1 « croyez-vous que Jésus-Christ soit notre sauveur et que par son ...
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<strong>«</strong> <strong>croyez</strong>-<strong>vous</strong> <strong>que</strong> <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong> <strong>soit</strong> <strong>notre</strong> <strong>sauveur</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>que</strong> <strong>par</strong> <strong>son</strong> sang il ait purgé nos péchés ».<br />
Injonction du pasteur calviniste à la Reine de<br />
Navarre mourante, le vendredi 6 juin 1572.<br />
Qui ne se souvient du <strong>«</strong> minuit chrétien » de <strong>son</strong> enfance où l’on chantait <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> s’était<br />
offert en sacrifice pour apaiser le courroux de <strong>son</strong> Père. Le même pasteur cité en exergue<br />
fait réciter c<strong>et</strong>te prière à la mère d’Henri IV agonisante :<br />
<strong>«</strong> Seigneur Nostre Dieu, nous recoignois<strong>son</strong>s devant ta face <strong>que</strong> nous sommes indignes<br />
de tes grandes miséricordes. Seigneur, nous recognois<strong>son</strong>s <strong>que</strong> toutes nos afflictions<br />
viennent de ta main qui est juste juge <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous t’avons instamment provoqué à<br />
courroux. Si est-ce, Seigneur, qu’il y a miséricorde vers toy, puis<strong>que</strong> tu es nostre Père <strong>et</strong><br />
<strong>que</strong> tu ne veux la mort du pécheur mais qu’il se convertisse <strong>et</strong> qu’il vive. Qu’il te plaise<br />
accepter le mérite de <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong> ton filz <strong>notre</strong> Seigneur pour qu’estant appaisé nous<br />
sentions <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s allégements en nos maux …. »<br />
C’est clair, les hommes <strong>son</strong>t pécheurs <strong>et</strong> Dieu, les punissant, est responsable de la<br />
souffrance qu’ils endurent si ce n’était le <strong>Christ</strong> qui seul peut les soulager en effaçant leurs<br />
péchés <strong>par</strong> <strong>son</strong> sacrifice <strong>et</strong> apaiser ainsi le courroux divin. Tout comme Abraham, <strong>«</strong> serviteur<br />
de Dieu », est c<strong>et</strong> avocat de la défense qui essaie de sauver les habitants de Sodome <strong>et</strong><br />
Gomorre de la colère vengeresse de Dieu, le <strong>Christ</strong> comme <strong>«</strong> super serviteur de Dieu »<br />
puisqu’il est <strong>son</strong> propre fils est celui qui, dans la lignée des prophètes de l’Ancien Testament,<br />
est le <strong>«</strong> <strong>sauveur</strong> <strong>par</strong> excellence ». Mais pourquoi devait-il se sacrifier puis<strong>que</strong> ni Noé, ni<br />
Abraham ne l’ont fait ? Parce qu’il n’y a <strong>que</strong> le sacrifice qui puisse, comme le disait aussi<br />
saint Thomas d’Aquin au XIII e siècle, apaiser vraiment la colère de Dieu. C’est au fondement<br />
de toutes les religions sur toute la surface de la terre <strong>et</strong> depuis l’origine de l’humanité. Le<br />
sacré c’est le sacrificiel puis<strong>que</strong> c’est le sacrifice qui rend <strong>«</strong> sacré » <strong>et</strong> celui-ci, comme le<br />
montrait Rudolph Otto, renvoie à <strong>«</strong> l’orgè théou » (colère de Dieu) <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> Tremenda<br />
majestas ». Mais si le Roi-Prêtre ancien sacrifie au Dieu pour apaiser sa colère <strong>et</strong> se le<br />
rendre bienveillant, on sait aussi <strong>que</strong> dans nombre de mythologies <strong>et</strong> de religions, c’est le roi<br />
lui-même qui doit se sacrifier pour <strong>que</strong> revienne la fécondité des femmes <strong>et</strong> des champs, la<br />
victoire à la guerre, la guéri<strong>son</strong> d’une épidémie, <strong>et</strong>c.. c’est à dire l’harmonie dans l’ordre<br />
cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social. Nombre de cosmogonies montre un auto-sacrifice de la divinité au<br />
commencement de la création du monde <strong>et</strong> Mircea Eliade a bien montré <strong>que</strong> tout rituel<br />
religieux consistait en une imitation d’un événement primordial créateur perm<strong>et</strong>tant de<br />
réactualiser l’efficacité positive de l’acte primordial. Souvent les forces magi<strong>que</strong>s<br />
bienveillantes, source de grâces <strong>et</strong> de bénédictions, s’étant étiolées, le rite perm<strong>et</strong> de<br />
r<strong>et</strong>rouver les vertus bénéfi<strong>que</strong>s de l’acte primordial dit <strong>«</strong> archétypi<strong>que</strong> ». Le rituel chrétien de<br />
la messe ne déroge pas à ce principe <strong>et</strong> on sait <strong>que</strong> le Concile de Trente (1545 –1563)<br />
définissait ainsi la messe catholi<strong>que</strong> : <strong>«</strong> La messe est un sacrifice <strong>par</strong> le<strong>que</strong>l le <strong>sauveur</strong><br />
continue d’appli<strong>que</strong>r la vertu salvatrice de sa mort à la rémission des péchés ». Que la mort<br />
<strong>par</strong> sacrifice, source de grâces <strong>et</strong> de bénédictions, <strong>soit</strong> universelle, on n’a qu’à s’intéresser à<br />
l’histoire des religions. Dans l’Athènes de la Grèce ancienne, on choisissait un pauvre<br />
bougre de la plèbe <strong>que</strong> l’on traitait comme un roi pendant une certaine période pour ensuite<br />
l’immoler sous le nom du <strong>«</strong> pharmakos » ; ce sacrifice servant de <strong>«</strong> remède » contre les<br />
maux <strong>et</strong> les désordres de la cité. En Egypte comme l’expli<strong>que</strong> la Bible, face aux fléaux<br />
envoyés <strong>par</strong> Dieu, on tuait un mouton <strong>et</strong> le sang badigeonné sur le devant des mai<strong>son</strong>s<br />
protégeait de la colère de Dieu. Toujours dans la Bible, on voit Aaron utiliser le rituel du<br />
<strong>«</strong> bouc émissaire » qui consistait à charger symboli<strong>que</strong>ment un bouc des péchés de la tribu<br />
pour l’envoyer mourir au désert pour perm<strong>et</strong>tre de r<strong>et</strong>rouver la bienveillance de Dieu.<br />
Selon nous, les Evangiles, les synopti<strong>que</strong>s plus <strong>que</strong> celui de saint Jean, se composent de<br />
deux aspects. Le premier aspect expose les <strong>par</strong>oles, les faits <strong>et</strong> les gestes du <strong>Christ</strong>, en soi<br />
<strong>son</strong> enseignement <strong>et</strong> l’autre aspect, raconte en l’interprétant la passion du <strong>Christ</strong>.<br />
1
Pour l’exemple, l’apocryphe Evangile de Thomas ne fait <strong>que</strong> citer des logias du Galiléen<br />
sans aborder la tragédie de sa passion. Or de <strong>notre</strong> point de vue, les <strong>par</strong>oles <strong>et</strong> les gestes<br />
du <strong>Christ</strong> <strong>son</strong>t subversifs concernant la conception de la divinité qui n’est plus une divinité<br />
vengeresse puis<strong>que</strong> qu’il dit <strong>que</strong> Dieu est bon pour les méchants (cf. le Sermon sur la<br />
montagne - Luc 6 : 35)). Par contre, de manière contradictoire, ces mêmes rédacteurs des<br />
Evangiles interprètent sa passion selon le <strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe<br />
qui est, en fait, un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui, prenant sur lui les péchés des hommes, apaise la<br />
colère de Dieu <strong>et</strong> le rend plus bienveillant. Et c’est à cause de c<strong>et</strong>te référence à ce<br />
<strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe <strong>que</strong> les rédacteurs des Evangiles<br />
canoni<strong>que</strong>s n’ont de cesse de s’en référer à l’Ancien Testament en contradiction avec la<br />
<strong>par</strong>abole christi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> vin nouveau <strong>que</strong> l’on ne doit pas m<strong>et</strong>tre dans de vieilles outres ».<br />
Certes, le <strong>Christ</strong> se situe à la suite de l’Ancien Testament <strong>et</strong> il ne rem<strong>et</strong> pas en cause le<br />
<strong>«</strong> décalogue » <strong>et</strong> la différenciation de la loi morale propre à la révélation mosaï<strong>que</strong> mais<br />
concernant la conception de la divinité, la rupture est radicale <strong>et</strong> en rej<strong>et</strong>ant la divinité<br />
vengeresse, il rej<strong>et</strong>te radicalement le sacrificiel qui n’a de sens <strong>que</strong> d’apaiser la colère divine.<br />
Concernant c<strong>et</strong>te conception archaï<strong>que</strong> de la divinité punitive, l’Ancien Testament n’est pas<br />
différent des autres religions païennes de la planète. Il n’est donc pas <strong>que</strong>stion de rej<strong>et</strong>er<br />
entièrement tout l’Ancien Testament à la manière de Marcion pour déboucher sur un<br />
manichéisme où le Dieu de l’Ancien Testament serait un Dieu méchant à l’opposé du Dieu<br />
christi<strong>que</strong> qui serait un Dieu de pure bonté. On verra <strong>que</strong> cela est plus complexe <strong>et</strong> <strong>que</strong> la<br />
solution est venue, dans un premier temps, <strong>par</strong> l’entrée en scène du diable comme on le voit<br />
déjà dans le livre de Job <strong>et</strong> dans un second temps dans l’affirmation origénienne <strong>et</strong><br />
augustinienne du mal conçu comme une <strong>«</strong> privatio boni ». De toute façon, les dires du<br />
pasteur huguenot envoyé <strong>par</strong> Genève au chev<strong>et</strong> de la Reine de Navarre comme quoi c’est<br />
<strong>par</strong> la main de Dieu <strong>que</strong> provient toutes nos afflictions <strong>son</strong>t contredits <strong>par</strong> les dires mêmes<br />
du <strong>Christ</strong> qui, au suj<strong>et</strong> de l’épisode de l’effondrement de la tour de Siloé (Luc 13 : 4),<br />
détrompent ses contemporains en leur disant <strong>que</strong> les pauvres bougres écrasés sous les<br />
décombres ne <strong>son</strong>t en rien punis <strong>par</strong> Dieu au regard de soi-disant péchés. Bien entendu, le<br />
<strong>Christ</strong> n’est pas un rationaliste scientiste comme nous le sommes devenus à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> <strong>et</strong><br />
pour lui, le malheur est le fait du mal <strong>et</strong> s’il est venu pour nous en libérer, ce n’est pas pour<br />
apaiser la violence coléreuse de <strong>son</strong> père qui, pour lui, n’est <strong>que</strong> pure bonté. En fait,<br />
concernant c<strong>et</strong>te conception de la divinité juge <strong>et</strong> punitive, les positions luthérienne <strong>et</strong><br />
calviniste ne <strong>son</strong>t en rien antagonistes à celle de la Contre-réforme <strong>et</strong> du Concile de Trente.<br />
Ce <strong>son</strong>t uni<strong>que</strong>ment les <strong>«</strong> dissenters » de Luther, les Cas<strong>par</strong> Schwenckfeld, Valentin Weigel<br />
ou Sébastien Franck qui s’opposeront ouvertement au sacrificiel <strong>et</strong> à la divinité punitive :<br />
<strong>«</strong> … rien n’est plus absurde [la thèse prédestinationaliste] <strong>que</strong> supposer un Dieu créant<br />
des hommes qu’il voue lui-même à la damnation. Une cruauté <strong>par</strong>eille serait indigne d’un<br />
animal féroce. L’humanité n’est pas une massa perditionis comme l’affirme Luther. […]<br />
Faudrait-il donc adm<strong>et</strong>tre <strong>que</strong> Dieu ait été réellement courroucé ? qu’il fallait un sacrifice<br />
pour apaiser sa colère ? Quelle ineptie ! Dieu est bon, il est l’amour. […] Non, Dieu n’a<br />
jamais eu besoin de c<strong>et</strong>te victime sanglante – c’est nous tout au plus qui en avons eu<br />
besoin. En eff<strong>et</strong>, l’homme pécheur s’imagine <strong>que</strong> Dieu le condamne; à l’homme charnel<br />
(adami<strong>que</strong>), Dieu ap<strong>par</strong>aît – faussement – comme courroucé ; <strong>et</strong> c’est pour détruire c<strong>et</strong>te<br />
erreur, c<strong>et</strong>te illusion de l’homme <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> est venu nous révéler l’amour du Père<br />
céleste, nous enseigner la vraie foi en Dieu …. ».<br />
A. Koyré Mysti<strong>que</strong>s, spirituels <strong>et</strong> alchimistes au XVI e siècle allemand<br />
Or c<strong>et</strong>te conception tridentine de la messe liée au sacrificiel fut au fondement de la<br />
dogmati<strong>que</strong> catholi<strong>que</strong> jusqu’au concile de Vatican II qui, timidement, tenta de s’en dégager<br />
au grand dam des traditionalistes qui reviennent en force à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>.<br />
2
Le 3 avril 1969, le pape Paul VI signait la constitution apostoli<strong>que</strong> Missale romanum, dont le<br />
titre disait qu'elle "promulguait le Missel romain restauré sur l'ordre du deuxième concile<br />
oecuméni<strong>que</strong> du Vatican". La nouvelle messe était née <strong>et</strong> elle entraîna une vive réaction des<br />
Cardinaux Ottaviani <strong>et</strong> Bacci :<br />
"Le nouvel Ordo Missae, si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles<br />
d'appréciations fort diverses, qui y <strong>par</strong>aissent sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de<br />
façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholi<strong>que</strong><br />
de la sainte messe, telle qu'elle a été formulée à la XXème session du Concile de Trente,<br />
le<strong>que</strong>l, en fixant définitivement les "canons" du rite, éleva une barrière infranchissable<br />
contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité du mystère".<br />
Pour les traditionalistes, le nouveau rite sur la base d'une théologie héréti<strong>que</strong> tend à effacer<br />
les dogmes de foi qui fonde proprement la messe : c’est à dire l’oblation <strong>et</strong> l’ immolation du<br />
sacrifice du <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> le pouvoir sacramentel ministériel du prêtre. C’est à dire ce qu’est le rite<br />
sacrificiel dans toutes les religions les plus archaï<strong>que</strong>s de la planète. Pour l’exemple, un des<br />
rituels des aztè<strong>que</strong>s, peuple <strong>par</strong>ticulièrement fascinés <strong>par</strong> le sang <strong>et</strong> les sacrifices humains<br />
destinés à assurer l’ordre <strong>et</strong> l’harmonie sociale <strong>et</strong> cosmi<strong>que</strong>. Le rituel se dénomme Teoqualo,<br />
<strong>«</strong> la manducation du dieu » r<strong>et</strong>ranscrit <strong>par</strong> le frère Bernardino de Sahagun le<strong>que</strong>l était<br />
missionnaire au Mexi<strong>que</strong>, huit ans après la prise de Mexico en 1529 :<br />
<strong>«</strong> L’autre matin, le corps [ de pâte du dieu ] Uitzilopochtli a été sacrifié.<br />
Le prêtre qui représentait [ le dieu ] Qu<strong>et</strong>zalcoatl l’a tué,<br />
Il l’a tué avec une lance dont la pointe était une pierre à feu<br />
Et il la lui a plantée dans le cœur.<br />
Il a été sacrifié en présence du roi Montézuma<br />
Et du grand prêtre avec le<strong>que</strong>l Uitzilopochtli <strong>par</strong>lait …<br />
Et après qu’il fut mort, ils ont découpé <strong>son</strong> corps de pâte.<br />
Le cœur est revenu à Montézuma<br />
Et les autres <strong>par</strong>ties cylindri<strong>que</strong>s qui formaient pour ainsi dire ses os<br />
ont été <strong>par</strong>tagées entre les assistants .<br />
[…] Cha<strong>que</strong> année ils mangent le corps<br />
<strong>et</strong> quand ils ré<strong>par</strong>tissent entre eux le corps pétri en pâte,<br />
chacun d’eux reçoit seulement un tout p<strong>et</strong>it morceau.<br />
De jeunes guerriers le mangent.<br />
Et le manger ainsi s’appelle <strong>«</strong> manger le dieu »<br />
Et ceux qui l’ont mangé <strong>son</strong>t appelés <strong>«</strong> gardiens du dieu ».<br />
Pour nos traditionalistes, la nouvelle messe de Paul VI inverse les fins de toute liturgie en<br />
donnant le primat à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> à l’apostolat sur le culte divin qui seul en lui-même apporte<br />
grâces <strong>et</strong> bénédictions. L’adoption de la langue vernaculaire à la place du latin, l’extension<br />
de la <strong>«</strong> liturgie de la <strong>par</strong>ole » <strong>et</strong> la célébration face au peuple, caractéristi<strong>que</strong>s de la nouvelle<br />
messe, prouvent c<strong>et</strong>te inversion. Enfin <strong>et</strong> pas des moindres, l’ouverture à l’œcuménisme<br />
