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—Non, nous ne nous reproduisons pas, mais il nous arrive de… convoler. Et pas seulement au sein de
notre propre famille. Parfois, un fils de Vashanesh tombera amoureux d’une fille de Neferata. Parfois, une
fille d’Abhorash s’abandonnera aux bras sauvages d’un fils d’Ushoran. Et lorsqu’ils le font, le sang est
échangé et mélangé, et tout descendant de l’un ou de l’autre peut hériter des traits de l’un ou de l’autre, ou
même des deux à la fois.
Elle posa une main sur sa poitrine.
—Je suis moi-même la fille de sang d’une femme qui descendait à la fois de Vashanesh et de Neferata.
C’est une des raisons qui ont poussé ma reine à me demander de garder un œil sur la Sylvanie, car je
pourrais presque passer pour une von Carstein. C’est également pour cela que mon propre fils, ton père
de sang, Adolphus Krieger, a rejoint la cause de Mannfred et partagé son espoir de faire revivre l’Âge
d’Or. C’était dans son sang. Il était tout autant un héritier de Vashanesh que de Neferata, et probablement
plus du premier vers la fin, car Mannfred a probablement dû lui donner de son sang afin de s’assurer de
sa loyauté.
—Par conséquent… commença Ulrika qui essayait de comprendre. Par conséquent, je suis à la fois
Lahmiane et von Carstein ?
—Et probablement bien plus que cela, répondit Gabriella en haussant les épaules. Mais comme je l’ai
dit, ce que tu étais dans ta première existence est tout aussi déterminant que le sang dont tu as hérité pour
définir ce que tu seras dans ta nouvelle vie. L’aspect de ta personnalité que tu laisseras dominer dépend
également de toi.
Elle leva la tête et plongea son regard dans celui d’Ulrika.
—J’espère que tu choisiras avec sagesse.
Ulrika hocha la tête, toujours très confuse. Elle aussi l’espérait.
Une détonation et des cris éclatèrent alors au dehors, Ulrika et la comtesse furent projetées vers l’avant
lorsque le carrosse freina brusquement. Lotte cria et se cramponna à Quentin. Les cochers luttèrent pour
maîtriser les chevaux, leurs cris se mélangèrent à ceux de Rodrik et de ses chevaliers. Une voix s’éleva
au-dessus de toutes les autres.
—Mettez pied à terre, gentilshommes, et il ne vous sera fait aucun mal !
—Reculez, chiens ! leur répondit Rodrik. Comment osez-vous vous en prendre à une noble dame ?
Vous finirez sur l’échafaud pour cela !
—Vous perdrez votre tête avant nous, messire chevalier, répondit la voix. J’ai dix arquebuses pointées
sur vous et vos hommes. Il serait bien dommage d’abîmer cette belle cuirasse, mais je n’hésiterai pas.
La comtesse prononça un juron d’une grande inélégance dans la bouche d’une dame de son rang et se
rassit au fond de la banquette.
—Nous avons dû franchir la frontière de la Sylvanie, fit-elle remarquer. Les bandits sylvaniens savent
qu’il ne faut pas tenter d’arrêter un carrosse noir.
Elle commença à bouger les mains selon un schéma très compliqué, tout en murmurant des paroles
étrangères. Ulrika recula lorsque des vrilles d’ombre se mirent à se déployer autour de ses doigts fins
comme des vers de nuit.
—Eh bien tirez ! défia Rodrik. Vos balles ne m’arrêteront pas avant que je vous aie renversé !
Ulrika écarta le lourd rideau et tenta de voir ce qui se passait. Malgré cette capacité à voir dans la nuit
dont elle avait hérité de Krieger, elle ne discerna pas grand-chose. Il y avait bien une lueur sur la neige,
mais les arbres de part et d’autre du chemin étaient trop serrés pour qu’elle pût y voir quoi que ce fût. Il
aurait pu n’y avoir personne, aussi bien que toute une armée entière embusquée. Elle voulait sauter hors
du carrosse et partir à l’assaut, quels que fussent les effectifs de l’ennemi.
—Reste calme, lui souffla Gabriella. Rodrik et moi allons régler cette situation.