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Venise et l'Orient - Institut du Monde Arabe

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livr<strong>et</strong> Jeunes<br />

exposition<br />

vENISE ET L’ORIENT


<strong>Venise</strong> est asiatique <strong>et</strong> arabe ; elle est aussi byzantine, gothique, lombarde ;<br />

mais c’est le caractère oriental qui domine, <strong>et</strong> celui sans lequel elle reste<br />

incompréhensible. Ses vaisseaux ont rapporté chez elle les styles <strong>et</strong> les formes<br />

de tous les climats : la coupole de Byzance, le minar<strong>et</strong> <strong>du</strong> Bosphore, l’ogive<br />

de Mahom<strong>et</strong>, la citerne <strong>du</strong> désert. Rien ne lui ressemble sur le continent ;…<br />

Le Jupiter <strong>du</strong> Péloponnèse, l’islamisme, le christianisme, se pressent à la fois<br />

en ce lieu de refuge.<br />

Edgar Quin<strong>et</strong><br />

Allemagne <strong>et</strong> Italie, 1839<br />

<strong>Venise</strong>, Palais des Doges XIXe siècle


2<br />

Statue <strong>du</strong> marchand Rioba<br />

XIIIe siècle <strong>Venise</strong><br />

© Véronique Blaye<br />

à


VENISE VILLE ORIENTALE<br />

Saint-Marc est devant vous avec ses cinq coupoles..., son aspect de temple, de<br />

basilique <strong>et</strong> de mosquée : édifice étrange <strong>et</strong> mystérieux, exquis <strong>et</strong> barbare,<br />

immense amoncellement de richesses, église de pirates, faite de morceaux volés<br />

ou conquis à toutes les civilisations... On eût dit un rêve oriental pétrifié... une<br />

église moresque ou une mosquée chrétienne élevée par un calife converti.<br />

Basilique Saint-Marc, <strong>Venise</strong><br />

Théophile Gautier, Voyage en Italie-Italia, 1852<br />

À la fin <strong>du</strong> Moyen Age, <strong>Venise</strong> ressemble beaucoup aux villes orientales.<br />

Ses étroites ruelles (calli) rappellent les medinas, le déballage des<br />

marchandises, le parfum entêtant des épices dont la ville regorge,<br />

les brocarts <strong>et</strong> les soieries exposés à la vue des clients, la foule font penser<br />

aux souks ou au Bazar. La langue vénitienne se charge de mots grecs<br />

<strong>et</strong> arabes. Les éléments orientaux sont également présents dans<br />

l'architecture aussi bien à Saint Marc que dans les palais privés : marbre,<br />

décors polychromes, arcades <strong>et</strong> portiques. La noblesse marchande bâtit<br />

« à l'orientale ». La ville cherche à imiter Alexandrie (patrie de saint<br />

Marc) : décoration « égyptienne » des églises, extrados à la «moresque».<br />

Elle réussit une synthèse originale entre les arts gothique <strong>et</strong> islamique qui<br />

s'apparentent par l'abondance de motifs végétaux, les arcs en ogive, les<br />

entrelacs <strong>et</strong> les bas-reliefs finement travaillés. L' élite sociale marchande<br />

(noblesse) montre un goût très prononcé pour les obj<strong>et</strong>s orientaux (tapis,<br />

brûle-parfums, soieries, habillement,) dont témoignent les inventaires<br />

après décès <strong>et</strong> les testaments. En ce sens on peut écrire que <strong>Venise</strong> réalise<br />

un véritable métissage culturel.<br />

Poignée de porte en bronze<br />

<strong>Venise</strong><br />

Statue Présumée <strong>du</strong><br />

marchand Rioba<br />

XIIIe siècle, <strong>Venise</strong><br />

3


4<br />

v


VENISE ET LE COMMERCE<br />

<strong>Venise</strong>, cité née dans l'eau <strong>et</strong> la boue, devient dès le IXe siècle un <strong>du</strong>ché<br />

indépendant dirigé par un doge qui gouverne assisté de six conseillers<br />

<strong>et</strong> de trois juges. Ces 10 hommes forment la Seigneurie appelée à partir<br />

<strong>du</strong> XVe siècle « La Sérénissime Seigneurie ». Avant le XIVe siècle elle<br />

n'a pas de terres agricoles, son ravitaillement dépend entièrement<br />

<strong>du</strong> commerce <strong>et</strong> des bateaux qui apportent le grain, le vin, l'huile,<br />

le bétail <strong>et</strong> le bois de chauffage. <strong>Venise</strong> conquiert la côte dalmate <strong>et</strong> ses<br />

marchands sillonnent les routes maritimes de la Méditerranée. Ils<br />

fréquentent surtout les ports <strong>du</strong> Levant : Constantinople puis Tana <strong>et</strong><br />

Trébizonde en mer Noire, Beyrouth <strong>et</strong> Alexandrie, terminaux des pistes<br />

caravanières qui ont traversé l'Asie <strong>et</strong> les déserts <strong>du</strong> Moyen Orient pour<br />

apporter les épices, le poivre, le gingembre, la cannelle <strong>et</strong> la soie.<br />

Les Vénitiens revendent ces denrées précieuses à toute l'Europe, aux<br />

marchands allemands descen<strong>du</strong>s par les Alpes, ou grâce à leurs navires<br />

qui vont à Londres <strong>et</strong> Bruges. Pour payer ses achats en Orient, <strong>Venise</strong>,<br />

qui s'est dotée d'une in<strong>du</strong>strie diversifiée, livre des pro<strong>du</strong>its recherchés,<br />

draps de laine, soieries, verrerie, livres, armes, pro<strong>du</strong>its métallurgiques.<br />

L'activité in<strong>du</strong>strielle la plus puissante de la ville est la construction<br />

navale qui livre les fameuses galères <strong>et</strong> de gros voiliers grâce auxquels<br />

<strong>Venise</strong> domine le commerce méditerranéen au XVe siècle.<br />

Carte JC.Hocqu<strong>et</strong><br />

Carenage d’une nef vénitienne<br />

Aquarelle de G. Grevembrock (1731-1807)<br />

5


6<br />

Anonyme - Audience d’une ambassade vénitienne dans une ville orientale<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1488-1496. Paris, musée <strong>du</strong> Louvre<br />

v


VENISE ET LA DIPLOMATIE<br />

<strong>Venise</strong> négocie de nombreux traités de commerce qui lui accordent la<br />

liberté des trafics <strong>et</strong> le droit de commercer dans les villes, d'y tenir des<br />

consuls, de payer des douanes à taux modéré, d'avoir accès à<br />

différentes livraisons (blé). Défaite par les armes, elle verse une<br />

indemnité de guerre pour obtenir ces mêmes droits. Elle dépense son or<br />

pour ach<strong>et</strong>er la fidélité d'États-clients, nouer des alliances, avec les<br />

