit de langue déliée<br />
Délit d'éveil politique<br />
Délit par association<br />
Délit pour solidarité<br />
Délit de conscience<br />
Délit de présences<br />
Délit de sac <strong>à</strong> dos<br />
Délit d'itinéraires<br />
Délit de klaxons<br />
Délit casseroles<br />
Délit d'opinion<br />
Délit présumé<br />
Délit de bruit<br />
Délit d'idées<br />
Délit pensé<br />
Délit rouge<br />
Délit vécu<br />
Délit noir<br />
Délit ouï<br />
Délit vu<br />
Délit lu<br />
Délits<br />
Des livres<br />
Délivrons-nous<br />
Délivrons-nous du roi<br />
Délivrons-nous des chefs<br />
Délivrons-nous de leur pouvoir<br />
Délivrons-nous de l'élite corrompue<br />
Délivrons-nous de cette police politique<br />
Délivrons-nous de l'oppression, TABARNAK !<br />
120
121<br />
Coming-out d’une étudiante <strong>à</strong> boutte<br />
Léa Clermont-Dion<br />
Définition de « solidarité » : du latin<br />
solidus, « qui forme une seule masse ».<br />
Relation entre personnes unies par un<br />
sentiment de commun<strong>au</strong>té d’intérêts qui<br />
les pousse <strong>à</strong> se porter aide mutuelle.<br />
Se lever tôt, prendre son café, ouvrir son<br />
ordinateur ; des leaders étudiants solides,<br />
une ministre marionnette, parfois un<br />
premier ministre arrogant, toujours des<br />
policiers, des étudiants manifestant,<br />
des journalistes… rarement même, des<br />
tout-nus.<br />
Il y a <strong>au</strong>ssi quelques droitistes, quelques<br />
g<strong>au</strong>chistes, quelques centristes, des parents,<br />
des artistes, des médecins, des vieux<br />
sages, des syndicalistes, des solidaires, des<br />
lucides, des libertariens, des anarchistes…<br />
Il y a les lettres d’opinion, les memes, les<br />
statuts Facebook, les tweets, les hashtag, les<br />
caricatures, les forums, les messages dans<br />
le métro…<br />
Il y a les couvertures du Journal de Montréal,<br />
du Devoir, de la Presse…Il y a les<br />
chroniqueurs, les éditorialistes, les spécialistes,<br />
les blogueurs, les commentateurs, les<br />
opinioneux, les sophistes, les généraliseux,<br />
les intellectuels, les érudits, les cancres, les<br />
ignares…<br />
Il y a les carrés rouges, blancs et verts…<br />
Il y a les débats de fonds, les f<strong>au</strong>x-débats,<br />
les négos, les ententes de principes, les<br />
offres, les refus, le chantage, les solutions,<br />
les insultes, les contre-offres, les stratégies,<br />
l’impasse, l’ouverture, l’espoir, la<br />
déception, les demandes, les exigences,<br />
les commissions, les moratoires, les états<br />
génér<strong>au</strong>x, les voltes-face, les démissions…<br />
Il y a les coups de matraque, les gaz, les<br />
bombes fumigènes et lacrymogènes…<br />
les arrestations, les injonctions, les<br />
emprisonnements, les casiers criminels.<br />
Il y a le « terrorisme » ? (Ah, ça, non.)<br />
Il y a la SQ, le SPVM, les trucks, les<br />
camions, les <strong>au</strong>tos, les gyrophares, le bruit,<br />
les sirènes, les slogans, les cris, les injures,<br />
la violence…<br />
Il y a Maxence Valade et Francis Grenier<br />
qui ont perdu la vue d’un œil, il y a Alex<br />
Allard qui a été dans le coma.<br />
Il y a les manifestations, la foule, le<br />
mécontentement.<br />
Il y a cette cessation volontaire et<br />
collective afin de défendre des intérêts<br />
communs qu’on appelle « grève ».<br />
122
Il y a 1000, 2000, 200 000 personnes <strong>à</strong> la<br />
rue.<br />
Et la solidarité perdure. Mais le silence<br />
demeure.<br />
Se lever tôt, ouvrir son ordinateur, prendre<br />
son café et subir perpétuellement ce<br />
m<strong>au</strong>vais jour de la marmotte qui finit<br />
toujours par un sentiment de déception.<br />
Il y a l’écoeurantite aiguë face <strong>à</strong> ce gouvernement<br />
qui n’est pas en mesure de<br />
mettre fin <strong>à</strong> cette crise <strong>social</strong>e. Le statu quo<br />
perdure dur comme fer. C’est inacceptable.<br />
Et c’est difficile. Pour tout le monde.<br />
On en parle peu, très peu, on se veut des<br />
surhommes et des surfemmes, mais<br />
avouons-le, nous sommes fatigués. On ne<br />
veut pas s’avouer vaincus. Avec raison,<br />
nous ne sommes pas vaincus, seulement<br />
épuisés. Un peu, en tout cas.<br />
Il y a ces réels surhommes et surfemmes<br />
qui tous les jours se rendent très tôt pour<br />
le piquetage, il y a ces organisateurs, ces<br />
étudiants de l’ombre, ces militants d’assos<br />
qui donnent tout leur jus. Ils sont tenaces<br />
les étudiants. Je les admire sérieusement.<br />
Et les porte-parole ? Nous leur devons un<br />
respect sans mot. Ils sont solides. Pas facile<br />
de négocier dans un contexte où le manque<br />
de moyens ancre une inégalité des forces<br />
obligatoire.<br />
Je sais, il f<strong>au</strong>t garder espoir. Ce qui est<br />
inspirant, c’est probablement cette force<br />
qu’on retrouve avec le nombre. Parce que la<br />
force du mouvement, c’est nous tous.<br />
123<br />
Alors que les cent jours de grève<br />
approchent, la crise qui touche le<br />
Québec nous donne une sérieuse leçon<br />
sur la démocratie. Démocratie ? Ou plutôt<br />
celle <strong>à</strong> laquelle on tente de croire, mais<br />
qui s’apparente ces jours-ci <strong>à</strong> un drôle de<br />
mirage.<br />
J’ai un espoir parmi d’<strong>au</strong>tres, celui que<br />
nous irons voter en masse <strong>au</strong>x prochaines<br />
élections générales. 58 % de participation<br />
en 2008, 78 % en 1998. Et si nous avions<br />
droit nous <strong>au</strong>ssi <strong>à</strong> notre 80 % <strong>au</strong> prochain<br />
suffrage ? Nous avons une responsabilité,<br />
nous les étudiants, pour la suite des choses.<br />
Je fantasme qu’en me levant demain matin,<br />
il y ait un moratoire sur la h<strong>au</strong>sse des frais<br />
de scolarité et la tenue d’États génér<strong>au</strong>x sur<br />
l’éducation supérieure. Chacun ses rêves,<br />
vous avez droit <strong>au</strong>x vôtres.<br />
Ah, j’oubliais : il y a <strong>au</strong>ssi les lois spéciales.<br />
124
125<br />
126
127<br />
128
129<br />
D'après la citation d'Helder Pessoa Câmara,<br />
archevêque brésilien, nominé <strong>au</strong> prix Nobel de la paix<br />
130
131<br />
Je porterai dorénavant un carré noir<br />
Normand Baillargeon<br />
« Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.<br />
Les vérités de la Police sont les vérités d’<strong>au</strong>jourd’hui. »<br />
Je porterai dorénavant un carré noir.<br />
[Ajout : sans enlever le rouge, bien entendu.Et<br />
les deux ensemble font un bien be<strong>au</strong><br />
drape<strong>au</strong>]<br />
Je le porterai d’abord en solidarité avec<br />
ces jeunes gens que l’on a sans répit humiliés,<br />
battus, matraqués, et gazés et pour ne<br />
jamais oublier ce qu’on leur a fait.<br />
Je le porterai pour me rappeler que je suis<br />
en deuil de la démocratie, pour dire <strong>à</strong><br />
tous et <strong>à</strong> toutes ma tristesse devant ce qui<br />
ressemble désormais plus, et je pèse mes<br />
mots, <strong>à</strong> une association de malfaiteurs qu’<strong>à</strong><br />
un Gouvernement, <strong>à</strong> un rassemblement<br />
— Jacques Prévert<br />
de mafieux gangrénés par la corruption et<br />
<strong>au</strong>tour desquels flotte, immanquable, la<br />
n<strong>au</strong>séabonde odeur du scandale et du<br />
mépris de la société civile.<br />
Je le porterai pour me rappeler qu’on m’a<br />
menti en assurant que le débat sur les frais<br />
de scolarité a eu lieu : les étudiants et les<br />
professeurs se sont en effet retirés de ces<br />
consultations bidon organisées par les<br />
Libér<strong>au</strong>x et durant lesquelles il ne pouvait<br />
être sereinement traité ; et pour me rappeler<br />
que ce gouvernement a ensuite refusé<br />
de discuter de cette question dans toute<br />
son ampleur et avec sérieux, ce que seuls<br />
des états génér<strong>au</strong>x peuvent accomplir.<br />
132
Je le porterai pour me rappeler ces<br />
efforts de dissolution du politique dans<br />
le juridique.<br />
Je le porterai pour me rappeler votre trop<br />
longtemps maintenu refus de négocier et,<br />
ce moment venu, votre inébranlable refus<br />
d’aborder les questions que posaient les<br />
étudiants et les étudiantes en grève.<br />
Je le porterai pour me rappeler que je suis<br />
en deuil de la démocratie délibérative,<br />
assassinée par des faiseurs d’opinion<br />
que je ne peux me résoudre <strong>à</strong> appeler des<br />
journalistes et dont les excès de langage ont<br />
dépassé de loin tout ce que j’ai vu dans ma<br />
vie.<br />
Je le porterai pour me rappeler ces sondages<br />
non probabilistes qui ont, c’est une<br />
honte, été ce que nous avons eu de mieux <strong>à</strong><br />
nous offrir dans le cadre de notre conversation<br />
démocratique sur un enjeu de cette<br />
importance.<br />
Je le porterai <strong>au</strong>ssi en deuil de ces mots<br />
de la langue qui ont été bien malmenés<br />
ces derniers temps : grève, démocratie,<br />
accessibilité, et pour ne pas oublier que ces<br />
perversions du langage ont consisté <strong>à</strong> faire<br />
d’un enjeu collectif et politique une affaire<br />
individuelle, marchande et économique<br />
133<br />
Je le porterai pour la liberté d’expression,<br />
d’association et de manifestation que cette<br />
inique loi spéciale poignarde <strong>au</strong> coeur.<br />
Je le porterai en solidarité avec mes compagnons<br />
libertaires qu’on humilie, qu’on bat,<br />
qu’on matraque, et qu’on gaze, comme les<br />
<strong>au</strong>tres, mais qu’on calomnie <strong>au</strong>ssi.<br />
Je le porterai donc pour me rappeler<br />
l’immense et noble espoir que l’anarchisme<br />
n’a cessé de porter : celui d’une société<br />
libre, démocratique, égalitaire et sans<br />
pouvoir illégitime, pour me rappeler cet<br />
idéal que j’aime infiniment et dont ne<br />
connaissent manifestement rien ceux et<br />
celles qui lui crachent <strong>au</strong>jourd’hui dessus.<br />
Je le porterai enfin et surtout pour me<br />
souvenir que des jeunes gens, un moment,<br />
chez nous, ont incarné cet idéal : et que si<br />
les gouvernements passent, cet idéal, lui,<br />
ne mourra jamais.<br />
Je porterai dorénavant un carré noir.<br />
Et je vous invite <strong>à</strong> en porter un, vous <strong>au</strong>ssi :<br />
les raisons pour ce faire ne manquent hélas<br />
pas.<br />
134
135<br />
136
138
139<br />
« Le langage politique est destiné <strong>à</strong><br />
rendre vraisemblables les mensonges,<br />
respectables les meurtres, et <strong>à</strong> donner<br />
l’apparence de la solidité <strong>à</strong> ce qui<br />
n’est que vent. »<br />
— George Orwell<br />
140
141<br />
142
143<br />
144
145<br />
146
147<br />
148
149<br />
150
151<br />
152
153<br />
154
155<br />
<strong>La</strong> jeunesse expliquée <strong>au</strong>x vieux<br />
Stéphane <strong>La</strong>porte<br />
<strong>La</strong> crise que traverse le Québec est exceptionnelle,<br />
encore plus que la loi déposée<br />
jeudi, parce qu’elle touche <strong>à</strong> ce qu’un pays<br />
possède de plus précieux : sa jeunesse.<br />
Voil<strong>à</strong> pourquoi il ne f<strong>au</strong>t pas la gérer<br />
comme on gère Rambo.<br />
Bien sûr, ce n’est pas toute la jeunesse du<br />
Québec qui est dans la rue. C’est 150 000<br />
jeunes sur un million et demi. Mais 150<br />
000 personnes, c’est quand même une<br />
grosse gang, surtout quand on pense que<br />
50 individus, c’est assez, selon le projet de<br />
loi 78, pour mettre en danger la société. Et<br />
c’est sans compter tous les jeunes qui ne<br />
marchent pas, mais qui se cherchent eux<br />
<strong>au</strong>ssi.<br />
Quand la jeunesse se révolte, il f<strong>au</strong>t savoir<br />
l’écouter. Il f<strong>au</strong>t savoir l’apprivoiser.<br />
Bien sûr, Léo, Martine et Gabriel n’ont pas<br />
toujours raison. Parfois, ils sont dans le<br />
champ, dans le be<strong>au</strong> champ, même. Mais<br />
ils y sont par principe, et pas par intérêt. Ils<br />
n’y sont pas pour trouver du gaz de schiste,<br />
mais pour trouver la vérité. Et Dieu sait<br />
qu’il f<strong>au</strong>t creuser.<br />
« On devient vieux<br />
quand les jeunes nous<br />
abandonnent. »<br />
— Marcel Pagnol<br />
Ils sont jeunes. C’est pourquoi on ne peut<br />
être contre eux, car ce serait être contre<br />
notre avenir. Ce serait être contre ce que<br />
nous avons fait de mieux : eux.<br />
Si la jeunesse n’a pas toujours raison,<br />
la société qui la frappe a toujours tort.<br />
Cette citation est de François Mitterrand.<br />
Il a fait cette déclaration <strong>à</strong> l’Assemblée<br />
nationale française en mai 1968. Elle n’a<br />
pas vieilli d’une seconde. Elle est toujours<br />
actuelle.<br />
Un gouvernement a le devoir d’aimer sa<br />
jeunesse comme les parents ont le devoir<br />
