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Spennasumeri ! È quessu u puntu induve a strada naziunale

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Jeu-Concours<br />

tiré de l’Annu Corsu, 1926<br />

Una donna andendu à u marcatu à vende l’ove incontra<br />

<strong>strada</strong> facendu tre altre donne chi è li dumandonu :<br />

Ella dà à la prima donna a metà di l’ove, più un<br />

mezz’ovu.<br />

A la siconda donna li dà a metà di l’ove chi li restanu,<br />

più un mezz’ovu.<br />

A la terza donna li dà a metà di l’ove chi li restanu,<br />

più un mezz’ovu.<br />

E cusì si sbarazza di tutte e so’ove e ciò chi c’è di bellu<br />

è ch’ ella un n’ha avutu bisognu di rompe mancu un ovu.<br />

Quantu n’avia ?<br />

Les trois premières bonnes réponses à parvenir à<br />

l’Association gagneront “Toussaint et les animaux<br />

de Corse” de Juliette Nicoli et Jean Chevallier,<br />

publié aux Editions du Maquis.<br />

Envoyez une carte postale avec vos nom et adresses à :<br />

“Association Finocchiarola - Pointe du Cap Corse<br />

Mairie, 20247 Rogliano”.<br />

Publié par<br />

Association Finocchiarola<br />

pour la gestion des espaces naturels<br />

de la Pointe du Cap Corse<br />

Edition spéciale<br />

Granaghjolu d’Ersa<br />

Numéro 7 • Été 2005 • Gratuit<br />

raconté par<br />

Antone Bonifacio, en 1926


ef<br />

en<br />

à la pointe<br />

de l’actualité<br />

Plage du Grand Macabou,<br />

Martinique. Le Conservatoire<br />

intervient également aux Antilles,<br />

en Guyane et dans l’Océan indien.<br />

Été 2005<br />

2<br />

Protéger ensemble pour tous et pour toujours<br />

Trente ans déjà !<br />

Pas tout à fait vieux, ni complétement jeune, le<br />

Conservatoire du littoral fête ses trente ans. Sa mission<br />

: acquérir des rivages pour qu'ils conservent leur caractère<br />

naturel. Depuis 1975, c'est une course contre la montre<br />

qui a été engagée face à une pression galopante : la population<br />

augmente et le littoral – fragile liseré – est toujours plus<br />

recherché. 72 000 hectares et 300 ensembles naturels, soit<br />

800 km de rivages sont désormais préservés en métropole.<br />

En Corse, avec le soutien de la société civile et des collectivités,<br />

l'intervention du Conservatoire est particulièrement<br />

forte : 15 000 ha, 60 sites, 190 km de côtes, soit près de 20 %<br />

des rivages de l'île. Des sites très vastes, de plusieurs milliers<br />

d'hectares s'étendant loin vers l'intérieur (Agriate, Bonifacio,<br />

Sartenais). Une grande variété de paysages, d'habitats naturels,<br />

d'espèces rares ou banales, d'éléments de notre patrimoine,sont<br />

ainsi protégés et,s'il y a lieu,restaurés,réhabilités<br />

et aménagés.<br />

Pourtant la protection ne s'arrête pas là. Elle ne fait même<br />

que commencer. De tels espaces vivants, fragiles doivent<br />

être entretenus, surveillés, animés, gérés. Cette gestion est<br />

confiée aux collectivités territoriales et locales, aux départements,à<br />

l’Office de l'Environnement,aux communes et groupements<br />

de communes et – à la Pointe du Cap – à notre<br />

association.<br />

Rivage du Sartenais, Corse-du-Sud<br />

L'Europe finance,<br />

l'Europe contrôle…<br />

L'an dernier, l'association Finocchiarola - Pointe<br />

du Cap Corse a acquis un nouveau bateau en<br />

remplacement du précédent. L'objectif : être présent<br />

sur mer comme sur terre et assurer les suivis naturalistes<br />

sur les îles.<br />

L'acquisition a bénéficié d’un financement européen (Feder)<br />

à hauteur de 75 % et de 25 % de fonds régionaux (Office de<br />

l'Environnement) dans le cadre du Document unique de<br />

programmation (Docup).<br />

A la fin de l'été, une mission de contrôle approfondie a été<br />

accueillie en mairie.Après avoir entendu les responsables de<br />

l'association expliquer les missions sur les sites, les quatre<br />

fonctionnaires ont minutieusement vérifié documents et<br />

comptes ; ils ont ensuite examiné le bateau.<br />

Le rapport reconnaît la transparence comptable de l'opération<br />

et “souligne les efforts constants des acteurs locaux<br />

pour préserver l'aspect sauvage du site,tout en cherchant sa<br />

mise en valeur : ouverture du sentier des douaniers, développement<br />

d'un tourisme respectueux de l'environnement,<br />

sauvegarde de la faune et de la flore…”<br />

www.pointeducapcorse.org<br />

Téléchargez le magazine<br />

L'association Finocchiarola pour la gestion des espaces naturels de la<br />

Pointe du Cap Corse gère les espaces naturels (terrains du Conservatoire<br />

du littoral, Réserve naturelle des Iles Finocchiarola, zone Natura 2000),<br />

assure le suivi naturaliste d'éléments remarquables de la flore et de la<br />

faune. Elle a contribué à la création du sentier des douaniers et assure<br />

son entretien. L'association agit en partenariat avec le Conseil général de<br />

la Haute-Corse, l'Office de l'Environnement, la Diren et le Conservatoire<br />

du litttoral ; elle collabore régulièrement avec des associations, écoles,<br />

Universités, Muséums, DDE et la Communauté de Commune du Cap<br />

Corse.<br />

Le Journal “Pointe du Cap Corse” est publié par l’association<br />

Finocchiarola - Pointe du Cap Corse. Mairie, 20247 Rogliano.<br />

Direction de la publication : Michel Delaugerre (Conservatoire du littoral).<br />

Edition et mise en page : Karibu Editions - www.karibu.fr.<br />

Impression : Imprimerie Bastiaise sur papier recyclé Cyclus.<br />

ISSN : 1769-7328. Périodicité : Semestriel.<br />

Crédit photo : Couverture : illustration tirée de l’Annu Corsu 1926.<br />

Conservatoire du littoral 2a, 4a, 5b, 6, 19 ; E. Bossane 2b ; Karibu Editions 4b ;<br />