Perses par exemple, pour obliger le sultan ottoman à maintenir des<br />

troupes sur sa frontière orientale quand il fait la guerre à l'ouest. Elle<br />

recherche l'amitié des souverains étrangers par de somptueux<br />

cadeaux. À l'égard <strong>du</strong> sultan <strong>et</strong> de la cour ottomane, <strong>Venise</strong> pratique<br />

une politique active de cadeaux : lampes de mosquées, soieries,<br />

coffres, bijoux, horloges <strong>et</strong> automates. Elle entr<strong>et</strong>ient des ambassadeurs<br />

dans les capitales d'Europe, <strong>et</strong> à Istanbul, auprès <strong>du</strong> sultan, un<br />

« baile » qui représente le doge <strong>et</strong> dirige les communautés vénitiennes<br />

établies dans l'Empire ottoman. Le baile envoie des dépêches lues<br />

devant le doge <strong>et</strong> au Sénat. Le pouvoir vénitien est le mieux informé<br />

d'Europe <strong>et</strong> les autres États demandent son arbitrage dans les conflits.<br />

Il a développé une véritable école de diplomates dont se sont inspirés<br />

de nombreux diplomates.<br />

Gobel<strong>et</strong><br />

<strong>Venise</strong>, fin <strong>du</strong> XVe siècle<br />

Verre émaillé <strong>et</strong> doré<br />

New York, The Corning<br />

Museum of Glass,<br />

Pich<strong>et</strong><br />

<strong>Venise</strong>, vers 1500-1510<br />

Verre émaillé <strong>et</strong> doré<br />

Paris, musée <strong>du</strong> Louvre,<br />

département des obj<strong>et</strong> d’art,<br />

7


8<br />

Vittore Carpaccio (1450-1525) <strong>et</strong> ateliers<br />

La prédication de saint Étienne<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1514<br />

Paris, musée <strong>du</strong> Louvre, département des peintures,<br />

v


VENISE ET LA CHRÉTIENTÉ<br />

<strong>Venise</strong> est une cité chrétienne qui n'a pas connu d'invasion étrangère,<br />

ni franque, ni byzantine, ni arabe, ni normande. Elle demeure<br />

indépendante <strong>et</strong> épargnée par l'invasion étrangère jusqu'en 1797, elle<br />

abrite les reliques de saint-Marc l'évangéliste <strong>et</strong> son archevêque porte le<br />

prestigieux titre de « patriarche », unique en Occident. Elle est l'alliée de<br />

l'empire byzantin, chrétien également, quand celui-ci est menacé par<br />

les armées musulmanes. Elle est le point de départ des pèlerins chrétiens<br />

pour Jérusalem. Au temps des croisades, elle fait <strong>du</strong> commerce aussi<br />

bien avec l'Égypte musulmane qu'avec les Etats latins de Terre sainte.<br />

Puissance chrétienne, elle n'hésite pas, lors de la quatrième croisade, en<br />

1204, à prendre <strong>et</strong> piller Constantinople (elle en rapporte les célèbres<br />

chevaux de bronze de Saint Marc). La puissance de ses convois navals la<br />

rend indispensable pour le transport des marchandises <strong>et</strong> des renforts<br />

aux croisés. Quand l'hégémonie dans le monde musulman passe aux<br />

Ottomans, <strong>Venise</strong>, qui a le sentiment de supporter seule le poids des<br />

guerres turques, se présente comme l'ultime rempart de la Chrétienté<br />

alors que son réalisme lui impose de conserver des relations<br />

commerciales avec les Turcs. Les Vénitiens disent d'eux-mêmes :<br />

« primo veneziani, dopo cristiani » (d'abord vénitiens, chrétiens<br />

ensuite). Ses ennemis chrétiens, l'Espagne <strong>et</strong> les Habsbourg de Vienne<br />

qui convoitent l'Italie, lui reprochent sa trahison.<br />

Giovanni Mansu<strong>et</strong>i<br />

L’Adoration des Mages<br />

<strong>Venise</strong>, début <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

Vérone, Museo di Castelvecchio<br />

9


Fragment de textile avec un blason composite<br />

Égypte, fin <strong>du</strong> XVe-début <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

New York, The M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art,<br />

Rogers Fund, 1918<br />

10<br />

Ludovico Dolce (1508-1568)<br />

Le Trasformazioni<br />

<strong>Venise</strong>, 1553<br />

Reliure de cuir repoussé<br />

<strong>Venise</strong>, Fondazione<br />

Giorgione Cini<br />

l


VENISE ET LES MAMELOUKS<br />

Le commerce vénitien dépend <strong>du</strong> maintien de bonnes relations avec<br />

les musulmans. En 1345, à la levée de l'embargo pontifical instauré au<br />

lendemain de la perte définitive de la Terre sainte par les chrétiens,<br />

<strong>Venise</strong> signe un traité de commerce avec le sultan mamelouk. Ses<br />

marchands reviennent à Alexandrie <strong>et</strong> à Beyrouth <strong>et</strong> elle organise<br />

plusieurs convois de galères marchandes chaque année à destination<br />

des ports <strong>du</strong> Levant. Elle entr<strong>et</strong>ient des consuls à Alexandrie <strong>et</strong> au Caire,<br />

à Damas, Beyrouth, Acre, Tripoli, les grandes villes de l'État mamelouk.<br />

En 1442, les Vénitiens sont autorisés à porter leurs vêtements<br />

occidentaux, à circuler à cheval, à vivre où bon leur semble dans les<br />

villes d'Amman <strong>et</strong> de Damas <strong>et</strong> non plus dans les fondaci, hôtels de<br />

commerce, édifiés sur le modèle des caravansérails de l'islam <strong>et</strong> où<br />

devait résider tout commerçant étranger en terre d'Islam, avec ses<br />

marchandises entreposées au rez-de-chaussée. Les Vénitiens vivent donc<br />

au contact de la population locale dans des maisons louées à des<br />

propriétaires locaux. Mamelouks <strong>et</strong> Vénitiens sont unis par un commun<br />

