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Poemes choisis

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POÈMES<br />

POÈMES<br />

CHOISIS<br />

CHOISIS<br />

CHOISIS<br />

DE<br />

ROBERT-EDWARD HART<br />

LES VOIX INTIMES – LE DESTIN DE SAPHO – L’OMBRE ÉTOILÉE<br />

MER INDIENNE – INTERLUDE MÉLODIQUE – PORTIQUE ORIENTAL<br />

CROIX-DU-SUD – MUSIC PREMIÈRES – OFFRANDE AU SOLDAT<br />

INCONNU – INSULA BEATA – POÈMES ANGLAIS.<br />

Imprimé par<br />

La Typographie Moderne<br />

M. GAUD & CIE<br />

PORT-LOUIS<br />

1930<br />

1


Édition limitée à Cent Exemplaires<br />

Numérotés.<br />

Tous droits réservés pour tous pays.<br />

Copyright ROBERT-EDWARD HART 1930.<br />

Ce volume a été déposé en 1930 à la<br />

Bibliothèque Nationale de Paris et à<br />

la British Museum Library.<br />

2


ŒUVRES DE HART<br />

POÈMES<br />

Pages mélancoliques. Port-Louis. 1912. Epuisé<br />

L'île d'or. Port-Louis. 1912 Epuisé.<br />

Sensations de route. Vendu au profit de l'œuvre des Mauriciens au<br />

Front. Port-Louis: T. G. P. &. S. Cy. Ltd. 1918,<br />

La vie harmonieuse. Au profit de l'œuvre française des Orphelins<br />

de Guerre. Port-Louis: T. G. P. & S. Cy. Ltd. 1918.<br />

Les voix intimes. Port-Louis: T. G. P. &. S. Cy. Ltd. 1920.<br />

Les voix intimes. Avec une lettre de Maurice Bouchor et une préface<br />

de M. le Duc de Bauffremont. Paris: Jouve et Cie. 1922<br />

Sur la Syrinx. Paris: Albert Messein, 1922.<br />

Le destin de Sapho. Port-Louis. 1923. Épuisé.<br />

L'ombre étoilée. Port-Louis: T. G. P. &. S. Cy. Ltd. 1924.<br />

Mer Indienne. Port-Louis. 1925. Épuisé.<br />

Interlude Mélodique. Port-Louis. 1925. Épuisé.<br />

Poèmes. (Portique Oriental − Croix du Sud−Musiques premières).<br />

Port-Louis. 1927.<br />

Neuf poèmes pour le Soldat inconnu. Avec un dessin de 1'auteur.<br />

Port-Louis. 1927. Épuisé.<br />

Insula Beata (Petits poèmes bourbonnais) et Message à Paul-Jean<br />

Toulet. Port-Louis: La Typographie Moderne. 1929.<br />

Poèmes anglais − XVIe-XIXe siècle –Marlowe − Spenser –Shakespeare−Webster−<br />

Keats - Shelley – Byron − Poe: Traduction<br />

en vers avec le texte en regard. Port-Louis: La Typographie<br />

Moderne 1929.<br />

Poèmes <strong>choisis</strong> Les voix Intimes − Le destin de Sapho − L'ombre<br />