voulant adapter la liturgie aux besoins de l’union des Eglises impli<strong>que</strong>rait une dérive vers<br />
l’hérésie <strong>et</strong> une trahi<strong>son</strong> de la messe de saint Pie V, seule conforme aux <strong>«</strong> canons »<br />
catholi<strong>que</strong>s définitivement fixés <strong>par</strong> le Concile de Trente. Actuellement, il existe dans l’église<br />
catholi<strong>que</strong>, un conflit concernant ces deux messes <strong>et</strong> la curie romaine, dans un but politi<strong>que</strong><br />
d’apaisement <strong>et</strong> de réintégration des schismati<strong>que</strong>s lefèvristes, propose une co-existence<br />
pacifi<strong>que</strong> entre la messe ordinaire, celle de Vatican II <strong>et</strong> la messe extraordinaire, celle de<br />
saint Pie V mais c’est une dérobade au regard de la vérité car elles ne <strong>son</strong>t pas conciliables,<br />
ce <strong>que</strong> pensent avec rai<strong>son</strong> les traditionalistes qui, plus logi<strong>que</strong>s <strong>et</strong> plus cohérents, ne<br />
veulent rien savoir de la messe de Vatican II.<br />
D’un autre coté, la messe tridentine se situe à l’aboutissement d’une élaboration qui prend<br />
sa source dans les Evangiles eux-mêmes qui comprennent la passion du <strong>Christ</strong> au regard du<br />
<strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe, un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui prend sur lui les<br />
péchés du groupe, <strong>«</strong> justifie » les hommes <strong>et</strong> les sauve de la colère divine :<br />
3
Méprisé <strong>et</strong> abandonné des hommes,<br />
Homme de douleur <strong>et</strong> habitué à la souffrance,<br />
Semblable à celui dont on détourne le visage,<br />
Nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.<br />
Cependant, ce <strong>son</strong>t nos souffrances qu’il a portées,<br />
C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ;<br />
Et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu, <strong>et</strong> humilié.<br />
Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ;<br />
Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui,<br />
Et c’est <strong>par</strong> ses meurtrissures <strong>que</strong> nous sommes guéris.<br />
Et l’Eternel a fait r<strong>et</strong>omber sur lui l’iniquité de nous tous.<br />
Il a été maltraité <strong>et</strong> opprimé <strong>et</strong> il n’a point ouvert la bouche,<br />
Semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie,<br />
A une brebis mu<strong>et</strong>te devant ceux qui la tondent ;<br />
Il n’a point ouvert la bouche.<br />
Il a été enlevé <strong>par</strong> l’angoisse <strong>et</strong> le châtiment ;<br />
Et <strong>par</strong>mi ceux de sa génération qui a cru<br />
Qu’il était r<strong>et</strong>ranché de la terre des vivants<br />
Et frappé pour les péchés de mon peuple.<br />
Quoiqu’il n’eût point eu de fraude dans sa bouche<br />
Il a plu à l’Eternel de le briser <strong>par</strong> la souffrance …<br />
Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché,<br />
Il verra une postérité <strong>et</strong> prolongera ses jours ;<br />
Et l‘œuvre de l’Eternel prospérera entre ses mains.<br />
A cause du travail de <strong>son</strong> âme, il rassasiera ses regards ;<br />
Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes,<br />
Et il se chargera de leur iniquités.<br />
C’est pourquoi je lui donnerai sa <strong>par</strong>t avec les grands ;<br />
Il <strong>par</strong>tagera le butin avec les puissants,<br />
Parce qu’il s’est livré lui-même à la mort,<br />
Et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs,<br />
Parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes,<br />
Et qu’il a intercédé pour les coupables. Isaïe 53, 3-12<br />
Dans les Actes des Apôtres, le diacre Philippe convertit le juif éthiopien qui revenait de faire<br />
ses Pâ<strong>que</strong>s à Jérusalem en lui faisant comprendre <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> est ce <strong>«</strong> juste souffrant »<br />
prophétisé <strong>par</strong> le second Isaïe. La <strong>«</strong> première Epître de Clément », daté de 88, cite en entier<br />
dans <strong>son</strong> chapitre 16 le texte du second Isaïe sur le <strong>«</strong> juste souffrant » identifié au <strong>Christ</strong><br />
tandis <strong>que</strong> l’Epître de Barnabé, daté de 130, contient encore, dans <strong>son</strong> chapitre 5,1, c<strong>et</strong>te<br />
même référence au <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe. Or le <strong>«</strong> juste souffrant » est un<br />
<strong>«</strong> bouc émissaire » qui s’inscrit dans toute la phénoménologie sacrificielle qui n’a d’autres<br />
buts <strong>que</strong> de rendre bienveillant les âmes des morts, les ancêtres mythi<strong>que</strong>s ou les divinités.<br />
Le sacrifice du <strong>«</strong> bouc émissaire » qui prend sur lui les péchés du groupe, les lave <strong>et</strong> les<br />
justifie, apaise le courroux des divinités vengeresses, responsables des fléaux <strong>et</strong> des<br />
malheurs du groupe. La colère de Dieu n’est pas uni<strong>que</strong>ment le fait du Dieu juge de l’Ancien<br />
Testament car on le r<strong>et</strong>rouve dans toutes les religions de la planète <strong>et</strong> également chez le<br />
philosophe grec présocrati<strong>que</strong>s Héraclite :<br />
<strong>«</strong> Je contemple le devenir <strong>et</strong> per<strong>son</strong>ne n’a scruté si attentivement ce ressac <strong>et</strong> ce rythme<br />
éternel des choses. Et qu’ai-je vu ? Des processus réglés, les voies toujours identi<strong>que</strong>s<br />
de la justice (punitive), le jugement des Erinnyes derrière cha<strong>que</strong> infraction aux lois, le<br />
monde entier comme le spectacle d’une justice souveraine <strong>et</strong> des forces naturelles<br />
présentes en tous lieux comme des démons ….<br />
4
Où règnent l’iniquité ap<strong>par</strong>aissent alors l’arbitraire, le désordre, le dérèglement <strong>et</strong> la<br />
contradiction ; mais ce monde où seules la loi <strong>et</strong> Diké, fille de Zeus, règnent, comment<br />
pourrait-il être autre chose <strong>que</strong> la sphère de la culpabilité, de l’expiation, de la<br />
condamnation, <strong>et</strong> en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte un lieu de supplice pour tous les damnés ? ».<br />
Qui a <strong>par</strong>lé de l’innocence joyeuse du paganisme <strong>que</strong> le judéo-christianisme aurait balayé ?<br />
Le monde comme lieu d’expiation des pécheurs n’est pas le propre de la chrétienté<br />
médiévale comme le montre ce texte ci-dessus d’Héraclite datant du V e siècle av.JC. Or<br />
l’hybris, la démesure est la chose la plus importante pour la Grèce anti<strong>que</strong> <strong>et</strong> c’est elle,<br />
comme transgression de la loi divine, qui était responsable de la légitime intervention des<br />
Erinnyes, les divinités vengeresses envoyées <strong>par</strong> Zeus, maître de l’ordre cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social.<br />
Pour le <strong>Christ</strong>, outre <strong>que</strong> le Père divin est bon avec les méchants <strong>et</strong> ne les punit pas, c<strong>et</strong>te<br />
figure du Père est dissociée de la figure du maître, garant de l’ordre <strong>et</strong> de la loi sociale ( le<br />
<strong>«</strong> Rendez à César …. »). On n’est plus dans l’opposition entre ordre <strong>et</strong> désordre <strong>et</strong> le Satan<br />
christi<strong>que</strong> n’est en rien le responsable du désordre mais l’accusateur public qui accuse<br />
injustement les innocents. Il est le <strong>«</strong> menteur meurtrier » qui, du coté des <strong>«</strong> puissances <strong>et</strong><br />
des dominations », donne toujours rai<strong>son</strong>, dans les mythes <strong>et</strong> les dogmes religieux, du<br />
sacrifice de l’individu soi-disant nécessaire pour sauver le groupe. Le <strong>Christ</strong> refuse le<br />
sacrificiel <strong>par</strong>ce qu’il condamne des innocents : <strong>«</strong> <strong>«</strong> Si <strong>vous</strong> saviez ce <strong>que</strong> signifie : Je prends<br />
plaisir à <strong>«</strong> matricier » <strong>et</strong> non aux sacrifices, <strong>vous</strong> n'auriez pas condamné des innocents »<br />
(Matthieu 12 : 7). Dans l’Evangile de st Luc (9 : 51), l’épisode du passage en Samarie<br />
montre <strong>que</strong> les disciples n’avaient rien compris au message de leur maître lorsqu’ils en<br />
appelaient à Dieu pour qu’il punisse les samaritains de leur mauvais accueil. De même, les<br />
Actes des apôtres attribuent la mort soudaine de Hérode au bras vengeur de l’Ange de Dieu.<br />
L’incompréhension du message christi<strong>que</strong> semble avoir été total chez ses propres disciples<br />
<strong>et</strong> per<strong>son</strong>ne ne s’est jamais demandé pourquoi le recours à saint Paul fut nécessaire pour<br />
palier à c<strong>et</strong>te incompréhension car même si les Epîtres du nouvel apôtre <strong>son</strong>t souvent<br />
<strong>«</strong> brouillon », ils <strong>son</strong>t foncièrement anti-sacrificiels <strong>et</strong> ne valorise jamais la mort (<strong>«</strong> Mort où est<br />
ta victoire ? ») car ils intuitionnent, tant bien <strong>que</strong> mal, <strong>que</strong> la crucifixion m<strong>et</strong> en spectacle les<br />
men<strong>son</strong>gères accusations diaboli<strong>que</strong>s de la figure du maître, garant de la loi sociale (saint<br />
Paul Colossiens 2:14) :<br />
<strong>«</strong> Il a effacé la loi mosaï<strong>que</strong> dont les ordonnances nous condamnaient <strong>et</strong> qui subsistait<br />
contre nous, <strong>et</strong> il l’a détruite en la clouant à la croix ; il a dépouillé les dominations <strong>et</strong> les<br />
autorités, <strong>et</strong> les a livrées publi<strong>que</strong>ment en spectacle, en triomphant d'elles <strong>par</strong> la croix ».<br />
La dénomination de <strong>«</strong> Justice de Dieu » chez le <strong>Christ</strong> a une signification inverse à la justice<br />
divine traditionnelle qui s’appli<strong>que</strong>, elle, à la punition du fauteur du désordre <strong>et</strong> du<br />
transgresseur de la loi sociale. La <strong>par</strong>abole des vignerons assassins dénoncent c<strong>et</strong>te vérité<br />
fondamentale <strong>que</strong> les humains depuis l’origine de l’humanité se structurent sur le sacrifice de<br />
l’individu nécessaire à la bonne santé du groupe car, comme le dit le grand prêtre<br />
Caïphe : <strong>«</strong> il est de <strong>notre</strong> intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple <strong>et</strong> <strong>que</strong> la nation<br />
entière ne périsse pas » (Jean 11- 50). A l’opposé, le <strong>Christ</strong> donne la <strong>par</strong>abole du bon berger<br />
qui quitte le troupeau pour s’occuper de l’uni<strong>que</strong> brebis égarée. Il est à noter <strong>que</strong> de manière<br />
aberrante, le rédacteur de l’Evangile reprend à <strong>son</strong> compte les dires abominables de Caïphe<br />
en les considérant comme prophéti<strong>que</strong>s au regard du <strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du<br />
second Isaïe dont le sacrifice sauve le peuple des croyants en les justifiant <strong>et</strong> en apaisant<br />
ainsi la colère de Dieu. C<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> sacrificielle archaï<strong>que</strong> se r<strong>et</strong>rouve dans<br />
certaines formes de la superstition comme la corde du pendu, le toucher du bois (de la croix)<br />
ou le toucher la bosse du bossu. René Girard a très bien montré <strong>que</strong> la différence physi<strong>que</strong><br />
était capitale pour l’horizon primitif dans le choix du <strong>«</strong> bouc émissaire ». Elle l’est toujours<br />
dans les cours de nos écoles enfantines. Lucien Lévy Brühl a, lui, de <strong>son</strong> coté, montré <strong>que</strong><br />
dans le phénomène des <strong>«</strong> monstra » dans l’horizon primitif, l’élimination pure <strong>et</strong> simple était<br />
la solution r<strong>et</strong>enue à ce qui était différent <strong>et</strong> non-conforme à l’ordre des choses. Or c’est la<br />
figure du maître qui est le garant de l’ordre cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social.<br />
5
Dans c<strong>et</strong>te affaire du sacrificiel, il faut différencier la figure du Père, garant de la loi morale<br />
anti-sexuelle de la figure du maître, garant de la loi sociale pro-sexuelle ( le <strong>«</strong> croissez <strong>et</strong><br />
multipliez-<strong>vous</strong> »). En général, la plu<strong>par</strong>t des penseurs ne font pas c<strong>et</strong>te différence ainsi <strong>que</strong><br />
saint Paul, ce qui rend <strong>son</strong> texte embrouillé concernant <strong>son</strong> rapport à la loi. Surtout, il ne faut<br />
pas analyser le sacrificiel au regard de la loi morale du Père comme le font les freudiens ou<br />
certaines lacaniennes comme Mary Balmary (cf. le sacrifice interdit). Dans tout l’univers<br />
archaï<strong>que</strong>, la religion concerne l’ordre <strong>et</strong> le désordre <strong>et</strong> la figure du maître. De plus, le<br />
<strong>«</strong> pénis » n’est pas le <strong>«</strong> phallus » qui, lui, n’a de sens <strong>que</strong> dans le cadre de l’hermaphrodite.<br />
Eliane Amado Lévy-Valensi, une des psychanalystes lacaniennes a l’avoir bien vu, montre<br />
<strong>que</strong> la circoncision n’est en rien une castration du pénis mais une sé<strong>par</strong>ation de<br />
l’hermaphrodite :<br />
<strong>«</strong> A Abram est ôté le prépuce - reconnu comme reste “anthropologi<strong>que</strong>” du<br />
féminin <strong>et</strong> à Saraï on ôte le yod (la l<strong>et</strong>tre i) connu comme signe phalli<strong>que</strong>.<br />
A tous deux est ajouté le hé, l<strong>et</strong>tre hautement symboli<strong>que</strong>, l<strong>et</strong>tre de la détermination<br />
(qui est celui de l'article défini) <strong>et</strong> l<strong>et</strong>tre qui désigne le nom du Divin dans le<strong>que</strong>l elle<br />
ap<strong>par</strong>aît deux fois. Abraham <strong>et</strong> Sarah <strong>son</strong>t respectivement virilisés <strong>et</strong> féminisés <strong>et</strong> en<br />
même temps déterminés dans leur essence <strong>et</strong>, <strong>par</strong> la même, relier à Dieu ».<br />
C<strong>et</strong>te conception de la circoncision comme signifiant de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite<br />
rejoint celle de C. Desroches-Noblecourt, spécialiste de l'Egypte qui écrit <strong>que</strong> la<br />
“circoncision rappelle la coutume qui, en Afri<strong>que</strong>, se perd dans la nuit des temps, ayant pour<br />
but de confirmer les sexes <strong>et</strong> de bien différencier l'homme <strong>et</strong> la femme de la nature divine qui<br />
était androgyne ... ”. (La femme au temps des Pharaons). Platon dans le Ban<strong>que</strong>t <strong>par</strong>le aussi<br />
de c<strong>et</strong>te sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite comme, d’ailleurs, de nombreux autres mythes de<br />
toutes les cultures de la planète. En fait, la circoncision est répandue sur toute la surface de<br />
la terre <strong>et</strong> on la conjecture pour le paléolithi<strong>que</strong>, bien avant l’agriculture <strong>et</strong> la domestication<br />
des animaux. Elle a toujours été un procédé magi<strong>que</strong> de protection. Elle est souvent un rite<br />
de passage à l’âge adulte. Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, il y a l’opposition entre <strong>«</strong> avoir le pénis ou<br />
être le phallus de la Mère » <strong>et</strong> la <strong>«</strong> sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite » est une accession au<br />
pénis <strong>et</strong> à la fonction génitale. Dans <strong>son</strong> livre intitulé <strong>«</strong> La circoncision – Enquête sur un rite<br />
fondateur », Patrick Banon écrit : <strong>«</strong> les mains mutilées dessinées sur les cavernes du<br />
Paléolithi<strong>que</strong> ne <strong>son</strong>t pas sans rappeler la valeur protectrice du phallus circoncis » (p. 16).<br />
Dans l’univers mythi<strong>que</strong>, l’ablation d’un doigt ou de tout ordre obj<strong>et</strong> du corps est un sacrifice<br />
comme un autre mais, contrairement, à la théorie freudienne orthodoxe, ce sacrifice n’a rien<br />