esprit de résistance à l'expansion ottomane qui menaçe leurs positions,<br />

mais ils ne font jamais la guerre ensemble à leur ennemi.<br />

Giovanni Mansu<strong>et</strong>ti (act. 1484-1525)<br />

Trois dignitaires mamelouks<br />

<strong>Venise</strong>, 1512<br />

Londres, Windsor Castle,<br />

The royal Collection


12<br />

Lampe de mosquée provenant de la mosquée<br />

ou de la madrasa de l’émir Qawsun<br />

Syrie, 1329-1335<br />

Verre émaillé<br />

New York, The m<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art,<br />

Gift of J; Pierpont Morgan 1917<br />

Lampe de mosquée<br />

<strong>Venise</strong> ou Barcelone, vers 1500<br />

Verre à décor émaillé <strong>et</strong> doré<br />

Düsseldorf, Museum kunst Palart,<br />

glasmueum Hentrich.<br />

d


VENISE ET LE SAVOIR-FAIRE<br />

ISLAMIQUE : LA VERRERIE<br />

Dès la fin <strong>du</strong> Moyen-Âge la civilisation arabo-musulmane est un<br />

exemple pour <strong>Venise</strong> notamment dans les domaines de la médecine, de<br />

l'astronomie, <strong>du</strong> calcul. Les Vénitiens présents dans le monde<br />

islamique sont avides d'acquérir de nouveaux savoirs aussi bien en<br />

comptabilité qu'en pharmacopée, alors que les artisans vénitiens<br />

imitent certaines techniques d'Orient, en particulier dans la<br />

manufacture des verres <strong>et</strong> des étoffes.<br />

C'est ainsi que dès le XIIe siècle, les Vénitiens fabriquent <strong>et</strong> exportent<br />

des obj<strong>et</strong>s de verre. Ils importent des cendres de Syrie <strong>et</strong> sont passés<br />

maîtres dans l'obtention d'un « cristal » de parfaite transparence.<br />

C<strong>et</strong>te maîtrise confère aux verreries de Murano, l'île des verriers, une<br />

véritable suprématie en Europe <strong>et</strong> en Orient aux XVe <strong>et</strong> XVIe siècles.<br />

Pour ré<strong>du</strong>ire les coûts de pro<strong>du</strong>ction, les Vénitiens achètent <strong>du</strong> verre<br />

brisé qu'ils refondent à <strong>Venise</strong> ; à la Syrie ils ont aussi emprunté<br />

certaines techniques, comme celle <strong>du</strong> verre « églomisé » qui consiste<br />

à décorer au moyen d'une dorure intérieure soudée au feu entre deux<br />

plaques de verre, <strong>et</strong> l'adoption de motifs géométriques d'inspiration<br />

orientale observés dans les décors à mosaïques. Les marchands<br />

vénitiens vendent en Orient des verres dorés, émaillés, quelquefois<br />

avec de minuscules émaux polychromes appelés « alla damaschina »<br />

(à la mode de Damas).<br />

Gobel<strong>et</strong><br />

<strong>Venise</strong>, Murano,<br />

fin <strong>du</strong> XIIIe-début <strong>du</strong> XIVe siècle<br />

Verre émaillé<br />

Krefeld Karl Amendt Collection,<br />

en dépôt au Düsseldorf,<br />

Museum kunst Palart,<br />

glasmueum Hentrich.<br />

Astrolabe<br />

musée de l’<strong>Institut</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>Monde</strong> <strong>Arabe</strong>.<br />

13


14<br />

Zayn ad-Dîn<br />

Boîte à couvercle<br />

Probablement nord-ouest de l’Iran ou sud-est<br />

de l’Anatolie, fin <strong>du</strong> XVe-début <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

Laiton gravé <strong>et</strong> incrusté d’argent<br />

Paris, musée <strong>du</strong> Louvre, département des arts<br />

de l’Islam<br />

légende<br />

l


INFLUENCE DE L’ART MAMELOUK,<br />

LES MÉTAUX INCRUSTÉS<br />

L'art d'incruster des métaux précieux, l'or <strong>et</strong> plus souvent l'argent, à<br />

la surface d'un obj<strong>et</strong> en alliage de cuivre, ou de graver des rinceaux <strong>et</strong><br />

des ciselures d'argent sur un poignard ou un coffr<strong>et</strong> émerveillait les<br />

voyageurs occidentaux en Orient. Marchands <strong>et</strong> pèlerins rapportent ces<br />

obj<strong>et</strong>s damasquinés : plats de cuivre ou de laiton, aiguières <strong>et</strong> gobel<strong>et</strong>s,<br />

brûle-parfums, chandeliers, aspersoirs d'eau de rose, simples boîtes.<br />

Les familles nobles y font graver leurs armoiries. L'un des plus célèbres<br />

graveurs fut Mahmud le Kurde dont l'atelier (deuxième moitié <strong>du</strong><br />

XVe siècle) était localisé au Kurdistan. Il réalisait des travaux d'une<br />

extrême finesse, ciselés au ciseau à graver, aux sillons emplis d'argent<br />

fon<strong>du</strong> (fil d'argent) <strong>et</strong> créait de larges tracés géométriques ornés de<br />