étoilée − Mer Indienne − Interlude Mélodique − Portique<br />

Oriental – Croix-du-Sud − Musiques premières − Offrande<br />

au Soldat Inconnu − Insula Beata − Poèmes Anglais. Port-<br />

Louis: La Typographie Moderne. 1930<br />

3


A PARAITRE<br />

Guirlandes pour l'automne.<br />

Poèmes du temps.<br />

Hyacinthe Astre-Fleur.<br />

Poèmes anglais − XIXe - XXe siècles − Longfellow – Whitman<br />

−Patmore − Swinburne − Traduction en vers avec le texte<br />

en regard.<br />

PROSE<br />

Les volontaires mauriciens aux armées. (1914-1918). Port-Louis.<br />

1919. Épuisé.<br />

L’égide. Unacte. Port-Louis. 1924. Épuisé.<br />

Mémorial de Pierre Flandre. Port-Louis. La Typographie<br />

Moderne. 1928.<br />

Pour ne pas être enterré vivant. (Sur la mort apparente et les deux<br />

procédés infaillibles et simples d'1card pour la révéler)<br />

Communication lue à la Société Médicale de l'Ile Maurice à<br />

l'Institut. Extrait du Bulletin de cette Société. Port-Louis:<br />

T. G. P. & S. Cy. Ltd. 1928.<br />

A PARAITRE<br />

Méditation du bienheureux Pierre.<br />

Respiration de la vie.<br />

L'angoisse de Barrès.<br />

Franz Schubert.<br />

Kaléidoscope.<br />

L'Ange de la Musique.<br />

4


LES LES VOIX VOIX INTIMES<br />

INTIMES<br />

INTIMES<br />

5


EN TERRE D’ÉMYRNE<br />

1. MÉLOPÉE<br />

A PIERRE CAMO<br />

Pour Les Beaux Jours<br />

Si j'ai fait de granit ma maison pour la mort<br />

Je n'ai fait qu'en rafia la maison de ma vie.<br />

Je vois passer les jours sans désir ni remords.<br />

Dans ma chair sans orgueil mon âme est assouvie.<br />

J'ai du riz, un toit sûr, un lamba qui me vêt:<br />

C'est là ce que pour moi mon vieux père rêvait.<br />

Toutefois il me faut, quand viendra l'agonie,<br />

Qu'on enroule à mon corps la toile Cramoisie<br />

− Le lambamena pourpre aux larges plis soyeux−<br />

Et qu'on garde à mes os le culte des aïeux,<br />

Ainsi, moi trépassé, que l'on pleure ou qu'on rie,<br />

Je dormirai content, sans désir ni remords.<br />

Je n'ai fait qu'en rafia la maison de ma vie<br />

Mais j'ai fait de granit ma maison pour la mort.<br />

6


II. TOMBEAUX DE NOBLES<br />

En marge du sentier montant qui file droit<br />

S'échelonnent parmi les herbes et les pierres,<br />

En ligne, des tombeaux où la mousse humble croît<br />

Et qui doivent garder d'invisibles frontières<br />

Amas de rocs brisés qui s'amoncellent sur<br />

Un tertre où gît l'ancêtre enroulé dans son pagne:<br />

Il semble que, lui mort, on n'en fut pas très sûr<br />

Et qu'on le lapida du haut de la montagne.<br />

Ces fragments de granit sont l'hommage dernier<br />

De la foule qui vint silencieuse et triste<br />

Accompagner sur ces hauts lieux le bon guerrier<br />

Ou la vierge au linceul de pourpre et d’améthyste.<br />

Les rizières au loin sont de grands miroirs d'eau<br />

Etagés où le ciel indigo se renverse.<br />

Là-bas un pâtre chante et les bœufs du troupeau<br />

Se tournent vers la voix humaine qui les berce.<br />

7


Jusqu'où montent-ils donc, ces tombeaux fraternels<br />

Qui vers le ciel des dieux semblent hausser leur taille<br />

Et proclamer encor les songes éternels<br />

De ceux qui sont tombés au cœur de la bataille?<br />

8


INTÉRIEUR<br />

La vieille dame aux mains charmantes,<br />

Au long visage de camée,<br />

Près de la fenêtre fermée<br />

Brode des parures de mantes.<br />

Parmi les tentures fanées<br />

Qui dorment depuis tant d'années<br />

Elle a des mines surannées.<br />

Le bruit de l'horloge, en cadence<br />

Mais comme à regret, continue<br />

Et cette rumeur si ténue<br />

Est la voix même du silence,<br />

Du jardin proche, par bouffées,<br />

Montent les senteurs étouffées<br />

Des verveines et des pensées.<br />

9


Mais le parfum le plus tenace<br />

Et qu'ici chaque chose exhale<br />

C'est le parfum lointain et pâle<br />

De l'autrefois que rien n'efface.<br />

De cette fragrance affaiblie<br />

Et lourde de mélancolie<br />

Toute la demeure est emplie,<br />

Et furtif le souvenir rôde<br />

– Témoin de la route suivie –<br />

Ressuscitant toute sa vie<br />

Episode par épisode<br />

A la vieille dame charmante<br />

Qui loin de la vaine tourmente<br />

Brode une parure de mante.<br />

10


VITRAIL<br />

C'est un vitrail ancien et naïf où la Vierge<br />

Semble songer avec tristesse au Christ absent<br />

Et, penchant doucement son front couleur de cierge,<br />

Prévoir déjà la Croix, l'Agonie et le Sang,<br />

Tandis qu'agenouillés devant elle qui songe<br />

Deux donateurs: un homme et, peut-être, son fils,<br />

L'un vêtu d'un manteau dont la traîne s'allonge<br />

Et l'autre aux doigts fleuris de trois volubilis,<br />

Les mains jointes, les yeux mi-clos, les lèvres mortes,<br />

Prient sans voir par l'arceau béant des vastes portes<br />

Vibrer dans la chaleur – c'est l'heure de midi –<br />

La ligne et la couleur du lointain paysage<br />

Qui sous le ciel d'été calme et comme engourdi<br />

Dort d’un sommeil heureux et lourd – tel un visage.<br />

11


VŒU<br />

Il me suffit qu'un jour, dans l'inconnu des temps,<br />

Quelque jeune poète ou quelque vierge pure,<br />

Vivant pour l'idéal loin de la foule dure,<br />

Puisse exhumer mon œuvre aux rayons palpitants<br />

De ce soleil des morts qu'est la gloire posthume.<br />

Si ses vingt ans émus s'inclinent sur mes vers,<br />

Si cet enfant pensif me recrée à travers<br />

Le passé, s'il me met au front des lauriers verts,<br />

Le sort m'aura payé d'une longue amertume.<br />

Il songera qu'avant d'être vieux et puis mort<br />

Je fus selon la vie un enfant tendre ou fort.<br />

Et rêvant au rimeur de qui vient le poème,<br />

Qu'il l’admire s'il veut mais, avant tout, qu'il l'aime.<br />

Qui que tu sois alors, ô future âme-sœur,<br />

Jeune fille aux yeux clairs, poète au vaste cœur,<br />

Dès aujourd'hui je vois frémir ta forme élue,<br />

Mon âme te pressent et déjà te salue.<br />

12


LE LE DESTIN DESTIN DE DE DE SAPHO<br />

SAPHO<br />

FRAGMENTS<br />

FRAGMENTS<br />

13


PROLOGUE<br />

Le parfum des vierges mytiléniennes<br />

SAPHO, à Néère<br />

Nulle chanson ne nous défend contre les doutes,<br />

Et nulle herbe fleurie n’en marge de nos routes<br />

N'empêche qu'elles vont à l'abîme. Crois-moi:<br />

Jouis de ton printemps, épuise cet émoi<br />

Délicieux qui passe et fuit à tire-d’aile<br />

Et qui ne revient pas avec les hirondelles.<br />

Tu es comme un beau fruit, juteux et parfumé,<br />

Où la marque des dents laisse sourdre une eau fraîche<br />

Aux lèvres que la soif dessèche;<br />

Un fruit à peine mûr et qui garde, enfermé<br />

Dans sa pulpe, le goût charnel du mois de mai.<br />

14


... Oui, j'ai senti parfois, en cueillant une bouche<br />

Docile bien qu'un peu farouche,<br />

Que mon adolescence accourait à ma voix<br />

Avec sa fraîcheur d’autrefois<br />

Et que je la baisais moi-même sur la bouche.<br />

(Depuis quelques instants une syrinx<br />

Chante au lointain)<br />

Ecoute!... Cette flûte au fond du clair matin,<br />

Cette flûte qui chante un bonheur enfantin,<br />

Nous l'entendrons peut-être encore au crépuscule<br />

Mais ce soir la chanson vive qu'elle module<br />

Nous semblera plus lente et nostalgique Ainsi,<br />

Dans cette ombre où déjà notre cœur est transi,<br />

Nous écoutons pleurer la Flûte jadis vive<br />

Et qui chantait au temps de l'enfance naïve,<br />

15


Acte premier<br />

LA LYRE BRISÉE<br />

SAPHO<br />

Tais-toi... Le soir divin plane sur les montagnes.<br />

Il va descendre au cœur des vallons apaisés.<br />

C'est l'heure d'oublier les remords et les doutes,<br />

L'heure où les amoureux se donnent des baisers ...<br />

Sapho...<br />

L’ÉTRANGER<br />

SAPHO<br />

L'heure où, marchant sur l'herbe de nos routes,<br />

Erôs vient, familier, silencieux et beau,<br />

Elever sur nos seuils son éternel flambeau.<br />

C'est l'heure ...<br />

L’ÉTRANGER<br />

Ecoute-moi...<br />

SAPHO<br />

Pressentant son destin d'être cendre demain,<br />

Sombre à la volupté raffinée ou naïve,<br />

C'est l'heure où la chair vive,<br />

Et sachant dès longtemps que tout le reste est vain<br />

S'enivre de tendresse alanguie et plaintive<br />

Avant d'aller gémir sur la funèbre rive.<br />

16


Acte deuxième<br />

ÉROS TISSEUR DE CHIMÈRES<br />

SAPHO à PHAON<br />

…..Tes seize ans<br />

Sont mûrs pour mon étreinte insatiable et douce.<br />

Viens, c'est l'heure d'aller s'étendre sur la mousse,<br />

Près de la mer, en la forêt au frais gazon<br />

Mêlé de sable. Au ciel d'été, vers l'horizon,<br />

Vois-tu se profiler tout un vol de mouettes?<br />

Respire dans l'air pur l'odeur des violettes.<br />

Mets tes bras à ma taille et serre sans trembler<br />

Ce corps dont chaque geste a l'air de t'appeler.<br />

17


Acte troisième<br />

VERS LA MER LIBÉRATRICE<br />

SAPHO<br />

… Caresse surhumaine où nos corps ont sombré,<br />

Tel l'Astre en l'océan pourpré,<br />

Ton souvenir me hante et c'est lui seul, j'espère,<br />

Que j'emporte. Ce soir, roi des Dieux, Zeus sévère,<br />

Vous m'aurez accueillie en vos bras paternels,<br />

Aux cimes des cieux éternels.<br />

Ma joie était trop haute, hélas, et je l'expie,<br />

Mon âme se berçait doucement assoupie<br />

Au rythme du bonheur qui, le jour et la nuit,<br />

Chantait dans l'ombre où l'amour luit.<br />

Je garde dans ma chair le goût de son étreinte:<br />

Souvenir de clarté quand la lampe est éteinte.<br />

Mes yeux hallucinés ne voient plus que l'ennui,<br />

L'abîme, l'horreur et la nuit.<br />

18


Depuis qu'il est parti je vis comme une morte.<br />

Nul espoir jamais plus ne rouvrira ma porte.<br />

O vie, ô coupe vide où j'ai bu son baiser,<br />

Maintenant je veux te briser.<br />

J'emporte vers Aidès et son calme rivage<br />

La plaie inguérissable, hélas, de mon veuvage.<br />

Nature, accueille-moi ce soir dans ta splendeur:<br />

Eteins ma consumante ardeur.<br />

Salut à toi, Sapho.<br />

LE VIEUX PÊCHEUR, survenant<br />

SAPHO<br />

Salut, vieillard.<br />

LE VIEUX PÊCHEUR<br />

. . . . . . . . Je passe<br />

M'en allant vers la mer sonore et vers 1’espace ...<br />

SAPHO<br />

Va. Puissent tes filets revenir pleins ce soir.<br />

Heureux ceux qui s'en vont guidés par un espoir.<br />

19


LE VIEUX PÊCHEUR<br />

Que parles-tu d'espoir? Ce n'est plus de mon âge<br />

Mais du tien.<br />

SAPHO<br />

Le crois-tu? L'espoir est si volage!<br />

Qui donc peut, comme on fait d'un oiseau prisonnier,<br />

Rogner les plumes de ses ailes?<br />

LE VIEUX PÊCHEUR (il rit naïvement)<br />

Je te rapporterai, petite, un plein panier<br />

De poissons argentés couverts d'algues nouvelles,<br />

SAPHO<br />

Laisse… Bientôt je serai loin ...<br />

SAPHO<br />

A quoi bon évoquer ce gui ne peut renaître,<br />

Sinon pour en souffrir, sinon pour mieux connaître<br />

Tout le néant vertigineux: du jamais plus.<br />

Le printemps est passé, tous les arbres sont nus<br />

Au pays chimérique et mort d'où sont venus<br />

Mes songes… Et l'horreur envahit tout mon être.<br />

Hélas, Néère pleure et Phaon est parti,<br />

20


Laissant seul à jamais mon cœur anéanti.<br />

Je ne veux pas devenir folle... Mon génie<br />

A le droit de mourir mais non pas de sombrer<br />

Dans le vague chaos d'une force ennemie.<br />

Je ne veux pas crier, je ne veux pas pleurer<br />

Mais, puisque rien ne m'est plus rien sur cette terre,<br />

Je mourrai dès ce soir d'une mort volontaire.<br />

Dispensateurs de nos plaisirs et de nos maux,<br />

Le désir et la mort sont d'augustes gémeaux.<br />

Pour la volupté folle ou les apprêts funèbres<br />

L'un et l'autre ont le goût des profondes ténèbres.<br />

Ils aiment les frissons, les sanglots et les râles,<br />

Les pleurs furtifs, les spasmes brefs, les faces pâles.<br />

L'un crée et l'autre brise en un constant duel<br />

Où ne compte pour rien l'être individuel.<br />

Le désir et la mort ... L'un tue et l'autre sauve.<br />

L'un est le fouet cruel, l'autre la bonne alcôve<br />

Où l'on dort à jamais, sans rêve et sans ennui,<br />

Sur le sein maternel et calme de la nuit.<br />

21


SAPHO<br />

Et ma lyre, Apollon, je les lègue aux humains.<br />

….Ma couronne<br />

Sans regret j'en dépouille et mon front et mes mains,<br />

Sans regret. Si plus tard je survis par l'Histoire,<br />

Si la postérité me décerne la gloire,<br />

Je voudrais qu'un poète au verbe palpitant<br />

Dévoile mon destin et s'en aille chantant:<br />

" Longtemps Sapho vécut de haute poésie<br />

Puis l'amour lui versa la mortelle ambroisie<br />

Et lorsque l'âme-sœur, entre mille choisie,<br />

L'eut trahie, elle fut dormir aux vertes eaux<br />

De l'archipel natal, où le cri des oiseaux<br />

Se marie au murmure harmonieux des vagues,<br />

Dormir paisiblement dans les profondeurs vagues<br />

De la mer qui reflète au loin l'azur en fleur,<br />

Pour oublier enfin la vie et la douleur."<br />

Je vais à l'infini comme j'en suis venue.<br />

Oui, ma coupe est trop pleine et je la brise. Dieux,<br />

Avant que l'ombre ultime ait submergé mes yeux<br />

22


J'élève mes regards vers l'ardeur de la nue,<br />

Vers le soleil éblouissant que tu conduis,<br />

Apollon, et qui change en aurores les nuits.<br />

Ainsi j'emporterai dans l'ombre sous-marine<br />

Et dans la voie hospitalière de la mort<br />

Un reflet radieux de ta splendeur divine<br />

Qui saura me guider jusqu'à l'abri du port.<br />

Chair lâche! As-tu donc peur? Tu frissonnes… La vie…<br />

L'amour… Et puis, la mort… Ténèbres et clartés<br />

Qui s'unissent… Un jour, la joie épanouie…<br />

La douleur vient... Pourquoi?... Mystères in scrutés…<br />

Les Dieux savent… peut-être… Et moi, Sapho, j'ignore,<br />

Et je m'en vais, ou vers la nuit, ou vers l'aurore…<br />

Nul ne sait... Vers les ténèbres… ou les clartés…<br />

23


L’OMBRE L’OMBRE ÉTOILÉE<br />

ÉTOILÉE<br />

24


PRELUDE<br />

Apollon Musagète a marqué de son sceau<br />

Dès le printemps de la Hellade<br />

Le mois d'avril, le chant de flûte et le ruisseau<br />

Qui réjouissent le malade<br />

Et qui pour celui-là dont la santé fleurit<br />

Sont un plaisir des sens, un délice d'esprit<br />

Ainsi qu'aux jours de la Hellade.<br />

Le rustre aux champs et le marin sur son vaisseau<br />

Louaient, ô conducteur des Muses,<br />

Ton nom sitôt qu'avril verdissait l'arbrisseau<br />

Et que renouvelant ses ruses<br />

Erôs prenait, tel un charmeur, de ses deux mains<br />

L'ample troupeau toujours naïf des cœurs humains<br />

Attendris à la voix des Muses.<br />

25


Mais aujourd'hui les cœurs sont durs. Nul ne sait plus<br />

La douceur des temps révolus.<br />

Ah ! Vivre aux siècles d'or où l'homme était artiste<br />

Ou dans l'ombre de Jean-Baptiste<br />

Qui, dominant le monde impur de son dédain,<br />

Attendait le Christ au Jourdain<br />

Et peut-être, lisant dans le ciel de Judée<br />

Qu'il tomberait pour son idée,<br />

Voyait déjà paraître en le soir embaumé<br />

Le visage de Salomé.<br />

Vivre aux temps de l'Attique ou de la Palestine;<br />

Etre un pèlerin d'Eleusis ;<br />

Sinon, avec l'espoir d'une source argentine,<br />

Chercher au désert l'oasis…<br />

Sentir deux soifs: la soif du corps, la soif de l’âme ;<br />

Voir dans le lointain les palmiers;<br />

Trouver Celui qui vit sans faiblesse et sans blâme,<br />

Et, venu parmi les premiers,<br />

Boire à la source d'eau puis à la source d’âme.<br />

26


RUISSEAU ENSOLEILLÉ<br />

Le ruisseau bruissant et limpide<br />

Qui chantonne<br />

En courant sous un ciel monotone<br />

Et vide<br />

Sait mirer purement tous les arbres<br />

Dont l'ogive<br />

Teinte en vert − vert d'onyx ou de marbre –<br />

L'eau vive.<br />

Et les rais du solea de l’automne,<br />

Si fugace,<br />

27


Traversant le cristal qui chantonne<br />

Et passe,<br />

Font briller les graviers ou le sable<br />

Du fond lisse<br />

Et les eaux du ruisseau délectable<br />

Qui glisse<br />

En disant la douceur d'être libre…<br />

Voix charmante,<br />

Je t’écoute : avec toi mon cœur vibre<br />

Et chante;<br />

Et je vois des Thulés minuscules<br />

Apparaître<br />

A travers les glauques crépuscules<br />

De tes eaux, puis mourir et renaître<br />

28


DIVINITÉS PAIENNES<br />

Les Elfes, les Lutins<br />

Et les Gnomes aussi<br />

Fluides et lointains<br />

Errent encore ici<br />

Peut-être…<br />

La forêt, les parfums,<br />

L'absence du grand jour<br />

Et l'appel des défunts,<br />

Cela leur suffit pour<br />

Renaître.<br />

29


Les Naïades encor,<br />

Les Faunes, les Sylvains<br />

Vivent dans ce décor,<br />

S’enivrant aux divins<br />

Breuvages<br />

Du soleil et de l'air,<br />

De la rosée en pleurs,<br />

De la source au flot clair<br />

Et d'une odeur de fleurs<br />

Sauvages,<br />

Et les Nymphes, parfois,<br />

− Quand la lune d'argent<br />

Illumine les bois<br />

D'un grand reflet changeant−<br />

Sans nombre,<br />

Traversent en dansant<br />

Les bouleaux et les buis,<br />

Les ifs, les saules, puis<br />

Vont s'évanouissant<br />

Dans l'ombre.<br />

30


TROIS PÉLERINS<br />

A MME LA DUCHESSE DE BAUFFREMONT<br />

Sont partis trois enfants rayonnants<br />

Sur la mer, sous la pluie et les vents,<br />

Pour chercher les bonheurs décevants,<br />

Les mamans ont prié Notre-Dame,<br />

Ont prié du tréfonds de leur âme,<br />

Mais que peut le tourment de la femme?<br />

Sont partis trois enfants rayonnants<br />

Sur la mer, sous la pluie et les vents<br />

Pour chercher les bonheurs décevants.<br />

31


Les mamans ont vieilli, puis sont mortes,<br />

Et la ronce a fleuri sur leurs portes.<br />

Or, un jour, trois marins sont venus.<br />

La vieillesse argentait leurs fronts nus,<br />

Ici, nul ne les a reconnus.<br />

Ils sont là, les yeux pleins de mystère;<br />

Ils ne font que songer et se taire;<br />

Leurs regards sont penchés vers la terre.<br />

Sont partis trois enfants rayonnants<br />

Sur la mer, sous la pluie et les vents,<br />

Pour chercher les bonheurs décevants.<br />

32


LE BOIS LUMINEUX<br />

Du ciel matinal où l'été flamboie<br />

Il pleut des rayons à travers les branches.<br />

On sent palpiter l'amour et la joie<br />

Parmi le bois clair où des nymphes blanches<br />

Doivent errer sans qu'on les voie.<br />

J'entends roucouler une tourterelle;<br />

En vague échos dans le val sonore<br />

La brise murmure et chante avec elle;<br />

La source limpide aux reflets d'aurore<br />

Mêle à ce duo sa voix frêle.<br />

Dans mon âme où vibre une voix divine<br />

Qu'elle n'entend pas mais qu'elle devine,<br />

Dans mon âme où vit la Beauté première<br />

Il pleut des flèches de lumière.<br />

33


FÊTE VILLAGEOISE<br />

Réjouis-toi, pauvret, car l'heure est brève,<br />

Et danse encor sous les hautes feuillées.<br />

Foule la terre et les herbes rouillées<br />

De cet automne harmonieux qui rêve.<br />

Les violons avec les cornemuses<br />

Scandent les pas de la foule joyeuse;<br />

Le jour pâlit dans l’ombre de l'yeuse;<br />

Les filles rient ... Je veux que tu t’amuses.<br />

Sait-on jamais combien la joie est frêle?<br />

Qu'un malheur passe, et c'est la mort pour elle.<br />

… Et maintenant, viens; la fête est finie.<br />

Ta fiancée, ami, s'est endormie:<br />

Elle a quitté la souffrance et la vie.<br />

34


LA FONTAINE OUBLIÉE<br />

C'est là-bas, au delà d'une vaste pelouse,<br />

Que la fontaine dort et les Amours aussi;<br />

Et la rouille a jauni leur petit corps transi<br />

Qu'a reconquis déjà la Nature jalouse.<br />

Sous les vasques groupés et songeant, ils sont douze.<br />

On les croirait indifférents et sans souci<br />

D'être depuis un siècle abandonnés ici<br />

Autour du fût central qu'une liane épouse.<br />

Mais l'eau ne chante plus dans les vasques et plus<br />

Ne pleurera jamais ses sanglots révolus;<br />

La pierre se dessèche et les métaux arides<br />

S'ennuient au souvenir de l’onde où vont des rides<br />

Et les enfantelets souffrent de ne pas voir<br />

Se refléter dans l'eau comme en un frais miroir<br />

Leurs nudités, jadis vivantes d'être humides.<br />

I<br />

35


II<br />

Autrefois ils voyaient, tout le jour, voyager<br />

Des nuages changeants sur le cristal de l'onde.<br />

Et, les voyant passer, ils la croyaient profonde,<br />

Tant s'y mirait profondément le ciel léger.<br />

Hélas ! Ce qui demeure encore a vu changer<br />

Ce qui s'écoule. Rien que le temps ne confonde<br />

Dans le gouffre où se perd la jeunesse du monde,<br />

Rien qui subsiste, rien qui ne soit passager.<br />

Ce qui dure lin peu plus que l'homme, c'est son rêve<br />

Fervemment exprimé dans une œuvre moins brève.<br />

− Amours de la fontaine, où dort votre sculpteur ?<br />

Et la vierge aux yeux clairs qui, lasse de chaleur,<br />

Laissait traîner ses doigts dans le flot de vos vasques ?<br />

Et les oiseaux, et les enfants aux jeux fantasques<br />

Qui s’abreuvaient d'eau pure et d'un plus pur bonheur ?<br />

36


III<br />

Le sculpteur vous créa, puis il s'est endormi<br />

A jamais. Et la vierge est vieille ou bien est morte :<br />

Ils ont passé le seuil d’un invisible porte<br />

Ouverte sur la nuit funéraire… Parmi<br />

Ces allègres enfants qui fermaient à demi<br />

Leurs yeux pour mieux goûter l'été qu'un souffle emporte.<br />

Et parmi ces oiseaux à la voix frêle ou forte,<br />

Combien ont déserté le paysage ami?<br />

C'est peut-être cela qui donne à la fontaine<br />

Un air mélancolique et de douceur lointaine,<br />

C'est peut-être cela qui prête aux douze Amours<br />

Un peu d'humanité, d'âme, de souvenance,<br />

Quelque chose qui semble un signe de souffrance,<br />

Et, dans l'écoulement des êtres et des jours,<br />

Un parfum de passé, le regret d'une absence.<br />

37


VERS LA NATURE<br />

Bienheureux le poète, aux rives de la Loire,<br />

Qui voyait l'eau fluer ainsi que sa mémoire<br />

Et: qui, se comparant aux ondes du beau fleuve,<br />

Sentait s’épanouir son âme toujours neuve,<br />

Toujours autre, et pourtant d'une essence immuable<br />

Ainsi, dans le torrent de ton rythme ineffable<br />

Je veux m'anéantir, Nature, ombre étoilée.<br />

Mère anonyme, mère à la face voilée,<br />

Qui ne berces pas l'homme et pourtant le consoles,<br />

Isis qui fais penser sans dire des paroles,<br />

Grande initiatrice au silence fertile,<br />

Délivre-moi du monde hostile!<br />

38


POUR LA VIERGE AU PUITS<br />

Vierge qui viens remplir dans le puits ton amphore<br />

Avec le geste rituel<br />

D’une ancienne canéphore,<br />

C'est ton être individuel,<br />

Ton désir d'étancher une soif éternelle,<br />

Qui t'incline, pensive, au bord de la margelle :<br />

Mais c'est le rythme des aïeux<br />

Qui règle à ton insu tes bras harmonieux,<br />

O jeune fille lente et sage<br />

Que meut un simple geste humain,<br />

Et je salue en toi l'image<br />