à voir avec la castration du pénis <strong>par</strong> le Père surmoi<strong>que</strong>. Bien au contraire, tout sacrifice<br />
s’adresse à la divinité, garante de l’ordre cosmi<strong>que</strong> dont l’harmonie entraîne la fécondité des<br />
femmes <strong>et</strong> des champs. Il ne faut jamais oublier <strong>que</strong> les démons dans l’horizon primitif<br />
s’opposent à la sexualité telle <strong>«</strong> la sorcière qui noue les aiguill<strong>et</strong>tes ». Tout comme les<br />
sacrifices humains <strong>et</strong> animaux qui versent le sang, la circoncision également le verse <strong>et</strong> on<br />
sait <strong>que</strong> dans tous serments, pactes <strong>et</strong> alliances nécessitant le respect d’un contrat, il existe<br />
nombre de rituels de versement du sang où souvent le jureur touche les <strong>par</strong>ties sexuelles de<br />
<strong>son</strong> <strong>par</strong>tenaire pour qu’il engage aussi sa descendance. Un des rituels de serment consistait<br />
à sacrifier un animal <strong>et</strong> à le couper en deux en faisant passer les contractants <strong>par</strong> <strong>son</strong> milieu<br />
(Jérémie 34 : 18). Patrick Banon écrit :<br />
<strong>«</strong> Hérodote rapporte <strong>que</strong> les Arabes prêtaient serments en pratiquant une incision au<br />
creux de la main, près du pouce, enduisant de leur sang sept pierres placées entre eux,<br />
recommandant à leurs propres <strong>et</strong> descendants de s’estimer autant liés <strong>par</strong> ce serment<br />
qu’eux-mêmes . Un rituel équivalent à celui des prêtres de Tyr versant leur sang sur<br />
l’autel de Baal <strong>et</strong> à la circoncision décrite en Josué 5, effectuée au centre de Guigal, un<br />
cercle de pierres sacrées ». (p. 19).<br />
Le cercle est, selon CG Jung, l’archétype de l’ordre <strong>et</strong>, indéniablement, il symbolise l’ordre<br />
social <strong>et</strong> cosmi<strong>que</strong> sous l’égide de la figure du maître.<br />
6
On sait <strong>que</strong> la pensée grec<strong>que</strong> était fascinée <strong>par</strong> c<strong>et</strong>te figure du cercle en totale adéquation<br />
avec leur Logos, ordonnateur du cosmos. La circoncision, différenciatrice de l’hermaphrodite<br />
originel, relève de la figure du maître <strong>et</strong> relève de la phénoménologie du sacrificiel. On trouve<br />
au Mexi<strong>que</strong> chez les Aztè<strong>que</strong>s un rite de circoncision en lien avec le dieu Uitzilopochtli. Le<br />
maître est le garant des serments <strong>et</strong> des pactes d’alliance <strong>et</strong> il n’y a pas d’alliance sans<br />
versement de sang. C’est d’autant plus vrai dans l’Ancien Testament. Dans la Bible (Exode<br />
24,8), nous trouvons ce lien entre le versement du sang <strong>et</strong> l’acte d’alliance avec la divinité :<br />
<strong>«</strong> Moïse prit le sang [des taureaux sacrifiés] en aspergea le peuple <strong>et</strong> dit : <strong>«</strong> voici le sang de<br />
l’alliance <strong>que</strong> le Seigneur a conclue avec <strong>vous</strong> … ». C’est c<strong>et</strong>te Alliance qui conditionne sa<br />
protection <strong>et</strong> sa bénédiction <strong>et</strong> on sait <strong>que</strong> tous les déboires du peuple juif seront imputés<br />
essentiellement au non respect de c<strong>et</strong>te alliance. Toute transgression ou autre péché<br />
devront pour être lavés <strong>et</strong> rach<strong>et</strong>és impli<strong>que</strong>r le sacrifice <strong>et</strong> le sang versé. Toujours dans <strong>son</strong><br />
livre sur la circoncision, Patrick Banon écrit (p.90) :<br />
<strong>«</strong> Devant la menace de mort proférée <strong>par</strong> Yahvé à l’encontre de Moïse, il est évident <strong>que</strong><br />
la seule chose <strong>que</strong> Sippora, <strong>son</strong> épouse, puisse faire pour satisfaire la divinité est un<br />
sacrifice. La circoncision de <strong>son</strong> fils est supposée sauver la vie du père. Mais le fait <strong>que</strong><br />
le sang de la circoncision du fils <strong>soit</strong> versé sur les pieds du père …. ».<br />
Pour la Bible, l’âme est dans le sang <strong>et</strong> c’est pour cela qu’il est interdit de le consommer <strong>et</strong><br />
<strong>que</strong>, de nos jours encore, les témoins de Jéhova s’interdisent toutes transfusions sanguines.<br />
L’aspersion du sang sacrificiel sur la tête impli<strong>que</strong> une bénédiction <strong>et</strong> un destin favorable. Ce<br />
motif du sang qui r<strong>et</strong>ombe sur la tête est très important à c<strong>et</strong>te épo<strong>que</strong> <strong>et</strong> pas uni<strong>que</strong>ment<br />
chez le peuple juif. Lors de <strong>son</strong> initiation, le myste de la religion de Mithra, concurrente de la<br />
religion chrétienne au début de celle-ci, se plaçait sous le taureau représentant le dieu Mithra<br />
<strong>que</strong> l’on égorgeait <strong>et</strong> ainsi la puissance magi<strong>que</strong> bénéfi<strong>que</strong> du Dieu associé à <strong>son</strong> sang<br />
r<strong>et</strong>ombait sur la tête du néophyte. Mais pour le <strong>Christ</strong>, le sang versé n’est en rien<br />
<strong>«</strong> magi<strong>que</strong> » car il est tout simplement le sang des innocents <strong>et</strong> s’il <strong>«</strong> r<strong>et</strong>ombe sur nos<br />
têtes », ce n’est pas pour nous amener des grâces <strong>et</strong> des bienfaits, bien au contraire, mais<br />
pour qu’enfin nous prenions conscience de ce fondement meurtrier <strong>et</strong> de la nécessité de<br />
sortir du sacrificiel, responsable de la condamnation d’innocents :<br />
<strong>«</strong> …<strong>et</strong> <strong>vous</strong> dites : <strong>«</strong> Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous n’aurions pas été<br />
leurs complices pour verser le sang des prophètes. Ainsi <strong>vous</strong> témoignez contre <strong>vous</strong>mêmes<br />
: <strong>vous</strong> êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. […] C’est pourquoi,<br />
voici <strong>que</strong> moi, j’envoie vers <strong>vous</strong> des prophètes, des sages <strong>et</strong> des scribes. Vous en<br />
tuerez <strong>et</strong> m<strong>et</strong>trez en croix, <strong>vous</strong> en flagellerez dans vos temples <strong>et</strong> <strong>vous</strong> les<br />
pourchasserez de ville en ville, pour <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ombe sur <strong>vous</strong> tout le sang des justes<br />
répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de<br />
Barachie, <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel. En vérité, je <strong>vous</strong> le<br />
déclare, tout cela va r<strong>et</strong>omber sur c<strong>et</strong>te génération ».<br />
Evangiles (Matthieu 23 – 30)<br />
La mort du <strong>Christ</strong> se situe à la suite de c<strong>et</strong>te litanie d’innocents sacrifiés comme le montre la<br />
<strong>par</strong>abole des vignerons assassins :<br />
<strong>«</strong> [...] Il se mit ensuite à dire au peuple c<strong>et</strong>te <strong>par</strong>abole : Un homme planta une vigne,<br />
l'afferma à des vignerons, <strong>et</strong> quitta pour longtemps le pays.<br />
Au temps de la récolte, il envoya un serviteur vers les vignerons, pour qu'ils lui<br />
donnassent une <strong>par</strong>t du produit de la vigne. Les vignerons le battirent, <strong>et</strong> le<br />
renvoyèrent à vide. Il envoya de nouveau un autre serviteur ; ils le battirent,<br />
l'outragèrent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il en envoya encore un troisième ; ils le<br />
blessèrent, <strong>et</strong> le chassèrent. Le maître de la vigne dit : Que ferai-je ? J'enverrai mon<br />
fils bien-aimé ; peut-être auront-ils pour lui du respect.<br />
7
Mais, quand les vignerons le virent, ils rai<strong>son</strong>nèrent entre eux, <strong>et</strong> dirent : voici l'héritier<br />
; tuons-le, afin <strong>que</strong> l'héritage <strong>soit</strong> à nous. Et ils le j<strong>et</strong>èrent hors de la vigne <strong>et</strong> le<br />
tuèrent.<br />
Matthieu 20 – 2<br />
Comprendre la passion du <strong>Christ</strong> de manière vétero-testamentaire au regard du juste<br />
souffrant du second Isaïe, c’est continuer le sacrificiel <strong>et</strong> si la première alliance impliquait le<br />
sang versé purificateur <strong>et</strong> dispensateur de grâces, la deuxième alliance devra<br />
nécessairement impli<strong>que</strong>r aussi le versement du sang, non celui im<strong>par</strong>fait des taureaux ou<br />
autres animaux mais le sacrifice uni<strong>que</strong>, <strong>par</strong>fait <strong>et</strong> vraiment efficace c<strong>et</strong>te fois, le sacrifice du<br />
propre fils de Dieu. C’est le thème de l’Epître aux Hébreux (9 : 11) <strong>que</strong> les exégètes refusent<br />
de reconnaître être de l’apôtre Paul <strong>par</strong>ce qu’il est manifestement non homogène aux autres<br />
épîtres qui globalement relèvent du mythologème du <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » <strong>et</strong> de la victoire<br />
sur la mort <strong>et</strong> non de celui de la mort salvatrice. Le <strong>«</strong> sacrifice » n’est pas mis au premier<br />
plan car c’est la résurrection qui est centrale même s’il faut bien sûr mourir pour pouvoir<br />
renaître, ressusciter <strong>et</strong> vaincre la mort. <strong>«</strong> Mort où est ta victoire ! » écrit l’Apôtre pour qui la<br />
mort identifiée au mal est la non-valeur suprême. Il faut mourir au vieil Adam pour renaître en<br />
<strong>Christ</strong> <strong>et</strong> le vieil Adam est l’être de chair identifié à la mort (<strong>«</strong> l’affection de la chair, c’est la<br />
mort » Romains 8 – 6). Nous avons chez saint Paul, le motif de la <strong>«</strong> mort de la mort »,<br />
l’autodestruction de la négativité, représentée archétypi<strong>que</strong>ment <strong>par</strong> le symbole du dragon<br />
qui s’auto-dévore, le serpent qui se mort la <strong>que</strong>ue, le monstre ouroboros alchimi<strong>que</strong>. C’est<br />
chez l’apôtre des Gentils le pendant du <strong>«</strong> laissez les morts enterrer les morts » de l’Evangile<br />
(Matthieu 8:22). La dogmati<strong>que</strong> chrétienne est un <strong>«</strong> pachwork » qui, heureusement, n’est pas<br />
uni<strong>que</strong>ment fondée sur la mort salvatrice. Beaucoup d’auteurs chrétiens médiévaux y font<br />
référence <strong>que</strong> très secondairement. Mais ne pas être sacrificiel ne veut pas dire <strong>que</strong> l’on <strong>soit</strong><br />
anti-sacrificiel car l’interprétation anti-sacrificielle est difficile si on s’en tient à la notion<br />
devenue très moderne du <strong>«</strong> bouc émissaire », celle de l’acharnement du <strong>«</strong> tous contre un ».<br />
En fait, le <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe focalise sur lui la haine commune du groupe <strong>et</strong><br />
semble donc être un <strong>«</strong> bouc émissaire » comme nous l’entendons aujourd’hui. Pour nous<br />
modernes, nous nous indignons de ce mécanisme psychi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> refus de la différence »<br />
mais pour la mentalité religieuse vétéro-testamentaire du second Isaïe, même si le <strong>«</strong> juste<br />
souffrant » focalise sur lui la haine commune des hommes, il n’en demeure pas moins <strong>que</strong><br />
<strong>son</strong> calvaire apaise la colère de Dieu <strong>et</strong> renouvelle sa protection <strong>et</strong> ses bienfaits. De ce fait,<br />
le leitmotiv du Psaumes 118 <strong>que</strong> l’on r<strong>et</strong>rouve dans les Evangiles <strong>et</strong> dans les Actes des<br />
Apôtres, peut être interprété de manière contraire :<br />
<strong>«</strong> La pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent est devenue la principale de l’angle »<br />
De <strong>notre</strong> avis, il doit être interprété de manière sacrificielle en tant <strong>que</strong> Psaumes 118 comme<br />
un équivalent du <strong>«</strong> juste souffrant », un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui focalisant la haine commune<br />
contre lui, prend sur lui les péchés des hommes, souffre <strong>et</strong> apaise la colère de Dieu.<br />
Néanmoins, il semble qu’il <strong>soit</strong> interprété de manière anti-sacrificielle <strong>par</strong> le <strong>Christ</strong> dans<br />
l’Evangile car il y ajoute le fait <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te pierre est un <strong>«</strong> scandalon », une <strong>«</strong> pierre<br />
d’achoppement » <strong>et</strong> surtout <strong>par</strong>ce qu’il le situe juste après la <strong>par</strong>abole des vignerons<br />
assassins :<br />
<strong>Jésus</strong> dit : Que signifie donc ce qui est écrit ( Psaumes 118 - 22 ) :<br />
La pierre qu'ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissaient<br />
Est devenue la principale de l'angle.<br />
Quicon<strong>que</strong> tombera sur c<strong>et</strong>te pierre s'y brisera,<br />
<strong>et</strong> celui sur qui elle tombera sera écrasé ”.<br />
Or c<strong>et</strong>te façon de concevoir le <strong>«</strong> bouc émissaire » est moderne car elle l’expli<strong>que</strong> <strong>par</strong> une<br />
projection haineuse sur un obj<strong>et</strong> qui résiste <strong>et</strong> qui fait r<strong>et</strong>our sur le suj<strong>et</strong> qui s’auto-détruit.<br />
8
Ce qu’on appelle <strong>«</strong> tomber sur un os », ce qu’est le <strong>«</strong> scandalon », la <strong>«</strong> pierre<br />
d’achoppement » . La projection est dévoilée <strong>et</strong> la pseudo-légitimité men<strong>son</strong>gère du<br />
sacrificiel <strong>«</strong> depuis le commencement du monde » est détruite. R<strong>et</strong>our à l’envoyeur de la<br />
négativité. Le scorpion r<strong>et</strong>ourne <strong>son</strong> dard contre lui-même, c’est le <strong>«</strong> Satan chasse Satan »<br />
évangéli<strong>que</strong>. C<strong>et</strong>te interprétation anti-sacrificielle du Psaumes 118 est celle qu’a développée<br />
René Girard dans ses premiers écrits mais il a tort de croire qu’elle est présente dans<br />
l’Ancien Testament, voire dans les Actes des Apôtres car elle se comprend selon une<br />
interprétation sacrificielle, celle du <strong>«</strong> juste souffrant » du Second Isaïe. C’est en ce sens <strong>que</strong><br />
l’ont compris tous les disciples du <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> c’est ce qui expli<strong>que</strong> le nécessaire recours à saint<br />
Paul pour <strong>que</strong> le message anti-sacrificiel ne <strong>soit</strong> pas totalement perdu. Bien entendu, nous<br />
croyons avec René Girard <strong>que</strong> le sens <strong>que</strong> lui donnait le <strong>Christ</strong> était anti-sacrificiel mais<br />
contrairement à lui, nous croyons <strong>que</strong> dans le Psaume 118 (<strong>et</strong> dans les Actes des Apôtres),<br />
sa signification est sacrificielle. C<strong>et</strong>te différence d’avec René Girard provient du fait qu’il<br />
n’analyse pas, dans ses écrits, la vérité sacrificielle du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe <strong>et</strong><br />
qui expli<strong>que</strong>, en <strong>par</strong>tie, la <strong>«</strong> reculade » de ses écrits récents. C<strong>et</strong>te subversion de sens <strong>par</strong> le<br />
<strong>Christ</strong> d’un passage de l’Ancien Testament n’est pas uni<strong>que</strong> <strong>et</strong> on la trouve également dans<br />
sa reprise d’un passage tiré de Osée (6 :6) :<br />
<strong>«</strong> car c‘est l’amour qui me plaît, non le sacrifice<br />
<strong>et</strong> la connaissance de Dieu, je la préfère aux holocaustes ».<br />
Ce texte s’inscrit dans l’approfondissement individuel spirituel <strong>et</strong> moral selon les exigences<br />
du décalogue d’amour de Dieu <strong>et</strong> du prochain <strong>par</strong>-delà les rites <strong>et</strong> les coutumes tout<br />
extérieurs. De <strong>son</strong> coté, le <strong>Christ</strong> reprend ce texte (Matthieu 12 : 7) mais pour le compléter<br />
<strong>et</strong>, en cela, il subvertit le sacrificiel ; ce <strong>que</strong> ne fait pas le texte en référence :<br />
<strong>«</strong> Si <strong>vous</strong> saviez ce <strong>que</strong> signifie: Je prends plaisir à <strong>«</strong> matricier » <strong>et</strong> non aux sacrifices,<br />
<strong>vous</strong> n'auriez pas condamné des innocents ».<br />