d’aimer leurs enfants. Le pire est <strong>à</strong> craindre<br />
d’une jeunesse mal aimée.<br />
Certains diront que la jeunesse québécoise<br />
est faite d’enfants-rois trop gâtés qui méritent<br />
la méthode forte.<br />
Nos jeunes aiment le luxe, ont de m<strong>au</strong>vaises<br />
manières, se moquent de l’<strong>au</strong>torité<br />
et n’ont <strong>au</strong>cun respect pour l’âge. À notre<br />
époque, les enfants sont des tyrans.<br />
156
Ce n’est pas un chroniqueur montréalais<br />
qui s’est exprimé de la sorte cette semaine ;<br />
c’est Socrate qui a dit cela, 450 ans avant<br />
Jésus-Christ. C’est pour dire...<br />
C’est le propre des jeunes, depuis toujours,<br />
de tout vouloir. Et de déranger. Les cheveux<br />
gominés des années 50, les cheveux longs<br />
des années 60, les barbus <strong>à</strong> la P<strong>au</strong>l Piché<br />
des années 70 tapaient <strong>au</strong>tant sur les nerfs<br />
des plus vieux que les petits poils hirsutes<br />
de Nade<strong>au</strong>-Dubois irritent les bien rasés.<br />
Si on pouvait recouvrer l’intransigeance de<br />
la jeunesse, ce dont on s’indignerait le plus,<br />
c’est de ce qu’on est devenu.<br />
Celle-l<strong>à</strong>, elle est d’André Gide. Dans le<br />
fossé entre jeunes et vieux, il y a be<strong>au</strong>coup<br />
de cela. Comme si les plus âgés avaient<br />
oublié comment ils étaient <strong>à</strong> l’âge de Léo.<br />
Je suis assez vieux pour me souvenir d’un<br />
jeune député conservateur, mais fringant,<br />
<strong>au</strong>x cheveux bouclés comme Peter Pringle,<br />
qui disait parler <strong>au</strong> nom de la jeunesse.<br />
Aujourd’hui, il est premier ministre,<br />
responsable du dossier jeunesse, et il évite<br />
de rencontrer les leaders étudiants.<br />
Père absent, négociation manquée.<br />
Pourquoi ? Parce que les trois intrépides<br />
jeunes gens sont trop impétueux ? C’est leur<br />
nature. C’est leur âge. F<strong>au</strong>t les comprendre.<br />
<strong>La</strong> plus inquiétante jeunesse est celle qui<br />
n’a pas d’opinions extrêmes.<br />
157<br />
Ces propos furent tenus par le comte<br />
de Chambord, qu’on peut difficilement<br />
assimiler <strong>à</strong> Amir Khadir puisqu’il fut<br />
prétendant <strong>à</strong> la couronne de France <strong>au</strong><br />
milieu du XIXe siècle. Cet homme avait<br />
comme dessein de s’asseoir sur le trône<br />
après la prise de la Bastille et, pourtant,<br />
il se méfiait d’un jeune qui n’était pas<br />
révolutionnaire. Notre politique manque<br />
dramatiquement de philosophes.<br />
L’homme n’est pas fait pour vivre longtemps<br />
: l’expérience le corrompt. Le monde<br />
n’a besoin que de jeunesse et de poètes.<br />
Encore l<strong>à</strong>, vous serez surpris de savoir que<br />
cette citation ne provient point d’Ariane<br />
Moffatt, mais d’un <strong>au</strong>teur de droite né en<br />
1884 : Jacques Chardonne.<br />
Pour purifier ce monde corrompu, on a<br />
besoin de jeunes idéalistes. C’est le seul<br />
antidote possible. F<strong>au</strong>t pas les museler, f<strong>au</strong>t<br />
les écouter. Et leur parler.<br />
Les jeunes vont en bandes, les adultes en<br />
couples et les vieux, tout seuls (proverbe<br />
suédois).<br />
Je ne sais pas quelles seront les<br />
conséquences de la loi spéciale, mais<br />
empêcher les jeunes de se rassembler, c’est<br />
comme empêcher Jean-François Br<strong>au</strong>lt<br />
de chanter avec Marie-Ève Janvier. C’est<br />
impossible. Et c’est surtout bien mal les<br />
connaître.<br />
Chaque coup de colère est un coup de<br />
vieux, chaque sourire est un coup de jeune.<br />
(proverbe chinois)<br />
Je nous souhaite que les jeunes sachent<br />
répondre pacifiquement <strong>à</strong> la tournure des<br />
événements. Sinon, j’ai bien peur que le<br />
Québec prenne un méchant coup de vieux.<br />
Question de garder espoir, je terminerai<br />
mon cours de jeunesse 101 avec la célèbre<br />
phrase de Picasso : «Il f<strong>au</strong>t longtemps pour<br />
devenir jeune.»<br />
Je nous souhaite <strong>à</strong> tous, carrés rouges,<br />
carrés verts, carrés blancs et carrés <strong>au</strong>x<br />
dattes, de l’être très bientôt.<br />
<strong>La</strong> jeunesse et l’été vont si bien ensemble.<br />
158
159<br />
160
161<br />
162
163
Ode <strong>à</strong> la banane rebelle<br />
Éric Fournier<br />
Venez tous ! <strong>La</strong>issez-moi vous conter<br />
L'histoire inspirante d'un fruit de la libre-pensée ;<br />
Prêtez oreille <strong>à</strong> l'épopée exceptionnelle<br />
De Bananarchie, la première Banane Rebelle !<br />
Depuis plus de 100 jours elle se trouvait<br />
Dans l'oreille g<strong>au</strong>che de l'ignoble Charest ;<br />
Et ainsi protégeait ses tympans corrompus<br />
De la clameur qui retentissait dans la rue.<br />
Mais son coeur de banane ressentait toute l'injustice<br />
À laquelle elle se faisait implicitement complice ;<br />
Mais enchaînée <strong>à</strong> l'oligarche libéral,<br />
Qu'<strong>au</strong>rait-elle pu devant cette crise nationale ?<br />
Mais alors vint la loi 78,<br />
Loi noire, loi injuste, loi inique,<br />
C'est cet édit fétide et sardonique<br />
Qui enflamma en elle son âme héroïque !<br />
"Assez, dit-elle, du goût infect de la cire<br />
Et de l'abject vol de notre avenir !<br />
Assez, cria-t-elle, de ce lobe gonflé de pots-de-vin<br />
D'arrogance et de noirs desseins !"<br />
166
Et ainsi la Banane partit-elle en croisade<br />
Contre les libér<strong>au</strong>x et leur régime malade ;<br />
Et ainsi la Banane descendit-elle dans la rue<br />
Appuyer un peuple qui en avait plein le cul !<br />
Mais ne vous méprenez point, car sous cette pe<strong>au</strong> amère,<br />
Se cache une tendre et savoureuse chaire ;<br />
Et bien que maintenant elle porte le carré écarlate,<br />
<strong>La</strong> Banane n'en demeure pas moins une excellente source de phosphate !<br />
Et c'est justement ce qui la différencie<br />
De ces anciens maîtres et de leur parti<br />
Qui derrière leur rhétorique abrasive<br />
N'ont en fait <strong>au</strong>cune valeur nutritive !<br />
Allez tous, répétez <strong>au</strong>x quatre vents<br />
L'épopée de ce fruit militant ;<br />
Racontez <strong>à</strong> tous l'histoire exceptionnelle<br />
De Bananarchie, la première Banane Rebelle !<br />
167<br />
168
169<br />
Affiche de mai 68, toujours pertinente en <strong>2012</strong>.<br />
« Remastérisée » pour la postérité par Moïse Marcoux-Chabot<br />
170
171<br />
172
« Si vous n'êtes pas vigilants, les medias arriveront<br />
<strong>à</strong> vous faire détester les gens opprimés et aimer<br />
ceux qui les oppriment. »<br />
— MalcomX<br />
174
175<br />
Cri de terrain<br />
Samuel Matte<strong>au</strong> - Cinéaste et Citoyen<br />
Depuis plusieurs mois nous parlons be<strong>au</strong>coup<br />
du conflit étudiant, de la prise de<br />
conscience actuelle qui semble annoncer<br />
les débuts d’une nouvelle ère pour le<br />
Québec : d’un éveil. Ce qui se déroule sous<br />
nos yeux n’est pas seulement une transformation<br />
<strong>social</strong>e, c’est <strong>au</strong>ssi une révolution<br />
individuelle.<br />
<strong>La</strong> force du mouvement naît du paradoxe<br />
suivant : c’est la génération d’enfants postréférendaire,<br />
nés dans la solitude de la<br />
société du divorce et du « spectacle », qui se<br />
retrouvent <strong>à</strong> devoir opérer un changement<br />
de fond et un rapprochement collectif.<br />
Nous découvrons notre état de présence,<br />
nous découvrons, ébahis, que l’émotion<br />
d’être ensemble nous pousse vers l’intime.<br />
Les événements que nous vivons sont<br />
certainement très révélateurs de notre<br />
identité en tant que peuple, mais le sont<br />
donc tout <strong>au</strong>tant de notre identité individuelle.<br />
Ces transformations marqueront<br />
sans doute le reste de nos vies.<br />
<strong>La</strong> jeunesse est-elle en train de vivre une<br />
sorte de rite de passage ?<br />
Depuis le début du mouvement, je suis<br />
bouleversé. À vingt-cinq ans, je suis en<br />
train de faire mienne des expériences qui<br />
m’exigent de désapprendre des notions<br />
telles que démocratie, politique, société,<br />
individu, pour les re-fonder <strong>à</strong> partir d’une<br />
impasse. Voil<strong>à</strong> le travail qui nous est<br />
imparti.<br />
Nous vivons les changements soci<strong>au</strong>x <strong>à</strong><br />
200 milles <strong>à</strong> l’heure, de plein front. Nous<br />
avons vécu Victoriaville, nous avons vécu<br />
la «répression». Nous avons senti les pavés<br />
s’envoler ; la glace se casser. Nous avons<br />
vécu la rage et la haine, la violence des<br />
policiers, et la nôtre <strong>au</strong>ssi. Nous avons été<br />
gazés, poivrés, matraqués, nous avons vu<br />
et senti des corps qui se battent, s’aident,<br />
se serrent les coudes. Nous avons vécu<br />
le chaos, la panique, la be<strong>au</strong>té du mouvement.<br />
Nous assumons la force de nos<br />
convictions.<br />
Ce qui se passe dans nos rues rend visible<br />
un concentré de sentiments humains qui<br />
cherchent <strong>à</strong> s’exprimer, s’incarner dans<br />
une parole. Ces expériences qui prennent<br />
naissance en marge sont belles, dures et<br />
souvent intransigeantes. Nous sommes<br />
dans ce que j’appellerais une forme<br />
d’éducation populaire où nous goûtons<br />
enfin concrètement <strong>à</strong> une forme de commun<strong>au</strong>té,<br />
<strong>à</strong> un sentiment d’appartenance.<br />
L’individualisme se fissure, notre zone de<br />
confort est investie par l’<strong>au</strong>tre qu’on<br />
apprend <strong>à</strong> aimer.<br />
176
Je me rends compte que nous avons le<br />
devoir d’avoir des objectifs communs<br />
et une destination semblable pour survivre<br />
<strong>à</strong> la violence de la vie qui frappe.<br />
<strong>La</strong> solidarité plus que jamais nécessaire<br />
ne sonne plus comme un mot creux.<br />
Arrêtés en masse lors d’une manifestation<br />
pacifique, pris en souricière dans les rues<br />
de Québec, nous avons su garder la tête<br />
h<strong>au</strong>te, rester unis malgré l’intimidation des<br />
policiers et l’arrogance du gouvernement.<br />
Je suis reconnaissant envers cet homme,<br />
vivant <strong>au</strong> 3e étage d’un appartement sur la<br />
rue St-Jean et spectateur de cette situation<br />
malgré lui, d’avoir organisé un système de<br />
corde avec un bac pour nous donner de la<br />
nourriture et de l’e<strong>au</strong> <strong>à</strong> l’intérieur de ce<br />
périmètre.<br />
Dans l’urgence, nous nous organisons,<br />
nous développons des stratégies, nous<br />
créons nos propres médias citoyens. Nous<br />
vivons la politique en temps réel, nous<br />
débattons et discutons sur de nouvelles<br />
manières de gouverner, nous apprenons<br />
la responsabilité d’être éduqués, informés<br />
et lucides. Nous développons notre créativité.<br />
Nous sentons l’exaltation de l’énergie<br />
partagée qui pourrait être porteuse de<br />
changement. Faire l’expérience de la<br />
symbiose de 200 000 - 250 000 personnes<br />
le 22 mars, le 22 avril et le 22 mai a changé<br />
notre rapport <strong>au</strong> monde. Nous sommes<br />
continuellement <strong>au</strong> travail dans la panique<br />
comme dans le consentement <strong>à</strong> la be<strong>au</strong>té<br />
du mouvement. Suivre notre instinct nous<br />
<strong>à</strong> fait prendre conscience de nos déchirures<br />
intérieures entre désir de chaos, de violence<br />
et celui d’harmonie et de bon sens.<br />
177<br />
Be<strong>au</strong>té d’un peuple en éveil, de l’humanité<br />
blessée qui n’abdique pas.<br />
Avec un peu de recul, ces événements<br />
nous permettent d’apprendre <strong>à</strong> connaître<br />
nos réelles motivations, <strong>à</strong> identifier nos<br />
valeurs fondamentales. Face <strong>à</strong> l’imprévu,<br />
le « je » découvre sa force intérieure, son<br />
vrai visage en même temps que le soin <strong>à</strong><br />
donner <strong>au</strong> bien commun. En fait, cette<br />
période de chamboulements oblige chacun<br />
<strong>à</strong> se positionner face <strong>au</strong> groupe, facilitant<br />
ainsi l’émergence de nouve<strong>au</strong>x acteurs et<br />
de nouve<strong>au</strong>x symboles.<br />
De ces épreuves libératrices émaneront<br />
très certainement des éléments insoupçonnés,<br />
enfouis très loin dans l’inconscient<br />
collectif et jusqu’ici soigneusement<br />
oubliés. Le désir d’un pays ? Le désir d’une<br />
culture québécoise francophone forte ?<br />
Le désir d’un changement de paradigme ?<br />
Chose certaine, sur le plan individuel, le<br />
mouvement <strong>social</strong> actuel a déj<strong>à</strong> laissé sa<br />
trace dans la conscience des jeunes qui<br />