De la vierge d'hier, d'aujourd'hui, de demain.<br />

39


LE PETIT FAUNE<br />

Tel un reflet attardé du soleil,<br />

Sa tête rousse luit sur mes genoux ... J'écoute:<br />

Le feuillage nocturne exhale des bruits sourds;<br />

La nuit d'été marche à pas de velours;<br />

Une vague chanson s'éloigne sur la route,<br />

Et la mer, qui déferle aux grèves, chante toute,<br />

J'ai peur de cet enfant dont 1a voix inconnue<br />

Chante toujours la vie et jamais le devoir.<br />

Parfois même, dans la pénombre, je crois voir<br />

Scintiller à son flanc de chair mouvante et nue,<br />

Tout près d'un arc d'argent, les flèches d'un carquois,<br />

Et sa bouche esquisser un sourire narquois.<br />

40


PELERINAGE MYSTIQUE<br />

O cœur, chemine sur la route chimérique.<br />

Anxieux de trouver non pas une Amérique<br />

Mais quelque Chine assez ancienne pour que l'ombre<br />

Et le silence et la nuit bleue aux yeux sans nombre<br />

Y soient propices à l'oubli de la détresse<br />

Et dignes que la mort accorde sa caresse<br />

− Sans que ce front se brise au tragique de l'heure −<br />

Au front tumultueux ou la passion pleure.<br />

Je n'aurai pas connu l'opium et son leurre<br />

Ni savouré l'ivresse étrange des pagodes<br />

Ni chanté le Bouddha sur de bizarres modes<br />

Mais mon amour mystique aura fait de la Chine<br />

Le seul royaume obscur où l'on puisse s'étendre<br />

Pour t'écouter mourir, cœur nostalgique et tendre,<br />

Et sentir déferler, telle l'ardeur marine,<br />

Le silence qu'Erôs a promis à ma cendre.<br />

41


ACCALMIE<br />

La mousse croît au mur ancien du presbytère.<br />

Le crépuscule vient, la rue est solitaire<br />

Et l'on se sentirait soudain seul sur la terre<br />

Si de la cathédrale au grand profil austère<br />

Ne descendait avec la voix du vieux bourdon<br />

Une ombre de douceur, de paix et de pardon.<br />

Présence dans le soir, de cette silhouette<br />

Dont la pierre et le bois ont la couleur du temps,<br />

Silence ami, pure fraîcheur, parfums flottants<br />

De rose et de lilas, d'œillet, de violette<br />

Exhalés, tel un souffle odorant, du jardin,<br />

Vagues sensations de calme citadin,<br />

Comme vous apaisez par ce soir d'améthyste.<br />

D'avoir si bien aimé qu'on ne sait presque plus<br />

− Dans la sonore ardeur du dernier Angélus −<br />

Si la douleur est bonne ou si la joie est triste.<br />

42


LA BEAUTÉ DIVINE<br />

Aumônes du divin à notre humanité:<br />

Haleines du printemps et souffles de l'été,<br />

Soirs lunaires, matins ensoleillés jours calmes.<br />

Miroitements sur l'eau, bruissement des palmes.<br />

Prestige de la chair dans l’ombre ou la clarté,<br />

Or des cheveux pâleur des fronts, larges prunelles<br />

Dont notre angoisse attend des pitiés fraternelles<br />

Et qui font rayonner en nous de la bonté.<br />

Mais le bois qui s'éveille aux lueurs du matin<br />

Avec ses arbres verts et luisants de rosée,<br />

Son air où court l'odeur de la fraise écrasée,<br />

Ses vagues profondeurs où le soleil s’éteint,<br />

N'est pas le bois sacré dont les dieux sont les hôtes.<br />

Et je songe aux forêts où, sous les branches hautes,<br />

Apollon, fils du ciel, passe dans le lointain.<br />

43


La fresque symphonique où Beethoven respire,<br />

Plus proche, plus troublant que s’il chantait encor,<br />

Ces flûtes de l'avril et ces appels de cor<br />

Sous le ciel étoilé qui dans le lac se mire,<br />

Tout cela qui m'exalte et m'attriste pourtant<br />

Me donne le regret des hymnes qu'on entend<br />

En rêve, hymnes subtils dont l'écho nous arrive<br />

Tel un son musical venu d'une autre rive.<br />

Ce visage chéri, tant de fois caressé<br />

Que souvent j'interroge avec inquiétude,<br />

Ce visage fermé qui lasse mon étude,<br />

Je ne devine rien au miroir de ses yeux;<br />

Et ce front familier m'est plus mystérieux<br />

Que les astres perdus au fond des sombres nues.<br />

Voyageur, pèlerin pensif, vois: le soir tombe.<br />

L'ombre qui te submerge éteint derrière toi<br />

Le suprême reflet rose du dernier toit,<br />

Et ta ville à présent est telle qu'une tombe.<br />

Vois: à l'autre horizon, celui vers quoi tu cours,<br />

44


Le soleil agonise à la fin de son cours,<br />

Comme un songe de gloire en l'âme d'un poète,<br />

Il est enseveli dans la mer violette,<br />

Dans ce libre océan que tu voudrais toucher<br />

Et qui déjà n'est plus qu'une ligne fluette<br />

Où pâlissent soudain les flèches de l'Archer.<br />

45


PASTORALE TRISTE<br />

Voici le temps venu de rentrer au bercail,<br />

O brebis dont la laine aux buissons est restée,<br />

Et qui saigne. Le soir s'annonce. Le portail<br />

De l'étable s'entre’ouvre à l'ouaille attardée.<br />

Qu'espères-tu de plus que la paille et le toit<br />

Maintenant qu'a pris fin ta course folle et vaine?<br />

Tous les parfums des prés s'en viennent avec toi;<br />

Que leur exhalaison de menthe et de verveine<br />

S'abolisse à jamais puisque c'est bien fini<br />

De courir tout le jour la sylve et la colline,<br />

Car le clair souvenir est un traîtreux ami<br />

Qui fait plus ténébreux le soir où l'on chemine.<br />

L'invisible berger te ramène à l'abri<br />

Et si lourde sont ton âme et ton corps si meurtri<br />

Et si haute en ton cœur la voix de ta tristesse,<br />

46


Que tu ne comprends pas encore sa tendresse<br />

Ni sa pitié ni ton salut. Tu viens de loin.<br />

Tu cherchais le bonheur dont ton cœur a besoin<br />

Et tu ne pensais pas t'éloigner de son aile.<br />

Mais s'il existe − ô brebis folle − il n'est que là,<br />

Au bercail imprégné de douceur maternelle<br />

Où la voix du berger inquiet t'appela<br />

Tandis que tu courais la lointaine aventure<br />

Et que grisée à vivre au cœur de la Nature<br />

Tu ne pressentais pas le loup vif et puissant<br />

Prêt à mordre ta chair d'où va jaillir le sang.<br />

Dis, que rapportes-tu de cette randonnée<br />

Sinon la lassitude et la soif et la faim ?<br />

Songe − puisqu'à présent te voilà pardonnée –<br />

A pleurer ton erreur et t'assagir enfin.<br />

Tu sais que le berger a plus de joie encore<br />

A sauver ce qui meurt qu'à chérir ce qui vit<br />

Et qu'il est secourable au cœur inassouvi<br />

Qui cherche sa pitié dans la nuit ou l'aurore.<br />

Voici le temps venu de rester au logis,<br />

O brebis dont la laine aux buissons flotte encore.<br />

Voici l'heure du maître et les jours assagis,<br />

Car ton enfance est morte et ta jeunesse passe<br />

47


Comme les carillons des cloches dans l'espace,<br />

Comme le reflet gris des nuages sur l'eau.<br />

Oublie à tout jamais tes dangereuses courses,<br />

L'ombre noire de l'if, la grâce du bouleau,<br />

L'odeur des herbes d'or ou la fraîcheur des sources<br />

Et sans te souvenir d'un charme passager<br />

Blottis-toi sur le cœur infini du berger.<br />

48


L’INVISIBLE COMPAGNE<br />

Tu m'as prise parfois pour la jeune exilée<br />

Dont ta mémoire garde une image voilée<br />

Puis tu t'es souvenu d'une morte et sa forme<br />

T’as semblé se glisser sous les saules ou l'orme.<br />

Et tu m'as confondue encore avec la Muse<br />

Et, spectre évanescent, silhouette confuse,<br />

Tout ce qui flotte et passe au fond de la musique,<br />

Tout te parlait de moi, ta sœur mélancolique.<br />

N'importe! Je suis là, discrète, maternelle.<br />

Je protège ta vie et je me fonds en elle.<br />

Et je suis le plus pur, le meilleur de toi-même :<br />

Cette inspiration qui te dicte un poème,<br />

Ce songe merveilleux qui charme ta nuitée,<br />

Cet espoir persistant, cette harpe enchantée<br />

Qui chante pour toi seul d'étranges harmonies<br />

Et qui peuple les soirs de voix indéfinies.<br />

49


Mon nom? Je n'en ai point. Je suis ton atmosphère,<br />

Ton reflet, ton écho, le halo de mystère<br />

Et le nimbe, invisible aux terrestres prunelles,<br />

Qui cercle tous les fronts de clartés éternelles.<br />

Le jour que tu mourras, enfin je pourrai naître.<br />

Lors tu seras toi-même et, graves, face à face,<br />

Nous nous contemplerons jusqu'à ce que s'efface<br />

La brume qui flottait entre nos mains tendues<br />

Et nous retrouverons les tendresses perdues.<br />

Je rentre maintenant dans mon actif silence.<br />

Je n'ai que trop parlé puisque ton cœur s'élance<br />

Vers mon cœur. Mais je suis d'une subtile essence,<br />

Renonce à me saisir, cœur épris de mensonge.<br />

Je ne suis déjà plus, dans le soir bleu, qu'un songe.<br />

50


STANCES FUNÉRAIRES<br />

Peace, peace! he is not dead, he doth not sleep,−<br />

He hath awaken’d from the dream of life.<br />

SHELLEY,<br />

Les morts parlent. Tandis que mon esprit écoute,<br />

Je contemple, groupés parmi les bois confus,<br />

Trois eucalyptus gris dont on coupa les fûts<br />

Près du sommet. Déjà la sève, goutte à goutte,<br />

A recréé là-haut des feuillages touffus.<br />

L'arbre est meurtri mais sa croissance continue.<br />

Transfiguré par la blessure il est plus beau<br />

Et ses lignes lui font en leur dessin nouveau<br />

Un profil de colonne harmonieuse et nue<br />

Et son ombre descend sur la croix d'un tombeau.<br />

Or, voici que surgit du fond de ma mémoire<br />

L'image sans couleur d'un clos abandonné:<br />

Cimetière en ruine, anonyme, fané,<br />

Où les défunts n'ont plus ni tendresse ni gloire,<br />

Adonais.<br />

51


Où depuis bien des ans nul pas n'a résonné.<br />

La pluie et le soleil ont effacé la trace<br />

Du ciseau qui grava sur ces vieux tumulus<br />

De pauvres mots humains. Le vol des Angelus<br />

N'éveille plus ces morts oubliés de leur race,<br />

Ni la rumeur du vent dans les eucalyptus.<br />

Sèche comme le roc stérile qui la couvre,<br />

La poudre de leurs os s'amalgame au sol brun.<br />

La lumière du jour s'irise dans l'embrun.<br />

De la mer toute proche, où chaque barque entrouvre<br />

Un sillon argenté, s'exhale un frais parfum.<br />

Sur le faîte oscillant des cyprès noirs, un merle<br />

Célèbre l'été tiède et la douceur des nids ;<br />

Et sa voix, dominant les reflux infinis,<br />

Se mêle au grondement de la mer qui déferle<br />

Et vers le ciel serein montent ces chants unis.<br />

Mais là, dans ce désert de marbres et de pierre,<br />

Rien ne vit, rien, pas même un souvenir pâli :<br />

La solitude avec la torpeur et l'oubli<br />

52


Et l'envahissement de la ronce et du lierre<br />

Sur le sépulcre vide où plus rien ne se lit.<br />

Combien de siècles lents ont poli de leurs ailes<br />

L'histoire burinée aux flancs de ces tombeaux ?<br />

Ceux qui finirent là, furent-ils laids ou beaux ?<br />

Poètes ou guerriers, ou tendres damoiselles,<br />

Où scintille à présent le feu de leurs flambeaux?<br />

53


L’ÉVASION VERS LA MER<br />

Sommeillez, chiens de garde, au seuil des vieux logis.<br />

Gagnez une caresse et votre nourriture.<br />

Soyez les serviteurs humblement assagis<br />

Du foyer ancestral où stagne ce gui dure.<br />

Mais laissez l'albatros aller vers l'horizon,<br />

Très loin de tout servage et de toute prison.<br />

Laissez-le s'enivrer de lumière et d'espace,<br />

Lui le symbole harmonieux de ce qui passe.<br />

Il file au ras de l'eau, dont l'écume et le sel<br />

Imprègnent le duvet de ses ailes ouvertes<br />

Et sur la houle bleue aux transparences vertes<br />

Il goûte dans l'instant un délice éternel.<br />

54


MER INDIENNE<br />

55


LA DANSE DEVANT LA MER<br />

Dansez dans la clarté, jeunes filles harmonieuses.<br />

La mer avec vous danse! en déferlant au bord des grèves<br />

Et dansent avec vous vos chevelures lumineuses<br />

Dans le matin léger d'ont l'azur efface les rêves.<br />

O l'ensoleillement de vos toisons claires ou sombres.<br />

L'une est rousse: sa tête irradie une humble lumière,<br />

Telle une orange mûre au verger, dans l'aube première;<br />

Et toutes vous luisez mieux que la lampe sur les ombres.<br />

Dansez dans la clarté, jeunes filles harmonieuses.<br />

Vous êtes à la fois l'enfant d 'hier la mère sûre<br />

De demain, Et vos mains savent encor bercer, pieuses.<br />

La poupée, et vos flancs porteront la race future.<br />

Dansez.. Je vous admire et je vous aime et je vous chante,<br />

Porteuses de mon rythme, épars dans votre théorie ;<br />

56


O guirlande de chair, ô fruits humains, fresque vivante ;<br />

Chœur de Muses, dansez, cortège d'or, troupe fleurie.<br />

Et lorsque votre ronde enfin se sera dénouée<br />

Parmi les filaos et le bois bruissant de palmes,<br />

La mer viendra baiser, à l'heure des vagues plus calmes,<br />

L'empreinte de vos pas, au creux des sables oubliée.<br />

57


SOMMEIL<br />

Laissez que cette enfant essoufflée de sa course<br />

Se repose un instant, le front sur mes genoux,<br />

Après qu'elle aura bu au miroir de la source<br />

Et laissez le silence et la joie entre nous.<br />

Dans l’ombre d'or qui pleut des nobles cocotiers<br />

La mer céruléenne éclate entre les branches.<br />

Laissez que son chant pur berce notre amitié<br />

Dans un remous de regards bleus et d'ailes blanches.<br />

La vie interrompue se suspend et frémit<br />

Sur nos êtres que mêle une immobile étreinte<br />

Et la gloire du jour m'apparaîtra éteinte<br />

Tant que je bercerai mon amour endormi.<br />

Vous, Génies de la Mer, et vous, oiseaux du ciel,<br />

Soyez complices de ma joie et de son rêve:<br />

Eteignez vos chansons sur l'arbre et sur la grève,<br />

Respectez la douceur d'un instant éternel.<br />

58


ARIETTE ENFANTINE<br />

La pluie et le soleil: Satan marie sa fille.<br />

Hirondelle des bambous,<br />

Prends la pluie et rends-nous le soleil.<br />

La servante est mouillée, les enfants ont sommeil,<br />

La pluie est un serpent dont nul ne voit le bout<br />

Mais la clarté sourit à travers la résille<br />

De l'eau argentée qui scintille.<br />

La pluie et le soleil: Satan marie sa fille…<br />

LE PEUPLE DE L’HERBE<br />

Le tourbillonnement, des élytres d'azur<br />

Et d'or et de sang pur;<br />

Le cliquetis des ailes<br />

Frêles<br />

Parmi les brins emmêlés<br />

Que la brise a frôlés<br />

En les dépouillant de leurs gouttes de rosée ;<br />

La bataille vitale et l'amour génésique;<br />

L'inaudible musique<br />

Des vibrations dans l'herbe mouillée ...<br />

59


Non pas des gerbes<br />

Ni des fruits ni du miel,<br />

Mais, au ras de l'herbe,<br />

S'éblouir d'un peu de ciel.<br />

Une chanson<br />

Entre deux silences ;<br />

Un frisson<br />

Dense<br />

De palmes<br />

Entre deux calmes;<br />

MÉRIDIENNE<br />

SCINTILLEMENTS<br />

Entre deux ombres un éclair;<br />

Un peu d’âme entre deux chairs;<br />

Un instant d'éternité<br />

Entre deux clartés ;<br />

Un magnétisme entre deux mains;<br />

Un dieu entre deux humains.<br />

60


PALMERAIE<br />

La mer retentissante et les plages sonores<br />

Dialoguent comme l'amour et l'amitié<br />

Autour de la forêt vaste où les cocotiers<br />

Tamisent la lumière entre leurs palmes d'or.<br />

Et voici qu'enivrés par l'ardeur de leur vol<br />

De blancs oiseaux marins rayent d'argent l'espace.<br />

Entre l'eau déferlante et la forêt muette,<br />

Entre ces voix du ciel et ces voix de la terre<br />

Qu'ont les oiseaux et les insectes, l'heure passe<br />

Et sur le sol les cocotiers s'épanouissent.<br />

Ils écoutent monter leurs sèves et descendre<br />

La coulée du soleil couleur de miel et d'ambre<br />

Au long de leur colonne et de leurs feuilles lisses:<br />

Ineffable stupeur de la vie en sa force<br />

Qui mûrit saintement dans la palme et l'écorce.<br />

Avec d’obscurs frissons et de lentes délices<br />

Ils aspirent la vie aux limbes de la terre<br />

Puis au vide ébloui du ciel; et le mystère<br />

61


De leur communion double est si manifeste,<br />

Que les grands cocotiers demeurent sans un geste<br />

Parmi l'air immobile et que la palmeraie<br />

− Ainsi qu'un temple où vit la Déesse incréée −<br />

Révèle une présence invisible et sacrée.<br />

62


Sérénité, sérénité.<br />

SONGE<br />

Voici ma force et ma clarté :<br />

Un bois de filaos près de la mer musicienne,<br />

L'ombre ancienne,<br />

La clarté de demain<br />

Et surtout, palpitant au creux de mes mains,<br />

Les ailes un peu meurtries,<br />

L'oiseau fabuleux de la Vie.<br />

63


FRANCISCEA<br />

Dans le jardin nocturne où luit tout mauve et blanc<br />

Un franciscea étoilé de fleurs<br />

J’ai tâtonné, le cœur un peu tremblant,<br />

Parmi le feuillage imprégné d'odeur.<br />

Et me voici devant l'arbuste éblouissant<br />

Qui donne à la nuit une âme de vertige.<br />

Je le respire tout entier,<br />

M'inclinant sur chaque tige,<br />

Et je lui porte ainsi l'offrande d'amitié.<br />

Je l’aime celui-là qui parfume tant l'ombre.<br />

J'ensevelis mon front au cœur de sa ramure<br />

Vibrante d'indistincts murmures<br />

Et si sombre<br />

Et si constellée de fleurs frêles,<br />

Que mes yeux étonnés y retrouvent le ciel.<br />

64


NOCTURNE<br />

Tu dormiras ce soir dans les splendeurs de la nuit chaude<br />

Que le ciel tropical teinte d'ébène et d'émeraude.<br />

Tes blonds cheveux défaits auréoleront ton visage<br />

D'un or voilé mais qui luira pourtant, ô vierge sage,<br />

Tel un vitrail au crépuscule.<br />

J'errerai sur le sable où la vague assoupie ondule.<br />

A l'ombre sans lueur des filaos et des palmiers.<br />

J'évoquerai pensif le songe heureux de ta nuitée.<br />

Un grillon chantera, de sa voix obscure exaltée<br />

Par la nuit aux vagues pitiés.<br />

Les villes que j'aimai m'apparaîtront dans les ténèbres:<br />

Couronnes de lumière au bord de l'horizon surgies;<br />

Les illustres cités où médita mon cœur funèbre<br />

Flotteront sur l'eau noire; et mes secrètes nostalgies<br />

Soudain aiguës s'exalteront.<br />

65


Alors s'allumera dans le mystère de mon front<br />

La constellation des souvenirs et des images.<br />

O pâle évocateur, ô mystagogue, triste mage,<br />

Fidèle gardien des urnes vides de parfums,<br />

O chorège des chœurs défunts.<br />

Mais la voix des brisants grondera si haute et farouche,<br />

La brise portera tant de souffles frais à ma bouche,<br />

Le chant des filaos me bercera si fraternel,<br />

Tant de pitié luira dans la nuit du sol et du ciel,<br />

Que j'oublierai, ce soir, mon désir immortel.<br />

66


TERRE DES MORTS ET DES VIVANTS<br />

Rien n'est doux à mon cœur autant que cette terre<br />

Où j'ai vécu. Rien n'est plus haut que ce ciel. Rien<br />

N'est plus sûr que la Mer Indienne où mes pères<br />

Ont arrêté l'élan de leur nef. Tout est bien<br />

Puisque, triste Jason en deuil des Toisons d'Or,<br />

J'ai retrouvé du moins le cœur de la patrie<br />

Où reposer mon cœur dont la fièvre s'endort<br />

Au rythme familier des choses tant chéries.<br />

Ici je puis encore évoquer mon enfance<br />

Parmi le paysage où sommeillent mes morts,<br />

Et penché sur le sol, écouter, clairs et forts,<br />

Les conseils maternels de mon Ile de France.<br />

Ici je suis moi-même et tel que je me veux:<br />

Farouche et tendre, libre et doux, triste et joyeux.<br />

Terroir qui m'as nourri, je te donne un poète<br />

Et si je te dois mieux pour te payer ma dette<br />

Voici tout mon amour, mon bel amour d'hier:<br />

Un peu de cendre, hélas, dans le creux de ma main.<br />

Je mêle cette cendre à ton sol riche et fier :<br />

Puisse-t-elle fleurir une rose demain.<br />

67


Inde.<br />

FACES D’ASIE<br />

I. Un kohl bleuâtre cerne<br />

Tes yeux sidéraux,<br />

Et ton teint de cuivre terne<br />

Est plus doré sous la frange en rouleau<br />

De ta toison aux reflets bleus<br />

Qui donne à ton regard un effluve farouche.<br />

Et ta bouche,<br />

Où songe obscurément le baiser virtuel,<br />

Saigne de la morsure ardente du bétel.<br />

Chine.<br />

II. Mais toi, face de Chine aux mièvres voluptés.<br />

Aux lèvres de douceur pâlie, aux yeux bridés,<br />

Tu sembles regretter quelque lointain été.<br />

Et quand les Indiens soufflent au creux des conques<br />

Ils te font tressaillir à l'image des jonques.<br />

68


Arabie.<br />

III. Menu prince ignorant ta splendeur<br />

Et qui vis au bazar des épices, l'odeur<br />

Des dattes, du safran et du rouge piment<br />

Modela ta narine au subtil mouvement.<br />

Respire ces parfums où flotte une musique<br />

Et que ton enfance un peu nostalgique<br />

En goûte, plus vivace,<br />

L'allusion charnelle aux baumes de ta race.<br />

69


CHANSON DE PROUE<br />

Amer enchantement des oiseaux sur les mâts<br />

Et des voiles gonflées et des cordes mouillées.<br />

Sirènes sur la mer brumeuse qui s'argente<br />

Aux écumes. Pirogue où les enfants d'une île<br />

Apportent au vaisseau les fruits bleus, les nacres<br />

[Changeantes,<br />

De glauques orchidées avec des colombes tranquilles<br />

Et chantent jusqu'au soir des choses inconnues<br />

Que rythment paresseusement leurs voix ténues.<br />

La nuit, sommeils tangués aux respirations<br />

Du port où la marée arrive avec lenteur,<br />

Et fraîcheur qui s'en vient des ignorés jardins en fleurs<br />

Et volupté du songe pâle aux cheveux blonds.<br />

70


ÉCRIT SUR LE SABLE<br />

I. D'ici j'entends par le désir<br />

Le frisselis d'eau de la nef qui passe<br />

Avec ses feux que je vois luire<br />

Dans le noir espace.<br />

II. Les Sirènes chantent<br />

Sur la mer méchante.<br />

Les Sirènes pleurent<br />

Sur la mer qui leurre.<br />

Les Sirènes rient<br />

Sur la mer fleurie<br />

D'écume<br />

Et de brume,<br />

III. Voici les goélands qui annoncent la terre.<br />

Ce soir va mourir le mystère<br />

De cingler, pensifs, sur la mer vivante,<br />

Vers les rives décevantes.<br />

71


IV. O les navires rencontrés<br />

Au large, la nuit,<br />

Et qui fuient<br />

Emportant leur musique et leurs vives clartés<br />

Et le bonheur qu'ils m'ont volé.<br />

72


I. Nonchalance<br />

IMAGES DE MER<br />

Du grand mât qui se balance,<br />

Au rythme des houles rudes,<br />

Sur la Croix-du-Sud…<br />

II. Le navire dort<br />

Sur l'abîme de l'eau;<br />

Seul veille le regard d'or<br />

Des hublots.<br />

III. Phosphorescences<br />

Dans l'eau glauque… Le silence<br />

S'anime à peine au bruit frais<br />

Du frisselis des flots sur la coque moirée.<br />

IV. Là-bas un phare<br />

Dont le rai blond<br />

Vient illuminer le pont:<br />

Regard cyclopéen de l'Afrique barbare.<br />

73


V. −Nef qui passe, je suis le phare<br />

Qui demeure.<br />

Je vis, lumineux parmi la nuit noire,<br />

Pour que tu ne meures.<br />

VI. − Salut, conseiller inconnu<br />

Dont l’œil pensif au bord des grèves<br />

Est la sécurité, le sourire et le rêve.<br />

VII. − Je guide ta marche inquiète<br />

Mais c'est au prix de la mort des mouettes.<br />

Elles viennent à tire-d’aile<br />

Des quatre vents du ciel d'été,<br />

Fidèles<br />

A leur amour de la clarté.<br />

Une folle ardeur les grise<br />

Mais soudain leurs ailes se brisent<br />