A juste titre, René Girard interprète ce texte christi<strong>que</strong> de manière anti-sacrificielle mais il<br />
croit, à tort, <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> anti-sacrificielle se trouve en germe dans l’Ancien<br />
Testament alors <strong>que</strong> celui-ci est totalement sacrificiel. Certes, le <strong>Christ</strong> se situe à la suite de<br />
la Loi morale de Moïse <strong>et</strong> c’est pourquoi la chrétienté a légitimement repris entièrement la<br />
révélation du Sinaï mais concernant le sacrificiel ancré dans l’apaisement de la colère de<br />
Dieu conçu comme une figure du maître, il y a une rupture radicale <strong>et</strong> subversive <strong>par</strong><br />
l’enseignement christi<strong>que</strong> d’où la <strong>par</strong>abole <strong>«</strong> qu’on ne doit pas m<strong>et</strong>tre de vin nouveau dans<br />
de vieilles outres ». Cela impliquait également la différenciation de la figure du Père moral de<br />
celle du maître, le <strong>«</strong> rendez à César …. ». L’exception <strong>que</strong> je concède à René Girard (cf. <strong>son</strong><br />
livre la route anti<strong>que</strong> des hommes pervers), concernant une composante anti-sacrificielle<br />
présente dans l’Ancien Testament, est le livre de Job.<br />
Dans ce livre, le per<strong>son</strong>nage subissant l’acharnement du <strong>«</strong> tous contre un » refuse de<br />
concevoir <strong>que</strong> ses malheurs puissent provenir d’une punition divine au regard de soi-disant<br />
péchés comme le lui disent ses pseudo-amis. Le fait surtout <strong>que</strong> sa souffrance ne <strong>soit</strong> en<br />
rien salvatrice pour le groupe semble pouvoir faire de Job une pré-figuration christi<strong>que</strong> dans<br />
le sens anti-sacrificiel. Néanmoins, la leçon qu’on a toujours tirée du livre de Job veut <strong>que</strong> s’il<br />
n’est pas moralement coupable, il l’est <strong>par</strong> <strong>son</strong> <strong>«</strong> hybris » de se dire <strong>«</strong> juste » car il ne peut<br />
se déclarer <strong>«</strong> juste » sans déclarer en même temps <strong>que</strong> Dieu est <strong>«</strong> injuste <strong>et</strong> méchant ». Les<br />
protestants intègreront le texte dans leur condamnation de <strong>«</strong> la justification <strong>par</strong> les œuvres »<br />
au profit de la seule <strong>«</strong> justification <strong>par</strong> la foi ». Certes, la description des épreuves de Job<br />
décrit bien un acharnement injuste contre un innocent mais la référence à l’ <strong>«</strong> hybris » de<br />
celui qui dispute avec le Dieu–tout puissant montre qu’on est toujours dans la problémati<strong>que</strong><br />
sacrificielle. De nos jours, on se sert de ce texte pour criti<strong>que</strong>r le subjectivisme humaniste en<br />
religion ; position qui a toujours cautionné la figure du maître. Le <strong>«</strong> Père qui est dans le<br />
secr<strong>et</strong> » est proche <strong>et</strong> aimant <strong>et</strong> rien dans les <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> ne <strong>par</strong>le d’un <strong>«</strong> nuage<br />
d’inconnaissance ».<br />
9
Dans l’épître au Romains (8,15), l’apôtre Paul se fait le porte <strong>par</strong>ole de c<strong>et</strong>te vérité centrale<br />
du christianisme lorsqu’il écrit : " Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour être<br />
encore dans la crainte; mais <strong>vous</strong> avez reçu l'esprit d'adoption, <strong>par</strong> le<strong>que</strong>l nous crions: Abba<br />
! Père !". La fin du livre de Job fait penser à ce texte de Go<strong>et</strong>he écrivant à <strong>son</strong> ami<br />
Eckermann (L<strong>et</strong>tre du 31.12.1823) :<br />
" Les gens traitent le nom divin comme si l'Être suprême, incompréhensible <strong>et</strong><br />
absolument inimaginable, n'était guère plus <strong>que</strong> leur égal. Sinon, ils ne diraient pas : "le<br />
bon Dieu". S'ils étaient pénétrés de sa grandeur ils en perdraient la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong>, <strong>par</strong><br />
vénération, n'oseraient pas le nommer."<br />
Certes, la problémati<strong>que</strong> du livre de Job s’inscrit dans la réflexion sur la souffrance du juste<br />
<strong>que</strong> la pensée juive tenait de la religion mésopotamienne mais le texte vétéro-testamentaire<br />
ne débouche en rien sur ce qui sera la révélation christi<strong>que</strong>, la subversion du sacrificiel,<br />
toujours associé à la figure du maître. Par ailleurs, l’épilogue du livre de Job voit Dieu<br />
demander le sacrifice de sept taureaux <strong>et</strong> de sept béliers <strong>et</strong> Job recevoir, à nouveau, ses<br />
grâces <strong>et</strong> ses bienfaits qui lui procurèrent de nombreux biens matériels <strong>et</strong> une nombreuse<br />
descendance pour mourir vieux <strong>et</strong> rassasié de jours. Ce qui nous semble <strong>par</strong> contre plus<br />
intéressant dans le livre, c’est la présence auprès de Dieu de l’Adversaire, le diable,<br />
responsable des malheurs du per<strong>son</strong>nage.<br />
Le diable <strong>et</strong> la conception augustinienne de la <strong>«</strong> privatio boni ».<br />
Si nous revenons au début de <strong>notre</strong> essai, celui du <strong>«</strong> Seigneur, nous recognois<strong>son</strong>s <strong>que</strong><br />
toutes nos afflictions viennent de ta main qui est juste juge <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous t’avons<br />
instamment provoqué à courroux », nous voyons <strong>que</strong> le malheur des hommes provient de la<br />
justice vengeresse de la divinité. Nous avons vu qu’Héraclite écrivait exactement la même<br />
chose. A ce suj<strong>et</strong>, on peut faire le jeu de mot du Seigneur = saigneur. Pourquoi alors, dans le<br />
livre de Job, la présence de Satan, responsable des souffrances infligés au<br />
per<strong>son</strong>nage puis<strong>que</strong> dans un pur monothéisme c’est Dieu lui-même qui inflige les punitions<br />
en expiation des péchés ? CG Jung soutenant sa thèse de la <strong>«</strong> coïncidencia oppositorum »<br />
de bien <strong>et</strong> de mal en Dieu cite le pape Clément de Rome qui professait <strong>que</strong> Dieu régentait le<br />
monde avec une main droite <strong>et</strong> une main gauche. La main droite signifiait le <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> la main<br />
gauche Satan » (cf. Réponse à Job p. 244). Or si Satan est une <strong>«</strong> main dont viennent toutes<br />
nos afflictions », il est ainsi un équivalent des Erinnyes de Zeus qui punissaient l’hybris<br />
humain. D’un autre coté, tout comme Abraham est, comme modèle du <strong>«</strong> serviteur de dieu »,<br />
l’avocat de la défense des habitants de Sodome <strong>et</strong> Gomorre contre la colère de Dieu, le<br />
<strong>Christ</strong> serait donc bien, comme suprême serviteur de Dieu <strong>et</strong> dans une opti<strong>que</strong> sacrificielle,<br />
l’avocat de la défense qui apaise c<strong>et</strong>te colère de Dieu.<br />
C’est d’ailleurs ce <strong>que</strong> dit Job qui face à l’acharnement de l’Adversaire, ayant une délégation<br />
de Dieu lui-même, en appelle à un défenseur :<br />
Dès maintenant, j’ai dans le ciel un témoin,<br />
Là-haut se tient mon défenseur. (Job 16 : 19)<br />
Je sais, moi, <strong>que</strong> mon défenseur est vivant,<br />
Que lui, le dernier, se lèvera sur la terre » (Job 19 : 25).<br />
Néanmoins, Satan est avant tout celui qui tente <strong>et</strong> s’oppose à la loi morale, au décalogue qui<br />
interdit les désirs miméti<strong>que</strong>s. Une grande <strong>par</strong>t des articles des commandements divins<br />
concerne la convoitise des biens <strong>et</strong> la jalousie d’autrui. Caïn tue Abel <strong>et</strong> le diable est<br />
fondamentalement celui qui fait verser le sang d’autrui mais l’Ancien Testament répondait au<br />
sang versé <strong>par</strong> le sang versé. On sait <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> s’opposera à c<strong>et</strong>te loi du talion :<br />
10
<strong>«</strong> Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Et moi je <strong>vous</strong> dit de ne<br />
pas rendre coup pour coup au méchant. Au contraire, si <strong>que</strong>lqu’un te gifle sur la joue<br />
droite, tens-lui aussi l’autre. A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tuni<strong>que</strong>,<br />
laisse aussi ton manteau … afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux,<br />
car il fait lever <strong>son</strong> soleil sur les méchants <strong>et</strong> les bons, <strong>et</strong> tomber la pluie sur les justes <strong>et</strong><br />
les injustes » (Matthieu 5 : 38).<br />
A l’opposé des <strong>par</strong>ole du <strong>Christ</strong>, l’Ancien Testament ne rej<strong>et</strong>te pas radicalement le sang<br />
versé, avec la loi du talion, d’un coté <strong>et</strong> avec le sacrificiel, de l’autre. Si Dieu n’est pas<br />
vengeur <strong>et</strong> s’il est <strong>«</strong> bon pour les ingrats <strong>et</strong> les méchants » (Luc 6 : 35), l’Adversaire (Satan)<br />
se détache totalement de Dieu <strong>et</strong> devient l’accusateur public qui accuse injustement les<br />
innocents. Comme le dit René Girard, Satan est, pour le <strong>Christ</strong>, doublement meurtrier :<br />
meurtrier du prochain comme l’avait bien vu l’Ancien Testament mais meurtrier aussi du<br />
<strong>«</strong> sacrifié » , soi-disant <strong>«</strong> remède» pour apaiser la colère de Dieu, cause des déboires du<br />
groupe social. La loi morale qui s’oppose à la rivalité meurtrière s’associe à la loi sociale<br />
pour qui l’individu est source du désordre. En cela, <strong>«</strong> Yavhé » est une divinité fusionnant la<br />
figure du maître (loi sociale) <strong>et</strong> la figure du Père (la loi morale). Mais si l’ordre social luttant<br />
contre le désordre dû à l’individu asocial est en soi positif, il possède néanmoins un aspect<br />
négatif d’acharnement contre l’individu. Or la configuration psychi<strong>que</strong> du suj<strong>et</strong> humain de<br />
l’antiquité est un être encore amplement collectif <strong>et</strong> comme l’écrivait CG Jung dans <strong>son</strong> livre<br />
les Types psychologi<strong>que</strong>s <strong>«</strong> la psyché collective hait avec la même ardeur tout<br />
développement individuel sans utilité immédiate pour des fins collectives ” (p. 83). En fait, le<br />
sacrificiel, omniprésent dans l’horizon primitif, exprime c<strong>et</strong>te réalité psychi<strong>que</strong> collective du<br />
suj<strong>et</strong> archaï<strong>que</strong> <strong>et</strong> c’est pour cela <strong>que</strong> le processus de prise en compte de la per<strong>son</strong>ne sera<br />
une sortie du <strong>«</strong> sacrificiel ». Comment peut-on avoir l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu <strong>et</strong> le<br />
<strong>«</strong> souci des victimes » si celles-ci souffrent à cause de leurs péchés <strong>et</strong> reçoivent en souffrant<br />
leur légitime punition. Mais, on l’a déjà écrit, pour le <strong>Christ</strong>, le malheur est le fait du méchant<br />
qui fait du mal à autrui <strong>et</strong> si des innocents <strong>son</strong>t condamnés, c’est <strong>que</strong> l’ordre collectif a aussi<br />
un aspect négatif. S’il arrive <strong>que</strong> les méchants soient mis en souffrance, c’est <strong>que</strong>, <strong>«</strong> tombant<br />
sur un os », leur méchanc<strong>et</strong>é se r<strong>et</strong>ourne contre eux tel le scorpion qui se pi<strong>que</strong> ou le<br />
serpent qui s’auto-dévore. Judas, le traître <strong>et</strong> le méchant <strong>par</strong> excellence, se suicide <strong>et</strong> n’est<br />
en rien terrassé <strong>par</strong> la vengeance divine. Face aux dix-huit per<strong>son</strong>nes écrasées <strong>par</strong><br />
l’effondrement de la tour de Siloé, le <strong>Christ</strong> dit qu’elles ne <strong>son</strong>t pas coupables mais il ajoute<br />
qu’il faut se convertir pour de pas périr comme elles. C’est <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous nous situons du<br />
coté du mal <strong>que</strong> nous générons le malheur d’autrui, voire le nôtre <strong>par</strong> r<strong>et</strong>our du boomerang.<br />
Le <strong>Christ</strong> nous propose de nous libérer du mal <strong>et</strong>, nouveauté, ce qui était jusqu’alors légitime<br />
justice punitive de Dieu devient une nouvelle négativité diaboli<strong>que</strong> condamnant des<br />
innocents. C’est en cela <strong>que</strong> la nouveauté christi<strong>que</strong> au regard de l’Ancien Testament est<br />
une subversion du sacrificiel <strong>et</strong> non pas un sacrificiel plus <strong>par</strong>fait <strong>et</strong> définitif comme l’a<br />
compris, hélas, la plu<strong>par</strong>t du temps la chrétienté. Notre thèse veut <strong>que</strong> les rédacteurs des<br />
évangiles ont r<strong>et</strong>ranscrit les dires du <strong>Christ</strong> qui <strong>son</strong>t fondamentalement anti-sacrificiels au<br />
même moment où ils comprenaient sa passion de manière sacrificielle au regard du <strong>«</strong> juste<br />
souffrant » du second Isaïe. On peut le voir avec la reprise du Psaumes 118 qui, chez le<br />
<strong>Christ</strong> est subverti de sacrificiel en anti-sacrificiel alors qu’il est repris de manière sacrificielle<br />
dans les Actes des Apôtres (4 : 11). La <strong>«</strong> pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » est une<br />
<strong>«</strong> pierre d’achoppement » sur la<strong>que</strong>lle va se cogner <strong>et</strong> faire r<strong>et</strong>our en s’auto-détruisant la<br />
méchanc<strong>et</strong>é de ceux qui focalisent leur haine commune contre le <strong>«</strong> bouc émissaire ». La<br />
signification anti-sacrificielle de ce terme correspond à la signification moderne <strong>que</strong> nous<br />
donnons au <strong>«</strong> bouc émissaire ». La signification sacrificielle est, elle, archaï<strong>que</strong> car elle fait<br />
du <strong>«</strong> bouc émissaire », un <strong>«</strong> remède » qui apaise la colère de Dieu, justifie <strong>et</strong> sauve le<br />
groupe social en lui perm<strong>et</strong>tant de revenir en grâce auprès de lui <strong>et</strong> de bénéficier à nouveau<br />
de ses bienfaits. Chez le <strong>Christ</strong>, la <strong>«</strong> pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » symbolise la<br />
projection du <strong>«</strong> bouc émissaire » qui <strong>«</strong> tombe sur un os » <strong>et</strong> qui fait ainsi r<strong>et</strong>our dévastateur<br />
chez le suj<strong>et</strong> qui r<strong>et</strong>ourne contre lui c<strong>et</strong>te projection haineuse :<br />
11
<strong>«</strong> Et il se mit ensuite à dire au peuple c<strong>et</strong>te <strong>par</strong>abole : Un homme planta une vigne,<br />
l'afferma à des vignerons, <strong>et</strong> quitta pour longtemps le pays. Au temps de la récolte, il<br />
envoya un serviteur vers les vignerons, pour qu'ils lui donnassent une <strong>par</strong>t du produit de<br />
la vigne. Les vignerons le battirent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il envoya de nouveau un<br />
autre serviteur ; ils le battirent, l'outragèrent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il en envoya encore<br />
un troisième ; ils le blessèrent, <strong>et</strong> le chassèrent. Le Maître de la vigne dit : Que ferai-je ?<br />
J'enverrai mon fils bien-aimé ; peut-être auront-ils pour lui du respect. Mais, quand les<br />
vignerons le virent, ils rai<strong>son</strong>nèrent entre eux, <strong>et</strong> dirent : voici l'héritier ; tuons-le, afin <strong>que</strong><br />
l'héritage <strong>soit</strong> à nous. Et ils le j<strong>et</strong>èrent hors de la vigne <strong>et</strong> le tuèrent.<br />
[...] <strong>Jésus</strong>, les regardant en face, leur dit : Que signifie donc ce texte de l’Ecriture (<br />
Psaumes 118 - 22 ) : La pierre qu'ont rej<strong>et</strong>ée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la<br />
pierre angulaire ? Tout homme qui tombe sur c<strong>et</strong>te pierre sera brisé, <strong>et</strong> celui sur qui elle<br />
tombera, elle l’écrasera. » ( Luc 20 : 9)<br />
De la même manière, il dit <strong>que</strong> suite à la litanie histori<strong>que</strong> des meurtres du <strong>«</strong> tous contre<br />