T. de Caraffa/C. Andreani 5a ; Annu Corsu 1926 8, 10, 14, 17, 20, 21, 26, 31 ;<br />

DR 13 ; Marcello Fortini 24.<br />

3<br />

Réponse au<br />

jeu-concours n°6<br />

Les trois gagnants de<br />

notre concours sont<br />

Angelika Hein &<br />

Jean-Pierre Albertini de<br />

Santa Severa, Dominique<br />

Liccioni de Luri et<br />

-l'insubmersible- Joëlle<br />

Mara de Centuri.<br />

La bonne réponse étant<br />

ZÉRO.Merci pour leur<br />

participation et leurs<br />

encouragements à :<br />

Marie-Ange Saladini,<br />

Claudine Girardot et<br />

Anne-Christine Susini<br />

de Macinaghju, Maurice<br />

Mattei de Barretali,<br />

Frédéric Mori de<br />

Roquefort-les-Pins,<br />

Annie Brugioni et Roger<br />

Ganteaume de Centuri<br />

et Flora Vincentelli de<br />

Morsiglia (merci pour tout).<br />

Merci également au<br />

service maritime de la<br />

DDE et à son équipe de<br />

Macinaghju et à la<br />

Communauté de<br />

Communes du Cap Corse.<br />

Été 2005


ef<br />

en<br />

à la pointe<br />

de l’actualité<br />

Derrière la dune… le marais<br />

se crée à nouveau.<br />

Été 2005<br />

4<br />

A Barcaggio, la dune et le marais<br />

vont et viennent<br />

Certains s'en souviennent ; les photos aériennes en<br />

témoignent ; il y a 25 ans un petit marais existait derrière<br />

la dune de Barcaggio.<br />

Puis, pour des raisons que l'on cerne mal, la dune s'est<br />

démantelée et s'est échappée vers la crique de l'Agnellu,<br />

engloutissant le marais puis le maquis.<br />

Combien de fois au cours des siècles,des millénaires,la dune<br />

a-t-elle ainsi joué la fille de l'air ? Assez souvent en tous cas<br />

pour recouvrir de sable les schistes de la Punta Capizzolu.<br />

Et ce printemps, l'histoire recommence. Une petite dépression<br />

se forme, là où il y a peu s'élevait une haute dune. L'eau<br />

coule, s'accumule, des joncs se développent, des petits crustacés<br />

et des têtards (de rainette et de discoglosse) batifolent<br />

dans le nouveau marais de la dune.<br />

Et de 50 000 !<br />

Vendredi 29 avril 2005, le 50 000 e oiseau migrateur a<br />

été bagué à Barcaggio. L'élue fut une rousserolle turdoïde,<br />

baguée par Grégory Bellini, stagiaire de l’Association<br />

des Amis du Parc naturel régional de Corse, qui organise le<br />

camp de baguage depuis… 1979. Voici en effet 26 ans que<br />

les ornithologues surveillent chaque printemps, durant un<br />

mois entier (du 16 avril au 15 mai), la migration des oiseaux<br />

qui reviennent d’Afrique pour remonter nicher en Europe.<br />

L’intérêt scientifique de ce camp est très important : les données<br />

recueillies contribuent autant à la compréhension globale<br />

du mystérieux phénomène migratoire qu’à la surveillance<br />

des populations.Ainsi la baisse du nombre d’hirondelles<br />

rustiques (rondine), établie ailleurs, a pu être observée<br />

à Barcaggio.A ce jour,<br />

plus de 230 espèces<br />

d’oiseaux ont été<br />

recensées à la Pointe<br />

du Cap Corse à l’occasion<br />

de ce rendezvous<br />

annuel.<br />

Avant d’être bagué,<br />

l’oiseau est pesé et mesuré.<br />

“Pêcheurs palangriers près de la tour Sainte-Marie”<br />

La tour de Santa Maria, photographiée par Tito de Caraffa au tout début du XX e siècle.<br />

On remarque qu'un siècle plus tard, la ruine avait conservé le même aspect.<br />

A l'emplacement où sera construit la maisonnette, s’élève un monticule.<br />

S'agit-il des ruines de la “maison Negroni” ? Ou de celles du four à chaux ?<br />

Thalassa<br />

C'est par la Corse que l'émission Thalassa achevait son<br />

tour des côtes de France à bord du trois-mâts Marité,<br />

le dernier terre-neuva français encore à flot.A cette occasion,<br />

une équipe a été accueillie fin mars sur les sites protégés<br />

(Finocchiarola, Santa Maria…) avec l'aide de l'équipe du<br />

service maritime de la DDE. L'émission a été diffusée sur<br />

France 3 le 1 er avril dernier.<br />

Alexandra, Arnaud, Fabien, Pauline<br />

& Ségolène…<br />

Recrutés comme saisonniers par l'association et encadrés<br />

par Alain Camoin, ils sont à pied d'œuvre sur les<br />

sites pendant tout l'été. Ils entretiennent les lieux, veillent au<br />

respect des règles, accueillent et informent les visiteurs. Ils<br />

sont présents tous les jours à Barcaggio, Tamarone et au<br />

Moulin Mattei.<br />

5<br />

L’équipe de Thalassa au large<br />

de la Pointe du Cap.<br />

Été 2005


6<br />

Antone Bonifacio et L’Annu Corsu<br />

C’est en 1926 qu’Antone Bonifacio publie dans l’Annu Corsu un texte d’une<br />

douzaine de pages. Il y décrit avec beaucoup d’acuité – et une certaine nostalgie –<br />

la vie quotidienne d’un hameau d'Ersa de 1800 à 1926.<br />

Trois-quart de siècle se sont écoulés depuis cette publication et de profondes<br />

mutations ont façonné les paysages que nous connaissons aujourd’hui. Pointe du<br />

Cap Corse vous propose de redécouvrir de larges extraits de ce texte précis et<br />

riche (vous pouvez télécharger la version intégrale en corse sur le site<br />

www.pointeducapcorse.org). Il vous est proposé dans sa version originale, en<br />

langue corse, avec une traduction de Ghjermana De Zerbi.<br />

Antone Bonifacio naît le 19 janvier 1866 à Ersa.<br />

Il est professeur de lettres dans l’Enseignement secondaire,<br />

il est aussi un écrivain et un poète, connu sous le<br />

pseudonyme de Tizziu.<br />

Parmi ses œuvres, on compte de la prose (E galline di Zia<br />

Mega. Scappa Scappa Trè quadretti, 1923), des comédies<br />

(U Scupatu et All’urna, 1923), des vers (Frutti d’imbernu,<br />

1924), une grammaire écrite en vue de l’unification de<br />

l’écriture corse (A prima grammatichella corsa, 1926) –<br />

mais qui a surtout eu comme résultat la rédaction<br />

d’autres grammatichelle.<br />

Antone Bonifacio meurt le 4 juin 1933, à Nice.<br />

Porte de la maison familiale<br />

Bonifacio à Granaghjolu.<br />

Le texte d’Antone Bonifacio que nous avons reproduit sur les pages<br />

suivantes est extrait de L’Annu Corsu de 1926.<br />

L’Annu Corsu, fondée par Paul Arrighi, Antone Bonifacio et Paul Leca, est une<br />

anthologie annuelle. Les textes et morceaux choisis sont répartis dans trois grandes<br />

parties : un almanach corse, une anthologie en corse et une anthologie en français.<br />

Traduit par Ghjermana de Zerbi.<br />

Merci à Claude Cazemajou pour ses photos anciennes<br />

et le prêt de son exemplaire de l'Annu Corsu 1926<br />

et à René Dominici pour ses conseils éclairés.<br />

Les dessins et publicités sont tirés de l'Annu Corsu 1926.<br />

Antone BONIFACIO<br />

L’ANGUNIA D’UN PAISOLU CORSU<br />

A Conca di u Granaghjolu. – U paese e i so’ lochi avale, cinquant’anni fa,<br />

centu cinquant’anni fa. – Ricchezza e Puvertà. – E cagione di u male : i<br />

stradoni, i vapori, e scole. – A storia di u Granaghjolu è quella di tutti i<br />

paesi corsi. – L’omi pulitichi più periculosi che e zinzale. – I rimedj pe<br />

pruvà di guarî un muribondu.<br />

<strong>Spennasumeri</strong> ! <strong>È</strong> <strong>quessu</strong> u <strong>puntu</strong> <strong>induve</strong> a <strong>strada</strong> <strong>naziunale</strong>, chi face u<br />

giru di Capicorsu, segna a divisione di e duie coste : quella orientale, versu<br />

Ruglianu e Bastia, e quella occidentale, versu Centuri e San Fiurenzu.<br />

Antone BONIFACIO<br />

L’AGONIE D’UN HAMEAU CORSE<br />

La cuvette de Granaghjolu - Le village et ses environs aujourd’hui, il y a cinquante ans, il<br />

y a cent cinquante ans - Richesse et pauvreté - Les causes du mal : les routes, les navires à<br />

vapeur, les écoles - L’histoire de Granaghjolu et celle de tous les villages corses - Les hommes<br />

politiques plus dangereux que les moustiques - Les remèdes pour tenter de guérir un moribond.<br />

<strong>Spennasumeri</strong> ! C’est le point où la route nationale, qui fait le tour du Cap Corse,<br />

indique la séparation des deux côtes, à l’est, vers Ruglianu et Bastia et à l’ouest,<br />

vers Centuri et San Fiurenzu.<br />

Été 2005 Été 2005<br />

7


8<br />

Da ’su logu s’ha, davant’ à sè, un quadru magnificu. In faccia, à forse un<br />

chilometr’e mezzu, in linea dritta, u monte di Sant’Antuninu, altu<br />

300 metri, taglia l’urizonte piattend’ u mare, chi apparisce à i dui lati<br />

cume in duie tazze enorme. Quella a dritta è disegnata da u collu di u<br />

Cataru chi s’inghjotte a <strong>strada</strong> chi scende à la marina di u Bercaghju. In<br />