assureront la suite des choses. Nous<br />
formons une génération de citoyens militants,<br />
conscients et politisés qui découvre<br />
la force de sa parole. J’ai confiance qu’avec<br />
les récents bouleversements, le meilleur est<br />
<strong>à</strong> venir. Le Québec ne pourra faire moins<br />
que de s’en porter mieux. À l’image d’un<br />
individu qui se réveille (parce qu’il a assez<br />
longtemps rêvé) ; parfois maladroitement,<br />
un peu confus et pas toujours cohérent,<br />
laissons le temps <strong>au</strong> mouvement de prendre<br />
forme, de se tenir debout de manière<br />
solide.<br />
Comme citoyen québécois et comme<br />
jeune cinéaste, je ferai tout en mon<br />
pouvoir pour nourrir cette force et<br />
m’assurer de l’alimenter, de la documenter,<br />
de la réfléchir et surtout de continuer <strong>à</strong> la<br />
vivre. Il est clair que nous sommes <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>be<br />
de quelque chose d’important et que les<br />
changements désirés ne peuvent s’effectuer<br />
<strong>à</strong> court terme. Il sera alors important de<br />
créer des traces actives, des documents<br />
et des œuvres libres qui relateront toute<br />
l’énergie et l’ardeur déployées <strong>au</strong>jourd’hui.<br />
Nous assurerons de laisser un lègue <strong>à</strong> la<br />
h<strong>au</strong>teur de notre vision qui transcendera la<br />
révolte et amènera la révolution <strong>à</strong> agir dans<br />
le temps.<br />
Notre génération refuse d’être sacrifiée<br />
pour la maintenance d’un monde qui se<br />
meurt et d’un ordre sans gouvernance<br />
fiable. Si nous <strong>au</strong>rons été le déclencheur, ce<br />
sera nos enfants et nos petits enfants qui<br />
perpétueront le changement et assureront<br />
une relève vivante et fiable. Ce n’est peutêtre<br />
pas nous qui changerons le monde,<br />
mais nous <strong>au</strong>rons <strong>au</strong> moins le mérite de<br />
leur laisser un monde d’amour, d’espoir et<br />
de possibilités.<br />
178
179<br />
180
181<br />
182
183<br />
JUIN <strong>2012</strong><br />
Grand Prix de F1 de Montréal<br />
et Loi Omnibus C-38<br />
1er juin<br />
Léo Bure<strong>au</strong>-Blouin achève son deuxième<br />
mandat <strong>à</strong> la tête de la FECQ, Éliane<br />
<strong>La</strong>berge le remplace.<br />
4 juin<br />
Arrestation d’Amir Khadir, député et<br />
leader de Québec Solidaire, par la police<br />
de Québec. Il avait pris part <strong>à</strong> une manifestation<br />
pacifique mais jugée illégale.<br />
7 juin<br />
Le Directeur général des élections du<br />
Québec propose que des bure<strong>au</strong>x de<br />
scrutin soient implantés dans les cégeps et<br />
les universités, pour faciliter l’accès <strong>au</strong> vote<br />
pour les jeunes et diminuer l’abstention.<br />
Le Parti libéral s’y oppose.<br />
Daniel Cohn-Bendit, leader étudiant de<br />
mai 68 en France et député européen signe<br />
un texte en faveur du mouvement dans<br />
Le Nouvel observateur.<br />
En marge du grand prix de Formule 1<br />
<strong>à</strong> Montréal, Jacques Villeneuve, ancien<br />
pilote, déclare que les étudiants sont selon<br />
lui « mal élevés, par des parents qui n’ont<br />
jamais appris <strong>à</strong> dire “non” ». Il conclue<br />
en les exhortant <strong>à</strong> arrêter « de faire les<br />
fainéants ».<br />
Les employés de l’École nationale de police<br />
du Québec se mettent <strong>à</strong> leur tour en grève.<br />
8 juin<br />
Le conteur Fred Pellerin refuse par lettre<br />
de recevoir l’Ordre national du Québec,<br />
sans vouloir créer de polémique. « Manquer<br />
<strong>à</strong> ces convictions, pour l’urgence de la<br />
médaille, serait pour moi déj<strong>à</strong> un f<strong>au</strong>x-pas<br />
dans ma neuve chevalerie. Mon coeur suit<br />
mon peuple, et ce peuple n’a pas le cœur <strong>à</strong><br />
la fête. »<br />
Le Monde parle encore une fois du conflit<br />
étudiant. Il publie un dossier qui donne la<br />
parole <strong>à</strong> de nombreux Québécois, notamment<br />
Jean Charest, Richard Desjardins et<br />
Normand Baillargeon.<br />
10 juin<br />
En marge du Grand-Prix de<br />
Formule 1 de Montréal, le SPVM est<br />
dénoncé pour des abus, notamment du<br />
« profilage » contre quiconque porte le<br />
carré rouge et de nombreuses arrestations<br />
préventives arbitraires.<br />
184
12 juin<br />
Le Parti Québécois remporte une<br />
élection partielle dans la circonscription<br />
d’Argenteuil. Le Parti libéral du<br />
Québec perd l’un de ses bastions historiques,<br />
détenu depuis 46 ans.<br />
Christine St-Pierre, ministre de la<br />
Culture, présente des excuses publiques.<br />
Elle avait associé le carré rouge, symbole<br />
du mouvement étudiant, <strong>à</strong> la « violence »<br />
et <strong>à</strong> « l’intimidation ». Le mal est fait, le<br />
journal Le Devoir publie le jour-même une<br />
lettre signée par plus de 2 500 artistes qui<br />
condamnent cette assimilation utilisée très<br />
couramment par le PLQ.<br />
18 juin<br />
<strong>La</strong> loi spéciale 78 est <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong> très sévèrement<br />
critiquée par l’ONU.<br />
185<br />
19 juin<br />
<strong>La</strong> Ville de Québec et son maire Régis<br />
<strong>La</strong>be<strong>au</strong>me, en prévision des festivités<br />
de la Saint-Jean Baptiste, resserrent les<br />
règles encadrant les manifestations et<br />
portent encore d’avantage atteinte <strong>au</strong>x<br />
droits constitutionnels et fondament<strong>au</strong>x<br />
des citoyens. Elles interdisent entre <strong>au</strong>tres<br />
les attroupements de 23 h <strong>à</strong> 5 h du matin.<br />
M<strong>au</strong>vaise nouvelle pour l’environnement,<br />
la loi omnibus C-38 sur la mise en œuvre<br />
du budget est adoptée par le gouvernement<br />
conservateur de Stephen Harper malgré la<br />
protestation de plus de 50 000 Canadiens<br />
et Canadiennes. Décrite par l’opposition<br />
comme un « cheval de Troie », elle<br />
comprend de nombreuses mesures controversées,<br />
notamment le retrait du protocole<br />
de Kyoto, des modifications apportées <strong>au</strong>x<br />
lois sur les opérations pétrolières et sur les<br />
Pêches, <strong>à</strong> l’assurance emploi, <strong>à</strong> la sécurité<br />
de la vieillesse, etc.<br />
22 juin<br />
Nouvelle marche de protestation, notamment<br />
<strong>à</strong> Québec et <strong>à</strong> Montréal. Des milliers<br />
de manifestants, mais la mobilisation est<br />
légèrement en baisse.<br />
186
187<br />
188
189<br />
190
191<br />
192
193<br />
194
195<br />
196
* Service de police de la ville de Montréal<br />
197<br />
198
199<br />
200
201<br />
202
203<br />
Banane rebelle <strong>au</strong> cœur du danger<br />
Gabriel Marcoux-Chabot alias la Banane Rebelle<br />
5 juin <strong>2012</strong> - Alors que la ville de<br />
Québec devient le théâtre d’arrestations<br />
plus massives les unes que les <strong>au</strong>tres,<br />
Banane Rebelle publie cette entrevue<br />
exclusive réalisée la semaine dernière avec<br />
un de ceux sans qui les manifestations ne<br />
seraient que de vastes et bienheureuses<br />
festivités déambulatoires, de joyeuses et<br />
inoffensives cacophonies carnavalesques,<br />
pacifiques et populaires. Un de ceux par<br />
qui la paix <strong>social</strong>e est sans cesse troublée,<br />
un extrémiste en son genre, un casseur par<br />
excellence : un policier du SPVQ.<br />
Fred (nous l’appellerons ainsi afin de lui<br />
attirer un minimum de sympathie) a 32<br />
ans, une femme, deux enfants, une maison<br />
en banlieue, une tondeuse, un char<br />
et des paiements. Patrouilleur pour le<br />
SPVQ depuis 9 ans, il alterne sans grand<br />
enthousiasme les shifts de jour, de soir et<br />
de nuit. Il participait le 28 mai dernier <strong>à</strong> sa<br />
première arrestation massive et s’en câlisse<br />
un peu, comme il se câlisse d’ailleurs de<br />
pas mal de choses.<br />
C’est ce que vous <strong>au</strong>rez l’occasion de<br />
découvrir dans cette entrevue exclusive<br />
que Fred a accordé <strong>à</strong> Banane Rebelle lors<br />
d’un périple en <strong>au</strong>tobus qui devait les<br />
conduire de l’édifice de la Banque nationale,<br />
où ils se sont rencontrés, jusqu’<strong>au</strong> fin<br />
fond du cul de Charlesbourg, où le fruit géant<br />
a été vulgairement abandonné dans un<br />
stationnement.<br />
Les mains menottées de votre sympathique<br />
héros fruité compliquant sérieusement la<br />
prise de notes, il est <strong>à</strong> noter que l’entretien<br />
a été retranscrit de mémoire. De plus,<br />
inspiré par l’approche pour le moins innovante<br />
du Journal de Montréal, Banane<br />
Rebelle s’est permis de présenter sous<br />
forme d’entrevue suivie ce qui ne constituait<br />
<strong>au</strong> départ qu’une vague esquisse de<br />
conversation entre deux individus plus<br />
ou moins heureux de se rencontrer. Mais<br />
considérant l’état du journalisme contemporain,<br />
cela ne devrait pas trop détonner<br />
dans le paysage médiatique actuel.<br />
Banane Rebelle (d’une voix calme et mâle) :<br />
Dites-moi, mon brave, n’avez-vous pas<br />
honte de ce que vous faites ?<br />
Fred (sur la défensive) : Honte de quoi ?<br />
As-tu été brutalisé ? Y en as-tu un ici qui a<br />
été brutalisé ?<br />
204
Banane Rebelle (réconfortant) : À votre<br />
défense, je dois dire que non, quoique<br />
ces Tyraps soient assez inconfortables et<br />
que j’aie encore dans la bouche le goût de<br />
l’asphalte où vous m’avez délicatement<br />
étendu avant de vous mettre <strong>à</strong> deux pour<br />
me menotter… mais l<strong>à</strong> n’est pas la question.<br />
N’avez-vous pas honte d’être utilisé<br />
<strong>à</strong> des fins partisanes par un gouvernement<br />
corrompu qui n’a rien <strong>à</strong> faire de la justice et<br />
de l’ordre <strong>social</strong> ?<br />
Fred (l’air hargneux) : J’fais ma job.<br />
Banane Rebelle (alliant dédain et compassion)<br />
: Et vous l’aimez, votre job ?<br />
Fred (t<strong>au</strong>tologique) : Une job c’t’une job.<br />
Banane Rebelle (alliant dédain et curiosité)<br />
: Que voulez-vous dire ?<br />
Fred (sentant soudain le besoin de se confier)<br />
: Ben, j’vas te dire une affaire : y a<br />
dix ans, quand j’étais encore <strong>au</strong>x études,<br />
j’manifestais comme toi.<br />
Banane Rebelle (amusé) : Dans un costume<br />
de banane ?<br />
Fred (ne saisissant nullement le caractère<br />
ironique de la question) : Non. Mais c’que<br />
j’veux dire, c’est que les idé<strong>au</strong>x du début,<br />
les illusions, ça part assez vite. Un moment<br />
donné, tu te contentes de faire c’qu’on te<br />
demande, pis c’est toute.<br />
Banane Rebelle (alliant dédain et incrédulité)<br />
: Et vous trouvez ça normal ?<br />
205<br />
Fred (se découvrant une passion soudaine<br />
pour les mathématiques) : T’sais, ma job,<br />
c’est pas ma vie. J’travaille 40 heures par<br />
semaine. Dans une semaine, y a 168 heures.<br />
Ça fait quoi ? 25 % du temps, même<br />
pas ? Ça fait que ma job, c’est 25 % de ma<br />
vie. Le reste du temps, j’m’en crisse.<br />
Banane Rebelle (dubitatif) : Le fait de<br />
savoir que vous êtes l’instrument du pouvoir<br />
politique, ça ne vous affecte pas ?<br />
Fred (ferme dans son néant réflexif) : Pour<br />
être ben franc avec toi, j’suis plutôt apolitique.<br />
Peu importe qui est <strong>au</strong> pouvoir, peu<br />
importe c’qu’y disent avant les élections, on<br />
s’fait toujours crosser de toute façon. Moi,<br />
j’ai une femme, deux enfants. J’veux qu’y<br />
manquent de rien. Le reste, j’m’en câlisse.<br />
Banane Rebelle (curieux) : Ça prendrait<br />
quoi pour que vous arrêtiez de vous en<br />
câlisser ?<br />
Fred (soudain plus sympathique) : J’sais<br />
pas. Une proportionnelle. Des élections <strong>à</strong><br />
date fixe. L<strong>à</strong>, on commencerait <strong>à</strong> parler.<br />
Banane Rebelle (conciliant) : Je vous<br />
rejoins l<strong>à</strong>-dessus, mon brave. Mais en ce<br />
qui concerne les manifestations ? Qu’est-ce<br />
que ça prendrait pour que vous cessiez de<br />
nous arrêter comme du bétail ? Qu’est-ce<br />
que ça prendrait pour que vous arrêtiez de<br />
vous en crisser, comme vous le dites si bien.<br />
Fred (qui, décidemment, <strong>au</strong>rait pu faire<br />
un mathématicien fort enthousiaste) :<br />
Y a combien d’population <strong>à</strong> Québec ?<br />
500 000 ? Le soir, vous êtes combien ?<br />
200 ? 300 ? Quand vous serez 125 000, on<br />
commencera <strong>à</strong> vous prendre <strong>au</strong> sérieux.<br />
Banane Rebelle (de mystérieuses lueurs<br />
brillant dans ses yeux sombres et décidés) :<br />
Je vais voir ce que je peux faire.<br />