un », le temps est venue avec lui du dévoilement du meurtre du <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens<br />
moderne du terme :<br />
<strong>«</strong> C’est pourquoi j’envoie vers <strong>vous</strong> des prophètes, des sages <strong>et</strong> des scribes. Vous en<br />
tuerez <strong>et</strong> m<strong>et</strong>trez en croix, <strong>vous</strong> en flagellerez dans vos synagogues <strong>et</strong> <strong>vous</strong> les<br />
pourchasserez de ville en ville, pour <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ombe sur <strong>vous</strong> le sang des justes répandu<br />
sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez<br />
assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel. En vérité, je <strong>vous</strong> le déclare, tout cela va<br />
r<strong>et</strong>omber sur c<strong>et</strong>te génération (Matthieu 23 – 34).<br />
Le <strong>«</strong> r<strong>et</strong>omber sur » a pour le <strong>Christ</strong> un sens, quasi psychanalyti<strong>que</strong>, opposé au sens<br />
magi<strong>que</strong> traditionnel. Nous avons vu <strong>que</strong> Moïse avait pris le sang des taureaux sacrifiés pour<br />
en asperger le peuple (Exode 24,8) <strong>et</strong> <strong>que</strong> le sang versé du sacrifice à toujours une valeur<br />
magi<strong>que</strong> <strong>et</strong> protectrice dans l’horizon ancien. A Pilate qui leur dit qu’il est innocent du sang<br />
de ce juste, le peuple répond : <strong>«</strong> <strong>que</strong> <strong>son</strong> sang r<strong>et</strong>ombe sur nous <strong>et</strong> sur nos enfants »<br />
Caïphe ne dit-il pas : <strong>«</strong> il est de <strong>notre</strong> intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple <strong>et</strong> <strong>que</strong><br />
la nation entière ne périsse pas ” (Jean 11- 50). Pour le <strong>Christ</strong>, c’est le contraire, le sacrificiel<br />
était histori<strong>que</strong>ment fini (même s’il n’a pas encore fini de nos jours de se perpétuer).<br />
Comme il était, lui, c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> Pierre » où l’ordre social sacrificiel juif viendrait se briser, il<br />
prophétisait sa destruction ; non <strong>que</strong> ce <strong>soit</strong> les anges vengeurs de Dieu qui seront<br />
responsables de c<strong>et</strong>te destruction (ce <strong>que</strong> dira, hélas, l’Apocalypse de saint Jean) mais<br />
<strong>par</strong>ce <strong>que</strong> sa propre négativité se r<strong>et</strong>ournera sur lui (<strong>«</strong> Satan chasse Satan »). La prophétie<br />
de la destruction du Temple, lieu <strong>par</strong> excellence du sacrifice, correspond symboli<strong>que</strong>ment à<br />
c<strong>et</strong>te destruction du sacrificiel <strong>et</strong> chez saint Paul, il n’y a de temple <strong>que</strong> le corps en voie de<br />
divinisation (corps de résurrection). Ce n’est <strong>que</strong> plus tard <strong>que</strong> les églises, nouveaux temples<br />
du nouvel Israël <strong>que</strong> <strong>son</strong>t devenus les chrétiens, r<strong>et</strong>rouveront le sempiternel autel de<br />
sacrifice, celui-là saint, uni<strong>que</strong> <strong>et</strong> définitif. <strong>«</strong> Chassez le naturel, il revient au galop » dit le<br />
proverbe <strong>et</strong> au lieu de concevoir c<strong>et</strong>te sortie, en toute généralité, du sacrificiel impliquant <strong>que</strong><br />
le <strong>«</strong> royaume du Père s’est approché », la chrétienté a proj<strong>et</strong>é <strong>et</strong> s’est déchargée sur le<br />
peuple juif déicide de c<strong>et</strong>te négativité fondamentale sacrificielle malgré une des <strong>par</strong>oles du<br />
<strong>Christ</strong>, on ne peut plus claire (Matthieu 23 - 29):<br />
<strong>«</strong> Malheur à nous, scribes <strong>et</strong> pharisiens hypocrites, <strong>vous</strong> qui bâtissez les sépulcres des<br />
prophètes (<strong>et</strong> du <strong>Christ</strong>) <strong>et</strong> décorez les tombeaux des justes, <strong>et</strong> <strong>vous</strong> dites : <strong>«</strong> si nous<br />
avions vécu du temps de nos pères (les juifs), nous n’aurions pas été leurs complices<br />
pour verser le sang des prophètes (<strong>et</strong> du <strong>Christ</strong>). Ainsi <strong>vous</strong> témoignez contre <strong>vous</strong>mêmes<br />
: <strong>vous</strong> êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes (<strong>et</strong> le <strong>Christ</strong>) ».<br />
12
Le <strong>Christ</strong>, psychanalyste ?<br />
Nous venons de voir <strong>que</strong> le <strong>«</strong> sang qui r<strong>et</strong>ombe sur nos têtes » n’a pas chez le <strong>Christ</strong> c<strong>et</strong>te<br />
valeur magi<strong>que</strong> sacrificielle mais qu’au contraire il impli<strong>que</strong> un r<strong>et</strong>our d’une projection<br />
négative, celle du <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens moderne du terme. Certes, on pourrait<br />
objecter <strong>que</strong> le terme de projection, terme central de la psychanalyse <strong>que</strong> Ja<strong>que</strong>s Lacan<br />
associe à l’ordre symboli<strong>que</strong> langagier est un terme moderne, donc anachroni<strong>que</strong> <strong>par</strong><br />
rapport à un texte de près de deux millénaires. Pourtant, la métaphore évangéli<strong>que</strong> de la<br />
paille <strong>et</strong> de la poutre traduit simplement <strong>et</strong> indéniablement c<strong>et</strong>te réalité psychi<strong>que</strong> de la<br />
projection. Pour la psychanalyse, il y a un temps narcissi<strong>que</strong> où le jugement moï<strong>que</strong> sur<br />
autrui se r<strong>et</strong>ourne contre le suj<strong>et</strong> lui-même. De là, le <strong>«</strong> <strong>vous</strong> serez jugés du jugement dont<br />
<strong>vous</strong> jugez ». Le <strong>Christ</strong> ne dit pas simplement <strong>que</strong> les pharisiens <strong>son</strong>t hypocrites mais qu’ils<br />
<strong>son</strong>t métaphori<strong>que</strong>ment <strong>«</strong> aveugles », c’est à dire qu’ils construisent à leurs yeux <strong>et</strong> aux yeux<br />
du monde un per<strong>son</strong>nage de respectabilité sociale alors <strong>que</strong> leur <strong>«</strong> intérieur » est tout à<br />
l’opposé. Ce qui ne veut pas dire <strong>que</strong> les pharisiens trompent les autres en étant conscients<br />
eux-mêmes de leur forfaiture. <strong>«</strong> Aveugle » veut dire inconscient :<br />
<strong>«</strong> Pharisien aveugle ! purifie d’abord le dedans de la coupe pour <strong>que</strong> le dehors aussi<br />
devienne pur. […] Vous ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle<br />
ap<strong>par</strong>ence mais au dedans ils <strong>son</strong>t pleins d’ossements de morts <strong>et</strong> d’impur<strong>et</strong>és de toutes<br />
sortes » (Matthieu 23 : 26) .<br />
C<strong>et</strong>te façon de voir correspond à une topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> bien <strong>par</strong>ticulière qui est, en<br />
psychanalyse, la topi<strong>que</strong> junguienne opposant l’âme contaminée <strong>par</strong> l’ombre opposé à la<br />
Per<strong>son</strong>a à la<strong>que</strong>lle s’identifie le moi (cf. la théorisation junguienne in <strong>«</strong> Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong><br />
de l’inconscient »). C<strong>et</strong>te opposition entre le moi <strong>et</strong> l’inconscient détermine une ambivalence<br />
psychi<strong>que</strong> névroti<strong>que</strong> <strong>que</strong> reconnaît le <strong>Christ</strong> lorsqu’il dit <strong>«</strong> Que votre <strong>par</strong>ole <strong>soit</strong> oui, oui ou<br />
non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin » (Matthieu 5 :37). On sait <strong>que</strong> l’humain peut<br />
vouloir consciemment de la main droite <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tre inconsciemment le bâton dans les roues<br />
de la main gauche. Les Evangiles contiennent la métaphore de la mai<strong>son</strong> construite sur du<br />
sable qui tend à être détruite au profit d’une construction plus solide <strong>et</strong> incorruptible ; ce qui<br />
impli<strong>que</strong> un processus de transformation psychi<strong>que</strong> m<strong>et</strong>tant en acte une force de destruction<br />
nécessaire à la remise en cause du <strong>«</strong> faux-self ». L’ombre négative qui s’oppose à la<br />
Per<strong>son</strong>a est généralement proj<strong>et</strong>ée sur nos nombreuses <strong>«</strong> têtes de turcs » mais il arrive <strong>que</strong><br />
le <strong>«</strong> refoulé proj<strong>et</strong>é » fasse r<strong>et</strong>our, m<strong>et</strong>te le suj<strong>et</strong> dans l’ambivalence <strong>et</strong> lui détruise la<br />
Per<strong>son</strong>a, la mai<strong>son</strong> construite sur du sable. Mais c<strong>et</strong>te négativité n’a de sens <strong>que</strong> pour<br />
perm<strong>et</strong>tre un processus de transformation intérieur qui se symbolisait, à une épo<strong>que</strong> préscientifi<strong>que</strong>,<br />
<strong>par</strong> le processus alchimi<strong>que</strong> comme CG Jung, à la suite de Herbert Silberer, l’a<br />
montré. La recherche du <strong>«</strong> Royaume du Père qui est en nous <strong>et</strong> <strong>par</strong>mi nous » dont <strong>par</strong>le le<br />
<strong>Christ</strong> est un processus intérieur psychologi<strong>que</strong> <strong>et</strong> non une <strong>«</strong> justification » magi<strong>que</strong> du fait<br />
de la foi en <strong>Christ</strong> sachant, néanmoins, <strong>que</strong> celui-ci est une figure intérieure centrale dans ce<br />
processus mysti<strong>que</strong>. Tout enfant masculin attribue au <strong>par</strong>ent de <strong>son</strong> sexe <strong>son</strong> futur être<br />
adulte d’insertion dans le groupe social, c’est le <strong>«</strong> mon papa, il est pompier » mais à <strong>par</strong>tir de<br />
l’adolescence, au moment de l’accession à la fonction génitale, fonction de l’espèce, le suj<strong>et</strong><br />
humain se re-approprie ce per<strong>son</strong>nage d’insertion sociale <strong>que</strong> CG Jung dénomme la<br />
Per<strong>son</strong>a au<strong>que</strong>l le moi s’identifie. C<strong>et</strong> être social adulte avec ses normes <strong>et</strong> ses idéaux se<br />
caractérise <strong>par</strong> trois fonctions : la fonction professionnelle, la fonction matrimoniale <strong>et</strong> la<br />
fonction <strong>par</strong>entale, toutes trois <strong>son</strong>t avec la fonction génitale au service du groupe social<br />
sous l’égide de la figure du maître pour assurer la pérennité du groupe. Néanmoins, c<strong>et</strong>te<br />
structuration adulte n’est pas la <strong>«</strong> fin des fins » de tout développement psychi<strong>que</strong>. L’être<br />
adulte avec sa fonction paternelle attribue à l’enfant un autre être, infantile celui-là<br />
d’ap<strong>par</strong>tenance à une communauté située sur une autre scène <strong>que</strong> la scène sociale. C’est<br />
en cela <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> dit qu’il faut redevenir comme un enfant <strong>et</strong> se faire eunu<strong>que</strong> pour entrer<br />
dans le <strong>«</strong> Royaume du Père » qui est en ce monde mais pas de ce monde.<br />
13
Il n’est, bien entendu, pas <strong>que</strong>stion de <strong>«</strong> rester un enfant » mais de <strong>«</strong> redevenir un enfant »<br />
sans pour autant détruire ce qu’a de légitime l’être adulte inséré socialement. Tout comme<br />
l’ordre social possède, à coté de sa dimension légitime, un aspect négatif qui est ce<br />
mécanisme du <strong>«</strong> bouc émissaire », la fonction <strong>par</strong>entale qui a pour fonction de faire grandir<br />
<strong>et</strong> vivre les enfants, a un aspect négatif qui tend à aliéner un ou plusieurs des enfants de la<br />
fratrie. La célèbre psychanalyste d’enfants Maud Mannoni, montre dans ses écrits <strong>que</strong><br />
lorsqu’un enfant névroti<strong>que</strong>, voire psychoti<strong>que</strong>, commence à aller mieux <strong>et</strong> s’engage sur le<br />
chemin de la guéri<strong>son</strong>, c’est un autre enfant de la fratrie qui développe alors des symptômes<br />
ou bien l’un des <strong>par</strong>ents qui déraille à <strong>son</strong> tour ou bien se suicide. Pour le courant antipsychiatri<strong>que</strong><br />
des années soixante-dix <strong>et</strong> quatre-vingt, le <strong>«</strong> fou » était également conçu<br />
comme le <strong>«</strong> bouc émissaire » du groupe. La fonction paternelle négative <strong>et</strong> le mécanisme du<br />
<strong>«</strong> bouc émissaire », négativité de l’ordre social <strong>son</strong>t étroitement liés <strong>et</strong> c’est pourquoi,<br />
souvent, dans l’horizon archaï<strong>que</strong>, le <strong>«</strong> sacrificiel » incluait l’immolation d’un des enfants de<br />
la famille. <strong>«</strong> Redevenir un enfant » <strong>et</strong> <strong>«</strong> sortir du sacrificiel » <strong>son</strong>t concomitants dans les<br />
<strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> pour pouvoir accéder à ce <strong>«</strong> Royaume du Père » <strong>et</strong> tout <strong>son</strong> enseignement<br />
en <strong>par</strong>aboles renvoie à ce processus psychi<strong>que</strong> mysti<strong>que</strong> intérieur. Par contre, la conception<br />
archaï<strong>que</strong> de la <strong>«</strong> justification » <strong>par</strong> la mort salvatrice fait écran à c<strong>et</strong> enseignement à la<br />
différence du motif mythi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » comme on peut le voir chez saint Paul<br />
avec la transformation du <strong>«</strong> vieil Adam » <strong>et</strong> la <strong>«</strong> renaissance en <strong>Christ</strong> ». C<strong>et</strong>te opposition<br />
entre la <strong>«</strong> mort salvatrice <strong>«</strong> <strong>et</strong> le <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » est manifeste chez les dissenters de<br />
Luther comme l’a très bien analysé Alexandre Koyré (La philosophie de Jacob Boehme p.<br />
44-46):<br />
<strong>«</strong> Un trait commun unissait, en eff<strong>et</strong>, tous ces opposants [à Luther] : pour eux, le salut, la<br />
justification, la régénération, la <strong>«</strong> seconde naissance » étaient <strong>et</strong> devaient être <strong>que</strong>l<strong>que</strong><br />
chose de réel, <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui se passe dans l’âme réellement, <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui<br />
l’illumine, la transforme, la régénère réellement <strong>et</strong> effectivement.<br />
Pour tous la justification … se fait ad intra <strong>et</strong> non ab extra ; l’âme justifiée est une âme<br />
purifiée, une âme renouvelée. Il est fort compréhensible <strong>que</strong> rien ne leur ait semblé plus<br />
apte à rendre, à illustrer, à symboliser, à expli<strong>que</strong>r <strong>et</strong> à saisir ce processus <strong>que</strong> les<br />
formules <strong>et</strong> les notations de l’alchimie…. C’était déjà <strong>par</strong> des formules <strong>et</strong> des<br />
com<strong>par</strong>ai<strong>son</strong>s alchimi<strong>que</strong>s <strong>que</strong> Maître Eckhart expliquait ou plutôt exemplifiait le<br />
processus mysti<strong>que</strong>…. Contre les tenants de la justification ab extra per remissionem<br />
culpae, ceux qui aspiraient à une justification ab intra per tranmutationem realem étaient<br />
disposaient à accueillir les formules des alchimistes ».<br />
Dans la structuration psychi<strong>que</strong> humaine, il y a un temps infantile vers l’âge de trois ans de<br />
différenciation sexuelle où l’identification moï<strong>que</strong> à <strong>son</strong> sexe biologi<strong>que</strong> refoule la<br />
caractéristi<strong>que</strong> féminine <strong>que</strong> CG Jung dénomme l’âme. Comme le moi construit <strong>par</strong><br />
l’éducation des images de lui-même au regard de valeurs idéalistes (Moi idéal <strong>et</strong> Idéal du<br />
moi), ces non-valeurs <strong>son</strong>t refoulées <strong>et</strong>, venant contaminer l’âme, elles forment l’ombre <strong>que</strong><br />
l’on proj<strong>et</strong>te <strong>et</strong> criti<strong>que</strong> sur autrui. Toujours dans la théorie junguienne, avec la perte de la<br />