minuscules arabesques en creux émergeant d'une rosace ou d'un<br />

nœud central.<br />

Chandelier<br />

<strong>Venise</strong>, XVIe siècle<br />

Laiton incrusté d’argent<br />

New York, The M<strong>et</strong>ropolitan<br />

Museum of Art, Gift of J. Pierpont Morgan 1917<br />

Mahmûd al-Kurdî<br />

Plateau<br />

Probablement nord-ouest de l’Iran<br />

ou sud-est de l’Anatolie, fin <strong>du</strong> XVe<br />

Paris, musée <strong>du</strong> Louvre,<br />

département des arts de l’Islam<br />

15


VENISE<br />

IXe-X siècle<br />

• 828 : transfert des reliques<br />

présumées de saint Marc,<br />

d’Alexandrie à <strong>Venise</strong>. Construction<br />

de l’église Saint-Marc qui sera<br />

agrandie en 976 <strong>et</strong> reconstruite<br />

en 1063<br />

XIe siècle<br />

• 1082 : l’empereur byzantin<br />

Bazile II accorde des privilèges<br />

commerciaux à <strong>Venise</strong> qui lui<br />

ouvrent les portes de l’Orient.<br />

• 1096-1097 : première croisade :<br />

la flotte vénitienne transporte les<br />

croisés vers l’Orient.<br />

• 1099 : prise de Jérusalem par les<br />

Croisés. Perspectives commerciales<br />

pour <strong>Venise</strong> qui obtient des<br />

fondouks dans tout le royaume de<br />

Jérusalem.<br />

• Développement de l’activité des<br />

verriers à <strong>Venise</strong>.<br />

XIIe siècle<br />

• 1104 : fondation de l’Arsenal qui<br />

sera agrandi au XIVe siècle.<br />

• <strong>Venise</strong>, Pise <strong>et</strong> Gênes obtiennent<br />

des quartiers à Acre <strong>et</strong> dans les<br />

principales villes <strong>et</strong> ports de la<br />

Terre sainte.<br />

16<br />

<strong>Venise</strong> est présente dans les grands<br />

ports <strong>du</strong> Levant, Alexandrie <strong>et</strong><br />

Beyrouth.<br />

• Du XIIe au premier tiers <strong>du</strong> XIIIe<br />

siècle : présence vénitienne en<br />

Afrique <strong>du</strong> Nord.<br />

• Construction des entrepôts le long<br />

<strong>du</strong> Grand Canal.<br />

XIIIe siècle<br />

• 1202-1204 : Les Vénitiens<br />

construisent <strong>et</strong> équipent la flotte<br />

destinée à la quatrième croisade :<br />

sac de Constantinople, les quatre<br />

chevaux en bronze sont installés sur<br />

la façade de la basilique Saint-Marc.<br />

• 1207 : 1er traité de commerce<br />

avec le sultanat d’Alep.<br />

• 1215 : «colonie» des Vénitiens à<br />

Alexandrie; ils résident dans des<br />

fondouks.<br />

• 1231 : traité de commerce avec<br />

Abû Zakariyâ’ Yahyâ Ier, régnant sur<br />

la Tunisie, la Tripolitaine <strong>et</strong> la<br />

Kabylie.<br />

• 1258 : sac de Baghdad par les<br />

Mongols.<br />

• 1284 : <strong>Venise</strong> frappe sa monnaie,<br />

le <strong>du</strong>cat d’or.<br />

• 1291 : transfert des ateliers de<br />

verriers sur l’île de Murano.<br />

XIVe siècle<br />

• <strong>Venise</strong> installe des consuls à<br />

Alexandrie, au Caire, à Damas <strong>et</strong> à<br />

Beyrouth.<br />

• 1378-1400 : reconstruction <strong>du</strong><br />

palais des Doges.<br />

• 1388 : traité de commerce avec<br />

les Turcs.<br />

XVe siècle<br />

• 1404 : la Sérénissime règne sur la<br />

Terre Ferme.<br />

• 1406 : élection <strong>du</strong> premier pape<br />

vénitien, Grégoire XII.<br />

• 1415 : traité de commerce avec le<br />

sultan mamelouk, al-Mu’ayyad.<br />

• 1479-1481 : Gentile Bellini invité<br />

à Constantinople par le Sultan<br />

Mehm<strong>et</strong> II pour faire son portrait.<br />

XVIe siècle<br />

• 1503 : la République signe la paix<br />

avec l’Empire ottoman.<br />

• 1507 : traité de commerce avec le<br />

sultan d’Égypte.<br />

• 1508-1517 : développement de<br />

l’imprimerie.<br />

• 1511-1520 : Vittore Carpaccio<br />

peint La prédication de saint<br />

Étienne à Jérusalem <strong>et</strong> La Lapidation<br />

de saint Étienne pour décorer la<br />

salle de réunion de la Scuola di<br />

santo Stefano à <strong>Venise</strong>.<br />

• 1538 : défaite de la Sérénissime à<br />

Prevesa (Épire) face à la flotte<br />

turque de Khayr ad-Dîn Barberousse.<br />

• 1566 : mort de Soliman le<br />

magnifique, apogée de l’empire<br />

Ottoman qui s’étend de l’Autriche au<br />

Golfe arabo-persique.<br />

• 1571 : traité de la Sainte Ligue,<br />

défaite ottomane à la bataille<br />

navale de Lépante.<br />

• Fin XVe siècle : la République de<br />

Saint-Marc domine Chypre, la Crète,<br />

Corfou <strong>et</strong> une partie de la côte<br />

dalmate.<br />

XVIIe siècle<br />

• 1630 : grave épidémie de peste.<br />

Construction de l’église de la Salute.<br />

• 1646-1669 : Les Turcs assiègent<br />

Candie (Crète). Reddition des<br />

Vénitiens.<br />

• 1684-1716 : La guerre <strong>du</strong><br />

Péloponnèse (Morée) oppose<br />

Vénitiens <strong>et</strong> Ottomans.<br />

XVIIIe siècle<br />

• vers 1716 : fin de l’activité de<br />

l’Arsenal.<br />

• 1784-1792 : guerre contre les<br />

corsaires <strong>et</strong> le bey de Tunis. <strong>Venise</strong><br />

négocie la paix moyennant un lourd<br />

tribut.<br />

• 1797 : les troupes françaises de<br />

Bonaparte occupent la Terre Ferme.<br />

Chute de la République de <strong>Venise</strong>,<br />

rattachée au royaume d’Italie par le<br />

traité de Campo-Formio.


