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—Oh, je ne lui en veux pas pour ça. Krieger était bel et bien ma créature et j’ai accepté cette sanction.
De plus, cette mission était d’une réelle importance et m’a permis durant mon séjour d’empêcher d’autres
que Krieger de mettre en œuvre leurs ambitions démentes. Mais Hermione est incapable de considérer
quiconque en dehors du prisme de sa propre jalousie et elle ne sera guère heureuse de me voir arriver.
Elle va penser que j’ai manipulé la reine d’une manière ou d’une autre afin qu’elle m’envoie à Nuln. Elle
va se dire que je suis là pour me venger, que je veux sa position ou que j’ai dans l’idée de la détruire.
—Et est-ce la réalité, maîtresse ?
La comtesse porta à nouveau le regard sur le paysage.
—Pas si elle ne cherche pas elle-même à me détruire.
La comtesse ne laissa pas Ulrika se nourrir cette nuit-là, prétendant qu’il était encore trop tôt après ce qui
était arrivé à Johannes, mais le matin suivant, lorsqu’ils firent halte dans une autre auberge, elle emmena
Quentin, le plus jeune de ses chevaliers, dans sa chambre. Elle apporta également le sablier.
—Nous allons essayer à nouveau, dit-elle à Ulrika qui avait revêtu l’une de ses nouvelles robes. Cette
fois-ci encore, tu devras attendre que le sablier se vide, puis tu te nourriras avec mesure. Tu as compris ?
—Oui, maîtresse, répondit Ulrika en tentant une révérence, tout en sachant que le fait qu’elle ait
compris ou non n’avait finalement que peu d’importance.
Elle était littéralement affamée. Elle avait bu le sang de Johannes à peine deux nuits plus tôt, mais elle
en avait vomi la presque totalité avec toute la viande qu’elle avait ingérée, et la journée passée avait été
une véritable torture. Elle en tremblait et avait le plus grand mal à ne pas poser le regard sur la gorge de
Quentin dont elle percevait les battements sous le riche tissu de son col.
Rodrik se tenait au seuil de la porte et il était visiblement mal à l’aise.
—Est-ce bien sage, madame ? demanda-t-il à la comtesse. Quentin est un homme valeureux, pas un
gamin comme le précédent. Pourquoi ne pas tenter avec un valet, plutôt ?
—Les valets n’ont pas été goûtés, répondit Gabriella. Quentin sait à quoi s’attendre.
—Mais nous sommes dans une auberge, ma dame, tenta Rodrik. Si elle reproduit…
—Elle ne recommencera pas ! le coupa la comtesse. Elle parviendra à se contrôler ou alors il sera
temps de nous séparer d’elle. Je ne peux pas prendre de risque à Nuln.
Ulrika ouvrit de grands yeux en entendant cela.
—Vous me laisseriez seule, maîtresse ?
Gabriella posa sur elle un regard dur et elle la dévisagea ainsi durant de longues secondes avant de
répondre.
—Non, dit-elle finalement. Non, j’ai déjà fait cette erreur avec Krieger. Je l’ai abandonné quand il a
commencé à me déplaire et tu as vu ce que ça a donné. Cette fois, je ne prendrai pas de risque.
La peur enserra la poitrine d’Ulrika. La comtesse voulait-elle dire qu’elle la tuerait plutôt que de
l’abandonner ? Sa vie allait-elle dépendre de la manière dont elle se comporterait avec Quentin ?
Avant même qu’elle ne puisse poser la moindre question, Gabriella renversa le sablier et le posa
sèchement sur la table près du lit, puis se dirigea vers la porte sans même se retourner. Rodrik s’écarta
pour la laisser passer, puis posa sur Ulrika un regard sévère. Elle soutint son regard, mais il se détourna
finalement vers Quentin qui se tenait debout au centre de la chambre.
—Courage, mon garçon, lui dit-il.
—Merci, messire, lui répondit le jeune chevalier d’une voix tremblante.
Rodrik ferma la porte. Ulrika pouvait sentir la frayeur du jeune homme. Elle n’était rien en
comparaison de la sienne.