projection <strong>et</strong> le r<strong>et</strong>our du refoulé, fait r<strong>et</strong>our également la <strong>par</strong>tie féminine qui est l’âme,<br />
fonction mysti<strong>que</strong> <strong>et</strong> spirituelle de relation au monde intérieur. En fait, lors<strong>que</strong> l’âme<br />
contaminée <strong>par</strong> l’ombre fait r<strong>et</strong>our, se m<strong>et</strong>tent en acte une dimension persécutrice<br />
(identification à l’être négatif <strong>que</strong> l’on critiquait au<strong>par</strong>avant en autrui) <strong>et</strong> une dimension<br />
homosexuelle (identification à la <strong>par</strong>tie féminine). On sait <strong>que</strong> la psychanalyse repère ces<br />
deux caractéristi<strong>que</strong>s persécutrice <strong>et</strong> homosexuelle dans les névroses <strong>et</strong> les psychoses (cf.<br />
l’analyse <strong>par</strong> S. Freud du Président Scheber). Ce qui est intéressant dans la théorie<br />
junguienne, c’est qu’avec le r<strong>et</strong>our de l’ombre, accèdent aussi des fonctions psychologi<strong>que</strong>s<br />
jus<strong>que</strong> là refoulées <strong>et</strong> non développées <strong>par</strong> le suj<strong>et</strong>. Dans le cas de l’homme de type pensée<br />
<strong>et</strong> sensation extravertis, font r<strong>et</strong>our pour être développées, les fonctions sentiment <strong>et</strong> intuition<br />
introvertis propre à la spiritualité. Néanmoins, le moi ne doit en rien s’identifier à l’âme qui<br />
reste autonome dans la mesure où elle <strong>«</strong> <strong>par</strong>le » de manière métaphori<strong>que</strong> du monde<br />
intérieur mais plus à l’insu du moi.<br />
14
C<strong>et</strong>te autonomie de l’âme perm<strong>et</strong> ainsi un décentrage de la per<strong>son</strong>nalité réunissant d’un<br />
coté, le moi tourné vers le monde extérieur <strong>et</strong> l’âme tournée vers le monde intérieur :<br />
La symboli<strong>que</strong> hermaphrodite <strong>que</strong> l’on trouve dans les grimoires alchimi<strong>que</strong>s symbolise c<strong>et</strong>te<br />
réunion du masculin <strong>et</strong> du féminin dans le <strong>«</strong> Rebis » , but final du processus alchimi<strong>que</strong>. On<br />
sait aussi <strong>que</strong> le stade initial de ce processus est la <strong>«</strong> nigredo » associée aux corbeaux, au<br />
noir Saturne <strong>et</strong> à la dépression mélancoli<strong>que</strong> ainsi qu’à la mise en acte de l’ouroboros, le<br />
serpent qui s’auto-dévore (la tendance suicidaire).<br />
Tout comme chez Dante Alighieri, l’âme féminine qui était proj<strong>et</strong>ée dans l’obj<strong>et</strong> du désir<br />
amoureux devient la <strong>«</strong> guide intérieure » <strong>et</strong> de ce fait, la réalisation de l’hermaphrodite n’est<br />
<strong>que</strong> le début d’une recherche intérieure dont le but est l’accession à ce <strong>«</strong> Royaume du<br />
Père ». Tout comme à une phase infantile, il y a la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite <strong>et</strong> le<br />
refoulement du féminin <strong>par</strong> le p<strong>et</strong>it bonhomme qui s’identifie à <strong>son</strong> sexe biologi<strong>que</strong>, avec<br />
l’accession à l’être adulte socialement responsable, c’est l’être infantile qui est refoulé. Mais<br />
tout comme il y a un processus de réunion des contraires <strong>par</strong> une structuration<br />
extravertie/introvertie, de même, il y a une réunion des contraires entre l’être adulte <strong>et</strong> l’être<br />
infantile <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te réunion est le but du cheminement spirituel intérieur : une structuration entre<br />
une ap<strong>par</strong>tenance adulte responsable au groupe social <strong>et</strong> une ap<strong>par</strong>tenance infantile à une<br />
communauté, l’église invisible, corps mysti<strong>que</strong> du <strong>Christ</strong> qu’il ne faut en rien identifier aux<br />
églises institutionnelles qui n’en possèdent <strong>que</strong> la clé de la porte d’entrée. La réunion des<br />
contraires, but des processus psychologi<strong>que</strong>s intérieurs libère du mal dans la mesure où le<br />
mal est la négation de l’antagoniste. Au début du processus psychi<strong>que</strong> se trouve un mixte de<br />
bien <strong>et</strong> de mal, d’être <strong>et</strong> de non-être comme s’exprimait Raymond Lulle, le mixtum des<br />
alchimistes mais la <strong>«</strong> cause finale », le but à atteindre du processus est l’Être, le <strong>«</strong> summum<br />
bonum », tout comme la clarté du jour émerge du clair-obscur de l’aurore. Le mal est une<br />
réalité efficiente mais du fait qu’il s’auto-détruit (<strong>«</strong> Satan chasse Satan » - Matthieu 12:26,<br />
Marc 3:26) <strong>et</strong> dis<strong>par</strong>aît à la fin du processus, il est en cela un <strong>«</strong> non-être », une <strong>«</strong> privatio<br />
boni ». Le psychanalyste CG Jung n’a eu de cesse de réfuter c<strong>et</strong>te conception augustinienne<br />
de la <strong>«</strong> privatio boni » pour marteler, dans toute <strong>son</strong> œuvre, <strong>que</strong> la divinité est une<br />
<strong>«</strong> coincidencia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal. Pourtant la lecture de <strong>son</strong> texte majeur<br />
intitulé <strong>«</strong> Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong> de l’inconscient » montre, dans le développement des<br />
fonctions psychologi<strong>que</strong>s, un passage de la négativité à la positivité <strong>et</strong> l’âme inconsciente,<br />
elle-même dénommée <strong>«</strong> démonia<strong>que</strong> » à l’origine du processus de transformation, y devient<br />
un guide secourable <strong>par</strong>eil à un <strong>«</strong> ange gardien ». Le processus de transformation y ap<strong>par</strong>aît<br />
<strong>par</strong>eil à un processus d’immunisation contre les tendances négatives comme si le suj<strong>et</strong> avait<br />
construit c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> mai<strong>son</strong> indestructible construite sur le roc ». Il écrit (p. 213) <strong>que</strong> le<br />
processus d’individuation perm<strong>et</strong> au suj<strong>et</strong> d’acquérir une<strong>«</strong> protection contre les puissances<br />
invisibles qui vivent en lui ".<br />
15
Néanmoins, pour prouver sa conception de la <strong>«</strong> coincidencia oppositorum », le maître de<br />
Küsnacht cite l’Apocalypse de saint Jean qui serait une compensation violente à<br />
l’unilatéralité de la conception du Dieu Père uni<strong>que</strong>ment d’amour des <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> :<br />
<strong>«</strong> …Je vais venir à toi pour combattre ces gens avec l’épée de ma bouche .<br />
[…] Je vais j<strong>et</strong>er Jézabel sur un lit de souffrance .. <strong>et</strong> ses enfants, je vais les frapper de<br />
mort.<br />
[…] Car il est arrivé le grand jour de la colère de l’Agneau.<br />
[…] Le Fils de l’Homme tient dans ses mains une faucille aiguisée … <strong>et</strong> il en coula du<br />
sang qui monta jusqu’au mors des chevaux sur une distance de mille six cents stades.<br />
[…] Les sept Anges porteurs des sept coupes, pleines de la colère de Dieu, vont<br />
répandre les sept fléaux sur le monde… »<br />
[…] Les yeux du cavalier <strong>son</strong>t une flamme ardente,<br />
Il est revêtue d’un manteau trempé de sang,<br />
De sa bouche sort un glaise acéré pour en frapper les nations.<br />
Il foulera la cuve où bouillonne le vin de la colère du Dieu Tout-Puissant, <strong>et</strong>c… »<br />
Néanmoins, la conception junguienne du rêve <strong>et</strong> de la vision est erronée car ceux-ci se<br />
situent, à l’opposé, sur le lieu de l’interdit (inter-dit), le lieu de la représentation<br />
psychologi<strong>que</strong> à la<strong>que</strong>lle il faut renoncer. Pourtant, dans <strong>son</strong> livre consacré à l’Ancien <strong>et</strong> au<br />
Nouveau Testament intitulé Réponse à Job, il voit bien <strong>que</strong> le cheminement histori<strong>que</strong> de la<br />
conscience humaine impliquait une transformation de l’image de Dieu.<br />
La métamorphose de la divinité<br />
Dans <strong>son</strong> livre Les racines de la conscience ( p. 295), le psychanalyste suisse écrit qu’ <strong>«</strong> au<br />
XVII e siècle encore, le savant jésuite Nicolas Caussin interprète le monoceros [l'animal à une<br />
corne - la licorne] comme le symbole le plus adéquat pour désigner le Dieu de l'Ancien<br />
testament ... tel un rhinocéros furieux. Mais, finalement, soumis <strong>par</strong> l'amour à une Vierge<br />
pure, il s'est transformé dans <strong>son</strong> sein en un Dieu d'Amour." On peut voir <strong>que</strong> la Vulgate, la<br />
Bible du renouveau carolingien réalisée selon les traductions latines de saint Jérôme (V e<br />
siècle), fait dans Job (39) <strong>et</strong> dans Psaumes (28) de l'unicorne <strong>et</strong> du rhinocéros, les symboles<br />
de la puissance <strong>et</strong> de la colère vengeresse de Dieu.<br />
Manifestement, le Dieu-Père d’amour des <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> qui <strong>«</strong> est bon avec les<br />
méchants » est différent du Dieu justicier <strong>et</strong> vengeur de l’Ancien Testament. L’image de Dieu<br />
s’est réellement modifiée. Pour certains penseurs chrétiens, c<strong>et</strong>te transformation qui, on l’a<br />
vu, rej<strong>et</strong>te le <strong>«</strong> sacrificiel », serait, au contraire, le fait du <strong>«</strong> sacrifice » de <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong>.<br />
Ce sacrifice, dans <strong>son</strong> unicité, aurait rompu la malédiction du péché originel <strong>et</strong> définitivement<br />
réconcilié Dieu avec les hommes. Sous-entendu, Dieu n’est plus un Dieu de colère mais<br />
désormais, un Dieu d’amour qui est bon aussi pour les méchants. C’est la thèse qu’a rejoint<br />
René Girard dans ses écrits tardifs : le sacrifice du <strong>Christ</strong> libère du sacrificiel. A noter <strong>que</strong><br />
c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale n’est pas celle des nouveaux curés traditionalistes anti-<br />
Vatican II pour qui Dieu est toujours coléreux <strong>et</strong> qui nous font rechanter à la messe ce type<br />
de refrain :<br />
Priez pour nous, ô Vierge tutélaire,<br />
Car <strong>notre</strong> esquif menace de sombrer :<br />
Dieu nous punit, les flots de sa colère<br />
Montent toujours : Oh ! venez nous sauver !<br />
Or c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale qu’a rejoint René Girard est celle <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ient CG Jung<br />
dans <strong>son</strong> texte <strong>«</strong> Réponse à Job » <strong>et</strong> qui était, certainement, celle de l’église protestante de<br />
Zurich, à <strong>son</strong> épo<strong>que</strong>. De ce fait, il n’oppose, pas comme nous le fai<strong>son</strong>s, les <strong>par</strong>oles antisacrificielles<br />
du <strong>Christ</strong> à la dogmati<strong>que</strong> sacrificielle puisqu’il associe le Dieu unilatéralement<br />
bon à la mort sacrificielle du <strong>Christ</strong> (p. 156) :<br />
16
<strong>«</strong> De Dieu, en tant <strong>que</strong> bon Père qui est l’amour per<strong>son</strong>nifié, on serait en droit d’attendre<br />
un <strong>par</strong>don compréhensif. Mais <strong>que</strong> l’Être suprêmement bon se fasse ach<strong>et</strong>er c<strong>et</strong> acte de<br />
grâce <strong>par</strong> le sacrifice d’une vie humaine, c’est à dire <strong>par</strong> le meurtre de <strong>son</strong> propre fils,<br />
cela est ressenti comme un choc inattendu. […] Or, il faut bien se m<strong>et</strong>tre en présence<br />
des faits : le Dieu de bonté est à ce point inconciliant <strong>et</strong> implacable qu’il ne se laisse<br />
apaiser qu’au prix du sacrifice d’un homme ! il y a là <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d’intolérable <strong>que</strong> la<br />
sensibilité moderne ne <strong>par</strong>vient plus à accepter sans autre forme de procès, car <strong>que</strong>lle<br />
puissance d’aveuglement ne faut-il pas avoir pour ne point discerner la lumière crue <strong>que</strong><br />
ces circonstances proj<strong>et</strong>tent sur le caractère divin, ramenant à un men<strong>son</strong>ge tout ce<br />
verbiage d’amour <strong>et</strong> de summum bonum ? »<br />
Nous sommes d’accord pour dire <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale est <strong>«</strong> intolérable<br />
pour la sensibilité moderne » mais pas pour acquiescer à la thèse de <strong>son</strong> évangile éternel,<br />
celui du <strong>«</strong> on peut aimer Dieu <strong>et</strong> on doit le craindre » (p. 199), sa thèse de la <strong>«</strong> coïncidencia<br />
oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal en Dieu. Pour CG Jung, le Dieu christi<strong>que</strong> de bonté est une<br />
unilatéralité de bien qui aurait refoulé le mal, ce mal refoulé qui aurait soi-disant<br />
<strong>«</strong> explosé » dans le nazisme rendant ainsi responsable le vrai christianisme (!) de ce terrible<br />
épisode de l’Histoire. Dans d’autres textes, nous avons essayé de montrer <strong>que</strong> la conception<br />
religieuse de l’Histoire de CG Jung était erronée car il la pose duelle alors qu’elle est<br />
quaternaire. Pour lui, l’unilatéralité du Dieu de bonté du <strong>Christ</strong> serait le lieu d’une<br />
différenciation histori<strong>que</strong> unilatérale du conscient masculin refoulant la féminité (<strong>et</strong> le mal)<br />
dans l’inconscient. Or, il est manifeste <strong>que</strong> la sortie du sacrificiel <strong>et</strong> le r<strong>et</strong>our de la projection<br />
sur le <strong>«</strong> bouc émissaire » amènent avec eux la différenciation des valeurs féminines<br />
maternelles, celle de l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu, le <strong>«</strong> souci des victimes ». En fait, le<br />
maître de Küsnacht essaie d’appli<strong>que</strong>r <strong>son</strong> intéressante topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> à la philosophie<br />
de l’Histoire mais c’est une erreur car celle-ci n’est pas duelle mais quaternaire. Le point<br />
médian, ce n’est pas le <strong>Christ</strong> mais Moïse sur le Sinaï, temps numéro 2 de la différenciation<br />
de la Loi morale venant s’ajouter au temps numéro 1, celui de la différenciation de la volonté<br />
de puissance de l’ordre social <strong>par</strong> les grands empires civilisateurs de l’Antiquité. Et c’est un<br />
fait <strong>que</strong> ce deuxième temps, mar<strong>que</strong> une différenciation unilatérale des potentialités<br />
masculines refoulant des potentialités féminines. Mais déjà, avec le <strong>Christ</strong>, comme temps<br />
numéro 3, ap<strong>par</strong>aît c<strong>et</strong>te différenciation de la dimension maternelle de l’Amour du faible <strong>et</strong><br />
de l’exclu.<br />
La <strong>«</strong> crainte de Dieu » <strong>et</strong> sa conception pédagogi<strong>que</strong>.<br />
Dans <strong>son</strong> livre Réponse à Job, CG Jung écrit à juste titre qu’il n’y a de crainte <strong>que</strong> là où il y a<br />
un danger. Pour lui, l’œuvre de rédemption du <strong>Christ</strong> s’est proposée de libérer l’homme de la<br />
crainte de Dieu (p. 127). C<strong>et</strong>te conception sera aussi celle de Luther qui refusera la crainte<br />
de Dieu aux prédestinés <strong>que</strong> seule la foi en <strong>Christ</strong> sauve mais, chez lui, Dieu reste<br />
néanmoins terrible pour les damnées, c’est à dire pour la grande majorité de l’humanité,<br />
massa perditionis vouée aux enfers. Le sentiment religieux de la crainte de Dieu ne fait,<br />
chez le moine allemand, qu’aggraver la culpabilité de l’Homme <strong>et</strong> sa damnation. Pour CG<br />
Jung, c<strong>et</strong>te croyance en un Dieu devenu bon grâce au sacrifice de <strong>son</strong> propre fils<br />
<strong>«</strong> présuppose un man<strong>que</strong> de réflexion ou un sacrifice de l’intelligence (p. 127). Il écrit (p.133)<br />
: <strong>«</strong> la croyance à Dieu en tant <strong>que</strong> summum bonum est impossible à une conscience qui<br />
réfléchit. Une tête pensante ne se sent nullement libérée de la crainte de Dieu ». D’où <strong>son</strong><br />
refus du mal conçu comme une <strong>«</strong> privatio boni » <strong>et</strong> sa conception de la divinité conçue<br />