ORIENT<br />

IXe siècle<br />

• IX-Xe siècle : traités entre la<br />

Sérénissime <strong>et</strong> les souverains<br />

musulmans d’Afrique <strong>du</strong> Nord, de<br />

Syrie <strong>et</strong> d’Égypte.<br />

Xe siècle<br />

• 969-1171 : les Fatimides règnent<br />

sur l’Égypte <strong>et</strong> la Syrie.<br />

• 969 : Fondation <strong>du</strong> Caire.<br />

• 970-972 : construction de la<br />

mosquée Al-Azhar au Caire.<br />

XIe siècle<br />

• Fin <strong>du</strong> XIe siècle : une partie <strong>du</strong><br />

trésor fatimide <strong>du</strong> Caire est déposée<br />

dans la basilique Saint-Marc.<br />

XIIe siècle<br />

• 1123 : Le calife <strong>du</strong> Caire, al-Âmir,<br />

tente de reconquérir Jaffa alors aux<br />

mains des croisés.<br />

• 1171-1260 : Jérusalem sous<br />

l’autorité des Ayyûbides.<br />

• dès 1231 : la dynastie hafside<br />

gouverne l’Ifriqiya.<br />

XIIIe siècle<br />

• 1250-1517 : les Mamelouks<br />

partenaires commerciaux des<br />

Vénitiens règnent sur l’Égypte <strong>et</strong> la<br />

Syrie.<br />

• 1258 : Hûlegû, fils de Gengis<br />

Khan ravage Bagdad <strong>et</strong> m<strong>et</strong> fin à la<br />

dynastie abbasside.<br />

• 1270 : création d’une escale<br />

vénitienne à Ras El-Makhbaz<br />

(Tunisie) où aboutissent les pistes<br />

caravanières d’Afrique.<br />

• 1281 : début de l’Empire ottoman<br />

• 1291 : Acre est sous la<br />

domination mamelouke.<br />

XIVe siècle<br />

• 1326-1366 : Bursa, capitale de<br />

l’Empire ottoman.<br />

• 1366 : transfert de la capitale<br />

ottomane à Edirne.<br />

XVe siècle<br />

• 1426 : conquête de Chypre par<br />

les Mamelouks.<br />

• 1453 : prise de Constantinople<br />

qui devient la nouvelle capitale<br />

ottomane par Mehm<strong>et</strong> II le<br />

Conquérant; traités commerciaux<br />

entre <strong>Venise</strong> <strong>et</strong> le sultan.<br />

Conquête de Trébizonde <strong>et</strong> de la<br />

Morée par les Ottomans.<br />

• 1479-1481 : séjour de Gentile<br />

Bellini à la cour de Mehm<strong>et</strong> II.<br />

XVIe siècle<br />

• 1512-1520 : Selîm Ier s’empare<br />

de la Syrie, de l’Égypte, de l’Anatolie<br />

centrale <strong>et</strong> de l’Azerbaïdjan.<br />

• 1514 : victoire des Ottomans sur<br />

les Safavides (Iran).<br />

• 1516 : victoire des Ottomans sur<br />

les Mamelouks. Ils occupent Alep <strong>et</strong><br />

Damas.<br />

• 1517 : conquête ottomane <strong>du</strong><br />

Caire.<br />

• 1520-1566 : règne de Soliman le<br />

Magnifique qui s’empare de l’Irak, <strong>du</strong><br />

Yémen <strong>et</strong>, grâce à ses corsaires, de<br />

l’Afrique <strong>du</strong> Nord à l’exception <strong>du</strong><br />

Maroc.<br />

• 1535 : Alger est au pouvoir de<br />

Barberousse envoyé par Soliman le<br />

Magnifique.<br />

• 1550 : édification de la mosquée<br />

Sulaymâniye à Istanbul.<br />

• 1570 : Soliman fait saisir les<br />

navires vénitiens dans le Bosphore<br />

<strong>et</strong> les Dardanelles.<br />

• 1571 : défaite ottomane à<br />

Lépante. Les Turcs assiègent<br />

Famagouste (Chypre).<br />

• 1574 : prise de Tunis <strong>et</strong> de la<br />

Goul<strong>et</strong>te par les Ottomans.<br />

• L’Empire ottoman s’étend de<br />

Budapest à Bagdad, de Damas à<br />

Alger, aux Balkans, dans la plaine <strong>du</strong><br />

Danube, en Asie occidentale <strong>et</strong> au<br />

Proche-Orient.<br />

XVIIe siècle<br />

• 1603 : des ambassadeurs de Shâh<br />

`Abbâs Ier se rendent à <strong>Venise</strong> pour<br />

conclure un accord afin de lutter<br />

contre l’hégémonie ottomane.<br />

• 1609 : construction de la<br />

«mosquée bleue», à Istanbul.<br />

• 1646 : les Turcs parviennent en<br />

Crète, la dernière possession<br />

vénitienne en Grèce. Siège de<br />

Candie.<br />

XVIIIe siècle<br />

• 1714-1716 : les Turcs assiègent<br />

la Morée <strong>et</strong> les récentes conquêtes<br />

vénitiennes dans le Péloponnèse.<br />

• 1717-1729 : première imprimerie<br />

turque en caractères arabes.<br />

• 1784-1792 : guerre contre les<br />

corsaires <strong>et</strong> le bey de Tunis. <strong>Venise</strong><br />

négocie la paix moyennant un lourd<br />

tribut.<br />

17


18<br />

Orkhan II<br />

<strong>Venise</strong>, XVIe siècle<br />

Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen,<br />

Staats galerie in der Residenz Würzburg.<br />

l


L’ORIENT DANS LA PEINTURE<br />

VÉNITIENNE<br />

Les mosaïques des XIIe <strong>et</strong> XIIIe siècles dans la basilique de San Marco<br />

illustrent l'histoire biblique de l'Égypte antique. Fin XVe début XVIe les<br />

scuole (confréries religieuses) ornent leurs chapelles de vies de saints,<br />

lesquels ont vécu au Moyen-Orient ou en Afrique <strong>du</strong> Nord : cycle de<br />

saint Marc à la scuola di San Marco par Gentile Bellini ; celui-ci<br />

séjourne à Constantinople de 1479 à 1481 à l'invitation de Mehm<strong>et</strong> II<br />

qui lui commande son portrait. Bellini place volontiers dans ses<br />

tableaux des chameaux voyageant en caravane, des femmes voilées sur<br />

les terrasses de demeures orientales ou des obj<strong>et</strong>s islamiques, tapis<br />

soieries, vases...<br />

De même Carpaccio peint le cycle de saint Georges. En 1508-1509,<br />

Giorgione peint le tableau Les Trois Philosophes représentant Platon,<br />

Aristote <strong>et</strong> Averroès (identifiable à son turban), le médecin <strong>et</strong><br />

philosophe né en Andalousie (1126-1198). Tous ces peintres ont une<br />

attirance <strong>et</strong> une familiarité avec <strong>l'Orient</strong>, vu à travers un filtre vénitien.<br />

La toile anonyme (1511 ou 1513) intitulée La Réception des<br />

ambassadeurs vénitiens à Damas représente la ville avec exactitude<br />

(mosquée des Omeyyades, minar<strong>et</strong>s, maisons à terrasses, <strong>et</strong>c.).<br />

Seyyid Lokman<br />

Turquie,fin <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

Manuscrit, Londres, The Nasser D. Khalili,<br />

Collection of Islamic Art<br />

19


Médaille à l’effigie de Soliman le Magnifique<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1520<br />

New York, The M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art,<br />

Rogers Fund 1918<br />

20<br />

Haydar Reis Nigâri (vers 1492-1572)<br />

Portrait <strong>du</strong> sultan Selîm II<br />

Istanbul, vers 1570<br />

Genève, Aga Khan Trust for Culture,<br />

précédemment dans la collection<br />

<strong>du</strong> Prince <strong>et</strong> de la Princesse<br />

Sadruddin Aga Khan<br />

v


VENISE ET LES OTTOMANS<br />

<strong>Venise</strong> vit dans la crainte perpétuelle <strong>du</strong> péril ottoman. Au XVe siècle, le<br />

Turc est devenu l'ennemi dont il faut en permanence se garder. Les<br />

deux États ont une longue frontière commune : les possessions<br />

maritimes de la République de <strong>Venise</strong> bordent les territoires obéissant<br />

au sultan ottoman : toute la côte dalmate <strong>et</strong> grecque, Chypre, <strong>et</strong> la<br />