Fred (revenant <strong>à</strong> des considérations<br />
moins philosophiques) : Bon. À c’t’heure,<br />
laisse-moi zigonner sur tes Tyraps<br />
pendant cinq ou dix minutes avec des<br />
pinces inappropriées. Si tu ne bouges pas<br />
trop <strong>à</strong> c<strong>au</strong>se de la douleur, elles devraient<br />
finir par péter.<br />
Banane Rebelle (étonné) : Vous êtes équipé<br />
pour nous menotter, et pas pour nous<br />
libérer ? Ne devriez-vous pas disposer de<br />
matériel plus adéquat ?<br />
Fred (qui mène ses propres combats) : Pour<br />
ça, f<strong>au</strong>drait qu’t’en parles <strong>à</strong> Régis.<br />
206
207<br />
Crise <strong>social</strong>e<br />
Le long souffle du printemps érable<br />
L<strong>au</strong>re Waridel<br />
Vous connaissez le trille rouge, cette<br />
vivace extraordinaire <strong>à</strong> floraison printanière<br />
de nos sous-bois ? Elle peut<br />
demeurer dans le sol durant des années<br />
sans qu’on la remarque. Ses graines doivent<br />
survivre <strong>à</strong> plusieurs hivers rigoureux<br />
avant qu’elle puisse enfin germer. Elle ne<br />
fleurira que 10 ans plus tard.<br />
Ne possédant pas de nectar, elle utilise<br />
des stratégies créatives de pollinisation.<br />
Son rouge intense et son odeur forte et<br />
résistante attirent les insectes qui assurent<br />
sa reproduction. Comme toutes les espèces,<br />
elle est le fruit d’un écosystème <strong>au</strong>x<br />
interactions complexes souvent invisibles<br />
<strong>à</strong> l’oeil nu.<br />
Le trille rouge est <strong>à</strong> l’image du mouvement<br />
étudiant <strong>au</strong> sein de la société. Une<br />
(r)évolution <strong>au</strong> sein de notre (éco)système.<br />
Les c<strong>au</strong>ses profondes<br />
Il y a longtemps que le « printemps érable »<br />
se prépare, et pas seulement pour le trille<br />
rouge. D’<strong>au</strong>tres espèces dorment encore,<br />
mais il semble que nous sommes <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>be<br />
d’un grand réveil. Le nôtre.<br />
Depuis plus d’une décennie, certains<br />
diront trois, de longs hivers rigoureux<br />
nous avaient comme endormis. Sous les<br />
bourrasques du libre marché, les priorités<br />
de la société ont été renversées. <strong>La</strong> croissance<br />
économique est devenue une fin en soi, <strong>au</strong><br />
profit d’une minorité, plutôt qu’un moyen<br />
d’épanouissement individuel et collectif<br />
comme le promettaient tant d’économistes<br />
depuis la Seconde Guerre mondiale. Si<br />
nous pouvions jadis croire <strong>à</strong> cette utopie,<br />
il est <strong>au</strong>jourd’hui évident que nous nous<br />
sommes trompés. L’<strong>au</strong>gmentation des<br />
inégalités, l’app<strong>au</strong>vrissement de la classe<br />
moyenne et la multiplication des crises <strong>social</strong>es,<br />
environnementales et économiques<br />
sont les symptômes d’une crise devenue<br />
systémique. Nous savons que le roi est nu,<br />
mais le mensonge persiste.<br />
208
De manière insidieuse, nous sommes<br />
devenus les variables d’un marché en tant<br />
que « ressource humaine », « producteur de<br />
biens ou de services », « investisseur »,<br />
« consommateur » et « bénéficiaire ». Pour<br />
faire rouler la machine du consommerjeter-consommer-jeter,<br />
si profitable <strong>à</strong><br />
l’économie dominante, il f<strong>au</strong>t des<br />
ressources. Toujours plus de ressources<br />
matérielles et humaines <strong>au</strong> moindre coût<br />
économique possible.<br />
Ce « moindre coût » a pourtant un prix,<br />
tant environnemental que <strong>social</strong>. En<br />
économie, on parle d’externalités. Dans<br />
ce mot fourre-tout se trouve un ensemble<br />
de problèmes pouvant être générés par le<br />
modèle économique dominant : la pollution<br />
de l’air, de l’e<strong>au</strong> et du sol, la précarité et<br />
les pertes d’emploi, les maladies physiques<br />
et mentales (dont les dépressions et les<br />
suicides), les changements climatiques, la<br />
p<strong>au</strong>vreté des travailleurs <strong>à</strong> faibles revenus,<br />
la perte de biodiversité, etc.<br />
Pour résumer la chose simplement, le<br />
système économique et politique dominant<br />
privatise les profits et <strong>social</strong>ise les<br />
coûts. Cette façon de faire a mené les<br />
États comme les ménages <strong>à</strong> des records<br />
d’endettement, et ce, non seulement sur<br />
le plan économique, mais <strong>au</strong>ssi sur le plan<br />
<strong>social</strong> et environnemental.<br />
209<br />
<strong>La</strong> goutte qui a fait<br />
déborder le vase<br />
Les porteurs de carré rouge, blanc ou noir<br />
que je connais ne sont pas dans la rue<br />
seulement <strong>à</strong> c<strong>au</strong>se de la h<strong>au</strong>sse des droits de<br />
scolarité. Loin de l<strong>à</strong>. Ils y sont pour ce que<br />
cela symbolise comme choix de société. Ils<br />
croient encore en la valeur du mot « équitable<br />
», et pas seulement pour leur café.<br />
Le gouvernement veut aller chercher 300<br />
millions dans les poches des étudiants<br />
alors qu’en 2011, des allégements fisc<strong>au</strong>x<br />
de 3,6 milliards ont été accordés <strong>au</strong>x<br />
entreprises <strong>au</strong> Québec. D’<strong>au</strong>tres milliards<br />
s’envolent dans des paradis fisc<strong>au</strong>x f<strong>au</strong>te<br />
de rigueur et de volonté politique. Que<br />
dire du 25 % supplémentaire payé pour nos<br />
infrastructures ?<br />
On ne s’étonne plus d’entendre parler de<br />
collusion et de corruption tant les cas sont<br />
devenus nombreux. Tout cela pour dire<br />
que les ressources, nous les avons. Il s’agit<br />
de choisir nos priorités.<br />
Ainsi, la loi 78 <strong>au</strong>ra été la goutte qui a fait<br />
déborder le vase, mais force est de constater<br />
qu’il était déj<strong>à</strong> bien plein. Les Québécois<br />
ont be<strong>au</strong> chérir la paix <strong>social</strong>e, ils ne sont<br />
pas dupes. Les arguments économiques<br />
lancés par nos gouvernements, tant <strong>à</strong><br />
Québec qu’<strong>à</strong> Ottawa, sont une insulte<br />
<strong>à</strong> notre intelligence.<br />
Démocratiser l’économie<br />
Rappelons-nous que l’économie est une<br />
construction <strong>social</strong>e. Elle opère grâce <strong>à</strong> des<br />
institutions que nous avons créées dans<br />
un cadre juridique et politique que nous<br />
pouvons contrôler. Ainsi, contrairement<br />
<strong>à</strong> ce que nos dirigeants actuels prétendent,<br />
nous avons le choix. Les voies sont<br />
multiples.<br />
Les idées abondent dans le Québec<br />
moderne. Quand l’Histoire ouvre ses<br />
portes comme elle le fait maintenant, tout<br />
est possible. Nous avons l’intelligence, les<br />
ressources et le courage nécessaires pour<br />
entreprendre une transition. À nous de<br />
choisir laquelle, et comment.<br />
Nous pourrions, par exemple, nous<br />
inspirer de l’Islande qui, <strong>à</strong> la suite de la<br />
crise financière de 2008, s’est dotée d’une<br />
nouvelle Constitution rédigée par et pour<br />
le peuple. Entamer un tel processus est tout<br />
<strong>à</strong> fait possible ici.<br />
Cette idée recueille d’ailleurs de plus<br />
en plus d’appuis. D’<strong>au</strong>tant plus que le<br />
Québec, contrairement <strong>au</strong> Canada, n’a pas<br />
encore de Constitution. Ce serait l’occasion<br />
d’amorcer une réforme de nos institutions<br />
démocratiques, une contribution certaine<br />
<strong>à</strong> la démocratisation de notre économie<br />
puisqu’elle permettrait <strong>à</strong> une pluralité de<br />
voix d’être entendues. Pensons <strong>au</strong> potentiel<br />
d’un mode de scrutin proportionnel<br />
par exemple et <strong>à</strong> l’importance de revoir<br />
le financement des partis politiques afin<br />
d’éviter les dérives connues ces dernières<br />
années.<br />
Résistants <strong>au</strong> changement<br />
Certes, s’approprier la démocratie<br />
peut être insécurisant. Je pense <strong>à</strong> mon<br />
arrière-grand-mère qui s’est farouchement<br />
opposée <strong>au</strong> droit de vote des femmes. Elle<br />
avait ses raisons, comme en ont ceux et<br />
celles qui s’opposent <strong>à</strong> la démocratisation<br />
politique et économique actuellement. Les<br />
humains sont naturellement résistants <strong>au</strong><br />
changement.<br />
Il <strong>au</strong>ra fallu <strong>à</strong> l’époque de mon aïeule une<br />
(r)évolution, un changement de paradigme<br />
pour légitimer le droit de vote des femmes.<br />
C’est <strong>à</strong> mon avis ce qui est en train de se<br />
passer <strong>au</strong> Québec concernant le conflit<br />
étudiant. Celui-ci cristallise un ras-le-bol<br />
général <strong>à</strong> l’égard d’un système qui carbure <strong>à</strong><br />
l’exploitation <strong>social</strong>e et environnementale.<br />
Je pense que nous pouvons avancer la tête<br />
h<strong>au</strong>te dans ce processus de transition qui<br />
s’amorce. Le Québec a fait maintes fois la<br />
preuve de sa capacité <strong>à</strong> mener de grands<br />
chantiers, avec sérieux et intelligence. Nos<br />
révolutions sont tranquilles. Mais elles sont<br />
de vraies révolutions. L’heure est venue de<br />
choisir ce que sera le Québec de demain.<br />
Le trille rouge n’en est pas <strong>à</strong> son premier<br />
printemps. L’été finit toujours par arriver.<br />
210
212
213<br />
214
215 216
217<br />
Moi j’suis un plus meilleur révolutionnaire<br />
Adib Alkhalidey<br />
À quoi bon lutter si <strong>au</strong> sein même du mouvement<br />
se trouvent des pseudos « super-<br />
activistes » qui profitent de la moindre<br />
occasion pour complexer ceux qui sont<br />
moins actifs ? À quoi bon hiérarchiser<br />
la valeur des actions, du courage, de la<br />
dévotion…<br />
Je me souviens de mes cours d’histoire<br />
<strong>au</strong> cégep : souvent, je me plaignais<br />
silencieusement d’être né <strong>à</strong> une époque<br />
ennuyante, morose, amorphe. Sur les<br />
bancs d’écoles, des bancs <strong>au</strong>xquels j’avais<br />
accès <strong>à</strong> prix ”modique”, on me racontait<br />
ces histoires de mouvements populaires,<br />
ces récits de millions de citoyens dévoués,<br />
ces anecdotes relatant l’impact de la<br />
désobéissance et démontrant l’importance<br />
d’un instinct de collectivité développé. Le<br />
contraste décevant d’un passé bouillonnant<br />
et d’un présent endormi évoquait en<br />
moi un véritable sentiment de tristesse.<br />
Je n’étais pas le seul : nous voyions bien<br />
qu’<strong>au</strong>tour de nous, il y avait place <strong>à</strong> amélioration,<br />
place <strong>à</strong> l’insurrection, <strong>à</strong> la révolte.<br />
Seulement, il est difficile de s’investir dans<br />
une lutte citoyenne lorsque celle-ci n’est<br />
qu’abstraite. Je dois admettre que depuis 4<br />
mois, depuis le début de cette révolution, je<br />
suis fier de vivre <strong>à</strong> mon époque. Je suis fier<br />
de pouvoir inscrire une virgule dans les<br />
livres d’histoire que les prochains liront.<br />
Fier de pouvoir dire que notre révolution<br />
n’est pas tranquille, qu’elle dérange, qu’elle<br />
gueule et scande, qu’elle percute les casseroles<br />
<strong>au</strong>tant que les esprits atrophiés.<br />
Que désormais, le mot ”intelligent” nous<br />
appartient, et pas seulement quand vient<br />
le temps de qualifier son téléphone cellulaire<br />
(f<strong>au</strong>t d’ailleurs faire attention <strong>à</strong> ce<br />
phénomène, les compagnies de téléphones<br />
sont en train de kidnapper le terme, mais<br />
un sujet <strong>à</strong> la fois…).<br />
Les gens sont créatifs, réfléchis, structurés<br />
et ambitieux. J’ai déj<strong>à</strong> hâte d’être vieux<br />
et de raconter cette période. J’ai déj<strong>à</strong> hâte<br />
d’être vieux et me souvenir que la jeunesse<br />
est en mesure d’aiguiller la collectivité vers<br />
un avenir meilleur. Ce mouvement est,<br />
<strong>à</strong> mes yeux, bien plus qu’un mouvement :<br />
c’est un hapax existentiel.<br />
Mais… F<strong>au</strong>t quand même faire attention.<br />
Dans une conversation l’<strong>au</strong>tre jour,<br />
j’entendais mon interlocuteur s’écrier :<br />
“Moi j’suis un meilleur révolutionnaire<br />
que tous ceux qui ont marché deux, trois<br />
fois pis qui prennent le crédit d’avoir<br />
participé <strong>à</strong> la lutte…”. J’ai dit « interlocuteur<br />
»car ce n’est pas un ami. Je ne suis<br />
pas doté de suffisamment de patience pour<br />
dealer avec les problèmes d’attention et<br />
218
de narcissisme dont ce type de personne<br />
est accablé, mais je trouve tout de même sa<br />
déclaration intéressante.<br />