comme une <strong>«</strong> conjunctio oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal. Pour la catholicité traditionnelle,<br />
issue du Concile de Trente, même si la messe réactualise le sacrifice du <strong>Christ</strong>, apaise le<br />
courroux de Dieu <strong>et</strong> nous le rend propice (sacrifice propitiatoire), c<strong>et</strong>te colère divine reste<br />
effective <strong>et</strong> les hommes doivent toujours <strong>«</strong> craindre » Dieu <strong>et</strong> faire de <strong>«</strong> bonnes œuvres »<br />
pour être <strong>«</strong> justifié » <strong>et</strong> être récompensé <strong>par</strong> le <strong>par</strong>adis.<br />
17
On sait <strong>que</strong> le Concile de Trente est le Concile de la Contre-Réforme dirigé <strong>par</strong>ticulièrement<br />
contre Luther. Mais durant le XIX e siècle, on trouve des penseurs catholi<strong>que</strong>s, de bon<br />
niveau, qui essayèrent de formaliser toute c<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> concernant le sacrificiel <strong>et</strong> la<br />
crainte de Dieu de manière un peu différente. Certains d’entre eux comme <strong>par</strong> exemple,<br />
l’évê<strong>que</strong> d’Angers Freppel s’en référèrent à Clément d’Alexandrie (II e siècle) dont l’école était<br />
très peu sacrificielle <strong>et</strong> très dévalorisante concernant la crainte de Dieu qui était, pour elle, le<br />
degré le plus inférieur <strong>et</strong> le plus im<strong>par</strong>fait des sentiments religieux. Pour l’école d’Alexandrie,<br />
la recherche du royaume de Dieu était pour le vrai chrétien qu’il dénommait le <strong>«</strong> vrai<br />
gnosti<strong>que</strong> », une élévation de l’âme, <strong>par</strong> la connaissance <strong>et</strong> <strong>par</strong> amour, vers la béatitude de<br />
l’union mysti<strong>que</strong> . Dans les Stromates, c<strong>et</strong> élève du stoïcien chrétien Pantène élabore toute<br />
une échelle des vertus <strong>et</strong> des sentiments religieux où la crainte est quasiment une nonvaleur.<br />
Son seul intérêt reconnu résidait dans le fait qu’elle <strong>«</strong> peut détacher l’homme du<br />
péché, lui inspirer la résolution de changer de vie » à condition <strong>que</strong> cela le conduise à une<br />
crainte moins égoïste <strong>et</strong> plus désintéressée, la <strong>«</strong> crainte filiale » ; c’est à dire la crainte<br />
d’offenser <strong>son</strong> père. Il est vrai <strong>que</strong> lorsqu’on aime <strong>que</strong>lqu’un, on a peur <strong>et</strong> on craint de le<br />
blesser mais est-ce vraiment de la crainte ? Pour s’opposer à Luther qui faisait de la<br />
<strong>«</strong> crainte » un sentiment mauvais, contraire à l’Evangile <strong>et</strong> pour être conforme au Concile de<br />
Trente, l’évê<strong>que</strong> angevain va chercher c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> crainte filiale » chez Clément d’Alexandrie.<br />
Il reconnaît néanmoins <strong>que</strong> <strong>«</strong> tout le monde accorde <strong>que</strong> la loi du Sinaï, avec ses menaces<br />
<strong>et</strong> ses terreurs, était une loi de crainte plutôt qu’une loi d’amour ; le christianisme, au<br />
contraire, se résume dans la loi de charité qui en est l’âme <strong>et</strong> l’essence » (cf. <strong>son</strong> texte<br />
Clément d’Alexandrie p. 377). Pour l’auteur des Stromates, il y a un développement<br />
progressif <strong>et</strong> une gradation ascendante du sentiment religieux <strong>et</strong> si l’Ancien Testament<br />
précède le Nouveau, la crainte de Dieu peut avoir un intérêt pédagogi<strong>que</strong> pour le repentir <strong>et</strong><br />
le changement de vie. Il y préfère néanmoins la <strong>«</strong> honte de soi » , celle de <strong>«</strong> l’homme qui<br />
recule devant le péché à cause de la laideur qu’il y découvre, ou qui s’en repent <strong>par</strong> suite de<br />
la honte intérieure qu’il éprouve : une <strong>par</strong>eille aversion a sans contredit une grande valeur<br />
morale <strong>et</strong> pré<strong>par</strong>e les voies à la justification » (ibidem p. 368). Le texte vétéro-testamentaire<br />
qui dit <strong>que</strong> <strong>«</strong> la crainte est le commencement de la sagesse » est pris au mot <strong>par</strong> le prêtre<br />
d’Alexandrie qui la comprend comme le début d’une accession à la sagesse, à la <strong>«</strong> gnose de<br />
l’union divine <strong>par</strong> amour », ultime <strong>et</strong> seul légitime sentiment religieux. La crainte doit<br />
détacher l’homme du mal <strong>et</strong> le pré<strong>par</strong>er à la sagesse. En fait, il écrit : <strong>«</strong> Ce n’est pas Dieu<br />
<strong>que</strong> je crains mais je crains d’être détaché de Dieu ». Néanmoins, il n’abandonne jamais la<br />
référence à la crainte <strong>et</strong> c’est ce qui intéresse les penseurs catholi<strong>que</strong>s tridentins en lutte<br />
contre le protestantisme qui bannit la crainte comme un sentiment mauvais. Comme pour la<br />
plu<strong>par</strong>t des systèmes philosophi<strong>que</strong>s <strong>et</strong> religieux qui ne différencient jamais la loi sociale<br />
punitive <strong>et</strong> la loi morale, ils n‘arrivent pas à comprendre <strong>que</strong> la loi morale christi<strong>que</strong> n’est pas<br />
punitive. Pour eux, refuser la crainte, c’est refuser la loi morale <strong>et</strong> il est vrai <strong>que</strong> le<br />
protestantisme rej<strong>et</strong>ait, concernant la <strong>«</strong> justification », les <strong>«</strong> bonnes œuvres » qui <strong>son</strong>t le fait<br />
de la loi morale. Or, nous l’avons vu, pour le <strong>Christ</strong>, le mal fait mal à autrui <strong>et</strong>, des fois, se<br />
r<strong>et</strong>ourne contre le méchant lors<strong>que</strong> celui-ci tombe sur une <strong>«</strong> pierre d’achoppement ».<br />
Lorsqu’il prophétise la destruction du Temple <strong>et</strong> du système social religieux juif, ce n’est pas<br />
<strong>par</strong>ce qu’il pense <strong>que</strong> Dieu le vengera de <strong>son</strong> injuste condamnation mais <strong>par</strong>ce <strong>que</strong>, se<br />
sachant la <strong>«</strong> pierre d’achoppement » histori<strong>que</strong> du système sacrificiel, il savait <strong>que</strong> leur<br />
négativité se r<strong>et</strong>ournerait contre eux, de la même manière <strong>que</strong> Judas l’a r<strong>et</strong>ournée contre lui<br />
en se suicidant. Parmi les Pères de l’Eglise, <strong>notre</strong> très platonisant Clément d’Alexandrie fut<br />
celui qui montra le plus d’indifférence à la hiérarchie ecclésiale car le christianisme était pour<br />
lui la doctrine d’un accomplissement spirituel individuel. Après lui, le mot <strong>«</strong> gnosti<strong>que</strong> » fut<br />
banni du langage de l’Eglise à cause des délires spéculatifs des gnosti<strong>que</strong>s dualistes contre<br />
les<strong>que</strong>ls s’acharnèrent d’autres penseurs chrétiens tel Irénée, Tertullien ou Epiphane. Non<br />
comptant de dévaloriser la crainte de Dieu <strong>et</strong> la punition de l’enfer sauf à en faire un<br />
déclencheur <strong>et</strong> dans la mesure où tout reste à faire, le prêtre d’Alexandrie refusait également<br />
la soif du bonheur éternel <strong>et</strong> de l’obtention du <strong>par</strong>adis. Ni la crainte des châtiments ni le désir<br />
des récompenses n’ont aucune <strong>par</strong>t à l’ultime <strong>et</strong> seul légitime sentiment religieux. Il n’y a<br />
d’autre récompense <strong>que</strong> Dieu lui-même avec qui on est éternellement uni.<br />
18
On sait <strong>que</strong> Fenelon, en lien transférentiel avec Mme de Guyon <strong>que</strong> l’on accusait de<br />
quiétisme, disait avoir trouvé dans les Stromates de Clément une autorité à l’appui de <strong>son</strong><br />
sentiment. Pour l’archevê<strong>que</strong> de Cambrai au<strong>que</strong>l s’opposa résolument Bossu<strong>et</strong>, <strong>«</strong> l’amour de<br />
Dieu doit rester, pour être vraiment pur, complètement désintéressé ». En fait, ce <strong>son</strong>t là les<br />
<strong>par</strong>oles de tous les mysti<strong>que</strong>s de la planète : la mort de l’ego, d’un coté, <strong>et</strong>, de l’autre, l’âme<br />
comme pure <strong>«</strong> béance » <strong>et</strong> <strong>«</strong> obj<strong>et</strong> <strong>par</strong>tiel <strong>et</strong> pur semblant » de la divinité. On voit <strong>que</strong> la<br />
spiritualité chrétienne possède de nombreuses fac<strong>et</strong>tes <strong>et</strong>, pour certaines, la dimension<br />
sacrificielle s’estompe grandement. Néanmoins, elle reste fondamentale dans la liturgie où la<br />
messe est le <strong>«</strong> saint sacrifice <strong>«</strong> <strong>par</strong> excellence. A lire les Evangiles, le <strong>Christ</strong> savait qu’il<br />
devait mourir mais était-ce vraiment comme <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens archaï<strong>que</strong> du terme,<br />
c’est à dire pour apaiser la colère de Dieu <strong>et</strong>, justifiant <strong>par</strong> c<strong>et</strong>te mort les humains, les<br />
réconcilier avec lui. Nous pen<strong>son</strong>s, nous, qu’il savait qu’il était appelé à jouer ce rôle<br />
histori<strong>que</strong> de la <strong>«</strong> Pierre qu’on rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » mais pas dans le sens du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire » traditionnel mais dans celui, moderne du terme. Il savait qu’il était c<strong>et</strong>te<br />
<strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle se briserait le système sacrificiel juif <strong>et</strong> avec lui, tous les systèmes<br />
sociaux religieux sacrificiels qui, depuis le commencement de l’Humanité, <strong>«</strong> condamnent des<br />
innocents ». La Croix m<strong>et</strong> en spectacle, comme le dit l’apôtre Paul, la loi sociale négative,<br />
celle des <strong>«</strong> puissances <strong>et</strong> des dominations », celle de Satan, l’accusateur public, le menteur<br />
<strong>et</strong> le meurtrier qui condamne les innocents. Dans un de ses premiers écrits, René Girard<br />
écrivait <strong>que</strong> la croix était un panneau de <strong>«</strong> publicité gigantes<strong>que</strong> donné en spectacle à la face<br />
du monde » montrant l’innocence de la victime injustement condamnée :<br />
<strong>«</strong> En clouant le <strong>Christ</strong> sur la croix, les puissances <strong>et</strong> les dominations (le <strong>«</strong> Prince de ce<br />
monde ») croyaient faire ce qu’elles font d’habitude en déclenchant le mécanisme<br />
victimaire, elles croyaient écarter une menace de révélation, elles se clouaient ellesmêmes<br />
sur la croix dont elles ne soupçonnaient pas le pouvoir révélateur …<br />
En déclenchant le mécanisme victimaire contre <strong>Jésus</strong>, Satan croyait protéger <strong>son</strong><br />
royaume, défendre <strong>son</strong> bien, sans se rendre compte qu’il faisait tout le contraire. Il faisait<br />
exactement ce <strong>que</strong> Dieu souhaitait qu’il fit. Seul Satan pouvait m<strong>et</strong>tre en route, sans s’en<br />
douter, le processus de sa propre destruction ».<br />
R. Girard - Je vois Satan tomber comme l’éclair p.222 <strong>et</strong> 235.<br />
C<strong>et</strong>te façon de voir s’oppose à concevoir la croix comme un nouveau <strong>«</strong> grigri » qui,<br />
lorsqu’on le touche, nous apporte des bienfaits <strong>et</strong> des grâces. Si la mort du <strong>Christ</strong> nous<br />
délivre du péché, ce n’est certainement pas des péchés contraires à la loi sociale de l’ordre<br />
divin mais du péché <strong>que</strong> représente l’aspect négatif de tout ordre social s’acharnant<br />
injustement contre la per<strong>son</strong>ne. Le temps histori<strong>que</strong> était arrivé où le système diaboli<strong>que</strong><br />
sacrificiel devait être détruit. Le <strong>Christ</strong> savait qu’il était c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle il se<br />
fracasserait r<strong>et</strong>ournant contre lui sa propre méchanc<strong>et</strong>é ( <strong>«</strong> Satan chasse Satan »)<br />
perm<strong>et</strong>tant ainsi qu’advienne enfin le <strong>«</strong> règne du Père », celui de la vérité, de la justice <strong>et</strong> de<br />
l’Amour. Qu’on relise le passage sur la répétition des meurtres <strong>«</strong> depuis Abel le juste<br />
jusqu’au sang de Zacharie <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel » (Matthieu<br />
23 – 34) <strong>et</strong> également la <strong>par</strong>abole des vignerons assassins (Matthieu 20 – 2) où le <strong>Christ</strong><br />
annonce qu’il est le fils de Dieu mais aussi la <strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle la négativité des<br />
bâtisseurs de l’ordre social se brisera <strong>et</strong> on verra <strong>que</strong> c’est c<strong>et</strong>te conception antisacrificielle<br />
de la mort du <strong>Christ</strong> qu’il aurait fallu r<strong>et</strong>enir <strong>et</strong> non sa compréhension au regard du <strong>«</strong> juste<br />
souffrant » du second Isaïe qui n’était qu’un <strong>«</strong> bouc émissaire » <strong>par</strong>mi tant d’autres soi-disant<br />
nécessaires à la <strong>«</strong> rémission des péchés <strong>par</strong> sa souffrance » qui seule apaise la colère de<br />
Dieu <strong>et</strong> le rend à nouveau propice. On pourrait dire, d’une certaine manière, <strong>que</strong>, sachant<br />
qu’il devait mourir <strong>et</strong> qu’il a accepté volontairement c<strong>et</strong>te épreuve, le <strong>Christ</strong> s’est offert en<br />
<strong>«</strong> sacrifice » mais on court le ris<strong>que</strong> de r<strong>et</strong>omber dans le <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> c’est pour cela qu’il<br />
faut renoncer au terme de <strong>«</strong> sacrifice » , trop connoté <strong>par</strong> <strong>son</strong> sens archaï<strong>que</strong>.<br />
19
Les <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> dévoilent une subversion du <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> il est dangereux de faire,<br />
comme le fait l’Epître aux hébreux qu’il faut exclure du corpus paulinien, de la mort du <strong>Christ</strong><br />
concernant la nouvelle alliance un équivalent, plus <strong>par</strong>fait, des sacrifices im<strong>par</strong>faits de<br />
l’ancienne alliance. Il n’y a de sacrifice <strong>que</strong> de sang versé <strong>et</strong> la mort ne peut en rien être<br />
salvatrice. L’essentiel du christianisme est la résurrection, c’est à dire une victoire contre la<br />
mort comme en avait l’intuition l’apôtre Paul (<strong>«</strong> Ô mort ! où est ta victoire » Corinthiens I,<br />
15:55). Outre d’être une prophétie, la destruction du Temple de Jérusalem est un signifiant<br />
de la destruction du sacrificiel. Malheureusement, la chrétienté ne le comprit pas <strong>et</strong> renoua<br />
amplement avec le sacrificiel en pure <strong>«</strong> continuité de l’histoire des religions » comme le<br />
signale CG Jung qui n’a jamais saisi, lui non plus, le message anti-sacrificiel des <strong>par</strong>oles du<br />
<strong>Christ</strong> :<br />
<strong>«</strong> Saint Pierre de Rome, ne l’oubliez pas, se dresse aujourd’hui à l’endroit où se<br />
déroulaient les taurobolia, les baptêmes de sang du culte d’Attis. Les grands prêtres de<br />
ce culte, en outre, portaient le titre de Papas – titre qui fut repris <strong>par</strong> le pape, le<strong>que</strong>l<br />
n’était au<strong>par</strong>avant <strong>que</strong> l’évê<strong>que</strong> de Rome … ».<br />
La rationalité scientifi<strong>que</strong> a <strong>«</strong> désenchanté » le monde <strong>et</strong>, beaucoup, <strong>par</strong>mi les modernes,<br />
<strong>son</strong>t nostalgi<strong>que</strong>s de la conception du monde religieuse des anciens qui donnait du <strong>«</strong> sens »<br />
à la vie. On se rappelle la chan<strong>son</strong> de Georges Brassens intitulé le Grand Pan.<br />
Histori<strong>que</strong>ment, c<strong>et</strong>te demande de re-enchantement du monde fut le fait du Romantisme,<br />
<strong>par</strong>ticulièrement de la philosophie romanti<strong>que</strong> allemande qui était en réaction à la<br />
philosophie des Lumières, l’Aufklarüng. Dans <strong>son</strong> introduction à sa Philosophie de la<br />