Crète. Les Turcs se sentent surveillés par les escadres de <strong>Venise</strong> <strong>et</strong><br />

cherchent à démanteler l'empire maritime vénitien, qui tremble pour<br />

ses lignes de navigation étirées dans le Levant. <strong>Venise</strong> a con<strong>du</strong>it six<br />

guerres navales <strong>et</strong> terrestres, qui se terminent le plus souvent, malgré<br />

l'équilibre des forces sur mer, par de nouvelles amputations de<br />

territoires. Par ailleurs, la « Sublime Porte », en conquérant la Grèce,<br />

la Bulgarie, la Roumanie <strong>et</strong> la Hongrie, <strong>et</strong> faisant le siège de Vienne,<br />

soulage <strong>Venise</strong> <strong>du</strong> danger permanent que fait peser sur elle l'Empire<br />

austro-hongrois des Habsbourg. Les deux États ont trop besoin l'un de<br />

l'autre, pour préserver leur commerce des concurrents <strong>et</strong> résister à des<br />

adversaires communs, pour ne pas chercher à établir des relations<br />

pacifiques <strong>du</strong>rables. Istanbul conserve pour les marchands vénitiens<br />

l'importance qu'avait toujours eue Constantinople pour leurs affaires.<br />

Firman contenant un accord entre Soliman le<br />

Magnifique <strong>et</strong> la République de <strong>Venise</strong><br />

Istanbul, 1540<br />

Paris, Bibliothèque nationale de France,<br />

département des manuscrits orientaux,<br />

21


22<br />

Tapis «Lotto»<br />

Turquie, Anatolie, XVIe siècle<br />

Saint Louis, The Saint Louis Art Museum,<br />

don de James F. Ballard<br />

c


VENISE ET LES PRODUITS DE LUXE<br />

C'est dans la diffusion des pro<strong>du</strong>its de luxe que <strong>Venise</strong> excelle,<br />

s'arrogeant un domaine qui était jusque-là la spécialité des artisans<br />

d'Orient : soieries fines, verrerie, cristal de roche.<br />

En eff<strong>et</strong>, la fascination exercée par <strong>l'Orient</strong> favorise la diffusion en<br />

Occident par les Vénitiens de techniques ou de coutumes observées<br />

dans le monde musulman. C'est ainsi que <strong>Venise</strong> a été un centre de<br />

redistribution des tapis orientaux vers l'Europe. Les peintres vénitiens<br />

<strong>du</strong> Quattrocento (XVe siècle) représentent des tapis venus d'Egypte,<br />

Syrie, Anatolie, au point que l'on désigne certains types de tapis par des<br />

noms de peintres ; Lotto ou Ghirlandaio, par exemple. Ce commerce<br />

fonctionne dans le sens est-ouest, celui des textiles - soies, velours - est<br />

à double sens.<br />

Le commerce des épices, qui englobe les pro<strong>du</strong>its tinctoriaux, <strong>et</strong> le<br />

travail des cuirs ont inspiré à Ros<strong>et</strong>ti deux traités : Le teinturier parfait<br />

ou l'art de teindre les laines, soies, fils paru à <strong>Venise</strong> en 1548, <strong>et</strong> en<br />

1555, Les secr<strong>et</strong>s qu'il faut connaître sur l'art de la parfumerie où il<br />

s'engage « à ne taire aucun des secr<strong>et</strong>s <strong>du</strong> Caire, de Syrie ni d'Égypte »<br />

dévoilés par le Traité des Parfums d'al-Kindi. Un autre secteur<br />

d'activité, l'habillement, qui emploie tailleurs, dentellières,<br />

perruquiers, bottiers <strong>et</strong> joailliers qui créent la mode de l'époque,<br />

amène Cesare Vecellio, fils <strong>du</strong> grand Titien, à écrire Des costumes<br />

anciens <strong>et</strong> modernes des diverses parties <strong>du</strong> monde (<strong>Venise</strong> 1590). Le<br />

carnaval de <strong>Venise</strong>, qui au XVIIIe siècle <strong>du</strong>re six mois, joue un rôle<br />

déterminant dans la demande commerciale de ce secteur d'activité.<br />

Velours<br />

Italie ou Turquie, 1ère moitié <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

New York, The m<strong>et</strong>ropolitan Museum of<br />

Art,Rogers Fund 1953<br />

23


24<br />

Plat<br />

Padoue, 1633<br />

Sèvres, Musée national de<br />

la Céramique<br />

Plat<br />

Turquie, Iznik, vers 1580<br />

Musée national de la Renaissance,<br />

château d’Écouen<br />

l


LA CÉRAMIQUE<br />

La connaissance des céramiques islamiques à <strong>Venise</strong> est liée à leur<br />

importation <strong>et</strong> aux échanges commerciaux intenses avec la<br />

Méditerranée orientale. On distingue plusieurs types de céramiques<br />

selon les régions d'origine : maghrébine, hispano-mauresque,<br />

syro-égyptienne, d'époque fatimide <strong>et</strong> d'époque mamelouke, persane<br />

d'époque ilkhanide. Techniques <strong>et</strong> décors attestent l'influence<br />

orientale, dont celui dit « a rabesche » (arabesque) qui mêle chiffres,<br />

entrelacs, noeuds <strong>et</strong> p<strong>et</strong>ites fleurs, adopté à <strong>Venise</strong> au XVIe siècle, dans<br />

les ateliers de Giacomo da Pesaro <strong>et</strong> de maître Lodovico qui trace aussi<br />

des décors « à la porcelaine », minuscule décor floral bleu peint sur<br />

fond blanc ou azur, imité des porcelaines chinoises d'époque Ming ou<br />

de leurs imitations ottomanes. Ils adoptent la technique de l'engobe,<br />

d'origine orientale, qui consiste à recouvrir la poterie d'une fine<br />

couche de terre dans laquelle on incise le décor choisi, géométrique ou<br />

végétal, qui fait ressortir la couleur initiale.<br />

Aux XVIIe <strong>et</strong> XVIIIe siècles, en Vénétie les céramiques majoliques<br />

imitent les céramiques ottomanes au décor floral polychrome dont<br />

elles reprennent les œill<strong>et</strong>s, les tulipes roses, les jacinthes en bleu, vert,<br />

jaune <strong>et</strong> brun.<br />

Plat à décor de rinceaux «alla porcellana»<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1540-1550<br />

Fioritura Collection, Heinz & Jertha Kuckei<br />

25


Bened<strong>et</strong>to Floriani<br />

Épin<strong>et</strong>te<br />

<strong>Venise</strong>, 1572<br />

Paris, dépôt <strong>du</strong> Musée des Arts décoratifs<br />

au Musée de la musique,<br />

Cité de la Musique.<br />

26<br />

Bouclier d'apparât,<br />

<strong>Venise</strong> fin XVIe siècle<br />

bois, cuir, argent,<br />

vernis <strong>et</strong> peinture.<br />

The Métropolitan museum of art<br />

(NY).<br />

à


BOIS LAQUÉ ET CUIR DORÉ<br />

À mesure que se développent les échanges avec les mondes orientaux<br />

lointains, <strong>Venise</strong> importe de coûteux pro<strong>du</strong>its laqués qu'elle revend en<br />