Au verre invisible où vit la lumière.<br />

Et l'essor vers le feu vermeil et la victoire<br />

S'abîme au roc du promontoire.<br />

74


LE POÈME DE MADAGASCAR<br />

LA CHANSON SUR LE FLEUVE YAROKA<br />

La pirogue creusée à même un beau tronc d'arbre<br />

Est dense comme l'or, pleine comme le marbre,<br />

Mais sa carène vibre ainsi qu'un tambourin<br />

Et souples sont ses reins.<br />

L'esprit de l'arbre mort est encore vivant<br />

Dans la sonorité profonde de ses flancs.<br />

Nous allons vers Mahatsara<br />

Où le village est accueillant,<br />

Où loin de la pluie et du vent<br />

Ce soir le feu vif chantera<br />

Dans la Maison de l’Etranger<br />

Qu'ombragent de vieux orangers.<br />

Chantez, ô mariniers, pour abréger la route<br />

Entre les deux forêts vierges qui nous écoutent<br />

Et que vos jeunes voix éloignent l'ennemi<br />

Qui se cache parmi<br />

Les roseaux que peigne le fleuve.<br />

Et chantez une chanson neuve :<br />

75


Il y a du soleil sur les filles d’Emyrne,<br />

Là-haut, dans la Ville-aux-mille-Guerriers.<br />

(Ramez plus fort, ramez plus vite,<br />

Ce soir nous serons arrivés.)<br />

Il y a du soleil sur les maisons d’argile<br />

Et sur les tombeaux ornés d’églantiers.<br />

La mort est inflexible et la vie est fragile.<br />

(Ramez plus fort, ramez plus vite,<br />

Ce soir nous serons arrivés)<br />

Tels des grains de raisin vert à travers l’eau glauque,<br />

Voici émerger les yeux du Caïman.<br />

Un de nos aïeux vit dans sa chair tristement :<br />

Père, respecte la pirogue.<br />

Nous avons un toit, du riz, une amante<br />

Et la jeunesse enivrante…<br />

Aïeul ressuscité dans la chair du reptile,<br />

Laisse-nous revoir notre ville.<br />

76


(Ramez plus fort, ramez plus vite,<br />

Ce soir nous serons arrivés)<br />

Ancêtre vêtu d’écailles hideuses,<br />

Nos existences hasardeuses<br />

Ont encor des jours triomphants :<br />

Ne dévore pas tes petits-enfants.<br />

Il y a du soleil sur les vierges d’Emyrne<br />

Qui ont bu le baiser aux lèvres des guerriers…<br />

(Ramez plus fort, ramez plus vite,<br />

Ce soir nous serons arrivés)<br />

77


La Reine morte a traversé<br />

Et son cortège trépassé<br />

Le village de la Colline.<br />

RAMANENJANA<br />

Les morts, nul ne les voit passer<br />

Sinon les chiens à la voix forte<br />

Mais la chair vivante devine<br />

La présence de la chair morte.<br />

La Reine avait tant de fardeaux,<br />

Que les fantômes du cortège<br />

Les ont laissé choir de leur dos.<br />

Mais officiers les frappèrent.<br />

" O notre mère et notre père,<br />

Dirent à la Reine les morts,<br />

Si fort qu’on nous batte, si fort,<br />

Nous ne pouvons continuer<br />

Car nous sommes exténués…"<br />

78


Alors la Reine très méchante<br />

Ordonna qu'on mît les fardeaux<br />

Sur des épaules plus vivantes.<br />

Ainsi débutèrent nos maux.<br />

Et depuis, au temps des moissons,<br />

Quand on bat le riz sur les aires,<br />

Nous sommes saisis de frissons.<br />

Puis d'invisibles charges pèsent<br />

Sur notre nuque ... C'est la Reine<br />

Qui retraverse le village<br />

Et son cortège sans visage<br />

Qui ne peut mourir de sa peine.<br />

− Frères, portons d'un cœur léger<br />

Tout le faix des coffres royaux<br />

Puisque ce n'est point l'étranger<br />

Qui nous alourdit de joyaux.<br />

Et dansons sur la terre pleine<br />

De morts qui font croître le riz<br />

Et chantons tous à perdre haleine<br />

Puisque les vierges ont fleuri.<br />

79


THRÈNE<br />

I. Chef ancien de l'Imerina,<br />

La face selon la coutume orientée,<br />

Depuis deux siècles te voici, ô Majesté,<br />

Enlinceulé des pourpres du lambamena.<br />

II. Aux cris funèbres des pleureuses<br />

On t'a enseveli dans la crypte profonde<br />

A l'heure ou s'éteignait la gloire radieuse<br />

Du soleil; car il était juste<br />

Que sombrent à la fois ces deux clartés augustes:<br />

Masoandro, l'Œil-du-jour, et toi, le Roi du monde.<br />

III. Sur la terrasse occidentale<br />

Du Palais de la Reine, où gît ta cendre,<br />

Le Seigneur-parfumé t'a défendu d'entendre<br />

La vie en sa clameur brutale.<br />

Mais le respires-tu, l'arome de cet églantier<br />

Dont la douceur, sur ton sépulcre où luit l’été,<br />

S'effeuille pétale à pétale ?<br />

80


IV. Oublié de ta race et chanté du poète,<br />

O Roi issu d'une lointaine Malaisie.<br />

Apaise la douleur, ce soir, ombre inquiète :<br />

Andriamanitra au ciel te verse l'ambroisie<br />

Et moi, dans ton royaume, un miel de poésie.<br />

V. Tu es venu, tu as vécu, tu es parti:<br />

N'est-ce point le destin des grands et des petits?<br />

VI. Chacun de nous est maître en quelque beau royaume<br />

Où la vie, ainsi qu'une rose, embaume.<br />

Mais toujours le parfum léger survit à l'homme.<br />

VII. Pourquoi te réveillerais-tu sinon pour voir<br />

Des faces étrangères<br />

Sourire vainement dans l'inconnu du soir,<br />

Et renaître avec toi les choses mensongères!<br />

VIII. Ce soir le vent du Sud te porte la rumeur<br />

Qui vient des marches de ton fief.<br />

Respire, ô Chef,<br />

Le souffle de la mer lointaine et son odeur.<br />

81


IX. Sur la mer, jadis,<br />

S'en venaient les boutres arabes<br />

Nostalgiques d'une oasis.<br />

Ils s'enlisaient au sable<br />

Des grèves de l'Est ... Mais tu demeurais<br />

Le Maître de l'Emyrne aux bleuâtres forêts.<br />

X. Ecoute ...<br />

Un pas s'éloigne sur la route.<br />

C'est tout le passé qui s'en va :<br />

La durable grandeur que ton amour rêva<br />

Pour ta patrie et pour tes dieux.<br />

A présent tu es seul<br />

Aux plis poudreux de ton linceul<br />

Mais − écoute ! –<br />

Un passant mélodieux<br />

Chante ses vingt ans, là-bas, sur la route ...<br />

XI. Roi, la seule royauté<br />

Ce n'est pas d’avoir été<br />

Mais c'est d'être, et de chanter.<br />

82


XII. Attends-moi, ô passant juvénile :<br />

Je vais avec toi vers la ville.<br />

J’ai parlé à la mort dans le silence et dans le vent ;<br />

Pour que je croie encor que luira le soleil demain<br />

Tends-moi la main :<br />

J’ai besoin de toucher un vivant<br />

Ta vie est aussi vaine une ombre<br />

Que l’ombre vaine de la mort<br />

Mais le sang jeune de ton corps<br />

Sait te faire oublier que tu n'es qu'une tombe.<br />

83


LA CENDRE ET LE SANG<br />

I. Au sommet de la ville sainte<br />

Où gît une cendre de roi<br />

Un aigle plane sur l'enceinte<br />

Aux frêles toits<br />

Où vécut dans l'air libre et frais<br />

Parmi ses armes argentines<br />

Et ses fragiles concubines<br />

Le Désiré.<br />

II. Aujourd'hui le silence est l'hôte du Rova<br />

Avec le souvenir du prestige hova.<br />

III. Si le vide est dieu c'est là qu'est son temple<br />

Où l'éternité vaine le contemple.<br />

IV. Quand les rois ont passé le mystique horizon<br />

Le néant de la vie habite leur maison.<br />

V. Mais le pâtre qui se nourrit<br />

Des grains roses du riz<br />

Recueille la moisson généreuse, et sourit.<br />

84


VI. Pourtant il consacre aux Ancêtres.<br />

Dont les mânes ont faim peut-être,<br />

Une offrande, et garde pour lui la douceur d’être.<br />

VII. Car le sang desséché n'est qu'une pourpre vaine<br />

Mais le sang est joyeux: qui flue au long des veines.<br />

VIII. Le sang des vivants chante une chanson silencieuse<br />

Et plus mélodieuse<br />

Que la voix de l'amie au cœur des nuits heureuses.<br />

IX. Les danseurs d'Anosy sont vifs<br />

A scander le pas du Désir<br />

Sous les arbres aux belles hampes:<br />

Mais moins que le sang vif aux tempes,<br />

X. Et puis, lorsque viendra l'heure funèbre,<br />

Des mains nous coucherons dans les ténèbres.<br />

XI. La vie est une porte unique et double,<br />

Un étrange logis peuplé d'ombre et de doute<br />

Où quelqu'un nous tissa le lange et le linceul:<br />

On n'y peut entrer seul, on n'en peut sortir seul.<br />

85


DU SANG SUR LES PLUMES<br />

I. Les grands chiens amicaux et libres de servage<br />

Ont chassé, tout le jour, dans la forêt sauvage,<br />

Et voici qu'ils m'apportent,<br />

Demi-morte,<br />

Une bête palpitante aux tristes yeux résignés.<br />

Et de la voir saigner<br />

Il me semble que c'est mes farouches désirs<br />

Qui vont mourir,<br />

Ivres d'horreur et de beauté,<br />

Sous l'assaut des grands chiens noirs de ma volonté.<br />

II. Dans la vierge forêt il y a des charmeurs<br />

Qui prennent à la main les oiseaux fabuleux.<br />

Qui m'enseignera l'art subtil d'apprivoiser<br />

Mes chimères avec un geste doux comme un baiser?<br />

86


III. Le jeune pâtre au corps de bronze<br />

Va cueillir les feuilles du sonze,<br />

Suivi de son troupeau paisible de zébus.<br />

J'ai cru voir penché sur la source<br />

Hyacinthe altéré de quelque ardente course,<br />

Lorsqu'au creux de ses mains il a bu.<br />

IV. Et la flûte qui résonne à des lèvres juvéniles<br />

Ne module-t-elle pas, dans l'après-midi tranquille,<br />

Sous les doigts de cet enfant le souffle pur de Virgile?<br />

V. Et quand tout ne serait que décombre et chaos,<br />

La mer déferlerait encore sur ses grèves;<br />

Et si même la mer n'était plus qu'un vieux rêve,<br />

Le ciel éblouissant resplendirait là-haut.<br />

87


LA MONTAGNE INCENDIÉE<br />

I. La montagne flamboie et crépite en la nuit.<br />

Tout le ciel rose luit.<br />

Et les vagues de feu déferlent aux bords de la route<br />

Où je chemine au pas rythmé de mes porteurs.<br />

Les herbes rouges flambent toutes<br />

Avec un grondement qui descend des hauteurs.<br />

Deux océans ignés se dressent en murailles<br />

Avec un grondement de trombe et de bataille.<br />

Le compagnon qui marche à mon flanc, par la nuit<br />

[ardente,<br />

Quel est-il donc? Quel est-il donc, si ce n'est Dante?<br />

II. Cette mer braisillante est un songe vermeil<br />

Et n'est-ce pas ainsi sur la face du soleil ?<br />

III. Voici le chant des Salamandres<br />

− Hommes, chantez avec le feu!<br />

Voici la course sur les cendres<br />

− Hommes, courez avec le feu!<br />

Voici le rire aigu que les Dieux vont entendre<br />

− Hommes, riez avec le feu!<br />

88


ESTUAIRE D’AFRIQUE<br />

Avec leurs corps de bronze<br />

Et leurs faces camuses<br />

BUSI<br />

Où l'on voit la bouche saigner<br />

Et miroiter les dents et les yeux<br />

Sous les cheveux laineux,<br />

Voici les fils d'Afrique<br />

Au fil du fleuve torride<br />

Que la brise ride<br />

Et argente<br />

Comme un voile de soie changeante:<br />

Bateliers noirs et nus<br />

Venus d'on ne sait quels inconnus.<br />

89


Ils ont descendu les rapides<br />

Entre les rocs, à travers les écumes<br />

Des chutes où l'arc-en-ciel s'irise parmi la brume<br />

Et les forêts torpides<br />

Où les singes et les serpents et les oiseaux<br />

Sifflent au cœur des roseaux.<br />

Une inquiétude sacrée<br />

A dominer leur âme en face du mystère<br />

Des sylves vierges où la terre<br />

Chuchote un secret<br />

Aux arbres inclinés, pensifs, vers le sol noir.<br />

Puis ils ont ri de voir<br />

Leur pirogue neuve<br />

Bondir comme un enfant sur l'eau vive du fleuve.<br />

Des crocodiles verts sommeillaient sur les grèves<br />

Et marchaient lentement de la chair en leurs rêves.<br />

… Et les voici noirs et nus,<br />

90


Venus<br />

D'on ne sait quels inconnus.<br />

− Frères de nuit et de candeur,<br />

Dites-moi vos dieux et vos songes<br />

Et quelle Histoire se prolonge<br />

Dans vos sylves riches d'odeurs.<br />

Récitez-moi vos aventures<br />

Parmi la géante Nature<br />

Où vous savez votre faiblesse,<br />

Où tout vous vise et tout vous blesse<br />

Comme une palpitante cible;<br />

Et vos tristesses invincibles<br />

Et vos guerres avec vos joies<br />

Et vos coutumes et vos lois.<br />

Parlez. Je redeviens sauvage<br />

Et me libère des servages<br />

A contempler votre tribu<br />

Nue au soleil blond où j'ai bu<br />

L'ivresse des races naïves.<br />

Mais chantez plutôt, que j'entende<br />

91


Ainsi qu'une sonore offrande<br />

Monter vers moi pure et pensive<br />

L'âme qui m'échappe et que j'aime<br />

Comme le rythme d'un poème.<br />

Et laissez-moi poser ma main sur vos poitrines,<br />

Que je sache, ce soir, si le sang de vos cœurs<br />

Vous faire une nature animale et divine<br />

Comme à moi qui suis trop vivant et qui en meurs.<br />

92


INTERLUDE MÉLODIQUE<br />

93


L’AME ATTENTIVE<br />

I. Quelque chose naît, quelque chose meurt...<br />

Où, je ne sais pas… Reflet ou rumeur?<br />

Va, tu portes en toi un puits et une échelle<br />

En spirale ...Un royaume invisible t'appelle<br />

Sous l'eau dont la surface est un mensonge éblouissant<br />

Ecoute battre dans ton sang<br />

Les tambours assourdis des châteaux de la mer<br />

Et sonner les buccins désespérés et fiers.<br />

Quel Roland fraternel va périr<br />

Et quelle fée Morgane aimante ton désir?<br />

II. Ce qui vit c'est cela que ton effroi devine<br />

Au delà des portails ouverts sur les collines<br />

Dans le mur virtuel des impalpables brumes<br />

Et la moire d'argent des écumes.<br />

III. Un archange a chanté, ce soir, pour les enfants<br />

Et Roland est tombé mort sur son olifant.<br />

Et Charlemagne-à-la-barbe-fleurie<br />

Pleurait tandis qu'ils ont souri.<br />

94


IV. Ton geste a déplacé des ondes invisibles<br />

Et s'inscrit au lointain sur les mondes multiples.<br />

Cette tiédeur soudaine au duvet de ta face<br />

C'est le baiser perdu d'une vierge d'Hellas.<br />

V. Des inconnus ont combattu jusqu'à la mort<br />

Au mystère de toi un soir que tu songeais<br />

Et l'eau du lac profond qui dans ton âme dort<br />

S'est soudain empourprée au sang d un égorgé.<br />

VI. Ainsi voyant neiger du ciel des plumes vertes<br />

On devine que deux alcyons ont lutté<br />

Dans le vertige et la clarté<br />

Pour la possession d’une cime de neige.<br />

VII. Toute heure qui résonne est une heure tragique.<br />

Toute sirène sur la rade est nostalgique.<br />

Chaque baiser qu'on donne est un baiser perdu<br />

Et point de conquérant qui ne soit un vaincu,<br />

95


INCANTATION<br />

Vous tous de l'air, vous tous de l'eau, vous tous du sol,<br />

Venez.<br />

Sylphes légers, gnomes subtils, vives naïades,<br />

Venez tous par la marche ou la nage ou le vol;<br />

Mon royaume est plus vaste et plus frais qu'une rade,<br />

Mes gemmes vous seront données.<br />

Venez.<br />

Je connais votre race et je sais vos chansons,<br />

Et j'ai de plus que vous ces frissons<br />

Que mon humanité pensive<br />

Elargit aux limites d'un songe puissant:<br />

Je transfigurerai votre grâce naïve<br />

D'un flot de volupté, de tendresse et de sang.<br />

96


QUATORZE HAÏKAÏ<br />

I. Est-ce bien l'eau du lac qui reflète le ciel<br />

Ou si c'est l'azur irréel<br />

Où se renversent le miroir et son vertige?<br />

II. Le château d'Elseneur mire dans l'eau pâlie<br />

Du silence du songe et des remords anciens<br />

Et c'est dans son reflet que demeure Ophélie.<br />

III. Pour croire qu'il n'est pas lié au cœur du sol<br />

L'arbre agite au vent d'Est son feuillage enivré<br />

De cette illusion du vol.<br />

IV. Nous n'irons plus au bois paisible des aïeules<br />

Car notre enfance est morte un soir,<br />

Un soir de pluie où l'on comprend que l'on est seul,<br />

V. Sur les tombes de nos grand'mères<br />

Nous avons effeuillé<br />

Des œillets noirs et de mauves novembriers.<br />

97


VI. Sur le tombeau de notre enfance<br />

Nous n'avons pas jeté de fleurs<br />

Mais quelques gouttes du sang rouge de nos cœurs.<br />

VII. Chantons la ronde des regrets.<br />

Dansons la ronde des regrets.<br />

Pleurons la ronde d'or de l'espoir inquiet.<br />

VIII. Le temps des fées, ce n'était pas le Moyen-Age;<br />

Le lieu des fées, pas les images:<br />

Mais notre enfance…<br />

IX. Passant, pourquoi heurter à la porte scellée<br />

Va ton chemin. La lampe est morte. Toute joie<br />

S'en est allée.<br />

X. Il y aura encor le printemps et la lune ;<br />

Pourtant les clartés humaines se sont éteintes<br />

Une à une.<br />

XI. Je ne sais rien sinon que j’ai beaucoup aimé<br />

Et que dans le secret de mon âme<br />

Quelque chose s’est fermée<br />

98


XII. Ombre tourbillonnante au cœur noir des ténèbres ;<br />

Fleurs de feu sur la trame obscure,<br />

Effroi de ce qui passe et puis de ce qui dure.<br />

XIII. La vie est familière en le cercle des lampes.<br />

La rumeur du dehors est toujours aussi vaine.<br />

Pourquoi cette odeur de verveine ?<br />

XIV. Cette odeur de verveine au fond de mon enfance,<br />

Quel dieu m'en a donc parfumé<br />

Que vivre soit, pour moi, mourir de trop l'aimer ?<br />

99


CHEVAUCHÉE<br />

Les trois cavaliers sont venus<br />

Qui apportaient de l'inconnu<br />

Dans leurs manteaux que tourmentait le vent.<br />

Quand ils ont vu la cité des vivants,<br />

Taciturnes,<br />

Ils ont serré plus fort leur fardeau sur leur cœur;<br />

Et leurs chevaux miroitants de sueur<br />

Ont henni vers le ciel nocturne.<br />

Alors ils sont repartis au galop<br />

Dans l'ombre et la clarté<br />

Et nul ne saura ce qu'ils apportaient<br />

Aux plis de leurs manteaux.<br />

100


POUR MAURICE RAVEL<br />

Les douze petites Princesse<br />

Aux tresses blondes<br />

Ont ouvert de grands yeux étonnés sur le monde,<br />

Des yeux ou la joie avec la tristesse<br />

Se mêlaient tel le miel et la ciguë,<br />

Des flûtes aiguës<br />

Sifflaient dans le feuillage<br />

Et des fées méditaient comme dans les belles images.<br />

Un paon faisait la roue.<br />

Et puis les petites Princesses<br />

Aux yeux embués de tendresse<br />

Ont eu aux lèvres une moue<br />

Et puis encor, sur le seuil de la porte,<br />

Sans même murmurer " Maman ",<br />

Elles sont mortes<br />

Parmi le soir moiré,<br />

Mais si doucement, si doucement,<br />

Que nous n'avons pas eu le courage de pleurer.<br />

101


IMAGES ÉPARSES POUR PIERROT<br />

Une Infante a souri dans les jardins d'Espagne.<br />

Pâle, Shaharazad a cru voir du sang sur son pagne.<br />

Mais le Petit Poucet a trouvé son chemin.<br />

Les pagodes de Chine ont une âme de jade.<br />

Il y a un départ de sampans sur la rade.<br />

En Perse un jet d'eau monte et l'odeur des jasmins.<br />

Ma Mère l’Oie est morte et ses filles blanches aussi.<br />

Un bambin va pleurer au fond du soir transi.<br />

Le Dragon de la Chine a croqué ses enfants.<br />

Le rire trop sonore appelle les épées.<br />

" Nous n'irons plus au bois: les têtes sont coupées. "<br />

− Roland, l'Histoire dort: fais taire enfin ton olifant!<br />

D'ailleurs, les Sarrasins ont de bien belles filles ...<br />

La Morale et l'Argent, la Guerre et la Famille.<br />

Qu'il est fier d'adorer les dieux que l'on tua!<br />

L’Inde d'hier dérive en cendres dans le Gange.<br />

La Bête est nécessaire, en qui triomphe l'Ange.<br />

Point de lys sans humus, pas de dieu sans Judas.<br />

L’héroïque guerrier meurt joyeux au seuil des Houris<br />

102


− Islam, tes fils ne seront pas en vaines péris.<br />

Mais d'abord il y a sur le Gaurizankar<br />

Un yoghi dont l'esprit s'impatiente, car…<br />

(Charmé de n'avoir pas compris, ô Pierrot sage,<br />

Ferme soigneusement le livre des images.<br />

Aussi bien le sommeil pénètre dans la nursery<br />

A pas de loup blanc. Mone est déjà endormie<br />

Aux bras de sa poupée. Prends ton Polichinelle.<br />

Je vais voiler la lampe et fermer la fenêtre.<br />

Allons, dors tout de suite et rêve que je t'aime<br />

Et que j'écris pour toi un immense poème.<br />

Tu n'as pas froid? Ni chaud,… Tu as tiède? C'est bon.<br />

Les rêves, s'ils sont vrais? Parfois oui, parfois non.)<br />

103


FLAMBEAUX DANS LA NUIT<br />

L'avenue est immense où parmi les ténèbres<br />

De loin en loin se dresse une haute statue<br />

Dont le geste de bronze élève vers la nue<br />

Une torche aux lueurs funèbres.<br />

Leur sourire m'accueille et leur regard me suit<br />

Tandis que, pèlerin en route pour l'Erèbe,<br />

Je passe entre elles et la nuit.<br />

104


MÉLODIE INTIME<br />

Présence indéfinie au cœur du soir ... J'écoute:<br />

Quelque chose est en moi qui pleure et qui s'écoule<br />

Comme une eau souterraine aux rives ténébreuses.<br />

Beauté du corps, appel des yeux, silencieuse<br />

Ardeur du sang qui vibre et qui flue en mes veines,<br />

Odeur charnelle des verveines ...<br />

105


LEGENDE<br />

Il y avait un fils de roi que nul n'aimait<br />

Sinon ses grands chiens noirs et ses agnelles blanches.<br />

Le rossignol chantait dans la fraîcheur des branches<br />

Et les lys fleurissaient sur les prairies de mai.<br />

Un jour le fils de roi se vit baisé aux lèvres<br />

Par une pastourelle éprise de sa peine<br />

Et comme il n'était pas créé pour la tendresse<br />

Il mourut doucement de se savoir aimé.<br />

Le rossignol pleurait sa nocturne tristesse<br />

Et les lys se fanaient par les plaines de mai.<br />

106


UTA<br />

I. Une marée harmonieuse de silence<br />

S'étale lentement aux grèves de la nuit.<br />

Nonchalance ...<br />

Ennui ...<br />

Et là, du fond de moi, un cri d'or qui s'élance.<br />

II. Vers quel divin amour ce cri las de la terre?<br />

Pourquoi ce long dégoût du réel irréel<br />

Et cet essor toujours fugace vers le ciel?<br />

Je vais comme un oiseau qui, ne sachant sa route,<br />

Ne trouve entre la nue et le sol que le doute.<br />

107


IMAGE<br />

De cet enchantement mystique où j'ai marché<br />

Comme en songe un dormeur dans la forêt féerique<br />

Je garde un souvenir frère de la musique.<br />

J’étais l’homme étonné d’un trésor éphémère<br />

Et lorsque tu chantais je n'ouvrais pas les yeux<br />

De peur de m'éveiller loin de ta voix légère.<br />

108


PRÉSENCE<br />

I. Voici les noces mystiques<br />

De la nuit avec la tendresse.<br />

L'odeur des roses est fraîche<br />

Que me souffle l'ombre pensive.<br />

Quelque part il y a une rive<br />

Inconnue<br />

Où quelqu'un est venu<br />

Que je ne connais pas.<br />

Et puis, là-bas,<br />

Au delà du réel moins vivant que le songe,<br />

J'entends, comme un chant pur et lent qui se prolonge,<br />

La respiration large de la forêt.<br />

On dirait<br />

Que quelqu'un a pleuré<br />

Tout près de moi. Quelqu'un de triste et de si tendre<br />

Que mon cœur tremblant, pour mieux l'entendre,<br />

A tissé du silence autour de lui<br />

Et que la nuit<br />

Pleine d'un vague épithalame<br />

A retenu son souffle en inclinant son âme.<br />

109


II. J'ai bu à ton enfance ainsi qu'aux sources vives<br />

Où songent doucement les naïades naïves.<br />

C'est ton enfance qui m'aimait et que j'aimais,<br />

Et notre enfance est morte et mon cœur s'est fermé.<br />

III. Où retrouverais-tu tes élans puérils<br />

Et le rire d'avril<br />

De ton visage éblouissant entre mes mains ?<br />

IV. J'ai mis ta belle enfance au fond d'un reliquaire<br />