Depuis cet endroit, l’on a devant soi un cadre magnifique. En face, à environ un<br />

kilomètre et demi, en ligne droite, le mont de Sant’Antuninu, haut de trois cents<br />

mètres, coupe l’horizon en cachant la mer, qui apparaît sur les deux côtés comme<br />

dans deux énormes bols. Celui de droite est dessiné par le col du Càtaru<br />

engloutissant la route qui descend vers la marine de Bercaghju. Au fond de celui<br />

de gauche, entre les collines du Finochju et de l’Aliberghi, coule, tout mince et<br />

profond, jusqu’à la marine de Tòllari, le ruisseau du Guadu – appelé<br />

Granaghjolu… sur les cartes d’Etat-Major !<br />

Sant’Antuninu est une gracieuse petite montagne pointue, couverte autrefois de<br />

maquis élevé, épais et parfumé mais qui est complètement dénudée aujourd’hui.<br />

Dès que quelque chose y pousse, les bergers y mettent le feu : ils auront ainsi une<br />

étendue de foin pour leurs bêtes, caprins ou ovins. Tout en haut, cependant,<br />

quelques chênes séculaires continuent à ployer leurs branches courbes vers la<br />

chapelle du saint, blanche comme un lys : le feu, un vrai miracle, n’a jamais pu y<br />

parvenir !<br />

Été 2005<br />

fondu à quella di manca, tra e culline di u Finocchju e di l’Aliberghi,<br />

scorre, minutellu e prufondu, fin’ à la marina di Tollari, u Guadu – dettu<br />

Granaghjolu… sopra e carte di u Statu Maggiore !<br />

Sant’Antuninu è una graziosa muntagnola pinzuta, cuperta, tempi fa, di<br />

macchje alte, folte e prufumate, e nuda, oghje, cume a me’ mana. Subitu chi<br />

ci spunta qualcosa, i pastori ci appiccianu u focu : cusì avaranu a finiccia pe<br />

e bestie, caprune o picurine. In cima però, un’e pochi di lecci siculari<br />

cuntinuanu à mandà tutt’i so’rami curbi versu a cappella di u santu, bianca<br />

cume un gigliu : u focu, veru miraculu, un c’è mai pututu junghje !<br />

À dritta di Sant’Antuninu, versu u Macinaghju, portu di Ruglianu, si<br />

scorghje a torra detta d’Agnellu, a vicina Capraia e, più in quà ma assai<br />

più in fondu, a Gurgona, pocu luntana da Livornu.<br />

A manca, u mar Tirrenu e u mar Francu, meschjanu e so’ acque in paru<br />

à l’isuletta di a Giraglia (a Jraghja), chi pare una nave gigantesca e<br />

bizarra. A so’ vecchja torra, quadrata e grisgia, e u so’ finale biancu chi<br />

A la droite de Sant’Antuninu, vers Macinaghju, qui est le port de Ruglianu, on<br />

aperçoit la tour dite d’Agnellu, Capraia toute proche et, bien plus dans le fond, la<br />

Gorgona, peu éloignée de Livourne.<br />

A gauche, la mer Tyrrhénienne et la mer Franque mêlent leurs eaux à hauteur de<br />

la petite île de la Giraglia (la Ghjiraghja), qui semble un navire gigantesque et<br />

bizarre. Sa vieille tour, carrée et grise, et son phare blanc qui se dresse hardiment,<br />

au-dessus d’un bâtiment au toit en terrasse, parachève l’illusion. Lorsque le temps<br />

est clair, les côtes toscane et génoise, viennent joliment décorer l’horizon…<br />

Derrière Sant’Antuninu se cachent la jolie plage de Minaria et la marine de<br />

Bercaghju, une des plus belles de tout le Cap Corse.<br />

***<br />

<strong>Spennasumeri</strong> ! L’endroit d’où l’on précipite, d’où l’on précipitait, autrefois, les<br />

ânes devenus vieux ou estropiés. C’est donc un lieu élevé, un abîme qui surgit d’un<br />

bois très beau et qui domine une cuvette profonde et vaste, ouverte seulement sur<br />

9<br />

Été 2005


s’inalza arditu, sopra un casamentu cupert’à terrazza, compie l’ilusione.<br />

Quandu u tempu è chjaru, a costa tuscana e quella jenuese, venenu à<br />

frisgiulà l’urizonte deliziosamente...<br />

Daret’ à Sant’Antuninu s’ascondenu a bella piaghja di Minaria e a marina<br />

di Bercaghju, una d’e più belle di tuttu u Capicorsu.<br />

***<br />

<strong>Spennasumeri</strong> ! Logu da duve si spennanu o si spinnavanu, una volta, i sumeri<br />

fatti vecchj o stroppj. E quindi un <strong>puntu</strong> altu, un spinnatoghju chi sorte da un<br />

billissimu boscu e chi supraneghja una conca prufonda e spaziosa, aperta solu<br />

versu a marina di Tollari e versu u Cataru d’i quali avemu giù parlatu, e<br />

chjosa in giru da culline e munticelli alti da 200 à 300 metri.<br />

In fondu a ’sa conca è piantatu u Granaghjolu, u più grossu d’i cinque<br />

paisoli di a Cumune d’Ersa. E so’ case, bianche o brune, sò arrampicate<br />

à un poghju cume pecure in banda, tra dui guadelli.<br />

la marine de Tòllari et le Càtaru dont nous avons déjà parlé et entourée de collines<br />

et monticules de 200 à 300 mètres de haut.<br />

Au fond de cette cuvette est situé Granaghjolu, le plus gros des cinq hameaux de<br />

la commune d’Ersa. Ses maisons, blanches ou brunes, s’accrochent à un coteau<br />

comme un troupeau de brebis, entre deux ruisseaux.<br />

L’un de ces ruisseaux, celui de gauche, est presque toujours à sec ; l’autre, véritable<br />

torrent l’hiver, sème la zizanie, dès que l’été arrive, entre quelques habitants,<br />

hommes et femmes, qui en se disputant, lui demandent l’aumône d’un mince filet<br />

d’eau pour désaltérer des jardins grands comme des mouchoirs de poche. Un petit<br />

tas de maisons, Guadella, se situe au-delà du premier petit gué, près de la mine<br />

d’antimoine, fermée depuis quelques années, mais qui employa plus d’une centaine<br />

d’ouvriers. L’exploitation, toujours conduite dans le but d’obtenir des profits<br />

immédiats, n’a jamais produit que de maigres résultats : ne serait-ce que pour la<br />

reprendre, il faudrait dépenser des centaines de milliers de francs, car tous les puits<br />

sont comblés et les galeries effondrées. En plus d’avoir détérioré tant de beaux<br />

endroits, les travaux de la “Mine” les ont privés d’eau à jamais.<br />

11<br />

Été 2005


12<br />

Unu di ’si guadelli, quellu à manca, è quasi sempre seccu ; l’altru, veru<br />

turrente l’imbernu, vinuta a statina, mette u scumpigliu fra un’e pochi di<br />

paisani e di paisane chi li cherenu, litichendusi, a limosina di un filarellu<br />

d’acqua per dissetà giardini tamant’ e mandili. Un mucchju di case, a<br />

Guadella, si trova al di là di u primu guadigliolu, accant’ a ’na minera<br />

d’antimoniu, chjosa dapoi qualch’annu, ma duve c’è statu fin’ à più di<br />

cent’ operai. l travagli, sempre diretti c’u scopu di guadagnà subitu, un<br />

n’hanu mai datu che risultati mischini : nunda che per ripiglialli, ci vurria<br />

a spende centinaie di mila franchi, perchè tutt’i pozzi sò colmi e tutt’e<br />

gallerie sò falate. Oltre d’avè ruvinatu tanti belli loghi, i travagli di a<br />