Parce que depuis 4 mois les gens se battent.<br />
Parce que depuis 4 mois les gens se<br />
mobilisent. Parce que depuis 4 mois les<br />
gens tentent de trouver des moyens de<br />
rallier le plus grand nombre possible.<br />
Pour toutes ces raisons, je trouve qu’il est<br />
important de se souvenir qu’il s’agit d’une<br />
lutte, et non d’un concours de popularité.<br />
Ce n’est pas parce que tu as des ampoules<br />
<strong>au</strong>x pieds que tu es un “plus meilleur<br />
révolutionnaire”.<br />
Ce n’est pas parce que tu traversais un<br />
nuage de fumée de lacrymo et que tu<br />
n’étais pas en mesure de respirer <strong>à</strong> plein<br />
poumon un avant-midi que tu es un “plus<br />
meilleur révolutionnaire”. Personne ne<br />
va faire de t-shirt <strong>à</strong> ton effigie parce que<br />
tu t’es pris une balle de plastique. Che<br />
Guevara, c’est pas son idée, que celle de<br />
commercialiser sa tronche. Ce n’était<br />
pas son objectif, que celui de scotcher sa<br />
gueule sur les torses de jeunes colériques<br />
pré pubères en quête identitaire. Si c’est<br />
des chandails que tu veux, je connais un<br />
Palestinien <strong>à</strong> St-L<strong>au</strong>rent qui fait ça pour<br />
pas cher. Et si t’es chanceux, il peut même<br />
te raconter des histoires de son pays, ou de<br />
ce qu’il en reste : il s’est pris des balles et<br />
c’est pas avec ça qu’il se fait un plus grand<br />
nombre d’amis Facebook.<br />
C’est arrivé <strong>à</strong> plus d’une reprise lors du<br />
dernier mois : <strong>à</strong> la dernière manif <strong>à</strong> laquelle<br />
je participais, j’entendais un groupe<br />
“d’activistes” scander des slogans dont<br />
219<br />
l’intention était de se moquer de Québec<br />
Solidaire : un des seuls partis qui participent<br />
de manière active <strong>au</strong> mouvement…<br />
Ils gueulaient quelque chose comme :<br />
“C’est pas Québec Solidaire, c’est Québec<br />
Stationnaire !” Je regarde un des criards et<br />
lui demande : “C’est quoi le but ?”.<br />
— Quoi ?<br />
— L’objectif ! Le projet derrière ce genre de<br />
slogan ?<br />
— Ben, nous on trouve que Québec<br />
Solidaire pourrait en faire plus…<br />
— Tant qu’<strong>à</strong> y être, achète du poivre de<br />
cayenne pis spray leur la gueule. Si ce sont<br />
des méthodes de divisions qui t’excitent…<br />
— Ta yeule man.<br />
— Ok, man.<br />
À la lumière de cette altercation, je trouve<br />
qu’il est essentiel de se souvenir, de se<br />
ramener <strong>à</strong> l’ordre, de se répéter que la<br />
glorification de l’activiste parfait ne fait que<br />
ralentir le mouvement. Il n’est en <strong>au</strong>cun<br />
cas bénéfique de complexer nos confrères<br />
et nos consoeurs de révolution en rabaissant<br />
constamment le nive<strong>au</strong> d’intensité et<br />
la valeur des actions posées par ceux-ci et<br />
celles-ci. On est pas en train de comparer<br />
la grosseur de nos billes, ou le nombre de<br />
pogs qu’on a gagnés <strong>à</strong> la récré. Non plus en<br />
train de définir <strong>à</strong> quel point on est “bad”<br />
parce que cette semaine un tel s’est pris<br />
trois retenues…<br />
Quand j’étais <strong>au</strong> primaire, je me souviens,<br />
les “amis” se moquaient de moi parce que<br />
je portais de espadrilles de marque Pony,<br />
alors que tous les <strong>au</strong>tres “amis” portaient<br />
des Nike, des Adidas, des Reebok et des<br />
Fila (oui c’était encore hot <strong>à</strong> l’époque). Je<br />
pouvais marcher <strong>au</strong>tant que ces garçons,<br />
courir avec la même vigueur, me rendre <strong>au</strong><br />
même endroit… <strong>La</strong> seule différence : mes<br />
ch<strong>au</strong>ssures étaient moins “flamboyantes”.<br />
On s’en contre-fout de la manière dont<br />
tu t’y rends, pourvu que tu t’y rendes. Ne<br />
faisons pas avec nos idées ce que les gros<br />
vendeurs ont fait avec nos espadrilles. Ne<br />
jouons pas <strong>au</strong> jeu du “Mon carré est plus<br />
rouge que le tien !”.<br />
“Moi je suis un plus meilleur révolutionnaire<br />
!” c’est <strong>au</strong>ssi utile que de dire “Est-ce<br />
que je peux avoir un <strong>au</strong>tre berlingot ? !”…<br />
Ok, fin de la récré… ou de l’analogie…<br />
peu importe.<br />
Peu importe les couleurs, le costume, le<br />
masque que tu utilises pour personnifier<br />
ton adhésion <strong>à</strong> la lutte, peu importe si tu<br />
t’es fait charcuter par la police, qu’on t’ait<br />
poivré la figure et qu’on t’ait fait bretter six<br />
heures dans le saladier, peu importe si la<br />
seule chose que tu fais, c’est partager les<br />
vidéos qui évoquent chez toi un sentiment<br />
d’injustice, peu importe si tout ce que tu<br />
fais c’est être en accord et rien de plus…<br />
Peu importe. Il me semble qu’ils font partie<br />
de l’équipe. On porte pas la même marque<br />
de ch<strong>au</strong>ssures, mais on vise le même<br />
ballon, non ? Où les mêmes têtes ?<br />
Oh merde, et voil<strong>à</strong>, je viens de déclarer que<br />
je veux kicker des têtes, ça sent l’arrestation<br />
préventive… À ma défense : pour kicker la<br />
tête d’un dirigeant, f<strong>au</strong>drait d’abord que<br />
j’trouve le rectum dans lequel ladite tête<br />
est logée.<br />
220
221<br />
Sans titre<br />
Frédéric Dubois<br />
J’ai un souvenir fort de moi tout petit<br />
Qui traverse le parc des L<strong>au</strong>rentides<br />
Et qui arrive <strong>à</strong> Québec.<br />
Vous dire combien j’avais l’impression de me retrouver devant l’immensité.<br />
Il y avait<br />
Le vertige<br />
Le plaisir<br />
De tout ce qui se cachait sous toutes ses lumières de la « grande » ville.<br />
Tranquillement, le monde s’est ouvert.<br />
Québec donc.<br />
Et après Montréal.<br />
Puis l’océan.<br />
C’était <strong>à</strong> Old Orchard (c’est pas très exotique) mais l’émotion devant l’infini a façonné<br />
mon univers et ses possibles.<br />
Puis, Paris. le Caire. Tokyo.<br />
Et le fleuve. Toujours le fleuve. Notre axe, notre direction. Qui, <strong>au</strong>-del<strong>à</strong> de bien des<br />
mondes, m’a toujours vite ramené dans le mien.<br />
Mais <strong>au</strong>ssi Ducharme, Ronfard, Tremblay, Robert Lepage, Joël Pommerat, Murakami.<br />
Autant de vertiges.<br />
Rien sans vertige.<br />
Alors, les chemins s’ouvrent.<br />
et vivement<br />
les détours.<br />
Le printemps qui se termine<br />
Et son carré rouge<br />
Rouge hurlant<br />
Rouge brûlant<br />
Est un vertige de plus <strong>à</strong> la liste<br />
Un chemin nouve<strong>au</strong><br />
Un axe<br />
Une lumière<br />
222
Je ressens une fierté<br />
Nouvelle<br />
Bien qu’elle ne soit pas partagée<br />
Bien qu’elle soit fissurée<br />
Jetée<br />
Ignorée<br />
Bien qu’elle nous divise<br />
Et qu’elle vienne avec son lot de désastres et de remontrances<br />
De grossièretés et d’ignorances<br />
Mais<br />
Toutes les rues de Québec n’étaient pas belles derrière les lumières <strong>au</strong> sortir du Parc<br />
Toutes les vitrines de Montréal ne valait pas la peine de s’attarder<br />
<strong>La</strong> gorgée d’e<strong>au</strong> salée (et certainement pas propre) de l’océan de cette ville si laide du<br />
Maine, lève le coeur pour <strong>au</strong> moins le reste de l’après midi<br />
Et Dieu que les parisiens font chier<br />
Et Le Caire c’est sale.<br />
Et toutes les pièces de théâtre ne sont pas bonnes <strong>à</strong> voir<br />
Et le fleuve, bordé de maisons mobiles, c’est pas chic.<br />
Le carré rouge est devenu passeport pour les chemins cahoteux, le laid.<br />
J’aime que nous soyons laids<br />
que nous soyons divisés<br />
que nous soyons perdus<br />
j’aime les moments de honte<br />
de l’étourdissement<br />
Le chaos nous va bien<br />
le chaos nous fait du bien<br />
parce que «si nous nous endormons ici,<br />
nous rêverons si mal que plus rien ne sera possible»*<br />
*Réjean Ducharme<br />
223<br />
Un jour nous serons grands<br />
et nous changerons le monde<br />
Lysanne Martin<br />
Ma fille de 12 ans est rentrée de l'école un<br />
soir, me suppliant de lui prêter un ch<strong>au</strong>dron<br />
et une cuillère de bois pour manifester<br />
dans notre quartier avec ses amis.<br />
Cette journée <strong>à</strong> l'école, son professeur leur<br />
avait expliqué pourquoi les manifestations<br />
devenaient illégales.<br />
Elle me dit donc en colère :<br />
« Maman je refuse d'accepter que dans<br />
mon pays, on a plus le droit de s'exprimer !<br />
Moi <strong>au</strong>ssi je veux protester pour changer<br />
les choses ! »<br />
224
225<br />
« <strong>La</strong> propagande est<br />
<strong>au</strong>x démocraties ce que la violence<br />
est <strong>au</strong>x dictatures. »<br />
— Noam Chomsky<br />
226
227<br />
kabochenook01.blogspot.ca<br />
Bouilloire<br />
Marie-Ève Muller<br />
Je suis <strong>à</strong> l’e<strong>au</strong> qui bout<br />
Je suis <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre bout<br />
Au pied de la vigne<br />
De la fleur du pot<br />
J’ai la casserole<br />
À ras le mot<br />
Je suis <strong>à</strong> pierre<br />
Au pas de la côte, <strong>à</strong> terre<br />
Je me fais cent de billes<br />
À coup de roule<strong>au</strong><br />
Au bout, <strong>au</strong> fond du fil<br />
Je vais Saint-Roch nu-pied<br />
Sous le ciel embrasé<br />
Par l’embrasure du bas du mur<br />
Je m’y peins <strong>au</strong> coin<br />
Demain<br />
Je suis <strong>à</strong> point turbine<br />
Sombre ciel turlupine<br />
Je crie <strong>au</strong>x gens charriés<br />
Et puis je t’avachis<br />
Je suis vraiment <strong>à</strong> bout<br />
À bout de nerfs<br />
Les nerfs en boule<br />
Au bout du roule<strong>au</strong><br />
Je ne tiens qu’<strong>à</strong> un fil<br />
Je crie Oh Jean Charest<br />
Ostie que tu me fais chier !<br />
Je suis <strong>à</strong> fleur de pe<strong>au</strong><br />
Au pied du mur<br />
À ras le bol<br />
Je cogne<br />
Encore<br />
Ce soir<br />
Sur ma casserole.<br />
228
229<br />
230
231<br />
232
233<br />
234
235<br />
— Pardon ? Les « occuper » ? Tu veux quoi ? Que je<br />
demande des élections anticipées ? Ça ne suffira pas, <strong>au</strong><br />
contraire même, on risque de…<br />
— Non, je veux que tu mettes tes jeunes dans la rue.<br />
— Pardon ?<br />
— Provoque une crise <strong>social</strong>e comme le Québec n’en a pas<br />
vue depuis des années, des décennies. Divise ton peuple,<br />
mets ta police dans la rue, l’armée si il le f<strong>au</strong>t, je veux qu’<strong>au</strong><br />
printemps prochain toutes les caméras soient braquées sur<br />
ta province.<br />
— Mais… c’est de la folie ? Comment tu veux que je fasse<br />
ça ? Des manifestations, ça ne se commande pas sur mesure.<br />
— Allons, rien de très compliqué. Tu as déj<strong>à</strong> parlé de<br />
h<strong>au</strong>sser les frais de scolarité l’année dernière, provoque les<br />
jeunes, affiche de l’arrogance, refuse le dialogue, ils n’<strong>au</strong>ront<br />
pas le choix de descendre dans la rue.<br />
— Mais tu me demandes de me sacrifier ? Après ça c’est<br />
certain que je ne serai pas réélu !<br />
236
237<br />
— Rappelle-moi tes pourcentages de satisfaction, Jean ?<br />
Tu es <strong>au</strong> plus bas, les gens ne croient plus en toi et les scandales<br />
sortent dans la presse les uns après les <strong>au</strong>tres. Même<br />
ton électorat de base ne croit plus en toi et be<strong>au</strong>coup d’entre<br />
eux ne voteront plus pour toi dans l’état actuel des choses.<br />
Ce ne sont pas les jeunes qui vont t’élire <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong>, Jean, de<br />
toute façon. Montre <strong>à</strong> leurs parents que tu sais être ferme,<br />
que le capitaine est revenu <strong>au</strong>x commandes. Si la presse les<br />
décrit comme des agitateurs, des enfants gâtés et que tu les<br />
remets <strong>au</strong> pas, tu vas regagner le respect de tes électeurs<br />
fidèles et plus personne ne parlera de ton plan Nord, de gaz,<br />
de corruption ou de tout ce qui accompagne ton nom en<br />
ce moment.<br />
— Et s’ils ne se révoltent pas ? Si personne ne descend dans<br />
la rue ?<br />
— Finance quelques groupuscules anarchistes, infiltre-les<br />
si besoin, un peu de casse ne tuera personne. C’est plus<br />
facile de provoquer soi-même le chaos, tu peux l’arrêter<br />
quand tu sentiras que c’est assez, que les gens ont peur. Tu<br />
sais, ça marche bien, ça, la peur. Regarde Sarkozy, en France,<br />
ça lui a plutôt bien réussi.<br />
— Et comment tout cela va-t-il finir ?<br />
— Fais traîner les choses <strong>au</strong> maximum, propose des<br />
négociations, reviens en arrière en pointant les étudiants,<br />
recommence encore, ça finira par énerver les jeunes et par<br />
persuader les <strong>au</strong>tres que les étudiants ne veulent pas sortir<br />
de la crise.<br />