Europe. Dès la fin <strong>du</strong> XVe siècle, les Vénitiens pro<strong>du</strong>isent leurs propres<br />

laques <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tent au point des compositions originales de vernis<br />

(laques) car ils n'ont pas accès à l'arbre à laque qui pousse en Asie <strong>du</strong><br />

sud-est. Le décor de ces pièces vénitiennes s'inspire clairement des<br />

motifs ottomans repris sur des obj<strong>et</strong>s parvenus à <strong>Venise</strong> par voie<br />

commerciale ou butins de guerre. Les peintres peignent des obj<strong>et</strong>s de<br />

bois à motifs dorés sur fond sombre pour créer des surfaces lustrées ou<br />

de cuir argenté auxquels ils donnent un eff<strong>et</strong> doré (cuoridoro, cuir<br />

doré) pour concurrencer les pro<strong>du</strong>ctions persanes <strong>et</strong> ottomanes.<br />

Le cuir était gaufré à froid, doré, estampé de figures, d'arabesques, de<br />

fleurs <strong>et</strong> de feuilles. Le cuir doré était utilisé surtout pour la reliure<br />

des livres, mais aussi pour recouvrir des coffres, des boucliers, des étuis,<br />

des cadres, des instruments de musique, <strong>et</strong>c. La pro<strong>du</strong>ction de laque<br />

vénitien de style ottoman est probablement l'un des phénomènes les<br />

plus intéressants de l'histoire des échanges culturels entre <strong>Venise</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>l'Orient</strong>.<br />

Portes<br />

<strong>Venise</strong>, fin <strong>du</strong> XVIe siècle<br />

Bois pierres semi précieuses<br />

Londres, Rainer Zi<strong>et</strong>z Ltd<br />

27


Vittore Carpaccio<br />

(1450-1525)<br />

Deux femmes musulmanes<br />

debout<br />

Princ<strong>et</strong>on university Art<br />

Museum of Arts,<br />

Don de Franck Jew<strong>et</strong>t<br />

Mather Jr.<br />

Giovanni Domenico Tiepolo<br />

Deux Orientaux assis<br />

sous un arbre<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1757<br />

Londres,<br />

The National Gallery<br />

l


Figure de proue représentant un Turc<br />

<strong>Venise</strong>, milieu <strong>du</strong> XVIIIe siècle<br />

<strong>Venise</strong>, Museo Storico Navale<br />

CHANGEMENTS DE REGARDS<br />

ET TURQUERIES<br />

Les relations entre la Sérénissime <strong>et</strong> le Grand Turc sont souvent<br />

présentées comme un conflit permanent, or on assiste également à de<br />

longues périodes d'échanges pacifiques. Les Vénitiens ont une image<br />

ambivalente des Turcs ; ils sont en même temps un danger <strong>et</strong> une<br />

source de profit, menaçants <strong>et</strong> fascinants. La victoire de la coalition<br />

chrétienne de Lépante (1571), qui en réalité ne change rien à l'équilibre<br />

des forces en Méditerranée, commence à modifier l'image <strong>du</strong> Turc qui<br />

apparaît pour la première fois sous un autre angle : il n'est plus<br />

invincible. Mais, conséquence des nombreux conflits qui continuent, les<br />

écrivains expriment dans leur théâtre la haine <strong>et</strong> la rancoeur politique <strong>et</strong><br />

religieuse contre le Turc décrit comme un barbare cruel <strong>et</strong> avide.<br />

Ces défauts m<strong>et</strong>tent en valeur par contraste les incomparables qualités<br />

de la culture vénitienne, héritière de l'humanisme grec, <strong>et</strong> la beauté de<br />

la ville, patrie des plus grands artistes. Un regard nouveau apparaît<br />

pourtant à la fin <strong>du</strong> XVIIe siècle quand le baile d' Istanbul, Giambattista<br />

Donà, apprend la langue turque pour écrire une Histoire de la<br />

littérature turque <strong>et</strong> révèle à ses lecteurs que ce peuple tenu pour<br />

barbare dispose d'un patrimoine littéraire <strong>et</strong> d'une culture autonome.<br />

Commencent alors les tra<strong>du</strong>ctions d'oeuvres turques. Ce nouveau<br />

regard con<strong>du</strong>it à la fois à des recherches réelles sur la culture ottomane,<br />

<strong>et</strong> à des caricatures <strong>et</strong> dérisions : les « turqueries », qui marquent le<br />

"défoulement" de <strong>Venise</strong> par rapport à la peur vécue depuis trois siècles.<br />