Ainsi qu'en son sépulcre une Princesse morte<br />

Et j'ai fermé la porte<br />

Et j'ai jeté la clef aux gouffres de la mer.<br />

110


POLICHINELLE<br />

I. Les enfants ont couru si tard dans le jardin,<br />

Qu'un écho de leurs voix se mêle au crépuscule<br />

Et qu'un polichinelle oublié sur un banc<br />

A l'air d'un orphelin.<br />

Les étoiles du soir s'allument;<br />

La lune<br />

Émerge, disque roux et blanc,<br />

Au bord de l'horizon verdâtre qui bleuit.<br />

C'est fini,<br />

Fini de croire au grand soleil qui nous leurrait.<br />

Mais la nuit apparaît<br />

Et c'est une autre amie plus profonde et discrète,<br />

Plus vivante d'ardeurs secrètes.<br />

Viens-t'en, Polichinelle, ô piteux orphelin,<br />

Sinon tu déteindrais encor dans le serein<br />

Et Bob s'attristerait à revoir barbouillée<br />

D'un vert de justaucorps ta figure mouillée.<br />

Viens dormir sur son cœur, pantin:<br />

J'ai tant vécu déjà, que j'ai<br />

111


Le front trop lourd pour ce cœur trop léger.<br />

II. La chambre des enfants:<br />

Les songes tremblotants<br />

Comme des gouttes d'eau sur les fils d'araignée;<br />

Les voyages en rêve<br />

Aux exotiques grèves<br />

Où l’on entre tout nu dans l'eau sans se mouiller;<br />

Les beaux fruits défendus<br />

A quoi l'on a mordu,<br />

L'odeur de l'herbe et les confitures volées:<br />

Les courses au verger<br />

Parmi les orangers,<br />

Les abeilles, les hirondelles envolées ...<br />

Bob dort; Polichinelle aussi,<br />

Un peu transi<br />

D'avoir senti sur son costume ridicule<br />

Le vent de mer et la rosée du crépuscule.<br />

112


Le crépuscule<br />

Est mûr<br />

DÉCOR<br />

Comme une rose noire à force d'être pourpre.<br />

Les nuages s'en vont tels que des nefs aux belles poupes.<br />

Le soir murmure<br />

Avec la voix d'argent que le jet d'eau module.<br />

Odeur d'herbe mouillée et de terre et de roses.<br />

Le soir passe<br />

Comme un grand oiseau noir qui rôde par l'espace.<br />

113


CHEMINEAU<br />

Enfance et poésie sont des sœurs jumelles<br />

… But the voices of the children<br />

will be heard in dreams alone...<br />

Et vinrent les enfants quand le songeur parla.<br />

Ce qu'il demeure en eux encore de divin<br />

Reconnaît en sa voix un accent plus qu'humain<br />

Et des tendresses éternelles.<br />

Mais la mère est jalouse et le père s'étonne,<br />

L'âge ayant tué le miracle en eux.<br />

Alors dans le soir imprégné d'automne<br />

Le poète, apaisé d'un long instant heureux,<br />

Étreint les petits qui pleurent un peu<br />

Et s'efface à nouveau dans la nuit triste et bonne.<br />

LONGFELLOW<br />

114


MATERNITÉ<br />

Sérénité. Le ciel constellé nous pardonne<br />

Nos fautes et ce soir la vie est triste et bonne<br />

Comme une mère en sa maturité, que rien<br />

Ne rebute et qui dit à ses fils: " Tout est bien.<br />

Vous avez bu mon sang, vous avez bu mon lait<br />

Et je vous ai nourris de mon âme et ma chair.<br />

Je ne veux pas sa voir si vous avez failli.<br />

Il suffit à jamais que vous soyez mes fils<br />

Pour que je vous absolve et pour que je caresse<br />

Vos fronts pleins de penser, vos fronts lourds de tristesse<br />

Et que vous retrouviez ce soir sur ma poitrine<br />

Au rythme de mon cœur votre enfance divine."<br />

115


INSCRIPTION VOTIVE<br />

Pour me garder propice au désir du voyage<br />

Je suspends à la poutre, en haut de cette salle,<br />

Une nef minuscule aux voiles éployées :<br />

− Qu'elle soit, ô mon cœur, l'ennemie du foyer.<br />

L’IRONIE DE VIVRE<br />

Quand vous aurez connu la tristesse de vivre<br />

Puis cet enchantement de se connaître triste<br />

La mort viendra heurter, un soir, à votre cœur<br />

Parce qu'il ne faut pas que l'homme soit heureux.<br />

116


CRI DANS L’AZUR<br />

Petit bonheur, menu bonheur,<br />

Qui remplis jusqu'au bord la vaste coupe de mon cœur,<br />

Comme un oiselet peuple d’un cri pur<br />

L’azur.<br />

DOUZAIN SUR DES ERREURS<br />

Ayant embrassé la mère et l'épouse,<br />

Christophe Colomb et ses trois caravelles<br />

S'en vont découvrir des terres nouvelles<br />

En quatorze cent et quatre vingt douze.<br />

Ils vont à la Chine et vers l'Indoustan<br />

Mais ils aborderont, je crois, en Amérique,<br />

Tel j'embarquai pour un royaume chimérique<br />

Le souffle propice et fort de l'autan<br />

Gonflait mes voiles d'air et mon cœur d'un espoir;<br />

Il faisait bleu en moi; au ciel il faisait noir,<br />

Et tel je jetai l'ancre, en me trompant de grève,<br />

Au havre sûr ( ?) de tes yeux clairs ombrés de rêve.<br />

117


ODYSSÉE<br />

Les dauphins jouent avec la vague et leur bondissement<br />

Entremêle à l'écume verte une fuite de dos.<br />

Ventres d'argent et manteaux bruns tachés de goémon<br />

Les font tels que des pingouins fous qui courent deux par deux.<br />

Tes cheveux fauves dans le vent sont mon seul étendard<br />

Et mes uniques voiles c'est tes manches gonflées d'air.<br />

J'ai pour fumée à l'horizon ma tendre cigarette.<br />

Nous ressemblons, ô mon amour, à Faust et Marguerite.<br />

J'ai ceci de plus qu'Odysseus : Pénélope est à bord.<br />

Nul chien mais que de prétendants! Ils sont plus de quarante<br />

Ithaque, on ne sait plus où c'est: nous allons à Corinthe.<br />

" Non liced omnibus adire Corinthum ", (Kabir).<br />

Quand nous arriverons au port nous aurons pris le pli<br />

D'un amour plus fort que la mort et que les nœuds marins.<br />

Alors, tout près de se quitter, nos mains échangeront<br />

Un vibrant au-revoir et puis je ne te verrai plus.<br />

118


VOYAGEUR<br />

J'ai donné ma jeunesse au mystère des lampes.<br />

Les lampes m'ont appris des choses inconnues<br />

Et mieux je les savais plus je devinais nues<br />

Les steppes de la vie où vont des ombres lentes.<br />

J'ai su la vanité des songes éternels.<br />

J’ai compris la valeur des gestes éphémères.<br />

J’ai béni la douceur des arbres et des ciels<br />

Et j'ai connu le vent qui souffle sur la mer.<br />

Je suis un voyageur qui s'en revient des brumes,<br />

Des soleils excessifs ou des saisons nocturnes<br />

Et qui, devant son seuil que le passé défend,<br />

Caresse, plus pensif, les tempes d'un enfant.<br />

119


A QUI N’A PAS COMPRIS<br />

Toi qui n'as pas compris que ma cantilène est de l'eau,<br />

De l'eau fraîche qui flue entre les grèves de la vie,<br />

Vers les golfes de l'ombre et de la lumière infinies,<br />

Salut! Va ton chemin et laisse que je chante encore,<br />

La frêle Poésie est la syrinx qui rie et pleure<br />

Loin des sages, des fous, des scribes et des faux prophètes.<br />

Elle nargue, elle fuit et puis se donne d'amples fêtes<br />

Où vivement le vent anime les feuilles danseuses.<br />

Si parfois, désirant le Désir, dont elle a grand’peur,<br />

Elle entrevoit l'Amour debout rieur au fond des bois,<br />

Pensive elle interroge en elle-même l'autrefois<br />

Et passe en écoutant gémir une ancienne douleur.<br />

Je ne dirai jamais l'Histoire, la Ville et la Guerre<br />

Ni la morne Pensée emprisonnée aux fronts étroits.<br />

La vie est un fluide et les livres je n'y crois guère<br />

Qui mettent l'infini dans la coquille d'une noix.<br />

Tel je vais, chemineau, tendre, ironique chemineau<br />

Qui laisse les cités pour prendre le chemin de l'eau,<br />

De l'eau fraîche qui flue entre les grèves de la vie,<br />

Vers les golfes de l'ombre et de la lumière infinies.<br />

120


PORTIQUE ORIENTAL<br />

121


L’ENFANT AU LIVRE<br />

L'enfant, près du soleil indulgent de la lampe,<br />

Muse à travers son livre au royaume des fées.<br />

Il appuie un doigt frais au creux chaud de sa tempe<br />

Et ses cheveux d'or roux brûlent dans la lumière.<br />

Eparses parmi la pénombre, les Chimères<br />

Le contemplent de loin avec des yeux avides.<br />

122


LIMBES<br />

Nous avons rencontré tant de vaisseaux-fantômes<br />

Que nous ne savions plus quels étaient les navires vrais.<br />

Nous nous sommes croisés<br />

Parmi la foule avec tant de femmes et d'hommes :<br />

Nous avons oublié lesquels étaient défunts.<br />

Où sont les jardins aux réels parfums,<br />

Les musiques de songe et les musiques sûres?<br />

Où sont les roses mûres<br />

Et les fleurs vaines du mirage?<br />

Nous avons traversé sous la pluie et l'orage<br />

Tant de brumeux déserts et d'oasis flottantes;<br />

Nous avons dressé nos tentes<br />

Aux grèves de tant de fleuves<br />

Que nous sentons en nous une âme vieille ou neuve<br />

Selon que la mémoire ou l'oubli nous abreuve.<br />

Et nous-mêmes, parfois, nous ne savons plus guère<br />

Si nous sommes captifs encore de la Terre<br />

Ou si le voyage a continué<br />

Dans les limbes errants d'un monde atténué.<br />

123


APPELS<br />

− Ferment de l'inconnu qui soulève mon être<br />

Pour le tendre éperdu vers les grèves barbares ;<br />

Ressouvenir, appel des trirèmes et des gabares<br />

Où l’âme antérieure aime à se reconnaître.<br />

Me voilà libre et seul en face du monde odieux,<br />

Seul avec ma stupeur, seul avec mon tourment,<br />

Telle une louve en sang qui cherche ses petits<br />

Et sait qu'on les a pris et sent qu'ils vont mourir.<br />

− Archers, divins Archers, criblez-moi de vos flèches<br />

Et que je meure, au moins, debout et d'un seul coup<br />

Plutôt que de porter dans ma chair éphémère<br />

La soif de l'infini dont la source est en vous.<br />

Chaque instant que je vis, chaque instant que je meurs<br />

Me dépouille à jamais d'une nouvelle éternité.<br />

Quelqu'un dans l'ombre est là qui vole mes clartés,<br />

Laissant, au lieu des voix, d'incertaines rumeurs.<br />

Et je sais bien que c'est la minute abolie<br />

Qui contenait l'essence unique de la vie.<br />

124


Me revoici comme un aïeul<br />

REVENIR<br />

Qui s'en revient des brumes grises,<br />

Comme un enfant<br />

Au retour des îles féeriques<br />

Où sonne encore l'olifant.<br />

Me revoici le cœur poigné de beauté neuve<br />

Et l’âme veuve<br />

De tendres rêves inéclos.<br />

Ecoute, écoute les échos.<br />

Ils chantent dans le jardin clair,<br />

Ils pleurent au jardin humide.<br />

Ecoute les Anges dans l'air<br />

Et les Elfes sur les charmilles,<br />

O mon cœur tout éparpillé<br />

Aux routes mystiques du monde.<br />

125


ORAISON<br />

Poésie, ô citerne inconnue et lointaine<br />

Où va le voyageur, las de la foule humaine,<br />

Désaltérer son âme à l'eau qui ne fuit pas;<br />

Envoûtement, odeur d'invisibles lilas;<br />

Frisson de palmes, nuit claire, jardin de fées;<br />

Seul baiser qui ne laisse aux lèvres cette cendre;<br />

Voix frêle qui remplis l'espace; pur trophée<br />

D'une étreinte mystique où ne coula le sang;<br />

Poésie, opium secourable et puissant;<br />

Poésie, ô citerne unique du désert<br />

Où boit le voyageur aux mains de la Chimère.<br />

126


POÈME VOTIF<br />

Je vais à vous très pur ô jeune fille grecque<br />

Puisque vous êtes morte et que je suis poète<br />

Et je n'ai pas besoin de tenir votre cendre<br />

Ni de voir le tombeau où songe Erôs funèbre<br />

Pour éprouver que vous fûtes timide et tendre.<br />

Votre douceur encor jaillit de ces ténèbres<br />

Où l'envieux Hadès vous garda pour un temps.<br />

Peut-être à la faveur de la Métempsycose<br />

Mes yeux mortels vous connaîtront un jour vivant<br />

O jeune fille grecque et si pareille aux roses.<br />

Mais vous aurez perdu le parfum de l'Hellade,<br />

L'écho de la syrinx au bord des bois sacrés,<br />

Le nimbe du soleil qui mûrit votre race.<br />

Ainsi qu'en une conque aux volutes nacrées<br />

Où persiste le chant de la mer, j'essaierai<br />

De recueillir sur votre cœur et votre front<br />

Le fantôme lointain des anciennes musiques.<br />

En vain. Dans l'océan ténébreux et sans fond<br />

Nulle Thulé n'apparaîtra. Mélancolique,<br />

Je saurai par la preuve amère de l'absence<br />

Que toute mélodie est un futur silence.<br />

127


L’IMPOSSIBLE UNION<br />

Or Narcisse incliné au miroir pur de l'eau<br />

Où se reflète le bouleau<br />

A vu monter vers lui son visage divin<br />

Où l'appelle un désir fatal. Mais c'est en vain<br />

Qu'il se cherche et qu'il s'aime<br />

Et voudrait se baiser sur les lèvres lui-même:<br />

Lorsque la bouche d'eau et la bouche de chair<br />

Vont s'unir, sur cette onde une image se brise<br />

Et la face liquide<br />

S'abolit dans le jeu des frissons élargis.<br />

128


POÈME ORPHIQUE<br />

Orphée parle :<br />

Les dieux et les humains ont écouté vibrer ma voix<br />

Qui ravivait en eux la cantilène des voix tues.<br />

Ma voix leur annonça le chœur subtil des voix futures.<br />

Je n'étals qu'une voix dans le silence vert des bois.<br />

Tout ce qui m'entendit m'aima de toute sa douceur.<br />

L'arbre fut mon ami, la bête fut mon humble sœur.<br />

Langueur des vierges d'or, tendresse triste des éphèbes<br />

Qui me sentaient promis aux mains prochaines de l'Erèbe.<br />

Hélas, quand j'ai chanté, l'assaut des Bacchantes futures<br />

Frémissait aux péplos, déjà, des jeunes filles pures,<br />

Mais les adolescents vinrent pleurer sur mes genoux<br />

Tandis que mon destin se dressait tragique entre nous,<br />

D'avance et d'une soif impitoyable et prophétique<br />

Elles buvaient mon sang; eux, mes larmes et ma musique.<br />

129


SOIRS D’ATHÈNES<br />

Soirs d'Athènes, grands soirs dont l’âpre nostalgie<br />

− Tel un fauve reflet sur l'horizon rougi −<br />

Erre encore aujourd'hui aux âmes de vingt ans,<br />

Aux âmes d'argent pur que notre temps révolte<br />

Et qui cherchent toujours, loin du siècle attristant,<br />

Vers quel golfe divin cingler, la voile haute,<br />

Cingler éperdument jusqu'à ce qu'on ait vu<br />

A l'horizon surgir le Royaume inconnu.<br />

130


ESPOIR DU GÉNIE<br />

Tant d'âmes ont vingt ans, ce soir, que l'ombre est pleine<br />

D'un remous d'ailes et d'une odeur de verveine.<br />

− O jardins de Platon ou fleurissaient des âmes<br />

Entre le puits d'eau fraîche et les roses lunaires,<br />

Où nourris d'harmonie et de paroles claires<br />

Les songes écoutaient la musique des sphères;<br />

O jardins enchantés qu'entrouvraient les Sésames<br />

Du jeune enthousiasme et des ferveurs naïves,<br />

O verbe ailé, douceur sereine et sources vives,<br />

Si quelque chose encore a subsisté de vous<br />

Dans le souffle et l'élan spirituels du monde,<br />

Veuillez que mon jardin, bleu d'un fluide rai,<br />

Accueille, quelque soir, le Visiteur lauré,<br />

Afin qu'au seuil de mon automne commençante<br />

Je transmette au Futur l’Offrande éblouissante.<br />

131


LE COMBAT MESURÉ<br />

I. O poètes, qui de nous n'a pour angoisse et pour muse<br />

Le visage foudroyé d'une divine Méduse?<br />

II. Il faut dompter le monstre et non pas le tuer,<br />

Afin de mieux cueillir les l'oses de 1'abîme<br />

Et, créant l'or pur du plomb transmué,<br />

Arracher à l'horreur une pitié sublime.<br />

III. Ce n'est pas du sang mort de Méduse que naît<br />

Le Coursier aux beaux flancs empennés<br />

Qui porte l'aède aux cimes du vent:<br />

Mais de son sang vivant.<br />

IV. Une nuit j'ai dormi sur le cœur de Méduse<br />

Où mon cœur espérait la mort et l'accalmie.<br />

Lorsque je m'éveillai parmi l'ombre confuse<br />

J'avais trouvé le rythme inconnu de la vie.<br />

132


SUR LE TOMBEAU D’OMAR KHAYYAM<br />

I. L'astrologie et la mystique<br />

Et les pèlerinages<br />

T’avaient donné une âme prismatique<br />

Où se reflétaient les nuages<br />

De la vie énigmatique.<br />

II. Au cœur de ton jardin illuminé de lune<br />

Où s'effeuillaient une à une<br />

Les roses mures de l'été,<br />

L'oiseau Bulbul chantait,<br />

Mais moins suavement<br />

Que ta voix de poète et d'amant.<br />

III. Le Temps heurte comme un bélier,<br />

A coups sourds,<br />

La porte des plus grands tombeaux.<br />

Mais le vent de mort qui souffle là-haut<br />

N'éteindra jamais ton flambeau.<br />

133


L’OFFRANDE A SAADI<br />

I. Mort ou vivant, ce soir, sur les toits en terrasse<br />

Ton nom s'est évoqué aux lèvres qui murmurent<br />

Des kacidas et des ghazels, d'une voix lasse<br />

Qui flotte avec l'odeur pourpre des roses mûres.<br />

Des muezzins psalmodiaient aux minarets<br />

La prière du soir que portait le vent frais<br />

Aux âmes d'Ispahan sonores et pensives<br />

Où rôde le parfum des époques naïves.<br />

II. Vois-tu, cher Saâdi, ma plainte sur ton sort,<br />

Quelqu'un me la rendra lorsque je serai mort,<br />

Car à peine avons-nous le temps et la lumière<br />

De donner aux défunts une brève prière<br />

Que déjà quelqu'un d'autre a fleuri notre pierre.<br />

III. Couleur de cyprès, d'albâtre et de rouille,<br />

L'Islam veille sur ta dépouille.<br />

134


IV. Tu n'es pas mort ! Ton sang nourrit les roses rouges<br />

Et ta chair les fruits blonds où la lumière bouge.<br />

V. Aucun de nous ne meurt jamais et les poètes<br />

Survivent doublement par le chant et l'argile.<br />

VI. O race aux yeux cerclés de kohl<br />

Qui peuplez les plateaux d'Iran,<br />

Gens de Chiràz et d'Ispahan<br />

Dont la jeunesse est un envol,<br />

Soyez bénis pour ces poètes<br />

Que vous avez donnés au monde,<br />

Pour leur âme où tout se reflète,<br />

Pour leur humanité profonde.<br />

Et que la piété des vivants toujours veille<br />

Sur leur œuvre, leur nom, leur gloire et leur sommeil.<br />

135


VOIX SUR LA JONQUE<br />

Cette nuit, à l'appel rauque des larges conques,<br />

Sur le fleuve a cinglé tout un peuple de jonques.<br />

Vers où, l'envol éparpillé des cent voilures?<br />

Qu'importe, puisque c'est vers les glauques saumures<br />

De la mer que s'en va l'inquiète Armada<br />

Sous l'égide du vent propice et de Bouddha.<br />

− Mariniers, mariniers, prenez à votre bord<br />

Tous mes regrets, tous mes désirs, ma nostalgie.<br />

Conduisez-moi jusqu'à mes dieux, jusqu'à mon sort<br />

Et chantez à voix pleine afin que la magie<br />

Musicale hante mon cœur, mon cœur qui bat<br />

De voir trembler l'étoile à la cime du mât.<br />

− Voyageur étranger, l'étoile est immobile:<br />

C'est le mat qui balance au ciel un feu tranquille.<br />

− Non, mariniers, c'est l'eau que soulève le rythme<br />

Du fleuve où se transmet la danse de la terre.<br />

− O voyageur, tais-toi: le rythme est solitaire<br />

136


Et nos yeux n'ont pas d'yeux pour l'arcane divin.<br />

Voici la nuit, voici r amour, voici du vin.<br />

Enivre-toi dans l'ombre, et vis: le reste est vain.<br />

− Mariniers, mariniers, soufflez au cœur des conques<br />

Puis sommeillez longtemps au creux noir de la jonque.<br />

Ne parlez pas d'amour à mon âme déserte.<br />

Ne parlez pas d'oiseaux devant la cage ouverte.<br />

Mais, pour leurrer ma nostalgie et mon ennui,<br />

Que votre vin sauvage ait le goût de la nuit.<br />

Et donnez l'opium au pilote, qu'il aille<br />

S'étendre aussi dans l'entrepont chargé d'épices<br />

Où goûter le mirage amer et ses délices<br />

Et célébrer tout seul d'étranges fiançailles.<br />

Je veux que notre barque erre jusques à l’aube<br />

Parmi l'océan vague et dans le brouillard mauve<br />

Et que Je dieu Hasard, pilote sans visage,<br />

Nous oriente aux feux d'un inconnu rivage.<br />

137


DOUZE HAÏKAÏ<br />

EN MÉMOIRE DES MAITRE DU THÉ<br />

I. Odorante brume,<br />

Le thé fume.<br />

II. N'écoute pas le bruit du monde,<br />

O Büson,<br />

Afin de garder une âme profonde<br />

A ta maison.<br />

III. Toute la chanson de Yeddo<br />

N'égale pas ce bruit d'eau<br />

De la pluie<br />

Sur ton jardin fleuri.<br />

IV. Ici du moins tu n'entends guère<br />

Se ruer avec des cris stridents<br />

Vers l'or et vers la guerre<br />

Les Barbares d'Occident.<br />

V. Le thé,<br />

Est-ce bien un breuvage<br />

Ou le visage<br />

De la Bonté?<br />

VI. La lune<br />

S'allume<br />

Dans la brume.<br />

138


VII. N'éveille pas la lampe<br />

Mais si tu m'aimes<br />

Laisse fleurir comme un baiser sur une tempe<br />

Mon poème.<br />

VIII. La parole éternelle<br />

Où se dévoile la vie,<br />

Qui donc jamais l'a ravie<br />

Au silence des choses belles?<br />

IX. Puisque telle est l'occulte loi,<br />

Tais-toi<br />

Et garde ton émoi.<br />

X. Peut-être que le rêve<br />

Du rythme universel<br />

Meurt au seuil du réel<br />

Comme la mer sur la grève.<br />

XI. Nous n'avons pas le droit de démasquer le dieu,<br />

Dont le visage est trop radieux<br />

Pour l'ombre humaine de nos yeux.<br />

XII. Si nous allions crier le mot essentiel,<br />

Un Génie farouche<br />

Poserait un doigt sur nos bouches,<br />

Et nous ne le dirions qu'au ciel.<br />

139


GUERRE DIVINE<br />

Hautes rébellions, ô lâcher de lions<br />

Sur la horde des cerfs bramant, rébellions<br />

Du véritable azur contre les azurs peints,<br />

Révoltes du ciel contre les plafonds,<br />

Symphonie des cris contre les chansons,<br />

Contre les hautbois clameurs des sapins<br />

Où le vent<br />

Hurle comme un vrai vivant,<br />

Les buccins de la guerre divine ont sonné<br />

Sur les galères d'or de la mer étonnée.<br />

140


NÉBULEUSE<br />

L'Apocalypse passe avec Jean de Pathmos.<br />

− Qui donc aura saisi le fil d'or de la vie ?<br />

J'écoute résonner la flûte de Glaucos.<br />

− Est ce plus de douceur ou de mélancolie?<br />

Les enfants ont pleuré leurs ailerons perdus.<br />

− Est-ce ma faute à moi si les phalènes meurent?<br />

On voulait massacrer Sharazad éperdue.<br />

− Nulle conteuse, hélas, ne charme ma demeure.<br />

La Belle-au-bois-dormant se plaint qu'on la réveille.<br />

− O le Prince charmant, elle avait dansé tard.<br />

Ce soir, la chair est lourde et l'âme sans regard.<br />

− Je laisserai Psyché à son tendre sommeil.<br />

L'Apocalypse passe avec Jean de Pathmos.<br />

− J'écoute résonner la flûte de Glaucos.<br />

141


POÈME DU CHANT POUR SOI<br />

Les Parsifals qui sont venus des siècles gris<br />

M'ont apporté le sang du Christ dans leur Graal.<br />

Les songeurs de l'Hellade et qui n'ont rien écrit<br />

M'ont transmis par l'éther l'enseignement oral.<br />

Les Barbares du Sud ont vibré leurs messages<br />

Pour mon âme attentive aux paroles des sages.<br />

Partout où j'ai tendu l’ouïe et le désir<br />

J’entendais leurs appels et n'avais qu'à choisir.<br />

Mais j'ai voulu chanter ma chanson à moi seul<br />

Près du tombeau fleuri de ma dernière aïeule,<br />

Sur la terre insulaire au fil ombilical<br />

Dont la muette voix m'est toujours amicale.<br />

Et c'est au plus si j'ai mêlé à l'eau des sources<br />

Une goutte de sang divin et de nektar<br />

Et des baumes de l'Arabie amère et douce,<br />

Afin que ma chanson, nul ne puisse jamais<br />

La chanter quand mes yeux pensifs seront fermés.<br />

142


CROIX-DU-SUD<br />

143


ARIANE AUTOMNALE<br />

Puisque déjà l'automne a soufflé sur vos roses,<br />

Je vous prie, acceptez cette métamorphose,<br />