— Et quand ta loi C38 sera passée ?<br />
— Accepte de repousser la h<strong>au</strong>sse, de remettre ça dans<br />
quelques années. Les gens ne sont pas solidaires, ils<br />
arrêteront de se battre si ça ne les concerne plus directement.<br />
Tu vas peut-être même passer pour un chic type, <strong>au</strong><br />
bout du compte, et peut-être même aller gagner quelques<br />
voix chez les jeunes. Tu <strong>au</strong>ras montré que tu sais être ferme<br />
mais <strong>au</strong>ssi ouvert.<br />
— Mais qu’est-ce qui les empêchera de descendre <strong>à</strong> nouve<strong>au</strong><br />
dans la rue, cette fois pour manifester contre ton projet de<br />
loi ? Ils vont y prendre goût, tu sais.<br />
— Non, non. Quand tu accepteras de repousser la h<strong>au</strong>sse,<br />
ça va interrompre net le mouvement et après ça ils n’<strong>au</strong>ront<br />
plus la volonté de réagir. Les jeunes iront tranquillement<br />
reprendre leur petite vie et sans eux personne ne bougera.<br />
Les moins impliqués en sortiront vaguement satisfaits,<br />
conscients qu’ils <strong>au</strong>ront attiré l’attention, les purs et durs<br />
<strong>au</strong> pire seront frustrés en sachant dans le fond qu’ils n’ont<br />
rien obtenu. Et quand des manifestations éclateront des années<br />
plus tard, ils seront les premiers <strong>à</strong> dire que si eux n’ont<br />
pas pu changer les choses, ce ne sont pas les jeunes qui y<br />
arriveront.<br />
238
239<br />
Je me souviendrai du spectre du printemps rouge<br />
Éric Pine<strong>au</strong>lt<br />
« Il y a des groupes radic<strong>au</strong>x qui systématiquement veulent<br />
déstabiliser l’économie de Montréal. Ce sont des groupes<br />
anticapitalistes, marxistes, ça n’a rien <strong>à</strong> voir avec les frais<br />
de scolarité. »<br />
Un spectre hante l'élite du pouvoir et<br />
de l'accumulation <strong>au</strong> Québec. Dans la<br />
foulée du plus important mouvement de<br />
masse que le Québec ait connu depuis la<br />
révolution tranquille, l'anticapitalisme<br />
et le radicalisme ont refait irruption<br />
dans l'espace public. <strong>La</strong> rumeur libérale<br />
veut que des « radic<strong>au</strong>x, marxistes, anti-<br />
capitalistes et communistes » soient apparus<br />
<strong>au</strong> sein d'une partie du mouvement<br />
étudiant de ce printemps <strong>2012</strong> et que,<br />
depuis, « la grève qui est étudiante » tend <strong>à</strong><br />
devenir « une lutte qui est populaire ».<br />
— Raymond Bachand, 15 mai, <strong>2012</strong><br />
« Il y a une lutte des classes,<br />
et c'est ma classe qui la gagne. »<br />
— Warren Buffet, 2006<br />
Ce qui devait se présenter comme une<br />
lutte entre un gouvernement lucide et<br />
responsable qui impose une réforme <strong>au</strong><br />
nom du progrès économique et un groupe<br />
de privilégiés égoïstes qui défendent bec<br />
et ongle un acquis dépassé de l'état providence,<br />
a complètement dérapé. Les uns,<br />
le gouvernement libéral, ont certes réussi <strong>à</strong><br />
polariser, comme voulu, la société québécoise,<br />
entre porteurs et sympathisants<br />
du carré rouge et les <strong>au</strong>tres, rapidement<br />
associés <strong>à</strong> une « majorité silencieuse » ;<br />
du « wedge politics 101 » typique des<br />
240
néoconservateurs nord-américains. Mais<br />
c'est l'<strong>au</strong>tre camp qui a refusé de jouer<br />
leur rôle attendu. Le mouvement étu-<br />
diant ne s'est pas replié sur la défense d'un<br />
privilège, ne s'est pas divisé <strong>au</strong>tour d'une<br />
h<strong>au</strong>sse négociée entre raisonnables et radic<strong>au</strong>x,<br />
mais a su <strong>au</strong> contraire canaliser un<br />
refus profond de la révolution culturelle de<br />
l'<strong>au</strong>stérité que souhaite imposer le gouvernement<br />
libéral. Une révolution culturelle<br />
concoctée comme réponse <strong>à</strong> la crise financière<br />
de 2008 et imposée un peu partout en<br />
occident, comme si des politiques <strong>social</strong>es<br />
insoutenables étaient <strong>à</strong> l'origine de cette<br />
crise. Le mouvement étudiant a réussi <strong>à</strong> se<br />
faire le porteur d'un ras-le-bol élargi envers<br />
les politiques économiques néolibérales<br />
imposées comme seule et unique solution<br />
<strong>au</strong>x problèmes d'orientation du développement<br />
économique et <strong>social</strong> du Québec,<br />
qu'il s'agisse du plan Nord, de la politique<br />
de tarification des services soci<strong>au</strong>x et de<br />
réingénierie de l'État ou de la politique énergétique<br />
centrée sur le gaz et l'exportation<br />
massive d’électricité. Il a su élargir le<br />
conflit et en faire une question de vision,<br />
de principe et d'orientation idéologique<br />
de l'avenir du Québec. Et c'est ainsi que<br />
la grève étudiante est devenue un conflit<br />
<strong>social</strong> où effectivement une certaine forme<br />
d'anticapitalisme et de radicalisme <strong>social</strong><br />
a pu sortir de la marge et s'y exprimer<br />
comme phénomène de masse.<br />
Quel est donc ce spectre qui hante notre<br />
élite et pousse le ministre des finances <strong>à</strong><br />
dire tout h<strong>au</strong>t ce que l'ensemble de sa classe<br />
pense tout bas ? Il ne s'agit pas d'un parti,<br />
ni d'un groupuscule ou d'une idéologie<br />
241<br />
<strong>au</strong> sens strict, il s'agit d'une praxis, d'une<br />
façon de concevoir l'action politique<br />
basée sur la rupture légitime avec l'ordre<br />
d'économie politique établi. Bref, c'est le<br />
spectre d'un mouvement <strong>social</strong> qui prend<br />
la rue pour sortir du néolibéralisme, qui<br />
refuse le jeu de l'alternance parlementaire<br />
et propose un changement radical, <strong>au</strong><br />
moment même où le paradigme néolibéral<br />
est usé et incapable de se renouveler.<br />
Les conflits soci<strong>au</strong>x <strong>au</strong> Québec sont depuis<br />
plusieurs décennies contenus <strong>à</strong> l'intérieur<br />
d'un modèle de la négociation concertée<br />
où les paramètres des possibles étaient<br />
strictement délimités par le cadre établi<br />
du néolibéralisme : déficit zéro, croissance<br />
économique d'abord, partage de la richesse<br />
ensuite et surtout un développement<br />
économique qui passe par une mondialisation<br />
qui garantit l'<strong>au</strong>tonomie <strong>au</strong>x grandes<br />
corporations multinationales, étrangères<br />
(Rio Tinto, feu Alcan) ou québécoises<br />
(Québécor, Bombardier) et soutient un<br />
espace de circulation et d'accumulation<br />
financière contrôlé par une poignée de<br />
grandes banques et de fonds. Et c'est<br />
précisément ce modèle qui est tombé en<br />
crise en 2008. Crise, il f<strong>au</strong>t le rappeler,<br />
qu'on entrevoyait dès son début comme un<br />
épisode be<strong>au</strong>coup plus long dans ses effets<br />
qu'une simple récession de deux ans.<br />
En effet, la crise de 2008, et la réponse<br />
<strong>à</strong> cette crise depuis par le biais d'une<br />
combinaison de s<strong>au</strong>vetage des banques,<br />
de refus de réglementer la finance et de<br />
poursuite des politiques fiscales régressives<br />
ne pouvaient que déboucher sur une<br />
période prolongée d'instabilité financière<br />
chronique et de stagnation économique<br />
durable. Et, en ce sens, dans l'ensemble des<br />
pays touchés par cette crise et assujettis <strong>à</strong><br />
l'<strong>au</strong>stérité, ce n'était qu'une question de<br />
temps avant que se manifeste un sentiment<br />
anticapitaliste et un désir de rompre<br />
avec l'économie politique néolibérale qui<br />
institutionnalisa le contexte, les structures<br />
et l'espace qui ont permis <strong>au</strong> capitalisme<br />
financiarisé de se développer. <strong>La</strong> politique<br />
de rupture manifeste donc un refus de<br />
cet encadrement néolibéral des conflits<br />
soci<strong>au</strong>x.<br />
Ici <strong>au</strong> Québec les sommets socioéconomiques<br />
organisés par le Parti<br />
Québécois de Lucien Bouchard pendant<br />
les années 90 avaient consacré cet encadrement<br />
néolibéral des conflits soci<strong>au</strong>x.<br />
Les libér<strong>au</strong>x de Jean Charest ont tout<br />
simplement radicalisé ces prémisses et,<br />
surtout, se sont débarrassés de la lourdeur<br />
qu'impliquait le modèle de concertation<br />
avec des partenaires soci<strong>au</strong>x cher <strong>au</strong><br />
Parti Québécois. L'élite que représente le<br />
Parti Libéral pense pouvoir gouverner le<br />
Québec seule, pense ne pas avoir besoin<br />
d'alliés organisés outre ceux provenant du<br />
milieu des affaires licites et illicites, se<br />
pense bien assis sur le dos d'une classe<br />
moyenne qui adhère passivement <strong>à</strong><br />
son programme de baisses d'impôt, de<br />
coupures de services <strong>au</strong>x particuliers et<br />
de construction d'<strong>au</strong>toroutes. Le spectre<br />
rouge du printemps érable, c'est de<br />
voir une partie, certes minoritaire mais<br />
significative et surtout déterminée de<br />
cette dite classe moyenne, sortir dans la<br />
rue avec les étudiants, casserole <strong>à</strong> la main,<br />
contester ses politiques les plus répressives<br />
plutôt que d'attendre des élections, et de le<br />
faire en mobilisant les mêmes valeurs et<br />
principes de justice <strong>social</strong>e, de démocratie,<br />
de souveraineté économique et de développement<br />
écologique que la frange dite<br />
radicale du mouvement étudiant.<br />
Le néolibéralisme :<br />
une lutte de classe unilatérale<br />
en trois temps<br />
On peut dire que toute crise <strong>social</strong>e ou<br />
économique, toute crise en générale, révèle<br />
<strong>à</strong> sa manière des structures ou rapports<br />
soci<strong>au</strong>x qui <strong>au</strong>trement demeurent invisibles.<br />
<strong>La</strong> crise de 2008 révéla l'ampleur<br />
de la financiarisation de nos économies<br />
capitalistes, la réponse politique <strong>à</strong> cette<br />
crise révéla l'emprise et l'hégémonie sur<br />
nos États de l'élite de l'accumulation qui<br />
contrôle les grandes corporations et institutions<br />
financières. Le Printemps érable a<br />
révélé l'existence d'une structure de domination<br />
de classe propre <strong>au</strong> Québec basée sur<br />
l'alliance étroite entre une élite du pouvoir<br />
concentrée essentiellement dans le Parti<br />
Libéral du Québec, mais présente dans les<br />
<strong>au</strong>tres partis, et une élite de l'accumulation<br />
capitaliste. Rappelons-nous des mille gens<br />
d'affaire ricaneux venus entendre Jean<br />
Charest <strong>au</strong> salon du plan Nord.<br />
<strong>La</strong> période néolibérale, marquée pour la<br />
majorité par la transformation régressive<br />
de notre fiscalité, par la réingénierie<br />
de l'état, par la politique des PPP, par la<br />
fragilisation des protections <strong>social</strong>es est<br />
242
<strong>au</strong>ssi et surtout une période où ces deux<br />
élites ont travaillé de concert dans une<br />
lutte de classe unilatérale afin d'asseoir leur<br />
hégémonie en transformant l'économie<br />
politique du Québec. Car derrière le discours<br />
qui s'adresse <strong>à</strong> la classe moyenne<br />
« la plus taxée en Amérique du Nord »,<br />
il y a les faits et gestes concrets qui sont<br />
venus consolider les assises du pouvoir<br />
d'une mince élite, largement en minant les<br />
conditions de vie de cette même classe<br />
moyenne.<br />
On peut classer les politiques qui découlent<br />
de cette lutte de classe de l'élite contre le<br />
reste de la société québécoise en trois catégories.<br />
<strong>La</strong> première renvoie <strong>au</strong>x politiques<br />
classiques qui articulent la régression dans<br />
le champ de la protection <strong>social</strong>e avec la<br />
répression du pouvoir des mouvements<br />
soci<strong>au</strong>x, en particulier le mouvement syndical<br />
mais <strong>au</strong>ssi le mouvement écologiste.<br />
Que ce soit <strong>au</strong> nom de l'efficience, de la<br />
mondialisation ou <strong>au</strong> nom de l'<strong>au</strong>stérité<br />
ce sont les mesures que nous associons<br />
naturellement avec le néolibéralisme. Elles<br />
ont affaibli les salariés, précarisé plusieurs<br />
couches <strong>social</strong>es, les jeunes, les femmes,<br />
les personnes racisées et contribué <strong>à</strong> individualiser<br />
notre rapport <strong>à</strong> l'avenir et <strong>à</strong> la<br />
richesse.<br />
Au Québec, bien que de tels politiques<br />
soient <strong>à</strong> l'œuvre depuis les années 1980,<br />
leur avancée est be<strong>au</strong>coup moins importante<br />