“Minera” l’hanu privi d’acqua in sempiternu.<br />

L’imprissione chi pruduce a vista d’u Granagholu sopra u fristeru<br />

imparziale un pò esse gattiva. Ind’u centru d’u paese, a vecchja torra<br />

jenuese, maestosa e fiera, cuntinua d’agguardià, cume ind’i seculi andati,<br />

da e so’ trunere brune disposte in curona, e case aggrupulate in giru o per<br />

L’impression produite par la vue de Granaghjolu sur l’étranger impartial ne peut<br />

être mauvaise. Au centre du village, la vieille tour génoise, majestueuse et fière,<br />

continue à veiller, comme par les siècles passés, depuis ses meurtrières brunes<br />

disposées en couronne, sur les maisons regroupées tout autour d’elle ou en dessous.<br />

On devine que cette partie du village est la plus ancienne. Au fur et à mesure qu’a<br />

diminué le danger des corsaires turcs ou barbaresques, les habitants sont devenus<br />

plus hardis et ont construit des maisons plus grandes, en s’éloignant toujours<br />

davantage de la tour dont la protection n’était plus nécessaire. Aujourd’hui un bon<br />

tiers de Granaghjolu est plus élevé que la tour et la domine. En tout, quatre-vingt<br />

maisons environ dont certaines d’entre elles, très anciennes, prouvent que leurs<br />

propriétaires furent puissants et que les maçons qui les construisirent ne valaient<br />

pas moins que ceux d’aujourd’hui.<br />

Le village est traversé en son milieu par une belle route. Bien que mal entretenue<br />

par une municipalité qui ne se soucie guère du bien-être de la population, cette<br />

Été 2005<br />

sottu. S’induvina che quella<br />

parte di u paese è la più antica.<br />

A manu à manu che u periculu<br />

d’i cursali turchi o barbareschi è<br />

sminuitu, l’abitanti sò divintati<br />

più arditi ed hanu fattu case più<br />

grande, alluntanendusi di più in<br />

più da la torra d’a quale a<br />

prutizzione un n’era più<br />

necessaria. Avale un bon terzu<br />

d’u Granaghjolu ne è più altu e<br />

la supraneghja. In tuttu, un<br />

U Granaghjolu d’Ersa<br />

’uttantina di case tra e quale<br />

parecchje, assai antiche, provanu che i so’ padroni funu puderosi e che i<br />

maestri chi le fecenu un n’eranu in daretu a quelli d’avale.<br />

route est très commode 1. Après avoir quitté le village, elle offre tant d’un côté que<br />

de l’autre, une promenade magnifique qui ne manque ni d’originalité ni de<br />

pittoresque, bien que l’horizon soit aussitôt barré par les monts environnants.<br />

Une autre promenade, vers la belle paroisse de Saint-André, à 500 mètres sur la<br />

gauche, enchante encore davantage. En été, à partir de trois heures, on y jouit d’une<br />

fraîcheur fort agréable. A deux pas de l’église, sourd peu abondante une eau qui<br />

contient beaucoup de fer. Elle est fraîche et bonne pour la santé : les habitants du<br />

village l’appellent l’Acqua pòvara (“l’eau pauvre”, N.D.T.).<br />

Excepté quatre ou cinq maisons qui menacent ruine et une dizaine à l’aspect<br />

misérable, toutes les autres sont en bon état et bien entretenues. Trois ou quatre<br />

ont été construites ces cinquante dernières années ; plusieurs autres, nouvellement<br />

recrépies, paraissent neuves.<br />

1. Depuis le mois de mai dernier, les marins accourus de Marseille se sont emparés de la mairie<br />

qui était entre les mains d’un même homme depuis plus de vingt-cinq ans. Espérons que cela ira<br />

mieux maintenant !<br />

13<br />

Été 2005


Été 2005<br />

14 15<br />

Un pays où tu ne rencontres personne ? Où tu sois seule avec ton amant ?<br />

Va donc en Corse, ma chère !…<br />

U paese è travirsatu ind’u mezzu da una bella <strong>strada</strong>. Bench’ella sia<br />

intrattinuta male da ’na municipalità chi si cura pocu di u benistà di a<br />

pupulazione, ’sa <strong>strada</strong> è comuda 1. Ascita da u paese presenta, tantu da<br />

’na parte che da l’altra, una passighjata magnifica ch’un manca nè<br />

d’originalità nè di pitturescu, quantunque l’urizonte sia prestu troncu da<br />

i monti ingiru.<br />

Un’altra passighjata, versu a bella parocchja di Sant’Andria, à 500 metri<br />

à sinistra, è ancu più incantevule. Ci si gode d’astate, à parte da tre ore,<br />

un frescu chi rinchere. A quattru passi d’a chjesa, piscina minuta minuta,<br />

un’acqua chi cuntene assai ferru. <strong>È</strong> fresca e salutifera : i paisani a<br />

chjamanu “l’Acqua povara”.<br />

1. Da u mese di maghju scorsu, i marinari accorsi da Marseglia si sò impadruniti di a meria ch’era<br />

ind’e mane d’un istess’omu dapoi più di vinticinqu’anni. Spiremu ch’avà e cose andaranu megliu !…<br />

Granaghjolu, situé sur une pente si abrupte que depuis le sommet le regard<br />

dégringole rapidement sur tous ses toits, ne pouvait posséder que de petits<br />

raidillons, véritables casse-cous. Mais non ! Ces petits chemins ont été corrigés et<br />

transformés en sentiers empierrés par la main de l’homme, œuvre coûteuse, toute<br />

de patience et de goût, faite avec l’argent des particuliers et surtout des marins qui<br />

se trouvent hors de l’île.<br />

Il existe également deux ou trois petites places bien agréables. Et l’eau, rare mais<br />

bonne, est recueillie dans quatre réservoirs bien conditionnés : on peut boire sans<br />

appréhension…<br />

En somme, le village entier respire sinon la richesse, du moins un bien-être relatif.<br />

Pourtant ce n’est qu’une apparence : ce village est en train de mourir ! Un coup<br />

d’œil tout autour, dans les environs, nous le démontre, hélas…<br />

Granaghjolu, avons-nous dit, se trouve au fond d’une grande cuvette, entre deux<br />

ruisseaux. Les bords de ces ruisseaux, aussi bien que les pentes des collines alentour,<br />

Été 2005


16<br />

Fora quattr’o cinque case chi si ne cascanu e una decina d’aspettu miseru,<br />

tutte l’altre sò in bon statu e ben custudite. Tre o quattru sò state fabricate<br />

st’ultimi cinquant’anni ; parecchj’altre, riscialbate di frescu, parenu<br />

nove.<br />

U Granaghjolu, piantatu cusì in pendiu che d’in cima u sguardu sculisce<br />

rapidu sopra tutt’i so’ tetti, un puteva avè che straducce ripide, veri<br />

troncacolli. Ma no ! Se straducule a mana di l’omu l’ha currette e<br />

cumbertite in belle ricciulate, opara custosa, di pazienza e di gustu, fatta<br />

cu i soldi d’i particulari e sopratuttu d’i marinari chi sò fora.<br />

Ed esistenu puru duie o tre piazzole assai gradevule. E l’acqua, scarsa ma<br />

bona, è racolta in quattru depositi ben cundiziunati : si pò beie senza<br />

suspettu…<br />

In somma, u paese intieru rispira sinnò a ricchezza, almenu un relativu<br />

benistà. Eppuru un sò che apparenze : ’su paese si ne more ! Un’ ucchjata<br />

ingiru, sopra i dintorni, a prova purtroppu…<br />

étaient couverts de jardins dont on voit encore les murs et les murettes, fendus ou<br />

effondrés, soutenant des terrains qui ne connaissent plus la main de l’homme. A la<br />

place des potagers et des vignes, il n’y a plus que des inules, des cistes et du maquis<br />

divers. Parfois, pourtant, au milieu de ces ruines on aperçoit un coin vert : c’est une<br />

petite parcelle de terrain plantée en légumes, juste pour le plaisir. De-ci de-là,<br />

quelques petits arpents de vigne américaine peinent à survivre ou encore des<br />

souches de vieux oliviers défient le temps et la négligence.<br />

Si l’on franchit le Càtaru, apparaît à nos yeux Serraghja, une petite vallée<br />

abandonnée qui fut autrefois couverte de vignes et de jardins ; et, vers le fond, après<br />

avoir franchi un autre col, on voit s’étendre devant soi, à la pointe du Cap, une<br />

immense plaine que l’étranger ne soupçonne même pas : c’est Minaria (Malaria ?),<br />

aux pieds d’un demi-cercle de coteaux et de hauteurs fort riants.<br />

Cette région produit la même impression que la précédente. Votre cœur défaille à<br />

la vue de tant de champs abandonnés, de tant de murs effondrés ou bombés, de tant<br />

de maisonnettes en ruine, de tant d’oliviers étouffés par les plantes sauvages. Il ne<br />