Ariane. Aussi bien il vous est défendu<br />

De ne retrouver jamais les richesses perdues<br />

Sinon dans ce royaume où la mort nous destine<br />

Et qui fera fleurir des roses plus divines<br />

Sur les fronts qu'à présent la main du temps incline.<br />

Oui, vous êtes moins belle et vous êtes moins souple<br />

Et quand vous regardez s'en aller quelque couple<br />

Vous songez plus longtemps à l'âpre solitude.<br />

Ariane, voyez comme meurent ces fleurs:<br />

Avec tant de noblesse et d'âme et de pudeur,<br />

Que leur effeuillaison, ce soir, sur le sol rude,<br />

Garde la grâce d'un envol qui se renverse.<br />

La mort est loin encore et la vie est diverse.<br />

Transmuez en bonté toute votre beauté,<br />

Soyez l’âme vivante en la chair défleurie.<br />

144


Soyez plus jeune encor par votre humanité<br />

Dont le parfum s'exalte ainsi qu'en la prairie<br />

La rose a plus d'odeur d'avoir été meurtrie.<br />

A mesure que passe un prestige charnel,<br />

Vit plus intensément la splendeur éternelle,<br />

Si Glaucos vous délaisse au seuil de votre automne<br />

Pour chercher un amour neuf et moins monotone,<br />

N'avez-vous point jadis eu même cruauté<br />

Envers quelque homme mûr épris de vos beautés?<br />

Ariane, voici le soir de votre été.<br />

C'est un soir doux, un soir subtil et lumineux<br />

Où les arbres penchés ont tant de paix en eux,<br />

La source et les jeux d'eau tant de claire harmonie,<br />

Le ciel tant de reflets de la journée finie,<br />

Que la nuit sera riche encore de lumières<br />

Et sans doute peuplée des ombres familières<br />

Qui ont rêvé jadis ou cheminé naguères<br />

A vos côtés ou sur vos pas ... O Ariane,<br />

Ariane automnale et deux fois émouvante,<br />

Soyez sur le mur gris de la vie la liane<br />

Qui sait crisper ses fleurs, lorsqu'il pleut ou qu'il vente,<br />

Pour mieux s'épanouir parmi l'ombre vivante.<br />

145


Groupez autour de vous ces enfants qui vous aiment,<br />

Gravez au fond de vous vos intimes poèmes<br />

Et souriez devant l'automne qui s'en vient<br />

Et qui chante si juste et qui marche si bien,<br />

Dans la nécessité de l'immuable sort,<br />

Que son déclin, peut-être, est plus beau qu'un essor.<br />

146


MESURES DU TEMPS<br />

I. Vendémiaire, mois des vendanges humaines<br />

Où le vin du sang coule au lieu du sang clair de la vigne.<br />

Brumaire des larmes vaines.<br />

Frimaire des cheveux fleuris par la douleur insigne.<br />

Nivôse des cœurs froids sous le linceul pesant.<br />

Pluviôse des pluies de sang.<br />

Ventôse du vent des destins tragiques.<br />

Germinal des vers dans la chair martyre.<br />

Floréal des lys sur les tombes fraîches.<br />

Prairial de l'herbe en les cimetières,<br />

Messidor des moissons de têtes.<br />

Torride Thermidor sans air des prisonniers.<br />

O Fructidor des jeunes fruits d'André Chénier.<br />

Tendre calendrier des appellations légères,<br />

Saisons aux charmes renaissants.<br />

" Il pleut, il pleut, bergère. "<br />

− Oui, mon cher Fabre, et c'est du sang et c’est ton sang.<br />

147


QUATRE VISAGES DE L’INEXORABLE<br />

II. La Clepsydre et le sablier,<br />

L'Horloge et le Cadran solaire,<br />

Par le rouage l'eau, le sable et la lumière,<br />

Tissent, sans joie et sans colère,<br />

L'heure où nous serons oubliés.<br />

DIALOGUE FALOT<br />

III. Hamlet aux elfes d'Elseneur<br />

Demande le mot de l'énigme:<br />

" Etre ou ne pas être ". O rumeur<br />

Sur le lac noir peuplé de cygnes,<br />

Etre ? Mais rien n'est qu'apparent.<br />

Ne pas être? Mais tout existe<br />

A moins que nous n'existions pas.<br />

− " Console-toi, jouvenceau triste :<br />

Si rien ne vit, la plainte est vaine;<br />

Sinon la douleur est certaine. "<br />

− Le bien, le mal, le beau, le laid,<br />

Mirage. – " Attends, seigneur Hamlet,<br />

Que demain la vierge Ophélie<br />

Par sa mort atteste la vie. "<br />

148


A CHACUN SA LUMIERE<br />

Il n'est pas juste que les morts troublent les vifs:<br />

Ceux qui voient le soleil, qu'ils le saluent,<br />

Les autres c'est Dieu qu'ils ont vu :<br />

La clarté pour la rose et 1'ombre pour les ifs.<br />

I. Tout le jour j'ai respiré<br />

L'air vierge de la forêt,<br />

M'imprégnant de soleil<br />

Vermeil.<br />

REFLETS<br />

Ce soir j'en garde encor le souffle<br />

Et la lumière ;<br />

Tel ce nuage sur la mer,<br />

Ce nuage couleur de soufre<br />

Au ciel moiré,<br />

Reflète le disque sombré.<br />

II. Une page<br />

149


Sous la lampe blême;<br />

La nuit sage:<br />

Un poème,<br />

III. Encor des mots, toujours des mots<br />

Et des images.<br />

O pauvre image<br />

Qui mets en musique tes maux!<br />

IV. Est-ce que des oiseaux<br />

Dans le feuillage ont murmuré<br />

Ou bien si c'est<br />

Mon cœur qui a pleuré<br />

De chercher en vain un berceau ?<br />

V. J'ai fini d'écrire.<br />

Proche, la forêt<br />

Chante, rêve et délire.<br />

Ah! Le sommeil frais.<br />

150


ANNONCIATION<br />

Toi que j'aime au delà des âmes que je crois aimer,<br />

Salut dans le passé, salut dans le futur.<br />

Je reconnais ta face aux visages de la Nature;<br />

Je serre ton absence en mes bras refermés.<br />

Et la rose qui meurt sur le bois poli de ma table<br />

Annonce en défaillant ta naissance ineffable.<br />

151


Les Chimères étonnées<br />

LA COURSE<br />

Ont respiré l'odeur d'enfance<br />

Qui dormait au creux des berceaux<br />

Hantés d'absence.<br />

Sous les arceaux<br />

Abandonnés<br />

Des jacarandas aux fleurs d'améthyste<br />

Elles ont respiré l’odeur d'adolescences<br />

Tristes<br />

Et qui n'étaient plus qu'un peu de silence.<br />

Alors, inquiètes,<br />

Elles ont bondi vers cette jeunesse<br />

Qui fuit<br />

Là-bas<br />

Vers la nuit<br />

Dans le verger bleu dépouillé de fruits.<br />

Quand elles ont atteint, haletantes et lasses,<br />

L'autre versant de la forêt,<br />

Elles n'ont rejoint qu'un vieillard esseulé<br />

Qui marchait se parlant à voix basse.<br />

152


LA VOIX INEXTINGUIBLE<br />

Comme on protège avec ses doigts une humble flamme<br />

Que le vent de la nuit fait vaciller, j'abrite<br />

Peureusement la lampe d'or de poésie<br />

Où la tempête humaine, aux soirs mauvais, s’acharne.<br />

L'autan souffle. Je veille et défends ma clarté.<br />

L'espoir hésite en moi. Je suis las de lutter.<br />

Mais le divin appel du monde illimité<br />

Est plus fort que la terre et que l'humanité.<br />

Le chef sanglant d'Orphée module encore sur la lyre<br />

Tandis que le printemps qui l'écoute délire.<br />

La voix inextinguible est nécessaire aux rythmes<br />

Dont s'anime la danse éternelle de l'Univers,<br />

Vous aurez beau meurtrir le songeur et brûler ses vers:<br />

D'autres chants jailliront sans trêve de leurs cendres.<br />

Il ne tient pas à vous, moroses, de défendre<br />

Que la flûte d'argent domine les buccins de cuivre<br />

Et qu'on soit une voix dans le désert de vivre.<br />

153


CHANT DE ROUTE<br />

Il fa ut chanter sur le chemin, il faut chanter<br />

Jusqu'au vertige. Il faut chanter à perdre haleine.<br />

Et si de vieux sanglots nous montent à la gorge<br />

Il faut chanter plus juste, il faut chanter plus fort.<br />

Et si nous trébuchons il faut chanter encore,<br />

Si fort, que les grands dieux, penchés du ciel, écoutent<br />

La terrible chanson qui monte de la route<br />

Et qui, venue d'une lointaine humanité,<br />

Monte comme un pardon vers leur sérénité.<br />

Cet arbre où le soleil a lui<br />

L’ARBRE DOUBLE<br />

Est beau de la beauté sévère des tombeaux<br />

Où s'égosillent les oiseaux.<br />

Mais son ombre au gazon est plus belle que lui.<br />

154


UN ENFANT EST MORT<br />

Cette brise tendue, un crépuscule vert,<br />

Quelque chose en le soir de triste et de brisé.<br />

Un enfant a fermé ses yeux à la lumière.<br />

Un enfant vient d'ouvrir ses yeux à la Lumière.<br />

-- Azraël, Azraël, terrible est ton baiser<br />

Pour nous les demeurés dans la pénombre humaine.<br />

Il était sain comme la vigne et le froment:<br />

Pourquoi donc en tes bras l'as tu pris tout vivant?<br />

Il était bon et pur comme l'aube prochaine<br />

Où va-t-il refleurir en nous défleurissant?<br />

Quelque chose suspend son souffle autour de nous.<br />

Un long chuchotement déferle sur nos âmes<br />

Que le mystère courbe et qui sont à genoux.<br />

Chapelle du lycée aux vacillantes flammes,<br />

Longs dortoirs aux blancheurs alternées d'ombres douces,<br />

Calme étude du soir et jeux sur les pelouses,<br />

155


Tout cela qu'une absence a déjà dépeuplé<br />

Mystiquement. Comme le cœur va nous trembler,<br />

Dans la vaine splendeur du soir et du matin,<br />

Quand un rire d'enfant montera du jardin.<br />

156


L'après-midi;<br />

ÉTERNITE<br />

La Nature d'été doucement engourdie;<br />

Un vol d'oiseaux sur le ciel;<br />

Et dans le monde et dans mon âme épanouie,<br />

Quelque chose d'éternel.<br />

L’OURAGAN<br />

A pic d'un promontoire, une mer après l'ouragan;<br />

La fuite des oiseaux sinistrés vers la terre calme,<br />

Des oiseaux blancs au vol tendu vers les forêts de palmes,<br />

Traversant la mer grise où traîne encore un peu de vent.<br />

La stupeur du silence après les tourbillons sonores;<br />

Tout l'effroi de la nuit effarant une sainte aurore;<br />

La mer et les oiseaux hors du temps, du nombre et des lieux.<br />

− Et tout cela dans ton regard, un soir d'adieu.<br />

157


POÈME SOLAIRE<br />

I. Ferme les yeux: écoute à travers toi<br />

Les filaos s'exhaler dans la brise<br />

Et s'étirer sur la paille du toit.<br />

II. Un oiseau file éperdument: cri dans l'espace.<br />

La terre recueillie écoute. Que ton cœur<br />

Aime ce qui demeure et suive ce qui passe.<br />

III. Voici de l'eau douce et voici du pain.<br />

Mange et bois au soleil les humbles nourritures<br />

Et puisse s'éveiller en toi une autre faim.<br />

IV. Car il y a dans le soleil<br />

La Lumière de la lumière:<br />

Le Seigneur est le plus vermeil.<br />

158


V. Le cœur du manguier saigne et l'on dit: C'est la sève.<br />

−On ne croit qu'au sang noir qui souille les épées−<br />

Le sang du chanteur coule et l'on dit: C'est un rêve.<br />

VI. La gloire est pour ceux-là qui flattent le troupeau.<br />

Aux autres, dont la voix domine les vaines clameurs,<br />

Nul ne donne un laurier vert ni même un tombeau.<br />

159


Etude.<br />

A MA LAMPE<br />

L'esprit ne nourrit pas le cœur.<br />

Vit-on pour la science ou bien pour le bonheur?<br />

Solitude.<br />

Le soir vient.<br />

L’HEURE ÉPHÉMÈRE<br />

N'allumez pas encor les lampes:<br />

On est si bien<br />

A songer, le doigt sur la tempe,<br />

A songer<br />

Dans le soir divin, dans le soir léger.<br />

160


DIALOGUE DE NUIT<br />

− Qui pleure dans la nuit noire ? − L'humanité.<br />

− C'était donc vous, c'était donc vous,<br />

Mes frères? Ecoutez le rossignol d'été.<br />

− On n'entend nul oiseau chanter<br />

Quand le ciel est trop loin et qu'on est à genoux<br />

Sur la terre trop proche. − O frères,<br />

Sang pareil à mon sang, chair semblable à ma chair,<br />

Qu'attendez-vous de moi, qui saigne ? − Du génie.<br />

− Hélas. − Nous avons soif de divine ambroisie;<br />

N'ayant que du pain<br />

Nous souffrons la faim.<br />

− Je ne puis vous nourrir que de mon triste amour.<br />

− Nous sommes des oiseaux qu'un destin prive d'ailes.<br />

− O débiles hirondelles,<br />

Alouettes au corps trop lourd,<br />

Si vous voulez que je me lève et que je chante<br />

Malgré nos destinées méchantes,<br />

161


D'abord laissez-moi<br />

M'enivrer de pitié, de tendresse et d'émoi<br />

En gardant<br />

Le sommeil clair de vos enfants.<br />

La source de ma vie est en leur cœur fragile,<br />

Ils sont le souffle animateur de mon argile<br />

Et c'est en les berçant<br />

Que je saurai chanter pour vos douleurs nombreuses<br />

− Humanité de cris, de larmes et de sang −<br />

Des berceuses.<br />

162


CLARTÉ NOCTURNE<br />

I. Va, quel que soit le nom sonore que tu donnes<br />

A celui-là qui t'accompagne,<br />

Son nom réel est l'Inconnu.<br />

Crois-moi: quelle que soit celle qui est venue<br />

− Lorsque tu te sentais une âme triste et bonne −<br />

Et dont l'ombre rayait la campagne,<br />

Elle s'appelait Solitude.<br />

II. Une eau plaintive s'écoule<br />

Dans la vasque de pierre.<br />

Est-ce une chanson ? Est-ce une prière?<br />

L'immense clair de lune exalte cette foule<br />

Ténébreuse que sont les arbres immobiles<br />

Et sur le gazon bleui<br />

La fontaine qui rêve est douce comme une île<br />

Entrevue au lointain d'un mirage de mer<br />

Un grillon invisible a stridulé dans l'ombre.<br />

Paysage de nuit qu'illumine le clair<br />

163


De lune et qu'un vertige envahit comme une onde<br />

Insidieuse et recueillie;<br />

Paysage d'ivresse et de mélancolie,<br />

Plus frais qu'un parfum, plus pur qu'un sanglot,<br />

Avec cette musique fluide de l'eau,<br />

Si poignante malgré la paix de la lumière,<br />

Qu'on revit un instant son enfance première<br />

Et que des ailes de silence<br />

Effleurent de leur vol le clair de lune immense.<br />

164


CELUI QUI PORTAIT LA LUMIÈRE<br />

Les yeux de Lucifer scintillent sur le monde.<br />

L'ascète au désert fait le signe de la Croix.<br />

Les mains de Lucifer se posent sur le monde.<br />

Le cortège des dieux apparaît dans les bois.<br />

La voix de Lucifer résonne sur le monde.<br />

Les révoltés ont soif du sang divin des Lois.<br />

Le désespoir de Lucifer emplit le monde.<br />

165


EXODE<br />

Taciturne marcheur des caravanes inquiètes<br />

Que déçoit le mirage et que fuient les puits et les palmes,<br />

Quelle eau étancherait cette soif immémoriale<br />

Qui cherche l'océan et ne trouve qu'un peu de pluie?<br />

Quelle eau sinon la mer où se dédouble un grand ciel pâle ?<br />

Et cette eau-là, cette eau, limpide, amère, épanouie,<br />

Tu connais sa saveur puisque tu sais le goût des larmes.<br />

LE CHANT RÉSERVÉ<br />

Pour rythmer le silence et leurrer mon cœur nostalgique<br />

J'ai accordé la lyre et ma voix nocturne a chanté.<br />

Qu'importe si la brise en éparpille les musiques:<br />

Je n'ai pas dit le chant de mon éternité.<br />

166


PRÉSENCE DE SHELLEY<br />

Le croissant de lune s'effile<br />

Sur les feuillages bleus de soir.<br />

Vous seul, Poète fraternel,<br />

Savez quel sanglot m'extasie<br />

Lorsque ce que j'ai d'éternel<br />

S'élance vers la Poésie.<br />

Voyez, l'ombre mauve s'argente<br />

Et luit de la lune changeante;<br />

Et la musique et les parfums<br />

Et la clarté n’est plus qu'un<br />

Féerique enchantement de l'âme;<br />

Vaste océan dont chaque lame<br />

Déferle sur des soirs défunts,<br />

Sur des soirs si loin de ce soir<br />

Et si lourds de mon avenir,<br />

Que je ne sais plus, à frémir,<br />

Si c'est de regret ou d'espoir,<br />

Et que j'ignore − sur ce sable<br />

Empreint de nos pas triomphants<br />

O mon aïeul impérissable,<br />

Si vous n'êtes pas mon enfant.<br />

167


MUSIQUES PREMIÈRES<br />

168


SAISON<br />

Moire de printemps qui déferle<br />

Rose sur le monde gris-perle,<br />

Mousse d'argent sur l'azur triste<br />

Teinté de vert et d'améthyste.<br />

Eveils sonores aux clairières,<br />

Pâles douceurs avant-courrières,<br />

Sonneries de buccins sans bouches,<br />

Brise tendue, clarté qui bouges,<br />

Goût de letchi des roses rouges.<br />

Enfants nus aux mains translucides<br />

Dans le soleil et bleues dans l'eau.<br />

Leurs toisons dorées de halos<br />

Et leurs éclats de rire acides.<br />

Vielles d'amour, luths et violes<br />

Chantent les Anges primitifs.<br />

Voici le lynx aux yeux pensifs,<br />

Héraldique, près d'un bouleau.<br />

L'or des petites filles mortes<br />

Flotte, furtif, devant les portes<br />

Des manoirs purs et chimériques.<br />

Tant de miroitements perdus<br />

169


Pour cette aveugle Humanité,<br />

Tant de douceur, tant de beauté<br />

Passant pour ne revenir plus!<br />

− Mais la tragique ardeur de vivre<br />

Qui stigmatise le Poète<br />

N'en sera que plus véhémente.<br />

Au fond de son âme inquiète<br />

Il sera plus fier et plus ivre<br />

D'être le seul écho qui chante<br />

Parmi la stupeur des mortels.<br />

Alors, tel un dieu altéré<br />

Qui veut tarir les coupes pleines<br />

Qu'a laissées le sommeil des dieux<br />

Il boira seul à perdre haleine<br />

La brise des mers et des plaines<br />

Et le soleil mélodieux<br />

Et les mirages fabuleux,<br />

Afin que la Nature-Mère<br />

N'ait pas répandu dans le vide<br />

De cette Humanité aride<br />

Le lait divin de ses mamelles.<br />

170


LÉGENDE<br />

Le nom de Mikaël, plus pur que les essences,<br />

Archangélique, ailé d'un million d’enfances.<br />

Mikaël vit aux yeux du Dragon tant de rêve.<br />

Qu'il oublia de le transfixer de son glaive.<br />

Archangélique, ailé d'un million d'enfances,<br />

Le nom de Mikaël, plus vrai que les essences.<br />

VENUE DES NEFS<br />

Un soir de mélodie et de colombes palpitantes,<br />

Un soir de pauvreté mystique, un soir d'ailes flottantes<br />

Sur le vide des eaux où l'ombre abyssale s'inverse,<br />

Soir annonciateur d'un avènement de perverses<br />

Candeurs, ô soir d'élan, soir pardonné, soir prophétique,<br />

Aube au delà du crépuscule infini des portiques<br />

Où le sillage enfin griffe l'azur énigmatique,<br />

Le sillage des nefs ailées de Bagdad et de Perse<br />

171


FLUIDITES<br />

I. Il faut s'abîmer dans un pur silence<br />

Où recréer son être pur<br />

Avec tant de cristal, de lumière et d'azur<br />

Qu'on soit vierge ainsi qu'aux primes naissances.<br />

II. Otez ces limites:<br />

Le monde est fluide<br />

Et vos lois blessent l'Ineffable.<br />

Les ailes de l'Oiseau sont clouées sur la table.<br />

III. L'Aède et le Dieu ont eu peur d'écrire.<br />

Les Scribes sont venus.<br />

Ils ont pris la chair de la Beauté nue<br />

Et l'ont masquée d'un vêtement risible.<br />

IV. Si j'ai pleuré j'ai dit la vérité.<br />

Si j'ai souri mon erreur fut heureuse.<br />

Mais d'avoir récité la doctrine et la loi,<br />

Amour, pardonnez-moi !<br />

V. Une voix d'enfant chante dans la nuit<br />

−Voici le verbe essentiel ! −<br />

Dans la nuit sereine où la lune luit<br />

Comme le visage du ciel.<br />

172


RAMIERS BLEUS, RÊVES D’OMBRE<br />

Ramiers bleus, rêves d'ombre et moires irisées,<br />

Nuit des mains sur les yeux, lumières tamisées,<br />

Beau tremblement des lys que givrent les rosées<br />

Et vers le ciel nocturne un départ de fusées.<br />

173


ART POÉTIQUE<br />

Vois-tu, petit, on ne doit point<br />

Comprendre si l'on veut savoir.<br />

Un soir ce n'est jamais qu'un soir<br />

Et plus on l'aime on l'entend moins<br />

Ecoute rêver l'Inconnu<br />

Qui sommeille fragile et nu<br />

Dans les abîmes de ton être<br />

Où la vie a des pleurs sacrés.<br />

Ne cherche pas à le connaître<br />

Ton frère pudique et secret.<br />

Laisse l'eucalyptus d'argent<br />

Debout sur le ciel sidéral<br />

Bruire aux brises estivales<br />

Qui portent des parfums changeants.<br />

Laisse striduler la cigale<br />

Dans le mystère de midi<br />

Et sur les houles engourdies<br />

Planer la mouette au vol égal.<br />

Laisse l'enfant poser sa tête<br />

Bourdonnantes de fables sur<br />

174


Tes genoux et son âme en fête<br />

Boire les remous de l'azur.<br />

Ne trouble pas les douces lignes<br />

Des monts bleutés à l'horizon<br />

Ni sur l'eau l'essor blanc des cygnes<br />

Ni les arbres pleins de raison.<br />

Accepte tout car tout est beau,<br />

Car tout est pur, car tout est sage.<br />

Tu n'es qu'un hôte de passage<br />

Entre les flancs et le tombeau.<br />

Et si t'apparaît pitoyable<br />

Le néant que l'homme a crée<br />

Oriente tes yeux lassés<br />

Vers la Nature et l'ineffable.<br />

Voilà tout mon art poétique:<br />

Apprends-le vite, oublie-le bien.<br />

Profane, il ne te sert de rien;<br />

Poète, qu'en as-tu besoin?<br />

Et puis n'enseigne ta musique<br />

Qu'aux jeunes fronts prédestinés<br />

Que le dieu Platon eût aimés.<br />

Et puis encor ... je ne sais plus<br />

175


Sinon qu'il faut vivre son chant<br />

Afin de chanter mieux sa vie.<br />

Je ne sais pas ... J'ai tant vécu<br />

A force d'éparpiller tant<br />

Mon amour et ma songerie ...<br />

Je ne sais plus sinon, poème<br />

Et poète, que je vous aime<br />

Mais que les mots essentiels<br />

Sont ceux qu'on garde pour le ciel.<br />

Va, dans notre ingénuité,<br />

Petit, nous sommes plus savants<br />

Que l'innombrable humanité<br />

Car seuls nous entendons chanter<br />

La Voix qui passe avec le vent.<br />

176


INCONNU<br />

Autre et toujours le même, Ô Désir immémorial,<br />

Salut encore, ami suivi de l'Ennemie.<br />

Les enfants sont défunts aux salles de l'Escurial<br />

Mais qu'est-ce que la mort et qu'est-ce que la vie?<br />

O lumière sans nom qui leurre nos fenêtres, luis<br />

Pourvu que la pénombre en soit transfigurée.<br />

Je t'accepte, Inconnu: que ton éternelle marée<br />

Obnubile nos jours et scintille en nos nuits.<br />

177


ASCÈSE<br />

Quel songe ou quel espoir de bataille nocturne<br />

Epandra la douceur fluide de ces urnes<br />

Qui sur l'onde et le flux des marées taciturnes<br />

Suspendent l'Inconnu héraldique des flancs.<br />

Génitrices d'horreur aux doigts évanescents<br />

Voici que tout un vol de mirages naissants<br />

O vierges va répondre à vos almes attentes<br />

Et que l'emmêlement des ailes palpitantes<br />

S'évade vers le bleu des palmes et des tentes.<br />

Sirènes aux strideurs que prolonge un beffroi<br />

De vergues et de mats dans le havre plus froid<br />

Les départs très frileux traînent un vaste effroi<br />

Et l'Hyacinthe dort futur au bord des rades<br />

178


Qu'un jour parmi le vent et les brouillards maussades<br />

Violeront les armadas à l'odeur fade.<br />

Quelle peur, quel espoir de dépouilles opimes<br />

S'accoupleront monstres liés tels que des rimes<br />

Pour la possession des fugaces abîmes<br />

Où le désir de vivre est un désir funèbre.<br />

Les trirèmes s'enfuient aux liquides ténèbres<br />

Essor effarouché d'albatros vers l'Erèbe.<br />

Mais aux effluves d'or des coupes interdites<br />

Je bois l'ample vertige où tournoiera plus vite<br />

La haute sainteté des sciences maudites<br />

Car le dieu Ouranos qu'éludent les archanges<br />

Reflète en son regard les azurs frais des fanges<br />

Et l'éblouissement obscur des nuits étranges.<br />

179


VEILLEUR<br />

Mers étales de vie et de songe mêlés<br />

J'attends un cri d'éveil sur votre invisible étendue.<br />

Tant de barques s'en vont qui ne reviendront plus<br />

Ou s'en viennent qui ne s'en étaient pas allées...<br />

Tant de barques aux mâts rompus, aux ponts déserts<br />

Et d'autres dont la proue est vibrantes de rires ...<br />