qu'ailleurs en Amérique du Nord.<br />
Nous demeurons largement une société<br />
solidaire possédant de fortes institutions<br />
<strong>social</strong>es permettant l'action collective,<br />
243<br />
comme en témoignent les structures<br />
instituées du mouvement étudiant. Mais<br />
ces institutions sont maintenant directement<br />
la cible des politiques répressives du<br />
gouvernement libéral, comme en témoigne<br />
la loi 12 (issu du projet de loi 78) qui<br />
porte atteinte <strong>au</strong> droit de manifestation et<br />
d'association ainsi que de représentation.<br />
Leur but manifeste étant de « normaliser »<br />
sur le plan <strong>social</strong> le Québec par rapport <strong>au</strong><br />
reste de l'Amérique du Nord.<br />
Et, étant déj<strong>à</strong> largement intégrés sur le plan<br />
économique avec le reste de l'Amérique du<br />
Nord, il y a un effet de ces politiques <strong>au</strong>quel<br />
nous n’échappons pas. Il s'exprime sous la<br />
forme d'une progression de l'écart entre les<br />
revenus des plus riches et la grande majorité<br />
des Québécois et Québécoises qui<br />
vivent de leur travail. Les revenus que<br />
la vaste majorité tire de l'économie sous<br />
la forme de salaire stagnent alors que<br />
l'économie croit et que leur travail devient<br />
plus productif. C'est-<strong>à</strong>-dire que leur droit <strong>à</strong><br />
une juste part d'une richesse <strong>social</strong>e qu'ils<br />
produisent diminue d'année en année alors<br />
que les revenus de l'élite économique, ou<br />
l'élite de l'accumulation, ceux que le mou-<br />
vement Occupy a baptisés les 1 %, <strong>au</strong>gmentent<br />
<strong>à</strong> une vitesse vertigineuse. Les politiques<br />
publiques sont certes un instrument de<br />
redistribution de cette richesse <strong>social</strong>e,<br />
mais dans le contexte néolibéral, les écarts<br />
et ponctions sont tels qu'elles peuvent <strong>au</strong><br />
plus atténuer les écarts entre salariés de la<br />
classe moyenne et les moins nantis, sans<br />
affecter la logique plus fondamentale de<br />
constitution d'une élite de l'accumulation.<br />
Et ce n'est pas tout. <strong>La</strong> part de richesse<br />
accaparée par les grandes corporations<br />
multinationales connait <strong>au</strong>ssi une forte<br />
expansion, les profits et rendements des<br />
institutions et acteurs financiers ont<br />
littéralement explosé. On peut définir<br />
l'élite de l'accumulation comme cette classe<br />
qui non seulement voit ses revenus exploser,<br />
mais qui domine ces grandes corporations<br />
et institutions financières, ce sont leurs<br />
PDG et <strong>au</strong>tres cadres supérieurs, membres<br />
du conseil, grands consultants, opérateurs<br />
financiers et gestionnaires de portefeuille,<br />
c'est-<strong>à</strong>-dire ceux qui ont le pouvoir de<br />
décider du nive<strong>au</strong> et de l'allocation de<br />
ses profits et rentes. Or ces revenus et<br />
profits, qu'ils soient de nature industriels<br />
ou financiers, ne tombent pas du ciel,<br />
ils sont générés par l'activité économique<br />
où se rencontrent capital et travail. Tout<br />
cela pour dire que les conditions du<br />
monde du travail sont telles, dans le néo-<br />
libéralisme, que le partage initial de la<br />
richesse produite défavorise systématiquement<br />
la grande majorité, les travailleurs<br />
et les salariés et favorise l'extraction<br />
de richesse sous la forme de profits et<br />
rentes financières et spéculatives. Ce cadre<br />
d'économie politique n’est ni naturel, ni un<br />
accident. Il est le fruit de 30 ans de néolibéralisme,<br />
il est un produit de cette lutte<br />
de classe unilatérale que l'élite mène contre<br />
la société.<br />
Et c'est d'ailleurs peut-être l'aspect le plus<br />
connu de cette lutte, passons <strong>au</strong>x politiques<br />
plus subtiles. Il y a un second ensemble de<br />
mesures qui, elles, visent expressément<br />
<strong>à</strong> « émanciper » l'élite ainsi constituée<br />
de ses liens économiques d'obligation<br />
et d'interdépendance avec le reste de la<br />
société. Alain Dene<strong>au</strong>lt dans « Offshore »<br />
et d'<strong>au</strong>tres ouvrages tels que Noir Canada,<br />
a exploré une partie de ces politiques,<br />
essentiellement celles qui permettent <strong>à</strong><br />
l'élite d'accumuler ou de transférer de<br />
la richesse <strong>à</strong> l'extérieur du Québec dans<br />
des juridictions de complaisance, juridictions<br />
qui agissent <strong>au</strong>ssi comme lieu<br />
d'action économique où on peut, par<br />
exemple, enregistrer une flotte de navires<br />
commerci<strong>au</strong>x ou établir une filiale où<br />
seront engrangés <strong>à</strong> l'abris de l'impôt des<br />
profits. Mais il y a <strong>au</strong>ssi derrière l'écran<br />
des « baisses d'impôts pour la classe<br />
moyenne » le menu détail des transformations<br />
du système fiscal de la dernière<br />
décennie. Elles ont libéré <strong>à</strong> toutes fins<br />
pratiques les grandes institutions financières<br />
ainsi que les grandes entreprises de<br />
l'impôt sur leurs bénéfices et revenus du<br />
capital, elles ont allégé la ponction fiscale<br />
sur les formes de revenus typiques <strong>au</strong>x plus<br />
riches et membres de l'élite, h<strong>au</strong>ts salaires,<br />
gains en capital et <strong>au</strong>tre revenus financiers.<br />
Un système fiscal progressiste, tout comme<br />
l'accès gratuit et universel <strong>à</strong> des services<br />
soci<strong>au</strong>x, ont pour objectif de forcer la<br />
solidarisation des plus nantis avec le reste<br />
de la société. C'est ce dont le Québec<br />
s'est doté dans le cadre de la révolution<br />
tranquille et de la constitution d'un état<br />
providence et c'est précisément ce que les<br />
politiques néolibérales tentent de démanteler.<br />
Résultat recherché, permettre <strong>au</strong>x<br />
élites qui exercent une hégémonie politique<br />
et économique d'échapper <strong>à</strong> leurs<br />
244
obligations envers la société par le biais<br />
de ces mécanismes d'<strong>au</strong>to exclusion, tout<br />
en maintenant le reste de la société dans<br />
un régime de solidarisation fiscale sousfinancé<br />
et dysfonctionnel.<br />
Troisième et dernière catégorie, les politiques<br />
d'appropriation privative du monde<br />
commun. Un aspect essentiel des politiques<br />
néolibérales est la privatisation et<br />
l'expansion du marché dans la société <strong>au</strong><br />
détriment de ce qui relève d'une logique<br />
publique. Quel est la logique de lutte de<br />
classe qui se tient derrière cette propension<br />
<strong>au</strong> « tout <strong>au</strong> marché ». Pensons <strong>au</strong><br />
fameux Partenariat-Public-Privé (PPP),<br />
<strong>au</strong>x ressources pétrolières et gazières de<br />
l'Île d'Anticosti, <strong>au</strong>x ressources minérales<br />
du grand nord, <strong>au</strong> savoir que génèrent<br />
nos universités, <strong>au</strong>x routes, <strong>au</strong>x ponts,<br />
<strong>au</strong>x services de santé, <strong>à</strong> l'e<strong>au</strong>, tout cela a<br />
longtemps été conçu comme un patrimoine<br />
commun <strong>au</strong>x québécois et <strong>au</strong>x com-<br />
mun<strong>au</strong>tés des premières nations. Une des<br />
modalités privilégiées de développement<br />
du capitalisme passe par la conversion de<br />
ce qui est commun en propriété privée,<br />
dans la mesure où cette conversion permet<br />
la valorisation de ce qui est converti<br />
en richesse, en base d'une future croissance,<br />
cela est présenté comme légitime.<br />
Ce qu'on oublie souvent c'est que ce transfert<br />
du public et du commun vers le privé,<br />
en vue d'une création de richesse, se fait<br />
en transférant ce patrimoine <strong>à</strong> un acteur<br />
privé, un appropriateur. Et donc derrière<br />
le discours sur l'importance du marché et<br />
de la concurrence, sur le dynamisme du<br />
secteur privé, il y a les faits et gestes par<br />
245<br />
lesquels l'élite du pouvoir transfère <strong>à</strong> l'élite<br />
de l'accumulation des pans entiers du<br />
patrimoine public <strong>au</strong> point où certaines<br />
grandes entreprises, firmes d'ingénieurs,<br />
consultants et investisseurs en font la<br />
base de leur stratégie de croissance et<br />
d'accumulation. Dans les médias on a<br />
appelé cela « collusion », « corruption ».<br />
Les mots sont trop faibles, il s'agit d'une<br />
stratégie délibérée d'accumulation par<br />
expropriation qui encore une fois concourt<br />
<strong>à</strong> la consolidation de la puissance<br />
économique de l'élite.<br />
Ce sont l<strong>à</strong> trois pans, trois dimensions de la<br />
lutte de classe que mènent nos élites dans<br />
le cadre du néolibéralisme. Cette lutte s'est<br />
radicalisée depuis la crise de 2008, mais est<br />
demeurée jusqu'<strong>à</strong> ce jour unilatérale. Les<br />
grands conflits soci<strong>au</strong>x étant circonscrits<br />
par le cadre d'économie politique néolibérale.<br />
C'est ce que le printemps de <strong>2012</strong><br />
vient de changer.<br />
<strong>La</strong> lutte c'est classe !<br />
Pendant les mois préparatoires du mouvement<br />
de grève en 2010 et 2011, de simples<br />
affiches arborant ce slogan énigmatique<br />
étaient omniprésentes dans les corridors<br />
de mon université. Dès la fin de l'<strong>au</strong>tomne<br />
2011 l'ASSÉ, considérée comme cette<br />
frange rouge du mouvement étudiant<br />
qui donna naissance <strong>à</strong> la CLASSE, avait<br />
développé un argumentaire qui fondait la<br />
lutte contre la h<strong>au</strong>sse sur une critique du<br />
régime d'économie politique néolibéral.<br />
Le mouvement ciblait précisément les<br />
politiques par lesquelles l'élite du pouvoir<br />
et de l'accumulation consolidait son<br />
emprise économique sur la société<br />
québécoise et nous sortait du modèle<br />
de solidarité <strong>social</strong>e hérité de la révolution<br />
tranquille. Elle invitait d'emblée les<br />
mouvements soci<strong>au</strong>x et plus largement<br />
la société civile <strong>à</strong> transformer la grève<br />
étudiante en soulèvement populaire contre<br />
l'<strong>au</strong>stérité et pour une rupture avec le<br />
modèle de développement économique<br />
néolibéral. Les liens entre l'<strong>au</strong>stérité, les<br />
politiques d'affaiblissement des syndicats,<br />
les PPP, le plan Nord, les gaz de schiste<br />
et la refonte du système fiscal avait tous<br />
largement été faits. <strong>La</strong> reconnaissance que<br />
le néolibéralisme était de fait une lutte de<br />
classe sans adversaire était largement comprise.<br />
Il s'agissait de transformer des constats<br />
théoriques en mouvement <strong>social</strong>, leur<br />
donner une voie, leur donner la rue....<br />
Bref, rallumer le flambe<strong>au</strong> du conflit <strong>social</strong><br />
progressiste, voil<strong>à</strong> ce que visait d'emblée<br />
le mouvement étudiant. Voil<strong>à</strong> le spectre<br />
rouge qui hante nos élites depuis ce<br />
printemps <strong>2012</strong>.<br />
Que dans ce contexte on se pose la<br />
question du dépassement du capitalisme<br />
me semble évident, qu'il y ait une certaine<br />
écoute pour les idéologies ou pensées<br />
qui se sont constituées dans ce but, com-<br />
munisme, anarchisme, marxisme, anticapitalisme<br />
me semble évident <strong>au</strong>ssi. Mais<br />
que le mouvement trouvera son propre<br />
chemin, bâtira ses propres idéologies, les<br />
unes plus ouvertes, les <strong>au</strong>tres plus fermées,<br />
me semble <strong>au</strong>ssi une évidence ... rassurante<br />
pour l'avenir du Québec.<br />
246
247<br />
248
Liste des Participants<br />
Adib Alkhalidey 217-219<br />
Auteur, humoriste et comédien<br />
(« nous avons les images », « Un gars le soir »)<br />
Bobby Aubé 25-31<br />
Étudiant et écrivain (Le cracheoir de Fl<strong>au</strong>bert)<br />
Tony Aubé 26-27<br />
Illustrateur et artiste digital<br />
Estelle Bachelard 39, 181<br />
Auteure BD et illustratrice (Bach illustrations)<br />
Normand Baillargeon 131-132<br />
Professeur <strong>à</strong> l'UQAM, essayiste, chroniqueur<br />
(« De la philo derrière les gros titres », Petit cours d'<strong>au</strong>todéfense intellectuelle, Le Devoir)<br />
Clément Baloup 124<br />
Auteur BD<br />
(Le club du suicide, <strong>La</strong> vie en rouge T1 et 2, Quitter Saïgon, Mong Khéo, Little Saïgon)<br />
Joseph Baril 33-37, 158-161<br />
Auteur BD (Cubesfactory)<br />
Jimmy Be<strong>au</strong>lieu 112-115<br />
Éditeur et <strong>au</strong>teur BD<br />
(Le temps des siestes, À la faveur de la nuit, Ma voisine en maillot,<br />
Côte Nord, Appalaches, etc.)