Été 2005<br />

Projet d’affiche touristique pour la Corse<br />

17<br />

Été 2005


18<br />

U Granaghjolu, avemu dettu, si trova in fondu ad una gran conca, tra dui<br />

guadelli. E sponde di ’si guadelli, cume puru i pindii di e colline intornu,<br />

eranu cuperti di giardini d’i quali si vedenu anc’ avà e muraglie e i<br />

muraglioni, spaccati o falati, chi sustinevanu terre ch’un cunnoscenu più<br />

a mana di l’omu. A u postu di l’ortaglie e di e vigne, un c’e più che ceppite,<br />

mucchj e macchjzzi. Di quand’ in quandu però tra ’se ruvine si scorghje<br />

un cantu verde : è qualchi trastarellu di terra sumintata di legumi, à<br />

tempu à tempu per cacciassine a brama. In quà e in là, qualchi cantucciu<br />

di vigna americana stenta à vive o puru cippate d’alivi antichi sfidanu u<br />

tempu e a malcura.<br />

Se varchi u Cataru, apparisce à i to’ occhj, Serraghja, una valletta<br />

abandunata chi fu, tempi fa, cuperta di vigne e di giardini ; e, francatu in<br />

fondu un altru collu, vedi stendesi davant’ a te un’ immensa pianura che<br />

u fristeru un suspetta ind’ a punta di Capicorsu : è Minaria (Malaria ?), à<br />

i pedi di una mezza curona di poghj e munticelli assai ridenti.<br />

reste pas la dixième partie de ce qui, il y a une cinquantaine d’années, réjouissait<br />

la vue par le vert de sa végétation cultivée. Quand enfin vous arrivez à la marine,<br />

c’est-à-dire à Bercaghju, vous repensez à Granaghjolu : sauf quelques exceptions,<br />

les maisons sont en bon état ; quelques-unes, fabriquées à la mode citadine, ont des<br />

persiennes, des toilettes ainsi que toutes les autres commodités.<br />

***<br />

D’où vient ce contraste entre ces beaux villages riants et les campagnes recouvertes<br />

de ronces et d’épines ou dénudées comme si elles avaient été parcourues par le feu ?<br />

Je me souviens, lorsque j’étais tout jeune, il y a cinquante ans – une bagatelle ! –<br />

il n’en allait pas ainsi. Il n’y avait pas une seule maison qui ne fut récemment<br />

blanchie, et, à l’intérieur, en fait de meubles, on voyait quelques chaises d’Orezza,<br />

quelques coffres, une table appuyée contre le mur parce que souvent, elle boîtait.<br />

Dans les chambres, les lits pansus garnis de sommiers de paille ou de feuilles de<br />

maïs, s’aplatissaient lorsqu’on s’y installait en creusant un énorme creux dans leur<br />

Été 2005<br />

Sa regione produce a listessa<br />

impressione che a precedente. U<br />

core ti si sdrughje à la vista di<br />

tanti chjosi abandunati, di tanti<br />

muri cascati o imbriachi, di<br />

tante canave sprufundate, di<br />

tant’ uliveti affugati da u<br />

salbaticu. Un resta a decima<br />

parte di ciò chi, cinquant’ anni<br />

fa, ralligrava l’occhj cu a<br />

virdura di e so’ piantazione.<br />

Sant’Andria<br />

Quand’ infine tocchi a marina, ciò à di Bercaghju, ripensi à u Granaghjolu :<br />

salvu poche eccizione, e case sò in bon istatu ; e un’e poche, fabricate à la<br />

moda citadina, hanu persiane, cabinetti e tutt’i so’ altri comudi.<br />

milieu. On y dormait souvent à trois ou quatre, les uns à la tête, les autres au bas<br />

du lit. On ne connaissait pas alors, comme aujourd’hui, des lits avec un véritable<br />

sommier, ni des chaises de noyer ou des armoires à glace : tout venait de Corse !<br />

Mais les caves regorgeaient de vin et d’huile, les greniers de pommes de terre, de<br />

haricots et de toute sorte de dons du ciel. Quant aux fruits, figues, pommes, poires,<br />

pêches, on en donnait de pleins baquets aux porcs qui, à la Noël, garnissaient les<br />

cuisines de filets fumés, de jambons, de saucissons, et saucisses de foie, tout cela<br />

bien en file comme de vrais régiments…<br />

Quelle beauté, donc, les vergers qui entouraient le village, au bord de ses deux<br />

petits ruisseaux ; et ces autres jardins qui le regardaient joyeusement depuis les<br />

pentes alentour où ils grimpaient comme autant de grands escaliers au-dessous et<br />

en dessus de la route, avec leurs grands murs solides et leurs haies épaisses et<br />

régulières qui semblaient tracées au compas ! Quelle merveille au-dessous de<br />

Càtaru, Serraghja avec tous ses vignobles et, plus bas, Guadellu avec ses potagers<br />

et ses vergers de cédrats ! Mais Minaria surpassait tout cela. Dans cette plaine, pas<br />

19<br />

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***<br />

Da duve vene ’su cuntrastu fra i paesi ridenti e belli, e le campagne cuperte<br />

di lamme e di pruni o nette cume se ci fussi passatu u focu ?<br />

Mi ricordu, quand’era zitellacciu, cinquant’anni fa – una bagatella ! – e<br />

cose un n’eranu cusì. Un c’era una casa imbiancata di frescu e, drentu,<br />

infatti di mobili, si videva un’e poche di carreje orizzinche, qualchi<br />

bancale, un tavulinu appughjatu à u muru perchè spessu zuppicava. Ind’e<br />

camare, i letti panzuti cu i so’ sacconi di paglia o di foglia di granone, si<br />

sgunfiavanu quand’omu ci si buccava, fendu un fussone ind’u mezzu. Ci<br />

si durmiva spessu à tre o à quattru, chi à capu e chi à pedi. Un si<br />

cunnusceva allora, cume avale, letti a summiè, sedie di nociu, armadj c’u<br />

specchju : era tutta roba corsa ! Ma piene à rughja eranu e cantine di vinu<br />

e d’ogliu, e i suffitti di pomi, di fasgioli e di ogn’altra grazie di Diu. I frutti,<br />

pò, fichi, mele, pere, persiche si davanu a bigliulate à i maiali che, à<br />

un seul lopin de terre qui ne fût<br />

pioché. La campagne produisait non<br />

pas un peu de tout, mais<br />

abondamment de chaque chose.<br />

Les chemins qui la sillonnaient en<br />

tous sens étaient commodes et<br />

entretenus, et l’on voyait des allées<br />

et venues incessantes. On entendait<br />

bavarder les femmes, rire les jeunes<br />

gens, chanter les jeunes filles, sans<br />

que personne ne s’arrête de<br />

travailler, à une tâche ou à une autre.<br />

Boticella d’Ersa e a Chjesa di Santa Maria<br />

Et le soir, tous rentraient au village<br />

en suivant leurs bêtes de somme chargées, les uns derrière les autres, en procession.<br />

Nous les enfants, qui étions demeurés en haut du village pour aller à l’école,<br />