J'entends les dieux de l'onde et les génies des airs<br />

Souffler les vents changeants aux voiles des navires:<br />

Le naufrage ou la bonne arrivée aux escales;<br />

Voix de mort et de vie au frisson des rafales.<br />

− Je suis le gardien taciturne du phare<br />

Où les oiseaux perdus orientent leur vol.<br />

Le soir ils viennent tous à la pointe extrême du sol;<br />

Lorsqu'ils tombent beaucoup ne se relèvent pas.<br />

180


Oiseaux mystiques des pays plus fabuleux<br />

Que l'alme Cimmérie ou la Colchide bleue,<br />

Sont-ils les messagers des Atlantide chimériques,<br />

Les captifs évadés de volières féeriques?<br />

Je tends les mains vers eux qui jamais ne me voient ;<br />

Ils n'écoutent jamais les appels de ma voix,<br />

Car il leur faut mourir du grand froid de la terre<br />

Puisqu'ils sont des oiseaux de soir et de mystère.<br />

Mais l'enfant qui persiste au fond de mon automne<br />

Espère encor les prendre à la main et s'étonne<br />

− Enfant à la candeur que rien ne lassera –<br />

De les voir se dissoudre en le ciel, plume à plume,<br />

Pour se perdre parmi les tourbillons d'écume.<br />

− Bonheur, je les tiendrai quand tu me reviendras.<br />

181


LA MAISON DE CRISTAL<br />

La maison de cristal qui songe près du fleuve<br />

Entre les peupliers et les saules pleureurs<br />

Saura bien accueillir notre âme en robe neuve<br />

Quand l'Ange nous aura lavés de nos douleurs.<br />

Nous serons vierges à nouveau, vêtus d'enfance;<br />

Le sens premier des mots nous sera révélé<br />

Un peu d'azur divin bleuira le silence<br />

Et la terre luira parmi le ciel stellé.<br />

182


DIURNE<br />

Délirantes sonorités de tympanons<br />

Sur le discours d'une âme en face de Memnon<br />

La musique solaire au loin irradiée<br />

Porte au vide sépulcre un triomphe d’échos.<br />

Mais plus fier d’un néant de gloire mendiée<br />

Que de tout l'appareil des lauriers amicaux<br />

Le Poète suspend au seuil de sa féerie<br />

La chlamyde sanglante et la toison meurtrie<br />

Qui témoignent encor de son amour en deuil.<br />

Il ne franchira point la pierre de ce seuil<br />

Car la chimère vaut que le cœur se dépouille<br />

Et que devant l'airain clair qu'outrage la rouille<br />

Le plus noble repos s'indigne de lui-même<br />

Sans élever la plainte ou crier l'anathème.<br />

Et peut-être qu'un soir de pur renoncement<br />

Celui-là qui s'est tu redeviendras l'amant.<br />

183


VENT DE FORÊT<br />

Veut de forêt et vent de mer et vent de plaine<br />

Et de montagne, voyageur<br />

Qui traverses le monde et bruis de rumeurs,<br />

Odorant de multiple haleine,<br />

Je veux t'accompagner de mon désir errant.<br />

Qu'importe si ma chair m'emprisonne. Qu'importe<br />

Ma vie captive entre la fenêtre et la porte.<br />

Qu'importe ce passé qui me tisse un linceul vivant.<br />

De mer ou de forêt, de montagne et de plaine,<br />

Je pars avec toi, vent libre et cosmique.<br />

Mélancolique,<br />

L'horloge sonne un envol d'heure.<br />

Mais l'heure qui se meurt ressuscite au passé.<br />

Il me faut me ruer vers l'avenir pressé.<br />

La vie est comme un fruit dont fugitive est la douceur.<br />

184


Oui, je sais que je cours une course démente:<br />

Telle la chèvre que leurre le chevrier<br />

Et qui poursuit le vert d'une branche fuyante.<br />

Course démente mais passionnante et sage<br />

Vers le cytise ou le laurier,<br />

− Vertige plus humain que l'immobilité<br />

Où meurent les corps et les âmes.<br />

Dieu vertige,<br />

Lance-moi dans le tourbillon<br />

Où s'accomplit le prodige<br />

D'un dansant horizon.<br />

Je fus l'homme ancestral qui écoute chanter<br />

Une voix familière à sa vague mémoire,<br />

Mais voici le silence infini, la nuit noire ...<br />

Alors il a déserté<br />

La maison vide,<br />

Puisqu'il faut bien que l’on vive.<br />

Il s'est jeté<br />

Dans la mêlée éblouissante,<br />

Il a décoché puis reçu<br />

Les flèches lisses et sanglantes,<br />

185


Toujours blessé, jamais vaincu.<br />

Il a crié<br />

Mais sans savoir si c'est de souffrance ou de joie.<br />

Il a pleuré<br />

Mais sur les autres ou sur soi?<br />

Il a volé divinement une tendresse<br />

Que lui tendait la 'main des dieux<br />

Et d'impurs mortels privés de jeunesse<br />

L’on haï d'un cœur tortueux.<br />

Haine et amour:<br />

Il s’est grisé de ce nektar<br />

Et il s’en va<br />

Avec le vent<br />

Vers la Nature aux sens vivants.<br />

186


AOR-AGNI<br />

C'est à toi que je vais à travers la légende<br />

Protéenne, air et feu où vit le seul arcane,<br />

Verbe en forme de souffle, éblouissante offrande,<br />

Ophir et Cimmérie, Colchide, Bactriane,<br />

O, pour le labyrinthe obscur, fil d'Ariane.<br />

Mais par l'austère voie où veillent les Dragons<br />

Toujours l'amour en fleur et l'éclat du jour blond<br />

Tissent sur mon regard un voile de rayons<br />

Pour que je ne discerne, au delà de leur rêve,<br />

Dans la nuit sans limite une aube qui se lève.<br />

187


QUAND JE REJAILLIRAI<br />

Quand je rejaillirai de la funèbre crypte<br />

Où mon passé sommeille ainsi qu'un dieu d'Egypte<br />

Mes yeux tout éblouis d'ombres et de lumières<br />

Ne garderont plus rien de ma stupeur première.<br />

Parce que l’aube vierge est fille de la nuit,<br />

Au lin de ma douleur j’aurai tissé ma joie.<br />

Tu m'entendras chanter de cette même voix<br />

Qui lamentait jadis mon allégresse enfuie.<br />

J'émergerai nouveau des ténèbres anciennes,<br />

Ayant tout effacé d'hier, et jusqu'au nom,<br />

Sans amertume, sans vengeance, sans pardon,<br />

Vers les noblesses, vers les cruautés humaines,<br />

Mais vêtu de l'armure intangible de forts<br />

Puisque le seul amour est une proie offerte<br />

Sans défense à l'exil pire que toute mort;<br />

188


Et mon front sera ceint de la guirlande verte.<br />

Alors devant la face auguste du soleil<br />

Je dirai les mots purs qui font l'oiseleur d'âmes<br />

Et protégé enfin des traîtres par mes armes<br />

Je me reconquerrai un grand amour vermeil :<br />

Non pas cette habitude ancillaire et torpide<br />

Que l'effroi d'être seul ou l'horreur d'être pur<br />

Imprime aux ennemis instinctifs de l'azur<br />

Ni la germinaison bestiale et stupide,<br />

Mais l'immortelle extase arrachée aux mortels<br />

Et ce viol sacré d'une âme par un dieu<br />

Et, dans l'enchantement irradiant des yeux,<br />

Une entrevision d'Amour surnaturel.<br />

189


O FAMILIÈRE VOIX<br />

O familière voix, vibrante d'inconnu,<br />

Dont le fil ténu<br />

Reliait au divin sa poitrine d'enfant.<br />

J’écoute une voix qui s’est tue :<br />

Rumeur d'archanges triomphants<br />

Entendue au lointain translucide du monde;<br />

Flux sonore d'une onde<br />

A travers le cristal frémissant ;<br />

Appel des Innocents<br />

Courbés sous la coulpe terrestre ;<br />

Flûte agreste<br />

Où le songe des eaux anxieuses s’atteste,<br />

C'est cette seule voix qui donnait aux choses muettes<br />

L'accent vital des primitifs Poètes;<br />

C'est elle qui créait à force de désir<br />

L'univers ineffable et tissé de musique.<br />

190


SOIF<br />

Pour que l'onde soit vierge où s'incline ta bouche<br />

J'ai dit les mots légers, les mots essentiels.<br />

Antilope tremblante au bord frais de la source<br />

Bois à la fois l'eau d'ombre et le reflet du ciel.<br />

VOIX IMMÉMORIALE<br />

− Voix immémoriale, incantation lente,<br />

Tu vibres et voici qu'un chant délicieux<br />

Anime la maison sonore que tu hantes<br />

Depuis que je suis seul et que je suis poète.<br />

Grâce du laurier vert, odeur de violettes,<br />

Mémoires qui peuplez la demeure déserte,<br />

Fragrances pénétrant par la fenêtre ouverte,<br />

Visage en pleurs de l'amour mort qui me sourit,<br />

N'êtes-vous pas mes compagnons et mes amis<br />

Et qu'ai-je donc besoin d'écouter la rumeur<br />

De tout ce qui décline et de tout ce qui meurt<br />

Puisque j'entends monter du monde intérieur<br />

Votre immatérielle et grave symphonie?<br />

191


GENÈSE<br />

J’ai créé le monde au rythme de ma vie<br />

Et des buccins d'argent ont sonné sur les eaux<br />

Car j'avais retrouvé l'identité des mots<br />

Dont la vertu première était ensevelie.<br />

Vous m'avez enseigné, voix immémoriales:<br />

Voix de l'esprit, voix de l'instinct, toutes sacrées<br />

Balbutiement sublime au fond de l'incréé,<br />

Et vous, noms : Hyacinthe, Adônis, Euryale.<br />

Et vous, noms de mystère aux sonorités vagues,<br />

Qui donnez un visage à mes anxiétés,<br />

Des reflets d'arbres bleus à l'océan sans algues,<br />

Des dieux à mon désir, des fruits à mon été:<br />

Noms ineffables et que tisse le silence<br />

Quand la nuit se souvient des primitives nuits,<br />

O brises sur mon front, baumes sur mon ennui,<br />

Effort aigu dans l'illusoire nonchalance.<br />

192


Effort de tout r esprit pour mieux reconquérir<br />

Les grands signes perdus par l'homme originel<br />

Dans la forêt crépusculaire de jadis<br />

Où l'Archange oublié les gardait, fraternel.<br />

C'est pourquoi je vous fuis, Ô frères trop humains<br />

Qui avez profané le verbe essentiel<br />

Riche de souvenir, gonflé de lendemains<br />

Et qui ne voulez pas que je nomme Ariel.<br />

C'est pourquoi je demande à la même Nature<br />

Qui vit naître la Terre et la verra mourir<br />

Le don éblouissant des palmes en murmure<br />

Et de l'eau toujours vierge et du mouvant saphir.<br />

Calmes futaies. Oiseaux furtifs. Herbe vivante.<br />

Déferlements des mers aux grèves. Bleu de lune<br />

Sur la forêt vertigineuse où le cor chante.<br />

Soleil océanique où s'irise l'écume.<br />

Mères subtiles qui penchez sur le poète<br />

Votre âme inconsciente encor, votre âme éparse,<br />

193


Afin qu'il la féconde au souffle de son âme<br />

Et qu'elle soit humaine et qu'il soit alouette,<br />

Immuable Nature et qui pourtant progresses<br />

Sur la mystique voie où l'homme t'accompagne,<br />

Vent des sommets, stupeur des soirs, paix des campagnes,<br />

Vous étiez déjà tels mille ans avant la Grèce<br />

Et vous serez ainsi quand le dernier soleil<br />

Splendira doucement sur l'agonie humaine,<br />

Quand la vie et la mort, quand l'amour et la haine<br />

Dormiront enlacés dans le même sommeil.<br />

Oui, toi, Nature, puis le Génie et l'Amour,<br />

Mes trois sources d'eau fraîche en le désert de vivre;<br />

Et, pour exorciser l'angoisse d'un cœur lourd,<br />

La flûte de roseau et le buccin de cuivre.<br />

194


MIRAGES AU DÉSERT<br />

Tous les chemins sont solitaires<br />

Mais j'ai pris le sentier où l'on sait qu’on va seul.<br />

Et mieux embaument les tilleuls<br />

Plus je sens que je porte une vie étrangère.<br />

J'entends des cris lointains que je ne comprends pas.<br />

Mes cris se perdent dans le noir.<br />

Si, les mots que je dis, d'autres humains les disent,<br />

C'est comme une musique grise<br />

Où chaque rêve met sa couleur à lui seul.<br />

J'ai froid dans ce soleil qui ne réchauffe que ma chair<br />

Et mon âme est nocturne autant que ton visage est clair.<br />

Tais-toi, petite chose irréelle et cosmique,<br />

Afin que ton silence enfante ma musique.<br />

Une musique : du réel,<br />

Un peu de substance entre deux vains rêves,<br />

195


Un peu de vie entre deux morts,<br />

Une lumière vers le port,<br />

Vers le port éternel où nous appareillons<br />

Vêtus de ténèbre et d'obscurs rayons,<br />

Vers le port divin où vont ceux qui aiment,<br />

Ceux que rythme l'amour où qu'allège un poème,<br />

Vers le port fugitif et toujours au delà,<br />

Vers le port innommé où nul n'arrivera.<br />

196


DIALOGUE MYSTIQUE<br />

− Tu es venu heurter à ma porte, Génie,<br />

Et je n'ai pas osé boire à ta coupe pleine.<br />

La Génie et un poète parlent.<br />

Je savais que terrible, ô frère, est ton étreinte<br />

Et que l'esprit s'effare à sonder l'infini.<br />

Je t'ai crié : − " Passe, étranger, la porte est close ! "<br />

Et j'ai senti le vent de tes ailes sublimes.<br />

Toute ma lâcheté triomphait de l'abîme<br />

Où plane l'Ange obscur de la Métempsycose.<br />

Mais ainsi que la mort enlacée aux vertèbres<br />

De qui doit s'en aller avant l'aube rosée<br />

Tu as soufflé ma lampe et parmi les ténèbres<br />

J'ai connu le viol sacré de ton baiser.<br />

197


Et tu m'as dit: " Ne tente plus de m'échapper<br />

Car je suis le gémeau de l'Anankê divine<br />

Et je vivais déjà dans ta pauvre poitrine<br />

Haletante, le soir que tu m'as deviné.<br />

Je suis le legs impérissable des poètes:<br />

Non leurs œuvres d'un jour mais leur destin lui-même.<br />

Tu n'es pas libre de me fuir ni de m'atteindre.<br />

Le laurier, c'est ma main seule qui doit t'en ceindre.<br />

Ma main seule ... Ame antique et nourrie aux rosées<br />

De la rose hellénique et du lait de la Louve,<br />

O platonicienne aux tendresses puisées<br />

Dans le puits du jardin où les grenades s'ouvrent,<br />

Espérais-tu qu'un dieu sonore et les Piérides<br />

T’oublierais à jamais sans devoir ni sans droit;<br />

Que tu continuerais à déserter ce vide<br />

Natal ou le Génie vit d'extase' et d'effroi?<br />

Lève-toi, front lauré. Délivre une âme humaine<br />

De la Matière, cauchemar éblouissant.<br />

Je ne demande pas tes larmes ni ton sang<br />

198


Mais que tu sois un homme où va germer un dieu. "<br />

− Frère du ciel, mon maître et mon dur ennemi,<br />

Laisse-moi m'enchanter de sublimes mensonges<br />

Laisse des bras de chair bercer mes derniers songes<br />

Et des musiques tues survivre dans ma nuit.<br />

Epargne-moi surtout l'affreuse solitude<br />

Où les chanteurs élus sombrent tous un à un<br />

Comme des nefs perdues au fond du crépuscule,<br />

Comme l'éclair de vie au fond des yeux défunts.<br />

Ah surtout pas cela, frère; pas ce départ<br />

Sans possible retour sur la mer sans limite,<br />

Sur un vaisseau désert que rien ne désempare,<br />

Vers l'horizon fuyant et l'Etre inaccessible.<br />

−Enfant, nul ne fléchit la volonté des dieux:<br />

Résigne-toi à ta splendeur inévitable.<br />

Embrasse l'épouvante et trace sur le sable<br />

Ton mensonge suprême aux hommes oublieux.<br />

Ils ne méritent pas que pour eux tu désertes<br />

199


L'ardente Galaxie où t’attendent tes pères<br />

Ni que, pour leur donner des baumes qu'ils refusent,<br />

Tu t'exiles du ciel dans leur foule confuse.<br />

Viens-t'en, mon bien-aimé, la nue est froide et pure<br />

Que traversent des vols éclaboussants d'archanges.<br />

Viens; je t'offre un amour d'âme, le seul qui dure<br />

Parce qu'il cherche Dieu sur les routes étranges.<br />

− Ah que ne connais-tu le verbe essentiel!<br />

Qu'importent à présent pour mon cœur libre enfin<br />

Les fragiles pitiés où je leurrais ma faim.<br />

Me voici: tout mon cœur se fiance à ton ciel.<br />

− Apaise-toi: tu n'es pas mûr pour mon étreinte ;<br />

Tu ne la connaîtras qu’à l'instant de ta mort.<br />

Mais je te dicterai la musique des forts<br />

Puis je te bercerai près de la lampe éteinte.<br />

Et tes sommeils pensifs sur ma chère poitrine<br />

Tisseront nuit à nuit la chair de ton poème<br />

A venir. Et l'éveil de tes yeux dans la blême<br />

Aube ne verra pas ma présence divine.<br />

200


Mais je te laisserai tant de force et de joie<br />

Amère, que ton œuvre en soit transfigurée<br />

Comme des yeux de saint, et qu'à jamais tu sois<br />

Eperdu d'avoir bu à ma source sacrée.<br />

Mon Génie est parti et je suis deux fois seule:<br />

Seul entre les humains et seul entre les dieux.<br />

O ma lampe, sois-moi le regard de la flamme ;<br />

Veille sur mon labeur, ma tristesse, mon âme<br />

.<br />

Toujours l’Aigle et toujours ce prince Ganymède<br />

Et le Stigmate aux mains de saint François d'Assise<br />

Et le vertige d'eau qui boit l'enfant Narcisse<br />

Et le laurier mystique aux tempes du poète,<br />

Toujours ce rapt d'un mort par un vivant sublime<br />

Afin que ce mort naisse au vent vierge des cimes<br />

Et que ce vivant l'aime et puis que l'Immortel<br />

Goûte dans la chair lourde un élan vers le ciel.<br />

Ah ! Comme le divin a soif d'humanité<br />

Et quoi donc vibre en nous, hommes, qui les appelle<br />

201


De si loin, de si haut, vers nos êtres si frêles,<br />

Ces êtres dont l'amour pleurent de pauvreté?<br />

Et suis-je donc riche de tant de plénitude,<br />

O misère des dieux, puisque je puis aimer<br />

A ma soif un cœur au sépulcre destiné<br />

Et que sans moi vous grelottez de solitude?<br />

Peut-être que nos dieux nous les avons créés<br />

A force de prier, de douter et de croire<br />

Et qu'il leur faut, pour accomplir leur jeune gloire,<br />

Tout le lait maternel de notre humanité.<br />

… Je songe… Ai-je dormi ?... Qui sait<br />

Où commence le rêve clair,<br />

Où finit la vague pensée ?<br />

Je suis prisonnier de ma chair<br />

Où bat de l'aile un grand oiseau...<br />

J'attends l'aube avec l'alouette.<br />

Ah ! Voir cette blancheur première,<br />

Entendre jaillie sur les eaux<br />

Le cri muet de la lumière!<br />

202


OFFRANDE<br />

AU<br />

SOLDAT INCONNU<br />

203


UN SOLDAT PARLE :<br />

La patrie, nous l'aimions comme une chose due.<br />

Comme un juste héritage et la chair de nos os.<br />

Mais quand le cri de guerre a déchiré sa paix<br />

Nous avons su que par delà cette douceur<br />

Une beauté instable et grave respirait<br />

Dont le souffle déjà se suspendait aux armes.<br />

Vigile, anxiété près -de l'auguste mère<br />

Sur qui planait le vol épars des destinées:<br />

Cette nuit-là nous avons vu le vrai visage<br />

Et, dans l'ombre, écoulé la voix indubitable.<br />

204


Nous retenions entre nos dents<br />

Le souffle épuisé de la vie.<br />

Nous étions la horde asservie<br />

A ce magique cercle ardent<br />

Où trébuchait notre fatigue.<br />

Nous avions peur de les mirer dans les trous d'eau,<br />

Nos yeux où préludait peut-être la folie.<br />

Et lorsque le sommeil nous jetait pêle-mêle,<br />

Entre les aînés lourds et ces Bleuets si frêles,<br />

Sur la terre où montait un muet sanglot d'agonie,<br />

Nous écoutions pourtant la souffrance du sol.<br />

Elle vibrait en nous et troublait notre songe.<br />

Les flancs de la patrie<br />

Haletaient, non plus pour l'enfantement<br />

Des moissons, des sources, des fruits,<br />

Mais dans un stérile tourment.<br />

O Christ, vous n'apportiez an monde que l'amour ...<br />

L'hécatombe accomplie an nom de ce qui est sacré,<br />

Et sur le sol qui meurt ses enfants égorgés :<br />

Voilà ce qu'ils ont fait de votre enseignement.<br />

205


Quand on passait, le soir, par un pays tranquille<br />

Où le repos flottait comme de douces îles<br />

Dans l'océan de feu qui hantait nos mémoires,<br />

On voyait une mère assise à la croisée<br />

Et des petits enfants qui lisaient auprès d'elle.<br />

Alors on détournait la tête<br />

Et sur la route noire<br />

Qui conduisait à l'autre monde<br />

On voyait devant soi danser des têtes blondes<br />

Et le cœur était lourd de visions légères.<br />

206


Un arbre de printemps exhalait sur la route<br />

Des odeurs inconnues qui montaient à la tête.<br />

Les champs obscurs dormaient tièdes comme des bêtes.<br />

La terre sentait bon la terre<br />

Et des souffles épars préludaient à l'été.<br />

Quelqu'un disait: " La guerre est à sa fin sans doute. "<br />

Chacun de nous songeait: " Et moi, verrai-je l'aube? "<br />

Ses yeux interrogeaient le peuple des étoiles<br />

Mais le silence des étoiles l'ignorait.<br />

Et les petits soldats qui n'avaient pas vingt ans<br />

− Les plus silencieux −<br />

Dans l'ombre passaient sur leurs yeux<br />

L'étoffe dure de leur manche<br />

Le soir était peuplé d'invisibles tombeaux<br />

Et tous nous écoutions résonner dans le vent<br />

Le piétinement d'un troupeau.<br />

207


Aube blême au bord des tranchées,<br />

Pauvreté mystique des hommes,<br />

Misère des bêtes de somme,<br />

Terre aux mamelles arrachées.<br />

Passion muette qui saigne<br />

Dans les yeux doucement hagards,<br />

O musique de ces regards<br />

Où près du danger l'homme règne<br />

Consolez-nous, o souvenirs,<br />

De l'aujourd'hui triste à mourir.<br />

Oui, nous avons été des ombres<br />

Qui cheminaient, par les décombres,<br />

Vers les plaines de l'au-delà,<br />

Et si nous demeurons vivants,<br />

Frères, ce n'est pas notre faute.<br />

Nous avons erré dans le vent<br />

Et dans le froid des cimes hautes.<br />

Nous avons dormi sur la terre<br />

Et tant de nous y sont restés.<br />

Mais rêvant ce rêve tragique<br />

Nous avons oublié la vie.<br />

208


Il nous faut nous en souvenir<br />

Pour gagner à notre sueur<br />

Un pain noir trempé de nos pleurs.<br />

Pardonnez-leur, pardonnez-leur ...<br />

209


A demeurer vivant sur la terre rougie<br />

Il me parait que j'ai tout ton sang sur les mains<br />

Et j'ai honte d'oser vivre alors que tu gis<br />

Dans la vague stupeur des massacres anciens,<br />

Abel, écoutes-tu la fuite de Caïn<br />

Briser des branches dans la forêt primitive<br />

Ou bien regardes-tu, hagard, l'ombre pensive<br />

Où germent virtuels les meurtres de demain?<br />

Ta mère est morte. Tes enfants ne naîtront pas.<br />

Tu n'as pas même un nom à jeter au futur<br />

Et nul ne sait ta naissance ni ton trépas<br />

Sinon ceux-là dont l'âme sont encore assez purs<br />

Pour résonner, cristal mystique, à ton silence.<br />

Car tu n'es plus qu'un grand silence sans visage<br />

Planant sur le forum et les vendeurs du temple<br />

Et qui donc à présent se souvient du message<br />

Qui criait aux vivants le passant que tu fus?<br />

Fantôme évanescent d'un au-delà confus,<br />

Dors. Sois sage. L'oubli, patiente couleuvre,<br />

Rampe déjà sur ton exemple et sur ton œuvre.<br />

210


Dors, soldat inconnu, mon père, mon enfant,<br />

Anonyme, invisible et demain oublié<br />

De ceux-là dont le souffle est le prix de ta vie.<br />

Dors au néant doré d'une gloire stérile.<br />

Dans la nuit où seul veille un funèbre flambeau<br />

J'entends déjà le vol sinistre des corbeaux.<br />

Dors. Ton sépulcre est vide et ta tête repose<br />

Sur la poitrine des mortels qui se souviennent.<br />

Je veille et sens peser au creux de mon épaule<br />

A jamais le fardeau tragique de ton front,<br />

Et le goût de la vie est amer à mes lèvres<br />

Et la clarté de lune à mon regard est vaine<br />

Ainsi que le parfum des fleurs sur un tombeau.<br />

Va, le cœur du poète excelle un cœur de mère.<br />

Te voici éternel sur ma chair éphémère.<br />

Et parce que ce soir ma tendresse te berce,<br />

Holocauste sublime, o martyr inconnu,<br />

Redeviens tout petit, faible, innocent et nu.<br />

211


INSULA BEATA<br />

212


MARINE MYSTIQUE<br />

Je venais des monts bleus où s'exhausse Bourbon<br />

Vers l'azur tropical que dore la lumière.<br />

