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—Je suis désolée, templier Holmann, lui dit-elle lorsqu’il revint à sa hauteur. Cela faisait si longtemps.
—Vous êtes bonne cavalière, lui fit-il remarquer avec un étrange regard.
Elle haussa les épaules.
—Je vous l’ai dit. Je suis la fille d’un boyard des marches. J’ai grandi sur une selle et combattu dans
l’armée de mon père. Cette partie de mon histoire n’était pas non plus un mensonge.
Il hocha la tête et détourna le regard.
—Je vois bien, lui répondit-il la mâchoire serrée.
Ulrika fronça les sourcils. Qu’est-ce qui pouvait bien le déranger, maintenant ? Elle se souvint alors de
la manière dont il l’avait regardée auparavant, lors de leur visite au temple de Morr, la nuit où ils
s’étaient retrouvés dans cette bâtisse et comment il lui avait confessé qu’il la trouvait attirante. Cette
flamme avait à nouveau brûlé brièvement dans ses yeux, puis il l’avait délibérément soufflée.
Elle aurait voulu lui dire quelque chose pour le consoler, mais elle préféra n’en rien faire. Cela
n’aurait fait que compliquer les choses.
Ils chevauchèrent donc en silence durant un certain temps et ce fut Holmann qui parla en premier.
—Et cela fait combien de temps que vous êtes devenue… ce que vous êtes devenue ?
Ulrika ferma les yeux. Elle parvenait presque à lire dans ses pensées. Il se torturait lui-même avec ce
qui aurait pu se passer s’ils s’étaient rencontrés avant sa conversion. Il devait se dire que s’il avait pu
tuer le monstre qui l’avait séduite avant qu’il ne l’enlève, si le destin avait bien voulu les faire se
rencontrer plus tôt…
—Une bonne centaine d’années, Herr Holmann, répondit-elle sans oser le regarder. Plus longtemps,
même. Bien avant votre naissance.
Le chasseur de sorcière hocha doucement la tête, mais Ulrika crut deviner qu’il venait de retrouver une
certaine paix intérieure.
Ils approchèrent du dernier village avant Mondthaus et Ulrika commença à s’inquiéter de la réaction de
Gabriella si elle conduisait le templier en sa présence. Elle avait réussi à arracher à Holmann la
promesse de ne rien tenter contre elle, mais jamais elle ne pourrait empêcher la comtesse de le tuer, sans
oublier Hermione. Finalement, il serait mieux qu’il n’arrive jamais là-bas. Dans ce cas, il ne mourrait pas
sous les griffes du monstre ni sous celles de Gabriella ou de n’importe laquelle des autres Lahmianes.
Plus elle y pensait et plus cette idée lui semblait la meilleure. Cela aurait même l’avantage de le faire
la détester et le soignerait de cette incorrigible attirance qu’il éprouvait à son égard, pour finir par le
remettre sur la voie du pourfendeur des créatures maléfiques et corrompues qu’il s’était choisie.
Elle prit sa décision. Elle tira brutalement sur la bride de sa monture et fit signe à Holmann de
s’arrêter.
—Que se passe-t-il ? lui demanda-t-il.
Elle approcha sa monture près de la sienne.
—Je suis désolée, Herr Holmann. Vous ne pouvez pas aller plus loin.
Holmann fronça les sourcils, confus. Elle en profita pour le gifler sèchement et le pousser de sa selle. Il
bascula de côté et s’écrasa sur la route, au beau milieu d’une flaque de boue. Ulrika se pencha pour
prendre les rênes de son cheval, puis elle enfonça ses éperons dans les flancs de sa propre monture. Les
deux chevaux partirent en avant, laissant le pauvre Holmann assis au milieu de la route, un air surpris
presque comique sur le visage. Il se releva et tenta de la rattraper, en vain, bien entendu.
Ulrika préféra ne pas se retourner et elle se concentra sur la route devant elle, essayant de repousser
cette vague de culpabilité qui gonflait en elle.