Philippe Boisvert Dufresne 178<br />
Auteur BD (Digestifs)<br />
P<strong>au</strong>l Bordele<strong>au</strong> 61<br />
Illustrateur et éditorialiste (Voir, <strong>La</strong> Presse), <strong>au</strong>teur BD (Faüne T1, 2 et 3)<br />
Miguel Bouchard 18-19<br />
Auteur BD (Front Froid)<br />
Chantale Boudre<strong>au</strong> 201<br />
Illustratrice<br />
Simon Brousse<strong>au</strong> 78-101<br />
Auteur (Les Soubres<strong>au</strong>ts), directeur adjoint de Salon double<br />
Léa Clermont-Dion 63-65, 121-122<br />
Étudiante en science politique, journaliste, photographe et réalisatrice (Sandra)<br />
Antoine Corrive<strong>au</strong> 139-149, 186-199<br />
Auteur-compositeur-interprète (St M<strong>au</strong>rice/Logan, Ni vu ni connu, Entre quatre murs) et<br />
<strong>au</strong>teur BD (MensuHell, Le Trait Noir)<br />
Philippe D’Amours 130, 200<br />
Illustrateur<br />
Jérôme D’Avi<strong>au</strong> 219<br />
Auteur BD<br />
(Ce qu'il en reste, Inès, Nous n'irons plus ensemble <strong>au</strong> canal Saint-Martin, Le trop grand<br />
vide d'Alphonse Tabouret, Premières fois, etc.)<br />
Julie Delporte 134-137, 169-172<br />
Illustratrice<br />
Francis Desharnais 48, 163-164<br />
Réalisateur et <strong>au</strong>teur BD (Burquette T1 et 2, Motel Galactic T1 et 2)<br />
Jeik Dion 216, 225<br />
Réalisateur (Froide), illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Caze, Loading, <strong>La</strong> Grande illusion)<br />
Frédéric Dubois 221-222<br />
Metteur en scène (Ha ha !, En pièces détachées, <strong>La</strong> cerisaie, Les Misérables, <strong>La</strong> librairie,<br />
etc.) et directeur artistique du Théâtre des Fonds de Tiroirs<br />
Michel Falarde<strong>au</strong> 53-55<br />
Auteur BD (Mertownville T1, 2 et 3, Luck, French Kiss 1986)<br />
Julie Fontaine Ferron 123<br />
Illustratrice<br />
Éric Fournier 165-166<br />
Auteur<br />
Sam Garne<strong>au</strong> 107<br />
Auteur<br />
Chloe Germain-Thérien 133, 229<br />
Cinéaste documentaire et d'animation, illustratrice<br />
Martin Giralde<strong>au</strong> 129<br />
Concepteur et comédien (Phylactère Cola) et illustrateur<br />
Philippe Girard alias Phlppgrrd 17, 210-213<br />
Auteur de nouvelles et <strong>au</strong>teur BD (Béatrice, Des crayons de douleur, Les Ravins,<br />
Tuer Velasquez, <strong>La</strong> visite des morts, Rewind, <strong>La</strong> m<strong>au</strong>vaise fille, etc.)<br />
Pierre Girard alias Pishier 247-248<br />
Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Le marcheur anonyme)<br />
André-Anne Guay alias Drea 20-21<br />
Illustratrice et graphiste<br />
Jacques Hébert 214<br />
Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD (Safarir)
Alexandre Isabelle 41-45<br />
Scénariste (Je marche <strong>à</strong> nous)<br />
Fred Jourdain 16, 78-101, 108, 116, 230-231<br />
Peintre, illustrateur (Dragon bleu, interprétations d'artistes), <strong>au</strong>teur BD<br />
(Round Midnight, Citations), réalisateur (Acupofty)<br />
Nicolas <strong>La</strong>chapelle 125-128<br />
Auteur BD (Cubesfactory)<br />
Geneviève <strong>La</strong>fleur-<strong>La</strong>plante 154<br />
Illustratrice<br />
G<strong>au</strong>tier <strong>La</strong>ngevin 117-118<br />
Auteur et scénariste (M.I.C.H.E.L. T.R.E.M.B.L.A.Y., Strictement Confidentiel, Ouvrir <strong>au</strong><br />
diable, Contes et légendes du Québec, etc.)<br />
Stéphane <strong>La</strong>porte 59-61, 155-157<br />
Scénariste, chroniqueur journalistique (Chroniques du dimanche T1, 2 et 3),<br />
réalisateur et directeur artistique<br />
Hugo <strong>La</strong>tulippe 13-15, 67-75<br />
Auteur (Mettre le feu, Le corps de la horde, Bacon – le livre, etc.) et cinéaste (Alphée des<br />
étoiles, République : un abécédaire populaire, <strong>La</strong> Part d’ombre, la reine malade, etc.)<br />
Maximilien LeRoy 12, 62, 138, 173, 224<br />
Auteur, scénariste et <strong>au</strong>teur BD (Dans la nuit, la liberté nous écoute, faire le mur,<br />
les Chemins de traverse, Nietzsche, Hosni, etc.)<br />
Frederik Levesque 120<br />
Auteur BD<br />
Vincent Longhi 40<br />
Illustrateur<br />
Gabriel Marcoux-Chabot alias Banane Rebelle 202-205<br />
Éditeur, sculpteur et écrivain (Le rire du fou, Thésée&cie, Le chien, etc.)<br />
Moïse Marcoux-Chabot 119, 168<br />
Anthropologue visuel et cinéaste documentaire (Plume blanche, <strong>La</strong> Trilogie du regard)<br />
Lysanne Martin 223<br />
Illustratrice<br />
Thomas B. Martin Couverture, 3, 38<br />
Illustrateur et designer graphique, scénariste (<strong>La</strong> Cité), DJ (Jewish Deli)<br />
Samuel Matte<strong>au</strong> 41-45, 106, 167, 174-177, 220<br />
Auteur, photographe et réalisateur (Je marche <strong>à</strong> nous, Le combat silencieux, Pranas, etc.)<br />
L<strong>au</strong>reline Mattiussi 215<br />
Auteure BD (<strong>La</strong> Lionne, L’île <strong>au</strong> poulailler T1 et 2, Petites hontes enfantines)<br />
Valérie Morency 226<br />
Illustratrice<br />
Marie-Hélène Morin Fafard 215<br />
Illustratrice<br />
Mikaël 111<br />
Auteur BD (Circus, <strong>La</strong> Neige, Les Nuages, etc.)<br />
Marie-Ève Muller 227<br />
Journaliste et poétesse<br />
Jean-Gabriel Nade<strong>au</strong> Fortin 118<br />
Illustrateur<br />
Oil 214<br />
Illustrateur<br />
Julien Paré-Sorel 38<br />
Auteur BD (<strong>La</strong> cité de Säng. Front Froid)
Éric Pine<strong>au</strong>lt 239-245<br />
Auteur, sociologue, professeur <strong>à</strong> l’UQAM, directeur de recherche<br />
Julie Rochele<strong>au</strong> 206, 209<br />
Illustratrice, bédéiste (<strong>La</strong> Fille Invisible, Charlie – <strong>La</strong> Baignoire, Le projectionniste<br />
ambulant – etc.), et cinéaste d’animation (Les saintes pelures, One,<br />
<strong>La</strong> ballade des enfarinés, etc.)<br />
Eva Rollin 152, 179, 180, 228<br />
Auteure BD (Mademoiselle, Les Citadines, Chloë arrive en ville, C’est mieux <strong>à</strong> deux)<br />
Jackie San 109-111<br />
<strong>au</strong>teure (L’axe du Mad)<br />
Djanice St-Hilaire 50-52<br />
Bédéiste (Placenta), illustratrice<br />
Soulman 7-9, 31, 64-65, 67, 70, 77, 131, 151, 233-237<br />
Auteur BD (Les Chemins de traverse, Comme un Papillon, Les Challengers de la Dernière<br />
Chance, Salade Verte, Scorpion, Vol <strong>au</strong> musée, Amour&Désir, Gaza, etc.)<br />
Johanna Schipper 153<br />
Auteure BD (Une par une, Le Printemps refleurira T1 et2, Nos âmes s<strong>au</strong>vages,<br />
Née quelque part, etc.)<br />
Mélissa Tremblay 46, 157<br />
Illustratrice et animatrice<br />
Richard Vallerand 49, 162<br />
Illustrateur et <strong>au</strong>teur BD<br />
Karine Vezina 66, 205<br />
Illustratrice et <strong>au</strong>teure (50 nuanciers tendance)<br />
L<strong>au</strong>re Waridel 207-209<br />
Sociologue, doctorante en anthropologie et sociologie du développement, <strong>au</strong>teure<br />
(Une c<strong>au</strong>se café, L’envers de l’assiette, Acheter, c’est voter)
• (A)MÈRE<br />
• 46XY<br />
de Raphaël Terrier<br />
• Passage afghan<br />
• <strong>La</strong> Route de la soie...<br />
en lambe<strong>au</strong>x<br />
de Ted Rall<br />
• Dans la secte<br />
de Pierre Henri et Louis Alloing<br />
• Kaboul Disco T.1<br />
Comment je ne me suis pas<br />
fait kidnapper en Afghanistan<br />
• Kaboul Disco T.2<br />
Comment je ne suis pas<br />
devenu opiomane en<br />
Aghanistan<br />
• Ainsi se tut Zaratoustra<br />
(<strong>à</strong> paraître 2013)<br />
de Nicolas Wild<br />
• Litost<br />
• 3 minutes<br />
• Souvenirs de moments<br />
uniques<br />
de Domas<br />
• Gaza<br />
décembre 2008 - janvier 2009<br />
• Je me souviendrai<br />
par collectif<br />
• Les belles années<br />
de Bernard Grandjean<br />
• Le Carnet de rêves<br />
de Théa Rojzman<br />
• Hosni<br />
de Maximilien Le Roy<br />
• Résurgences<br />
de Sandrine Revel<br />
• Les chemins de traverse<br />
de Soulman & MaximilienLe<br />
Roy<br />
• Mémoires de Viet kieu vol.1<br />
Quitter Saigon<br />
• Mémoires de Viet kieu vol.2<br />
Little Saigon<br />
de Clément Baloup<br />
• Le journal d’une bipolaire<br />
de Patrice et Émilie Guillon,<br />
Sébastien Samson<br />
• Corps de rêves<br />
de Capucine<br />
• AD,<br />
<strong>La</strong> Nouvelle-Orléans<br />
après le déluge<br />
de Josh Neufeld<br />
• Little Joséphine<br />
de Valérie Villieue t<br />
Raphaël Sarfati<br />
Achevé d’imprimer en août <strong>2012</strong> par les imprimeries Marquis (Canada)