Sur les cimes j'avais connu l'ardeur première<br />

Puis le vertige et le regret de ton flot blond.<br />

Et captif des hauts près, mes yeux à l'horizon<br />

Cherchaient avidement un peu de ton bleu calme.<br />

Exil dans L'air glacé, nostalgie en les palmes<br />

Des fougères arborescentes, chaud désir<br />

Du sable où le labeur se marie au loisir ...<br />

Et quand les pastoureaux, qui marchent dans la brune<br />

Au tintement que font les sonnailles des bœufs,<br />

S'acheminaient pieds nus par les sentiers bourbeux,<br />

Je cherchais en leurs yeux ta glauque et blanche écume<br />

Je n'y trouvais jamais que le reflet des monts,<br />

La bruine nordique où leur âme se voile.<br />

Et lorsqu'ils s'en allaient, à la première étoile,<br />

Fantomatiques, vers l'or frileux des ajoncs,<br />

Disparus un à un au creux de la ravine,<br />

Je m'éprouvais tout seul à te chérir, Divine.<br />

Ils avaient oublié les rites ancestraux.<br />

213


Ainsi qu'une légende, aux anciens vitraux,<br />

Par l'ardeur du soleil pâlit et puis s'efface,<br />

Tout un passé marin d'aventureuse race,<br />

Un cortège de nefs, de dauphins, de tritons,<br />

S'abolissait en eux au vent froid des Pitons.<br />

214


A LECONTE DE LISLE<br />

O seigneur de l'azur, de la mer et des vents,<br />

Chef des monts bleus, gardien d'un royaume insulaire,<br />

Vous dominez encor l'espace des vivants<br />

Et j'entends résonner votre parole claire<br />

Plus haut que la rumeur confuse des mortels.<br />

O voix qui n'avez plus de bouche, vos appels<br />

Traversent le ciel libre ainsi qu'une rafale<br />

Et j'entends s'élever votre hymne triomphale<br />

− Et l'azur l'entendra jusques aux tempes dernières −<br />

Vers ces dieux évidents que vous avez niés.<br />

Planez sur les sommets, planez sur les rivages ;<br />

Animez la stupeur des montagnes sauvages;<br />

Prêtez une âme humaine aux clameurs de la mer.<br />

Et, dans l'éternité, que votre accent amer<br />

Se transfigure en joie immense afin que l'ombre<br />

Que vous aurez versée à des songeurs sans nombre<br />

Vous revienne, des bords de notre humanité,<br />

Comme un reflux d'amour et de chaude clarté.<br />

215


POÈMES ANGLAIS<br />

216


PRÉLUDE<br />

Spenser chante, accoudé aux saules amicaux,<br />

Le triomphe à venir de Philippe Sidney<br />

Et sa voix prophétique irradie aux échos<br />

Le nom de l'Arcadien aux trop brèves années.<br />

Au jeune Southampton Shakespeare fait offrande<br />

D’une gerbe cueillie aux jardins de Platon<br />

Et murmure, liant cette chaste guirlande,<br />

Le verbe éleusinien d'un moderne Phédon.<br />

Ainsi que deux gémeaux se tenant par la main<br />

Sommeillent tendrement dans le lit maternel<br />

Keats dort près de Shelley sous le climat romain<br />

Parmi l'ombre et la paix des cyprès éternels.<br />

La pierre parle et dit à Shelley "Cœur des cœurs. "<br />

Le vent qui tremble sur le saule et le bouleau<br />

Chuchote au ciel peuplé de clartés et d'odeurs:<br />

" Ci-gît Keats dont le nom était écrit sur l'eau. "<br />

217


Byron s'en va périr aux rives d'Ionie<br />

Pour cette liberté dont le génie a faim.<br />

La mer nombreuse parfuma son agonie<br />

Que peut-être Kaled berça jusqu'à la fin.<br />

Le gentil Longfellow erre avec un enfant<br />

Par la nuit funéraire où flotte l'autrefois.<br />

Mais la douce présence exile les absents;<br />

Chaque étreinte dénoue l'étreinte de leurs doigts.<br />

Poètes d'Angleterre au rythme inspirateur,<br />

Ils songent par delà le portail des adieux,<br />

Mais ils ne mourront pas tant qu'une aime ferveur.<br />

Leur portera de frais parfums sur ces hauts lieux<br />

218


POSTLUDE<br />

Poésie, à tes sources d'ombre<br />

Nous puisons le jeu des clartés,<br />

N'es-tu pas mélodie et nombre<br />

Et visages illimités ?<br />

Mais le réel reprend sa proie<br />

Et vite il ne nous reste plus<br />

De toi que − charmes révolus<br />

Le parfum d'une ancienne joie.<br />

Avant que de rendre au silence<br />

Le parchemin qui vient de lui,<br />

Attendez que sur l'âme ait lui<br />

La flamme où la Chimère danse.<br />

219


QUELQUES JUGEMENTS DE LA CRITIQUE DE FRANCE<br />

SUR L’ŒUVRE POÉTIQUE DE HART<br />

Les voix intimes<br />

… Ses nobles poèmes, Les voix intimes. MAURICE BARRÈS.<br />

... Strophes évocatrices, riches de couleur et chatoyantes.<br />

Les vers de M. Robert-Edward Hart possèdent la plus belle<br />

qualité du vers: ils sont musicaux ...<br />

LES TREIZE, L’Intransigeant.<br />

... Voici l'œuvre d'un poète indépendant de tout dogme esthétique<br />

et de toute école littéraire et qui, pour exprimer la beauté des<br />

prestigieuses terres tropicales d'où il nous vient, a su être lui-même<br />

tout en demeurant dans la ligne de la tradition française, ainsi<br />

qu'en ont témoigné maints poètes de France ...<br />

Le Rappel.<br />

220


…Ces chants harmonieusement cadencés dans 1eur forme<br />

classique en même temps que très personnelle ...<br />

La Croix.<br />

... Ces vers digne des meilleurs poètes qu'ait produits notre<br />

sol gaulois, et tels, que beaucoup pourraient être signés de<br />

Malherbe ou de Ronsard ..... M. Robert-Edward Hart est vraiment<br />

un poète, et un poète délicieux ...<br />

LÉNIS, La quinzaine des livres, Le Médecin Français.<br />

... Tempérament poétique qu'on ne rencontre, hélas! que<br />

trop rarement .... Ressentant puissamment la beauté, il l'exprime en<br />

des vers dignes de la plus pure tradition française ... Si on essayait<br />

de le rattacher à une école quelconque, il s'apparenterait aux<br />

Panthéistes: Leconte de Lisle, José Maria de Heredia ... M. Robert-<br />

Edward Hart est un poète, un vrai poète ...<br />

La Dépêche de Rouen.<br />

...Ses vers, excepté ceux qui chantent la colonie, sont tout<br />

aussi parisiens que ceux de M. Fernand Gregh ... Ce que M. Hart<br />

gardera sûrement, c'est la souplesse, la grâce, l'harmonie, que<br />

personne en France n'a plus que lui.<br />

JEAN BLAIZE, La Dépêche de Toulouse.<br />

221


Sur la Syrinx<br />

… Poèmes de qualité, pleins d'élévation et de fraîcheur.<br />

Poésie simple, brève, mais riche d'émotion et d'harmonie ...<br />

Perfection formelle très réelle. Sur la Syrinx marque, dans<br />

l'œuvre du poète, un progrès décisif. Ce petit recueil atteint<br />

souvent il la perfection.<br />

LES TREIZE, L'Intransiqeant.<br />

… Poèmes riches en pensée et d'une belle harmonie.<br />

Paul Feuillette, L'Indépendance Littéraire.<br />

De Robert-Edward Hart, on annonce Sur la Syrinx. Ces<br />

poèmes, très brefs, mais riches de pensée, d'émotion, de<br />

pittoresque ou de musicalité, portent l’empreinte, dans leur<br />

inspiration, dans leur facture il la fois classique et moderne, de cet<br />

amour pour la nature et l'eurythmie dont la vie grecque était<br />

idéalisée. Sur la Syrinx témoigne éloquemment qu'une âme<br />

d'aujourd’hui peut oublier le dur prosaïsme du siècle en se<br />

désaltérant aux sources sacrées de la beauté antique ...<br />

Le Rappel.<br />

222


Le destin de Sapho<br />

Une forme singulièrement chantante et mélodieuse, les<br />

accents d'une tendresse éloquente et quelques images grandioses<br />

révèlent chez l'auteur la possession de moyens tels, que je ne puis<br />

que souhaiter de le voir donner bientôt le grand poème que son île,<br />

chère jadis au vieux Bernardin, est susceptible d'inspirer.<br />

PIERRE CAMO, 180 Latitude-Sud.<br />

L'ombre étoilée<br />

... Un homme, là-bas, un poète, de race en partie latine, et<br />

en partie britannique, chante en rythmes français ses espoirs, ses<br />

joies, ses douleurs et, particulièrement, donne une voix précise,<br />

fraîche et musicale à ses méditations prolongées. Sous l'Ombre<br />

étoilée, la noble splendeur de l'Ile Maurice palpite avec ses<br />

jardins, ses végétations touffues, ses eaux bruissantes et claires, la<br />

lourdeur embrasée de son atmosphère.<br />

ANDRÉ FONTAINAS: Le Mercure de France.<br />

... Le poète Robert-Edward Hart, qui m'envoie son Ombre<br />

étoilée, splendidement étoilée, en effet de constellations australes<br />

...<br />

EMILE RIPERT, Le Feu.<br />

223


... Aujourd'hui, l'île Maurice voit s'épanouir le talent très<br />

grand d'un jeune poète de race française, né à Maurice.<br />

ANDRÉ DE COUDEKERQUE-LAMBRECHlT, La Croix.<br />

... M. Hart possède de rares et très précieuses qualités: une<br />

inspiration abondante et toujours renouvelée; un rythme le plus<br />

souvent simple mais presque toujours parfait.<br />

Si l'œuvre doit durer, qu'importe que ton meure?<br />

M. Hart peut être tranquille: son œuvre ne mourra pas.<br />

LÉNIS, Le médecin français.<br />

Robert-Edward Hart a publié à Paris, en 1922, deux<br />

recueils de poèmes auxquels la critique parisienne fit un<br />

chaleureux accueil, comparant le poète à Ronsard, Malherbe,<br />

Leconte de Lisle, Heredia, ce qui indique la diversité de sa pensée<br />

et de ses rythmes. Il a donc reçu le droit de cité littéraire.<br />

L'ombre étoilée fera connaître mieux encore ce lointain poète,<br />

si près de nous par l'âme, qui allie notre pure tradition classique à<br />

notre sensibilité d’à présent, les enrichissant de la couleur, de la<br />

lumière tropicales, et que le duc de Bauffremont, après Maurice<br />

Bouchor, saluait naguère comme " un des bons ouvriers de la<br />

pensée française dans le monde. "<br />

La Dépêche de Rouen.<br />

224


Mer indienne<br />

... Notations toujours vives, précises, justes, comme d'un<br />

rayon brusque dont elles s'illuminent, et qui enrichissent de leur<br />

clair enchantement le souvenir. C'est d'un art preste et qui ravit: un<br />

chant d'oiseau s'est élevé de la forêt touffue; il se tait, absorbé par<br />

l'universel silence: qu’importe, il subsiste et renaît en l'esprit de<br />

quiconque une fois l'entendit. Le prestige des courts poèmes de M.<br />

Hart participe d’un charme durable de même sorte.<br />

ANDRÉ FONTAINAS: Le Mercure de France.<br />

…Mer Indienne, de Robert-Edward Hart, qui nous vient<br />

de l'Ile Maurice et qui nous chante avec une précision imagée, une<br />

richesse et un éclat de couleurs pittoresques, ses visions et ses<br />

rêves de Mauricien, de marin, de malgache et d'africain, mais fait<br />

regretter qu'il abandonne parfois la plénitude de l'alexandrin, qu'il<br />

manie, cisèle, illustre avec maîtrise, pour des strophes plus<br />

lâchées malgré leur acuité, leur brillant, leur intensité de sensation<br />

et de sentiment, il manque quelque chose à leur dessin et à leur<br />

harmonie, et cependant il y a là des impressions, des émotions, de<br />

la beauté neuve.<br />

CHARLES DORNIER, La Revue des Poètes.<br />

225


… Rythme souple. Grand paysages.<br />

LES TREIZE, L'intransigeant.<br />

Neuf poèmes pour le soldat inconnu<br />

De Port-Louis en l'Ile Maurice me parvient ce cahier de<br />

Neuf poèmes pour le Soldat inconnu, en fac-similé de<br />

l’écriture du poète, le bon poète Robert-Edward Hart, l'auteur de<br />

Musiques Premières et de Croix du Sud. Ces poèmes, qui ne<br />

sont tirés qu'à cinquante exemplaires d'une édition hors commerce<br />

et strictement privée, comptent parmi les plus émus, les plus<br />

généreusement humains que l'atroce guerre ait inspirés. Il n'y a<br />

point ici de déclamation, non plus que d'indignation de commande,<br />

mais une universelle et profonde compassion, des sensations<br />

classées et réfléchies, le retentissement intime d'une passion subie,<br />

une pitié fraternelle.<br />

ANDRÉ FONTAINAS, Le Mercure de France.<br />

M. Robert-Edward Hart est essentiellement poète ... Son<br />

chant garde toujours l'harmonieuse et divine mesure.<br />

CLAUDE BAHJAC, La Grande Revue.<br />

226


Un artiste véritable ... L'auteur, qui est actuellement à l'île<br />

Maurice, s'est vu, par la critique parisienne, comparé à Ronsard ou<br />

à Heredia.<br />

LOUIS THÉRON DE MONTANYE, Le Polybiblion.<br />

De ce poète français de l'hémisphère sud, nous connais-<br />

sions déjà de beaux recueils.<br />

LÉON TREICH, L'Avenir.<br />

Extraits du numéro spécial de la revue Zodiaque<br />

consacré à Robert-Edward Hart en Mars 1926.<br />

C'est perdre son temps que de vouloir assigner à un poète si<br />

divers une c1assificafion quelconque ... Son talent s'imposera de<br />

plus en plus à l'attention et puis à l'admiration de la foule. (Des<br />

idées brillamment énoncées, des sensations analysées avec<br />

subtilité, des descriptions réalisées sur un mode pictural achevé,<br />

une forme infiniment variée, souvent pleine de force, toujours<br />

harmonieuse, lui assurent, au surplus, cette notoriété qui est le<br />

début de la gloire. Là-dessus il est inutile d'insister: la renommée<br />

s'est déjà emparée de lui. Une seule chose demeure souhaitable,<br />

c'est qu'on lui sache gré de son particularisme qu'on ne sépare pas<br />

son nom de celui de l'Ile Maurice dont le ciel se reflète si<br />

227


exactement dans ses vers, et qu'on le considère comme l'une des<br />

tètes du mouvement littéraire d'outre France. Dans les temps il<br />

venir, les lettres Françaises lui tiendront en honneur d'avoir<br />

contribué à leur former une province nouvelle, comme déjà elles<br />

lui sont reconnaissantes d'être, dans son île lointaine, un grand<br />

évocateur, un propagateur ardent de nos idées, de nos sentiments,<br />

de notre langue.<br />

DUC DE BAUFFREMONT.<br />

(R.-E. Hart, poète et musicien, rêve des chants et s'anime<br />

parfois de son violon ... Les vers de R. E. Hart sont si pleins de<br />

musique, que chacun les module en les parcourant. Plus d'un<br />

musicien a été tenté par eux ... De cette Ombre étoilée jaillissent<br />

tant d'éclairs! C'est une symphonie perpétuelle ... Quelle plus<br />

intime union entre la poésie et la musique ? Comment écouter ces<br />

vibrations de l'âme sans les entendre transposer par des harpes<br />

joyeuses, de tendres violoncelles et des flûtes amoureuses? R. E.<br />

Hart est en plein épanouissement de son esprit; bientôt ils nous<br />

donnent une grande œuvre qui sera accompagnée d'une musique<br />

profonde. La muse l'emporte…)<br />

ANDRÉ DE COUDEKERQUE, LAMBRECHT.<br />

228


(Dans cette âme de poète " où vit la Beauté première "<br />

Il pleut des flèches de lumière.<br />

… Comme Byron veut " se mêler à l'Univers " (to<br />

mingle with the universe), Hart écrit :<br />

…Dans le torrent de ton rythme ineffable<br />

Je veux m'anéantir, Nature…<br />

Comme Hugo questionne la forêt " avec ces mots que dit<br />

l'esprit à la Nature ", Hart s'adresse à Isis.<br />

Qui fait penser sans dire des paroles.<br />

Mais clans ce sentiment il y a chez Hart plus d'abandon et<br />

plus de respect que chez Hugo; pour celui-ci, en effet, la nature<br />

s'exprime immédiatement en images positives, ravins, buissons,<br />

chênes, mousse, forêt; elle apparaît palpable et solide, et lit poète<br />

sait ce qu'il y vient chercher. Pour Hart, au contraire, la Nature est<br />

une " mère anonyme à la face voilée " ; ce n'est plus celle<br />

des romantiques, mais une nature divinisée et mystérieuse, Isis<br />

toute-puissante vers laquelle il peut lancer sa supplication.<br />

Délivre moi du monde hostile!<br />

Il serait vain et fastidieux de poursuivre un rapprochement<br />

entre la pensée de Hart et celles des poètes passés; il n'est pas plus<br />

romantique que parnassien, et nous agirions imprudemment en<br />

essayant de le faire entrer de force, dans des cadres trop étroits, car<br />

229


son génie poétique n'est pas encore définitivement fixé.<br />

PAUL DUMAS.<br />

… Ses vers nous plurent nous en donnâmes dans La Vie<br />

pour leur fraîcheur, leur mélodie, la curiosité particulièrement<br />

insulindienne de leur nostalgie.<br />

MARIUS ARY LEBLOND.<br />

(J'ai parlé de ses poèmes à la Société des Conférences<br />

Lyonnaises; un public choisi et lettré, enthousiasmé par la lecture<br />

des Voix intimes, accorda un hommage spontané à celui que je<br />

considère comme un de nos meilleurs poètes français… De ma<br />

Provence ensoleillée, j'éprouve une joie prestigieuse à imaginer<br />

l'ancienne Ile de France d'après les descriptions de ce grand poète.<br />

Emile Ripert me disait, il y a quelques jours à peine, que R. E.<br />

Hart accomplissait pour son pays natal ce que Leconte de Lisle<br />

avait fait pour La Réunion ... Aussi m'emploierai-je en des<br />

conférences et une série d'articles, à donner une étude plus<br />

complète du Poète de l’Ile Maurice au public français, Je n'ai<br />

voulu aujourd'hui que vous féliciter de votre opportune initiative<br />

qui me permet de dire à R. E. Hart toute mon admiration pour ses<br />

œuvres si belles et si profondes ... )<br />

ALBERT LOPEZ.<br />

230


La publication de celles des œuvres poétiques de Hart que<br />

l'auteur a communiquées â la critique de France a été également<br />

signalée par La vie, Les Annales politiques et littéraires, l'Université<br />

de Paris, La revue mondiale, Le Journal, La Lanterne, La<br />

Liberté, La Muse Française, L'Opinion, Les Images de Paris,<br />

La Revue littéraire. L'Europe nouvelle, Le petit Parisien, La<br />

Revue de l'Epoque; La nouvelle Journée, ta France de<br />

Bordeaux, etc.,<br />

231


TABLE<br />

LES VOIX INTIMES<br />

EN TERRE D’EMYRNE PAGES<br />

I. Mélopée<br />

II. Tombeaux de nobles<br />

Intérieur<br />

Vitrail<br />

Vœu<br />

SAPHO :<br />

LE DESTIN DE SAPHO<br />

Nulle chanson ne nous défend contre les doutes<br />

Tais-toi… Le soir divin plane sur les montagnes<br />

Tes seize ans<br />

Caresse surhumaine où nos corps ont sombré<br />

Prélude<br />

Ruisseau ensoleillé<br />

Divinités païennes<br />

Trois pèlerins<br />

L’OMBRE ÉTOILÉE<br />

6<br />

7<br />

9<br />

11<br />

12<br />

14<br />

16<br />

17<br />

18<br />

25<br />

27<br />

29<br />

31<br />

232


Le bois lumineux<br />

Fête villageoise<br />

La fontaine oubliée<br />

Vers la nature<br />

Pour la vierge au puits<br />

Le petit faune<br />

Pèlerinage mystique<br />

Accalmie<br />

La beauté divine<br />

Pastorale triste<br />

L’invisible compagne<br />

Stances funéraires<br />

L’évasion vers la mer<br />

La danse devant la mer<br />

Sommeil<br />

MER INDIENNE<br />

Ariette enfantine − Le peuple de l'herbe<br />

Méridienne – Scintillements<br />

Palmeraie<br />

Songe<br />

Franciscea<br />

33<br />

34<br />

35<br />

38<br />

39<br />

40<br />

41<br />

42<br />

43<br />

46<br />

49<br />

51<br />

54<br />

56<br />

58<br />

59<br />

60<br />

61<br />

63<br />

64<br />

233


Nocturne<br />

Terre des morts et des vivants<br />

Faces d'Asie<br />

Chanson de proue<br />

Ecrit sur le sable<br />

Images de mer<br />

La chanson sur le fleuve Yaroka<br />

Ramanenjana<br />

Thrène<br />

La cendre et le sang<br />

Du sang sur les plumes<br />

La montagne incendiée<br />

Estuaire d'Afrique<br />

L'âme attentive<br />

Incantation<br />

Quatorze haïkaï<br />

Chevauchée<br />

Pour Maurice Ravel<br />

INTERLUDE MÉLODIQUE<br />

Images éparses pour Pierrot.<br />

Flambeaux dans la nuit<br />

65<br />

67<br />

60<br />

70<br />

71<br />

73<br />

75<br />

78<br />

80<br />

84<br />

86<br />

88<br />

89<br />

94<br />

96<br />

97<br />

100<br />

101<br />

102<br />

104<br />

234


Mélodie intime<br />

Légende<br />

Uta<br />

Image<br />

Présence<br />

Polichinelle<br />

Décor<br />

Chemineau<br />

Maternité<br />

Inscription votive − L'ironie de vivre<br />

Cri dans la’zur − Douzain sur des erreurs<br />

Odyssée<br />

Voyageur<br />

A qui n'a pas compris<br />

L'enfant au livre<br />

Limbes<br />

Appels<br />

Revenir<br />

Oraison<br />

Poème votif<br />

PORTIQUE ORIENTAL<br />

105<br />

106<br />

107<br />

108<br />

109<br />

111<br />

113<br />

114<br />

115<br />

116<br />

117<br />

118<br />

119<br />

120<br />

122<br />

123<br />

124<br />

125<br />

126<br />

127<br />

235


L'impossible union<br />

Poème orphique<br />

Soirs d'Athènes<br />

Espoir du génie<br />

Le combat mesuré.<br />

Sur le tombeau d'Omar Khayam.<br />

L’offrande à Saâdi<br />

Voix sur la jonque.<br />

Douze haïkaï en mémoire des maîtres du thé<br />

Guerre divine<br />

Nébuleuse<br />

Poème du chant pour soi<br />

Ariane automnale<br />

Mesure du temps<br />

CROIX DU SUD<br />

Quatre visages de l'inexorable − Dialogue Falot<br />

A chacun sa lumière –Reflets<br />

Annonciation<br />

La course<br />

La voix inextinguible<br />

Chant de route − L'ombre double<br />

128<br />

129<br />

130<br />

131<br />

132<br />

133<br />

134<br />

136<br />

138<br />

140<br />

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144<br />

147<br />

148<br />

149<br />

151<br />

152<br />

153<br />

154<br />

236


Un enfant est mort<br />

Éternité – L’ouragan<br />

Poème solaire<br />

A ma lampe − L'heure éphémère<br />

Dialogue de nuit<br />

Clarté nocturne<br />

Celui qui portait la lumière<br />

Exode − Le chant réservé<br />

Présence de Shelley<br />

Saison<br />

Légende − Venus des nefs<br />

Fluidités<br />

Ramiers bleus, Rêves d'ombre<br />

Art poétique<br />

Inconnu<br />

Ascèse<br />

Veilleur<br />

La maison de cristal<br />

Diurne<br />

Vent de forêt<br />

Aor-Agni<br />

MUSIQUES PREMIÈRES<br />

155<br />

157<br />

158<br />

160<br />

161<br />

163<br />

165<br />

166<br />

167<br />

169<br />

11<br />

172<br />

173<br />

174<br />

177<br />

178<br />

180<br />

182<br />

183<br />

184<br />

187<br />

237


Quand je rejaillirai<br />

O familière voix<br />

Soif − Voix immémoriale<br />

Genèse<br />

Mirages au désert<br />

Dialogue mystique<br />

OFFRANDE AU SOLDAT INCONNU<br />

UN SOLDAT PARLE :<br />

La patrie, nous l'aimions comme une chose due<br />

Nous retenions entre nos dents<br />

Quand on passait, le soir, par un pays tranquille<br />

Un arbre de printemps exhalait sur la route<br />

Aube blême au bord des tranchées<br />

Il nous faut nous en souvenir<br />

A demeurer vivant sur la terre rougie<br />

Dors, soldat inconnu, mon père, mon enfant<br />

Marine mystique<br />

A Leconte de Lisle<br />

INSULA BEATA<br />

188<br />

190<br />

191<br />

192<br />

195<br />

197<br />

204<br />

205<br />

206<br />

207<br />

208<br />

209<br />

210<br />

211<br />

213<br />

215<br />

238


Prélude<br />

postlude<br />

POÈMES ANGLAIS<br />

Quelques jugements de la critique de France<br />

217<br />

219<br />

[Sur l’œuvre poétique de Hart 220<br />

aaa<br />

239


Achevé d'imprimer<br />

le 29 Mars 1930<br />

sur les presses de<br />

« La Typographie Moderne»<br />

MARCEL GAUD, Directeur<br />

Port-Louis, Ile Maurice.<br />

240

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