21<br />

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Été 2005<br />

22<br />

Natale, guarnivanu e cucine di lonzi, di prisutti, di salcicie, salciccioli e<br />

figatelli in filaraglia chi si sarebbe dettu veri regimenti…<br />

Ma chi billezza i giardini chi circundavanu u paese arrente à i so’ dui<br />

guadelli e quelli, verdi e fiuriti, chi lu guardavanu allegri da i pindii<br />

intornu duve cullavanu cume tante scalone sottu e sopra a <strong>strada</strong>, cu i so’<br />

rubusti muraglioni e le so’ sepe fitte e rigulare chi parevanu fatte c’u<br />

cumpassu ! Chi maraviglia, sottu a Cataru quella Serraghja cun tutt’i so’<br />

vigneti e, più inghjò, u Guadellu cu i so’ orti e i so’ giardini d’alimie ! Ma<br />

Minaria supranava ogni cosa. In ’sa pianura, un c’era un palmu di terra<br />

ch’un fussi zappatu. A campagna dava non di tutt’un po’ ma d’ogni cosa<br />

assai. E stradelle chi a sulcavanu in tutt’i sensi eranu comude e pulite, e si<br />

videva un corri corri ch’un finiva mal. Si sintiva ciatanà e donne, ride i<br />

giuvanotti, cantà e zitelle, senza che nimu stanciassi di travaglià, chi ad<br />

una cosa e chi à un’altra. E a sera, tutti turnavanu in paese appress ’a e<br />

so’ fere insumate, unu daret’ à l’altru, in prucissione. Nui altri zitelli<br />

accourions à leur devant : nos mères nous demandaient aussitôt si nous avions été<br />

sages et si nous avions su nos leçons ; nos pères, en nous demandant si personne<br />

n’était venu ou si le facteur n’avait rien apporté, nous empoignaient dans le dos,<br />

par le ceinturon, et nous mettaient à califourchon sur la croupe des bêtes ou nous<br />

plaquaient en plein milieu, entre deux sacs de pommes de terre ou de légumes ou<br />

bien deux corbeilles de raisin selon l’époque et la saison. C’était là une époque<br />

heureuse pour tout le monde : rien ne manquait pourvu qu’il y eût la santé !<br />

***<br />

Et pourtant cette prospérité n’était rien, en comparaison de celle d’il y a un siècle<br />

et demi (1775, N.D.T.). A mon avis, Minaria, était alors, dans la partie la plus<br />

basse, couverte de marais et de jonchères, malsaine et dangereuse.<br />

Mais les hauteurs offraient un autre aspect. Mon imagination voit des collines<br />

éventrées jusqu’au sommet par la charrue avec des attelages de bœufs à n’en plus<br />

finir 2, des champs de blé, de maïs, pois chiches, gesses et orobes partout ; des<br />

ch’eramu stati quassù per andà à la scola, currevamu à la contra : e nostre<br />

mamme ci dumandavanu subitu s’eramu stati bravi e s’ avevamu sapiutu<br />

a lizione ; i babi, dumandenduci s’un n’era juntu nimu o se u pusteru un<br />

n’aveva purtatu nunda, ci agguantavanu daretu, pe u curighjolu, e<br />

c’infurcavanu in groppe à e bestie o ci schjaffavanu ind’u mezzu, tra dui<br />

sacchi di pomi o di ligumi o dui curboni d’uva secondu i tempi e secondu e<br />

stagione. Era quella un’ epuca biata per tutti : nunda mancava purchè ci<br />

fussi a salute !<br />

***<br />

Eppuru ’sa prusperità un n’era nunda à pett’ à quella di un seculu e<br />

mezzu fa. Minaria, secondu me, era allora, ind’a parte più bassa, cuperta<br />

di padule e di juncaghje, malsana e periculosa. Ma l’alture presintavanu<br />

un altr’aspettu. A me’ maginazione vede culline strippate fina ’n cima da<br />

plantations d’arbres fruitiers et d’oliviers en quantité, et surtout des vignes à perte<br />

de vue dont le raisin de la variété ghjinuvisella, muscadet, malvoisie, cudiverta, etc.<br />

donnaient un vin abondant et exquis. Et tous les murs et les pressoirs que l’on<br />

trouve un peu partout dans le maquis rappellent un passé qui fut riche comme<br />

parlent les ruines des moulins disséminés ici et là. Un tombeau au-dessus de<br />

Granaghjolu, à gauche de <strong>Spennasumeri</strong>, n’était autre qu’un moulin à vent.<br />

Beaucoup plus loin, après le village de Butticella, sur la Serra, trois autres moulins<br />

2. Aujourd’hui, à Granaghjolu, on ne voit pas le moindre pis de vache ni une seule corne de bœuf.<br />

Je me souviens lorsque j’étais encore gamin d’y avoir vu quatre paires de bœufs et deux vaches<br />

(propriétaires : Carlini, Antoni, Antomarchi). Dans le même temps – ou peu auparavant – quatre<br />

gondoles (propriétaires : Agostini, Carlini, Bonifacio, Antomarchi) faisaient le va-et-vient de<br />

Bercaghju à Bastia et même ailleurs. Je ne parle pas des bâtiments à voile plus importants qui<br />

touchaient Bercaghju ; je pourrais en rappeler une demi-douzaine, voire davantage, construits,<br />

au moins en partie, dans nos marines du Cap. Tous témoins indiscutables d’une prospérité<br />

aujourd’hui disparue.<br />

23<br />

Été 2005


24<br />

l’aratu cun coppie di boi à vuluntà 2, campi di granu, granone, ceci,<br />

cicerchje e moghi dapertuttu, frutteti e uliveti in quantità e sopratuttu<br />

vigne à perdita di vista di e quale l’uve ghjnuvisella, muscatella, malbasgìa,<br />

cudiverta, ecc., davanu un vinu abundante e squisitu. E tutti quelli muri<br />

e quelli palmenti ch’omu trova un po’ dapertuttu ind’e macchje ricordanu<br />

un passatu chi fu riccu. Parlanu puru i resti d’i mulini spapersi un po’<br />

dapertuttu. Una tomba sopra u Granaghjolu, à manca di <strong>Spennasumeri</strong>,<br />

un n’er’ altru che un mulinu à ventu. Assai più ind’à, dopu u paisolu di<br />

Butticella, à la Serra, tre altri mulini à ventu hanu sempre u so’ corpu ben<br />

cunsirvatu. Cinquant’anni fa unu d’elli macinava sempre, à stonde, e mi<br />

ramentu ch’un sò tant’anni l’altri dui<br />

giravanu anch’elli disperatamente e so’<br />

bracce scarne, quandu u ventu si mittia<br />

à suffià timpistosu !<br />

sont toujours bien conservés. Il y a cinquante<br />

ans, on voyait encore moudre l’un d’entre<br />

eux, par intermittence et je me souviens que<br />

quelques années avant, les deux autres<br />

faisaient eux aussi tourner désespérément<br />

leurs bras décharnés, lorque le vent se mettait<br />

à souffler en tempête !<br />

Les moulins à eau étaient encore plus nombreux. Derrière les monts du Merculincu<br />

et du Ghjinèparu ainsi que dans la vallée dite de l’Acqua Tignese qui descend<br />

jusqu’à la mer, un chasseur de mes cousins m’a dit en avoir compté huit…<br />

L’existence indiscutable de tous ces pressoirs et ces moulins prouve donc que<br />

Granaghjolu (le “petit grenier”, N.D.T.) produisait des grains et des vins en<br />

quantité. Il existe toujours à Bercaghju de petites maisons en ruine, dénommées<br />

“Magazini3”, qui se composent d’un fond spacieux surmonté d’une ou deux pièces.<br />

Aujourd’hui, l’intérieur de l’église Saint-André.<br />

Été 2005<br />

I mulini à acqua eranu ancu più numarosi. Daretu à i monti di u<br />

Merculincu e di u Jneparu e ind’a valle detta di l’Acqua Tignese 3, chi<br />

scende fin’ à u mare, un me’ parente cacciatore m’ha dettu chi n’ha<br />

cuntatu ottu…<br />

L’esistenza incuntrastabile di tutti ’si palmenti e ’si mulini prova dunque<br />

che u Granaghjolu pruduceva grani e vini in quantità. Esistenu sempre à<br />

u Bercaghju casucce in ruvina, i cusì detti “Magazini”, chi sò cumposti<br />

2. Oghje à u Granaghjolu un si vede un capitignulu di vaca nè un cornu di boie. Mi ramentu<br />

mentre era sempre chjucucciu d’avecci vistu quattru coppie di boi e duie vacche (padroni :<br />