29


MOTS VÉNITIENS OU ITALIENS D'ORIGINE ARABE, PERSANE OU TURQUE<br />

COULEURS<br />

Azzuro : lazaward : ar. = bleu<br />

Cremisi ou carminio : qirmiz : ar. = carmin<br />

Gelsomino : yasmin : ar. = jasmin<br />

Lilac ou lilà : lilàk : ar. = lilas<br />

NOURRITURE<br />

Zucchero : sukkr : ar. = sucre<br />

Spinacce ou espinaca : aspanàh :<br />

ar-pers. = épinard<br />

Arancio : naranjà : ar.-pers. = orange<br />

Limone : laïmùn : pers. : citron<br />

Marzapana ou martabana : vénitien : de<br />

Martabàn : côte birmane : coffr<strong>et</strong> où on<br />

m<strong>et</strong>tait des gâteaux > sorte de gâteaux<br />

ETOFFES, HABITS, USTENSILES<br />

Gabbano : qabà : ar.-pers. = manteau contre la<br />

pluie = (caban en français)<br />

Turbante : tùlbad : turc = turban<br />

Babuccia ou papuzza (vénitien) :<br />

ar-pers. bàbûsh = pantoufle de cuir<br />

Camocato : kamha : ar. = étoffe de soie de<br />

brocart d'or de Damas<br />

Scarlatto : siqirlàt ou siqillàt = étoffe<br />

précieuse dont la couleur varie (écarlate en fr.)<br />

Taftà : taftah : ar. = étoffe de soie unie,<br />

brillante <strong>et</strong> souple<br />

Musco : mushk : pers. = parfum<br />

Garza : qazz : étoffe légère de soie (gaze en<br />

français)<br />

Mussolina : maousili : ar. = de Mossoul =<br />

mousseline<br />

Satino : zaïtûn : ar. de Tseuthung en Chine =<br />

tissus de satin<br />

Zubba : jubba : ar. = surveste de coton<br />

Caraffa : qaràba : ar.-pers. : ustensile pour<br />

transporter l'eau<br />

Lacca : lakk ou làkh : ar-ind. = laque<br />

Marcassita : marqasita : ar = pierre blanche<br />

TERMES DE COMMERCE, NAVALS OU DE<br />

GUERRE<br />

Bazarro : bazàr : pers. = boutique de<br />

vêtements<br />

Dogana, <strong>du</strong>ana : diwàn : ar.-pers. : bureau de<br />

douane<br />

Gabban ou capanno : qabbàn : ar.-pers. :<br />

balance à épices<br />

Carovane ou caravana : karawàn : pers. :<br />

compagnie de voyageurs<br />

Sensale : säpsar : pers., simsar : ar. : agent de<br />

change<br />

Fundacco : fun<strong>du</strong>q : ar. = hôtel pour<br />

voyageurs (ou pour Italiens en Orient)<br />

Ammiraglio : amir-al-bahar : ar. = amiral<br />

Darsena (vénitien) ou arsenale (it) : dar-assina'<br />

: manufacture, fabrique<br />

Characchia : harràqah : ar. = navire de guerre<br />

Carraca : qaraqir : ar. : grand vaisseau de<br />

guerre<br />

Garabi : qarib : ar. = galère<br />

plus tard : caravela (esp.) = caravelle<br />

Sambeco : shabbàk : ar. = p<strong>et</strong>it bateau à trois<br />

voiles<br />

Zerma ou giarma : jàrm - tajrîm = grosse<br />

barge de transport sur le Nil<br />

Saica : sa'iqa : barque à voile<br />

Felucca : falûwa : ar. : p<strong>et</strong>ite embarcation à<br />

deux mâts avec voiles latines puis bateau sur<br />

la mer Rouge<br />

Capo rais : ra'is : ar. : capitaine<br />

AUTRES TERMES<br />

Sarquino : sharqi : ar. = qui vient de l’Est<br />

Ragazzo : raqqàs = jeune homme courrier<br />

entre la douane, les marchands vénitiens <strong>et</strong> les<br />

bateaux arabes sur le Grand canal<br />

Talismano : danishmand : ar-pers. : docteur de<br />

loi musulmane<br />

Targima : tarjima : ar. = préposé aux bureaux<br />

turcomans = interprète<br />

Meschino : miskin : ar. = pauvre<br />

Sarabanda : särbänd : ar.-pers. = danse<br />

Admirabilis - admirag<strong>du</strong>s : amir-al... : ar. :<br />

superlatif<br />

Sciacallo : shagal : turc -pers. = chacal<br />

Tirés de : Ricerche sugli arabismi italiani de Giovan Battista<br />

Pellegrini.<br />

31


Crédits photographiques<br />

Couvertures I <strong>et</strong> IV : The National Gallery Londres.<br />

p. 1 : Hulton-Deutsch Collection/Corbis ; p. 2 : Stéphanie Mouss<strong>et</strong>, www.photosvoyages.com;<br />

p. 3 : G. Bech; p. 5 : The Art Archive, Bibliothèque <strong>du</strong> Musée Correr,<br />

Dagli Orti; p. 6 : RMN : Gérard Blot/Jean Shormans; p. 7 : New York, The Corning<br />

Museum of Glass, RMN; p. 8 : RMN; p. 9 : Vérone, Museo di Castelvecchio; p. 10 :<br />

2006, The M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art, <strong>Venise</strong>, Fondazione Giorgione Cini; p. 11 :<br />

Royal Collection 2006, her Majesty Queen Elisab<strong>et</strong>h II; p. 12 : 2006, The<br />

m<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art; Düsseldorf, Kunstmuseum; p. 13 : musée IMA,<br />

Düsseldorf, glasmuseum Hentrich; p. 14 : RMN/Jean Gilles Benizzi, 2006, The<br />

M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art; p. 15 : RMN; p. 18 : Munich, Bayerische<br />

Staatsgemäldesammlungen; p. 19 : Nour foundation; p. 20 : 2006, The<br />

M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art, Aga Khan Trust for culture; p. 21 : BNF;<br />

p. 22 : Saint-Louis Art museum, Gift of James F. Ballard; p. 23 : 2006, The<br />

m<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art ; p. 24 : RMN/Martine Beck-Coppola, RMN/René-<br />

Gabriel Ojeda; p. 25 : Fioritura Collection, Heinz & Jertha Kuckei; p. 26 : J-M<br />

Angles, 2006. Métropolitan Museum of Art ; p. 27 : Londres, Rainer Zi<strong>et</strong>z Ltd;<br />

p. 28 : Princ<strong>et</strong>on university Art Museum of Arts, Londres, The National Gallery ;<br />

p. 29 : <strong>Venise</strong>, Museo Storico Navale; p. 32 : Francfort, Museum für Angewandte<br />

Kunst ; p. 33 : Chatsworth, trustees of the Chatsworth s<strong>et</strong>tlement<br />

Couvertures I <strong>et</strong> IV : Gentile Bellini (1429-1507), Portrait <strong>du</strong> Sultan Mehm<strong>et</strong> II,<br />

<strong>Venise</strong> fin <strong>du</strong> XVe siècle, Huile sur toile, (69,9 x 52,1 cm), The National Gallery<br />

Londres.<br />

32<br />

Gobel<strong>et</strong>, verre émaillé<br />

<strong>Venise</strong>, Murano,<br />

fin <strong>du</strong> XIIIe - début <strong>du</strong> XIVe siècle<br />

Francfort, Museum für<br />

Angewandte Kunst


Conception : O. Oussedik<br />

Textes : Jean-Claude Hocqu<strong>et</strong><br />

(sauf pages : 16,17,31)<br />

Recherche documentaire : F. Langevin<br />

Chronologie : Dj. Chakour<br />

Conception graphique : F. André <strong>et</strong> P. Feix<br />

Impression, IRO - La Rochelle<br />

Remerciements : Musée de l’IMA, C. Brahimi<br />

Fra’ Giocondo<br />

<strong>Venise</strong>, vers 1520-1530<br />

Reliure de cuir repoussé <strong>et</strong> peint<br />

Chatsworth, trustees of the<br />

Chatsworth s<strong>et</strong>tlement<br />

33


Prix : 6 €<br />

ISBN 2-84306-142-3<br />

9782843061424<br />

Ce livr<strong>et</strong> est publié en liaison avec l’exposition <strong>Venise</strong> <strong>et</strong> l’Orient<br />

organisée par l’<strong>Institut</strong> <strong>du</strong> monde arabe <strong>et</strong> le M<strong>et</strong>ropolitan Museum of Art (New York)<br />

présentée à l’IMA <strong>du</strong> 3 octobre 2006 au 18 février 2007.<br />

IMA 1, rue des fossés St-Bernard - 75236 paris cedex 05 -<br />

www.imarabe.org

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