Carlini, Antoni, Antomarchi). E ind’u listessu tempu – o pocu avanti – facevanu un passa e veni<br />

da u Bercaghju in Bastia ed anc’altrò quattru gondule (padroni : Agostini, Carlini, Bonifacio,<br />

Antomarchi). Un parlu d’i bastimenti a vela più majò chi tuccavanu u Bercaghju : pudarìa ricurdanne<br />

una mezza duzina ed ancu più fatti, almenu in parte, ind’e nostre marine di Capicorsu.<br />

Tutti testimonj incun trastevuli d’una prusperità oramai svanita !<br />

3. Vedi Annu Corsu 1924 : A Valle Maladetta, racontu.<br />

Dans ce fond on voit souvent un pressoir à vin ainsi que, souvent, un fourneau pour<br />

faire cuire ce dernier. Même les maisons aujourd’hui habitées sont presque toutes<br />

d’anciens magazini transformés. C’est à Bercaghju, comme son nom l’indique,<br />

qu’étaient embarqués les vins, car il faut croire que les autres produits servaient<br />

pour les besoins locaux. On allait vendre ces vins à San Fiurenzu, Calvi, Ajacciu,<br />

un peu partout en Corse, et même sur le continent italien où ils étaient très prisés.<br />

Mais autant que le vin, les habitants d’Ersa apportaient en Italie toutes espèces de<br />

poissons : bogues, jarrets, oblades, chinchards, etc. sous le nom de scapechju<br />

(“escabèche”, en provençal, N.D.T.). Le poisson étêté, frit et aromatisé avec du<br />

vinaigre, du laurier, du myrte, était mis dans des tonneaux et expédié à Gênes, à<br />

Livourne, à Naples, partout. La pêche était très abondante. J’en ai trouvé la preuve<br />

dans certains vieux papiers que j’avais chez moi. Des lettres et des reçus de mes<br />

3. Le mot magazinu (“magasin” en français) vient, par l’italien, de l’arabe makhzan (plur.<br />

makahzin), “dépôt, bureau” (N.D.T.).<br />

25<br />

Été 2005


26<br />

d’un fundu spaziosu c’un pezzu o dui<br />

sopra. In ’su fondu si vede spessu un<br />

palmentu per fa u vinu e più spessu<br />

dinò una furnacia per cocelu. Ancu e<br />

case abitate oghje sò quasi tutte antichi<br />

“magazini” trasfurmati. Ghj’è à u<br />

Bercaghju, cume a dice u nome,<br />

ch’eranu imbarcati i vini, perchè è da<br />

crede che l’altri prudotti servivanu pe<br />

i bisogni lucali. Si vini s’andavanu à<br />

U Bercaghju<br />

vende à San Fiurenzu, à Calvi, in<br />

Aiacciu, un po’ dapertuttu in Corsica,<br />

e ancu in terra ferma italiana <strong>induve</strong> eranu assai stimati.<br />

Ma quant’e u vinu, Ersinchi purtavanu in Italia ogni spezia di pesciu :<br />

boghe, zarri, ucchjate, cudaspri, ecc., sottu à u nome di scapecchju. U<br />

pesciu scapatu, frittu e arumatizatu cun acetu, arifogliu, mortula, era messu<br />

ancêtres confirment que de Bercaghju partaient jusqu’à cent et même deux cents<br />

rubbi 4 de poissons à l’escabèche par mois, c’est-à-dire mille à deux mille de nos<br />

kilos 5. Aujourd’hui les deux pêcheurs qui vivent à Bercaghju, reviennent presque<br />

toujours bredouilles de la pêche. “La mer est sèche comme est sèche la terre” disait<br />

feu l’oncle Gaétan.<br />

C’est dans ces mêmes écrits que j’ai trouvé des comptes qui donnent les prix de la<br />

marchandise vers 1760 ; vin : 9, 10, 12, 14 lires le baril de 144 litres ; blé : 15,<br />

4. Ancienne mesure de poids qui valait 12,5 kg en Italie, 8 dans la région de Moriani, selon le<br />

dictionnaire Filippini, 10 dans le Cap, d’après l’estimation de l’auteur, Antoine Bonifacio. Le<br />

mot vient de l’arabe rub’a (N.D.T.).<br />

5. Les chaluts et les felouques de Ghjiseppantone Mattei sillonnaient toute la mer avec des filets<br />

de soie, du Cap Corse aux îles de l’archipel toscan. Cet homme (lecteur, salue mon arrière grandpère<br />

!), qui fut commissaire général d’Espagne, ministre plénipotentiaire d’Autriche, podestat<br />

majeur du Cap Corse, fut également un ardent patriote paoliste qui armait des corsaires en vue<br />

de la défense de la Nation corse.<br />

Été 2005<br />

in botte e speditu cusì à Ghjenua, à Livornu, à Napuli, un po’ dapertuttu.<br />

A pesca era abundantissima. Ne aghju trovu a prova in certi vecchj scritti<br />

di casa meia. Lettare e ricevute d’i me’ antichi cunfermanu che da u<br />

Bercaghju partivanu fin’ à centu e duie centu rubi di pesci in scapecchju per<br />

mese, ciò à di’ mille o duie mila chilò di nostru 4. Oghje i dui piscatori chi<br />

vivenu à u Bercaghju, tornanu da la pesca quasi sempre scossuli. “<strong>È</strong> seccu<br />

u mare ed è secca a terra”, cume diceva ziu Gaitanu bon’ anima.<br />

Ghj’è ind’i stessi scritti ch’aghju trovu conti <strong>induve</strong> si tratta d’i prezzi di<br />

a roba versu 1760 ; vinu : 9, 10, 12, 14 lire u barì di 144 litri ; granu : 15,<br />

16, 18 lire u staru ; orzu : 9, 10 lire ; una capra tre lire, un paghju di scarpi<br />

d’omu 4 lire, di donna 2, ecc.<br />

4. E sciabiche e le filuche di Jseppu-Antone Mattei sulcavanu, cun rete di seta tuttu u mare, da<br />

Capicorsu à l’isule di l’arcipelagu tuscanu. S’omu (saluta u me’ caccarone, o littore !) chi fu cummissariu<br />

generale di Spagna, ministru pleniputenziariu di Austria, pudestà magiore di<br />

Capicorsu, fu dinò un patriottu paolistu ardente chi armava cursali in difesa di a Nazione Corsa.<br />

16, 18 lires le staru 6 ; orge 9, 10 lires ; une chèvre, trois lires, une paire de<br />

chaussures pour homme 4 lires, pour femme 2, etc.<br />

***<br />

Mais pourquoi la campagne n’est-elle plus celle d’autrefois ? Ce n’est pas un<br />

mystère impénétrable. La campagne achève de mourir faute de bras. Granaghjolu,<br />

avec ses quatre-vingt maisons, avait environ 400 âmes, il y a une cinquantaine<br />

d’années. Aujourd’hui il y en a à grand peine 150, y compris trois ou quatre<br />

familles étrangères, les plus nombreuses. Une vingtaine de maisons sont<br />

complètement fermées. Dans une dizaine d’autres, il ne reste plus qu’une femme,<br />

une vieille veuve, qui très bientôt, fermera elle aussi sa porte pour toujours. Tous<br />

les autres sont partis : pour ce qui est des hommes, quelques-uns d’entre eux sont<br />

6. Unité de mesure des grains valant environ 10 décalitres (N.D.T.).<br />

27<br />

Été 2005


28<br />

***<br />

Ma perchè a campagna un n’è più quella di una volta ? Su misteru un n’è<br />

impinetrabile. A campagna finisce di moresi, per mancanza di bracce. U<br />

Granaghjolu, cu e so’ ottanta case, aveva, una cinquantina d’anni fa,<br />

circa 400 anime. Avà ci n’è à mata pena 150, cumprese tre o quattru<br />

famiglie fristere, e più numarose. Una vintina di case sà chjose affattu. In<br />

una dicina d’altre, un resta più che una donna, una vecchja veduva che,<br />

prestu prestu, chjudarà anch’ella a so’ porta, per sempre. Tutti l’altri sò<br />

partiti : di l’omi, un ’e pochi sò impiigati di guvernu ; a majò parte battenu<br />

l’onde di u mare cume marinari, e spessu ancu cume capitani perchè<br />

l’Ersinchi in generale un sò joccari, cume si diceva una volta, ma si sanu<br />

fa postu per tuttu. Vivenu in Marseglia cu e so’ famiglie e un venenu più à<br />

u paese che di quand’in quandu, fin’ à u jornu chi si ne saranu scurdati<br />

affattu. Chi vole vede u Granaghjolu, vada à Marseglia : culà infatti si<br />

employés de l’Etat ; la plupart sillonnent les mers comme marins et souvent même<br />

comme capitaines parce que en général les gens d’Ersa ne sont pas des nigauds,<br />

comme l’on disait autrefois 7, mais savent se faire place pour tout. Ils vivent à<br />

Marseille avec leurs familles et ne viennent plus au village que de temps en temps,<br />

jusqu’au jour où ils l’auront tout à fait oublié. Qui veut voir Granaghjolu doit aller<br />

à Marseille : là-bas, en effet, se trouvent les trois quarts de ses trois cents enfants<br />

dispersés à travers le monde.<br />

Lorsque j’étais enfant, il n’en allait pas de même. Presque tous les hommes<br />

partaient naviguer, comme aujourd’hui ; mais leurs absences n’étaient pas longues.<br />

Plusieurs d’entre eux rentraient quand arrivait la mauvaise saison. Les femmes<br />

restaient au village pour gérer le quotidien. Avec l’argent envoyé par leurs maris,<br />

elles faisaient cultiver la terre par les travailleurs lucquois qui venaient chaque<br />

année en équipes pour se mettre à la disposition de quelques familles. Mais avec le<br />

temps les choses ont changé : au contact du continent, les hommes sont devenus,<br />

disons, plus civilisés. Les femmes, qui elles aussi sont allées en classe, ont<br />

Été 2005<br />

trovanu i tre quarti d’i so’ trecentu figlioli spapersi pe u mondu.<br />

Quand’era zitellu, e cose un n’andavanu cusì. L’omi, quasi tutti,<br />

partivanu à navigà, cume oghjejornu ; ma nun facevanu longhe assenze.<br />

Parecchj riturnavanu quandu viniva a gattiva stagione. E donne stavanu<br />

à u paese à cumbià l’affari. Cu i soldi chi li mandavanu i so’ mariti,<br />

facevanu travaglià i lochi dai Lucchesi chi vinivanu ogn’annu per squadre<br />

à mettesi à la dispusizione di duie o più famiglie. Ma c’u tempu e cose sò<br />

cambiate : i mariti à u cuntattu di u cuntinente sò divintati, per di’ cusì,<br />

più mansi. E donne chi sò andate anch’elle à la scola, hanu principiatu à<br />

un trimà più quand’elli parlavanu, à chjamalli di tu, à gridà più forte ched<br />

elli e qualchi volta ancu – o vergogna ! – à falli piglià l’acqua e spazzà a<br />

casa ! Parecchje chi hanu vulutu vede Marseglia, n’hanu vantatu e billezze<br />

e i comudi e hanu fattu vene l’acqua in bocca anc’à l’altre. Cusì hanu<br />

pigliatu gustu à la cità e si sò sdignate di u so’ paese e d’i so’ lochi.<br />

Ind’a bella stagione parecchje famiglie granaghjulese finalmente stabilite<br />

in Marseglia, venenu à fà a so’ spaccata ind’e so’ case ch’hanu<br />

commencé à ne plus trembler lorsqu’ils parlaient, à les tutoyer, à crier plus fort<br />

qu’eux et même quelque fois - quelle honte !- à les envoyer chercher de l’eau et<br />

balayer la maison ! Plusieurs d’entre elles, qui ont voulu voir Marseille, en ont<br />

vanté les beautés et les facilités et ont donné des envies aux autres. Ainsi elles ont<br />

pris goût à la ville et ont méprisé leur village et leur terre.<br />

Aux beaux jours, plusieurs familles de Granaghjolu définitivement établies à<br />

Marseille viennent se montrer avec ostentation dans les maisons qu’elles ont<br />

restaurées. Les hommes semblent des messieurs importants et les femmes, avec<br />

leurs jupes à la dernière mode, leurs chapeaux fleuris, leurs bracelets et colliers d’or<br />

véritable, éveillent la convoitise des rares, amies ou parentes, qui sont restées au<br />

village.<br />

7. Chaque village de Corse est affublé d'un surnom collectif moqueur, attribué par les communautés<br />

voisines : gnòccari Ersinchi, nigauds, était le surnom des habitants d'Ersa (N.D.T.).<br />

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rimudernatu. L’omi parenu signuroni e le donne, cu e so’ rote à l’ultima<br />

moda, i so’ cappelli fiuriti e i so’ braccialetti e cullane d’oru sinceru, destanu<br />

a gulusia di quelle poche, amiche, o parente, chi sò ristate à u paese.<br />

Oghje, quand’un marinaru dumanda in matrimoniu una paisana, a zitella<br />

un n’accetta più l’anellu ch’à la cundizione d’andà a vive in Marseglia. Un<br />

volenu più campà ind’e pancule à caccià lamme, à manighjà a zappa, à<br />

purtà u caricu in capu, à strascinà i cudoni, à fà nerbiche quandu ponu<br />

andassine à fà e Madame per ’sa cità e scegliesi i ligumi à u mercatu, in<br />

cappillì… In ’su modu, accade ancu spessu che i giuvanotti si maritanu<br />

fora cun qualchi Pinzutaccia : e allora adiu roba nostra !<br />

E cusì u paese è andatu spupulendusi di più in più e si pò calculà chi, fra<br />

15 o 20 anni, un ci sarà più un fiatu. A nova generazione pò puru di’ : “U<br />

nostru paese è vecchju e si ne murarà cun noi !”<br />

Ma no ! qualchidunu ci sarà : imbece di unu o dui pastori fristeri chi no’<br />

avemu avà, si ne truvarà qualchi duzina chi putaranu brusgià tuttu senza<br />

scumudassi, nè teme i raporti d’i guardiacampestre !…<br />

Été 2005<br />

Aujourd’hui, lorsqu’un marin demande en mariage une fille du village, celle-ci<br />

n’accepte la bague qu’à la condition d’aller vivre à Marseille. Elles ne veulent plus<br />

trimer dans les cailloux à ôter les ronces, manier la pioche, transporter des fagots<br />

sur leur tête, porter d’énormes pierres, désherber alors qu’elles peuvent s’en aller<br />

faire les dames à la ville et choisir les légumes au marché coiffées de jolis petits<br />

chapeaux… De cette façon, il arrive même souvent que les jeunes gens se marient<br />

à l’extérieur avec quelque vilaine Continentale : alors c’en est fait de nous !<br />

Ainsi le village s’est dépeuplé de plus en plus et on peut imaginer que, dans 15 ou<br />

20 ans, il n’y aura plus âme qui vive. La nouvelle génération peut donc dire :<br />

“Notre village est vieux et il mourra avec nous !”<br />

Mais non ! il y aura bien quelqu’un : au lieu des quelques bergers étrangers à ce lieu<br />

que nous avons, il s’en trouvera quelques douzaines qui pourront tout brûler sans<br />

aucune inquiétude et sans craindre les procès-verbaux des garde-champêtres !…<br />

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<strong>Spennasumeri</strong> ! L'endroit d'où l'on<br />

précipitait les ânes vieux ou estropiés.<br />

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