mythologie <strong>et</strong> de la révélation, le philosophe Schelling écrit <strong>que</strong> <strong>«</strong> les mythes <strong>son</strong>t le produit<br />
d’un processus indépendant de la pensée <strong>et</strong> de la volonté » <strong>et</strong> il s’y attribue le mérite d’avoir<br />
démontré <strong>que</strong> la psyché humaine est le subiectum agens de la mythologie. CG Jung<br />
s’inscrira à sa suite avec <strong>son</strong> <strong>«</strong> inconscient collectif <strong>et</strong> ses archétypes ». A <strong>par</strong>tir de l’intuition<br />
première de Creuzer <strong>et</strong> avant F. Ni<strong>et</strong>zsche, le philosophe souabe est de l’avis <strong>que</strong> la clef de<br />
compréhension de la mythologie est la figure de Dionysos qui ap<strong>par</strong>aît sous des noms <strong>et</strong> des<br />
figures diverses dans toutes les religions de la planète. Il <strong>par</strong>tage avec les romanti<strong>que</strong>s ainsi<br />
qu’avec GWF Hegel <strong>et</strong> plus tard avec F. Ni<strong>et</strong>zsche la conviction <strong>que</strong> le fait le plus important<br />
de la modernité est <strong>que</strong> <strong>«</strong> Dieu est mort » <strong>et</strong> <strong>que</strong> Apollon, tenu en équilibre dans la Grèce<br />
anti<strong>que</strong>, a écrasé Dionysos. Mais alors <strong>que</strong>, dans ses écrits de jeunesse, sa conception<br />
première de c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> nouvelle mythologie » s’opposait à la religion chrétienne, dans ses écrits<br />
de maturité, il énonce <strong>que</strong> le degré le plus élevé de la rédemption résulte dans la<br />
transformation de Dionysos en <strong>Christ</strong> sans la<strong>que</strong>lle l’humain reste captif de la mythologie <strong>et</strong><br />
n’atteint pas le but qui lui est réservé d’atteindre. Il comprend <strong>que</strong> dans l’Histoire de<br />
l’humanité il y a un processus de transformation de Dionysos en <strong>Christ</strong> car la seconde<br />
potentialité a un caractère franchement désaliénant pour les humains alors <strong>que</strong> la première<br />
est imprévisible, sauvage <strong>et</strong> peu aimable pour eux. Ni<strong>et</strong>zsche, lui, n’a pas eu ce recul face<br />
au danger <strong>que</strong> peut représenter ce r<strong>et</strong>our à la mythologie païenne pré-chrétienne, il accuse,<br />
tout à la fois Socrate <strong>et</strong> le christianisme <strong>et</strong> souhaite <strong>que</strong> Dionysos réoccupe la place du<br />
<strong>Christ</strong>. Pour lui, le christianisme associé à la métaphysi<strong>que</strong> post-socrati<strong>que</strong> <strong>son</strong>t<br />
responsables de la dégénérescence de l’humanité coupée de ses forces vivifiantes <strong>et</strong> il<br />
définit la divinité <strong>par</strong>eil à une <strong>«</strong> conjunctio oppositorum <strong>«</strong> de création <strong>et</strong> de destruction :<br />
<strong>«</strong> Savez-<strong>vous</strong> ce qu'est le monde pour moi ? ... un monstre de force ...une force une <strong>et</strong><br />
multiple comme un jeu de forces <strong>et</strong> d'ondes de force ... une mer de forces en tempête <strong>et</strong><br />
en flux perpétuel, éternellement entrain de changer ... un flux <strong>et</strong> un reflux de ses formes.<br />
Voilà mon univers dionysia<strong>que</strong>, qui se crée <strong>et</strong> se détruit éternellement ... comme une<br />
réalité pleine d'ivresse qui, à <strong>son</strong> tour, ne se préoccupe pas de l'individu, <strong>et</strong> même<br />
poursuit l'anéantissement de l'individu <strong>et</strong> sa dissolution libératrice <strong>par</strong> un sentiment<br />
d'identification mysti<strong>que</strong>".<br />
" Dionysos contre le "crucifié" : la voici bien, l'opposition. Ce n'est pas une différence<br />
quant au martyre - mais celui-ci a un sens différent.<br />
20
La vie même, <strong>son</strong> éternelle fécondité, <strong>son</strong> éternel r<strong>et</strong>our, détermine le tourment, la<br />
destruction, la volonté d'anéantir. Dans l'autre cas, la souffrance, le "crucifié" en tant qu'il<br />
est innocent sert d'argument contre c<strong>et</strong>te vie, de formule de sa condamnation"....<br />
L'individu a été si bien pris au sérieux <strong>par</strong> le christianisme, qu'on ne pouvait plus le<br />
crucifier : mais l'espèce ne survit <strong>que</strong> grâce aux sacrifices humains... la véritable<br />
philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l'espèce... Et c<strong>et</strong>te pseudo-humanité qui<br />
s'intitule le christianisme, veut précisément imposer <strong>que</strong> per<strong>son</strong>ne ne <strong>soit</strong> sacrifié.<br />
F. Ni<strong>et</strong>zsche Fragments posthumes<br />
Le romantisme, <strong>et</strong> après lui CG Jung, ont rai<strong>son</strong>, il y a un lieu dans le monde intérieur, lieu<br />
du symbolisme qui est une source de vitalité psychi<strong>que</strong>. L’âme est, de toujours, <strong>par</strong>eille à<br />
une <strong>«</strong> coupe » vide qui demande à être remplie de c<strong>et</strong>te énergéti<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> qui donne<br />
sens à la vie. Mais concevoir <strong>«</strong> l’inconscient collectif » comme lieu des <strong>«</strong> archétypes »<br />
archaï<strong>que</strong>s, forcément sacrificiels, on court le ris<strong>que</strong> de m<strong>et</strong>tre en acte ce qui est au<br />
fondement de la psyché collective qui, comme <strong>par</strong> ailleurs le reconnaît le psychanalyste<br />
suisse, <strong>«</strong> hait avec la même ardeur tout développement individuel sans utilité immédiate pour<br />
des fins collectives ” (Types psychologi<strong>que</strong>s p. 83). C<strong>et</strong>te haine est celle du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire », celle du <strong>«</strong> sacrificiel » car l’inconscient collectif est le fait de l’inconscience<br />
propre à l’horizon primitif dans le<strong>que</strong>l le suj<strong>et</strong> est un être collectif. Or la plu<strong>par</strong>t des<br />
<strong>«</strong> mythologues » regroupés autour de CG Jung n’étaient pas franchement des<br />
<strong>«</strong> progressistes de gauche » <strong>et</strong> beaucoup d’entre eux se <strong>son</strong>t compromis avec le fascisme <strong>et</strong><br />
le nazisme, lui-même fasciné <strong>par</strong> les religions orientales <strong>et</strong> la mythologie germani<strong>que</strong>.<br />
Certes, <strong>son</strong> disciple <strong>et</strong> traducteur français, Roland Cohen a défendu CG Jung d’avoir la<br />
moindre position anti-sémite mais en 1932, au moment de la montée du nazisme <strong>et</strong> de <strong>son</strong><br />
imminente prise de pouvoir, il co-organise à Zurich un séminaire sur le Yoga tantri<strong>que</strong> avec<br />
l’indianiste J. W. Hauer fondateur du Mouvement de la Foi allemande. Dans <strong>son</strong> livre de<br />
1933 intitulé La vision allemande de Dieu, ce notoire nazi proclamait <strong>«</strong> l’avènement d’une<br />
religion spécifi<strong>que</strong>ment allemande libérée de l’esprit sémite du christianisme … en étroite<br />
relation avec le mouvement national qui a conduit à la fondation du Troisième Reich». Le<br />
discours de CG Jung daté du 21 juin 1933 lors de <strong>son</strong> interview à la Radio de Berlin est plus<br />
<strong>que</strong> douteux. Dans <strong>son</strong> écrit sur Wotan (Odin) daté de 1936, reprenant <strong>son</strong> idée d’un<br />
inconscient collectif propre à cha<strong>que</strong> race, il fait la proposition <strong>que</strong> c’est le Dieu Wotan<br />
(Odin), divinité germani<strong>que</strong> qui s’est em<strong>par</strong>ée de l’Allemagne. C<strong>et</strong>te possession collective<br />
aurait été annoncée <strong>par</strong> certains philosophes <strong>et</strong> poètes allemands, Ni<strong>et</strong>zsche, Schuler,<br />
Klages <strong>et</strong> le poète Stefan George. En fait, il n’y a pas d’inconscient collectif propre à cha<strong>que</strong><br />
race <strong>et</strong> F. Ni<strong>et</strong>zsche ne s’en référait pas à Wotan mais à Dionysos qui lui est d’ailleurs<br />
similaire comme le reconnaît CG Jung lui-même. Si nous sommes tout à fait d’accord pour<br />
penser <strong>que</strong> le nazisme fut une psychose collective m<strong>et</strong>tant en acte une divinité archaï<strong>que</strong><br />
représentative d’un état psychi<strong>que</strong> où le suj<strong>et</strong> est un être collectif englouti dans le groupe<br />
social, nous refu<strong>son</strong>s d’en attribuer la cause au christianisme comme le fait le maître de<br />
Küsnacht. Tout comme les romanti<strong>que</strong>s <strong>et</strong> F. Ni<strong>et</strong>zsche avaient accusé la philosophie des<br />
Lumières d’avoir écrasé <strong>et</strong> refoulé Dionysos, CG Jung accuse le christianisme, surtout<br />
depuis la réforme, d’avoir <strong>par</strong> <strong>son</strong> Dieu unilatéral de bonté coupé en deux la divinité<br />
<strong>«</strong> coincidentia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal <strong>et</strong> d’avoir refoulé le mal qui aurait fait r<strong>et</strong>our<br />
dans la psychose collective nazie. En fait, le nazisme est, outre les rai<strong>son</strong>s sociales <strong>et</strong><br />
politi<strong>que</strong>s spécifi<strong>que</strong>s, le résultat d’une certaine dérive du romantisme allemand en<br />
opposition à la sclérose de l’esprit bourgeois du XIX e siècle. Avec c<strong>et</strong>te dérive, la culture<br />
germani<strong>que</strong> est <strong>«</strong> sortie de ses gonds » <strong>et</strong> détruisant les acquis histori<strong>que</strong>s concernant la<br />
morale <strong>et</strong> le souci des victimes a rechuté dans une configuration ancienne valorisant la<br />
volonté de puissance héroï<strong>que</strong> de l’ordre social <strong>et</strong> le dionysia<strong>que</strong> sexuel pré-mosaï<strong>que</strong>. Le<br />
problème de CG Jung est qu’il veut trouver dans toutes les manifestations religieuses, les<br />
symboles de sa topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong>, <strong>par</strong> ailleurs valable, de la <strong>«</strong> Per<strong>son</strong>a , de l’âme féminine<br />
<strong>et</strong> de l’ombre » <strong>et</strong> de la quaternité des fonctions psychologi<strong>que</strong>s.<br />
21
Le christianisme <strong>et</strong> sa divinité unilatérale de bonté serait ainsi le symbole d’un temps<br />
intermédiaire de différenciation unilatérale de la dimension masculine, cause du refoulement<br />
du mal <strong>et</strong> de la féminité. Le problème est <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> dérive » du romantisme dont nous<br />
<strong>par</strong>lons, n’était pas <strong>par</strong>ticulièrement féministe comme on peut le voir :<br />
" Nous en avons assez de souffrir pour des idées, des idéaux, des p<strong>et</strong>ites hypocrisies<br />
idéalisées <strong>et</strong> perverses aux<strong>que</strong>lles per<strong>son</strong>ne ne sait plus croire. Vous avez fait de la<br />
femme une espèce de divinité co<strong>que</strong>tte, cruelle <strong>et</strong> vampiri<strong>que</strong>.<br />
Vos femmes fatales, <strong>et</strong> vos femmes adultères, <strong>et</strong> vos femmes desséchées de vertu, nous<br />
ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos "divines". La femme est d'abord<br />
une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le mâle dominateur. Au lieu de<br />
chanter la courtoisie, nous chanterons les ruses du désir animal, l'emprise totale du sexe<br />
sur l'esprit. Et la grande innocence bestiale nous guérira de votre goût du péché, c<strong>et</strong>te<br />
maladie de l'instinct génési<strong>que</strong>. Ce <strong>que</strong> <strong>vous</strong> appelez morale, c'est ce qui nous rend<br />
méchants, tristes <strong>et</strong> honteux. Ce <strong>que</strong> <strong>vous</strong> appelez ordure, voilà ce qui peut nous<br />
purifiez. Vos tabous <strong>son</strong>t des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la Vie,<br />
c'est l'instinct libéré de l'esprit, la grande puissance solaire qui broie <strong>et</strong> magnifie l'individu<br />
fécond, la belle brute déchaînée ..."<br />
cité <strong>par</strong> Denis de Rougemont L'Amour <strong>et</strong> l'Occident p. 201<br />
La loi sociale n’est pas la loi morale <strong>et</strong> les diables <strong>et</strong> les démons pour la loi sociale <strong>son</strong>t des<br />
forces de désordre qui s’opposent à l’ordre social <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> fécondité des femmes <strong>et</strong> des<br />
champs ». La sorcière <strong>«</strong> noue les aiguill<strong>et</strong>tes » <strong>et</strong> s’oppose à la fonction matrimoniale. La loi<br />
sociale sous l’égide de la figure du maître ne s’oppose pas à la sexualité (le <strong>«</strong> croissez <strong>et</strong><br />
multipliez-<strong>vous</strong> » bibli<strong>que</strong>), à une sexualité néanmoins disciplinée <strong>et</strong> machiste. Par contre,<br />
c’est avec la différenciation de la loi morale anti-sexuelle <strong>que</strong> le diable devient une figure<br />
tentatrice au regard de la sexualité, le <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » <strong>par</strong>ticulièrement attaché aux<br />
monothéismes. De ce fait, il faut bien différencier la figure du <strong>«</strong> bouc émissaire », négativité<br />
proj<strong>et</strong>ée <strong>par</strong> l’aspect négatif de l’ordre social <strong>et</strong> la figure du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », négativité<br />
proj<strong>et</strong>ée <strong>par</strong> l’aspect négatif de la figure du Père moral. Tout comme le r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire » au fondement du sacrificiel impliquait la différenciation de la dimension<br />
maternelle de <strong>«</strong> l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu », le r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », associé à la<br />
femme dans la chrétienté médiévale, entraîne la différenciation d’une nouvelle dimension<br />
féminine, éroti<strong>que</strong> c<strong>et</strong>te fois, liée au désir libertaire qui, comme l’a formulé Jac<strong>que</strong>s Lacan,<br />
se soutient de la <strong>«</strong> béance » (le +phi). C’est le quatrième temps histori<strong>que</strong>, celui propre à<br />
l’Occident. Ce qu’on peut voir dans le texte cité précédemment de Denis de Rougement,<br />
c’est <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te dérive du romantisme qui, en lui-même, était légitimement travaillé <strong>par</strong> des<br />
tendances éroti<strong>que</strong>s féminoïdes opposées à une certaine morale virile aliénante, bascule<br />
dans la barbarie de la sexualité <strong>«</strong> machiste » liée à la volonté de puissance niant le <strong>«</strong> souci<br />
du faible <strong>et</strong> de l’exclu » christi<strong>que</strong>. Le quatrième temps histori<strong>que</strong>, propre à la modernité, doit<br />
se situer à la suite des différenciations positives précédentes au ris<strong>que</strong> sinon, d’être<br />
déraciner <strong>et</strong> de r<strong>et</strong>omber dans la barbarie comme cela s’est passé avec le nazisme.<br />
Il faut dire aux junguiens <strong>que</strong> la structuration histori<strong>que</strong> est quaternaire <strong>et</strong> non duelle <strong>et</strong> <strong>que</strong><br />
s’il est bien de r<strong>et</strong>rouver une dimension spirituelle <strong>et</strong> religieuse <strong>que</strong> l’esprit des lumières <strong>et</strong> la<br />
science moderne nous a fait perdre, ce n’est pas une rai<strong>son</strong> pour r<strong>et</strong>ourner dans une<br />
configuration religieuse archaï<strong>que</strong> avec ses <strong>«</strong> représentations archétypi<strong>que</strong>s <strong>«</strong>, pour la<br />
plu<strong>par</strong>t sacrificielles, au ris<strong>que</strong> de m<strong>et</strong>tre en acte à nouveau le sordide mécanisme du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire ». Aucun r<strong>et</strong>our possible au <strong>«</strong> sacré » car le <strong>«</strong> sacré » <strong>et</strong> le <strong>«</strong> numineux », cher à<br />
Rudolph Otto, renvoient sur le <strong>«</strong> sacrificiel », celui de <strong>«</strong> l’orgè théou »(colère de Dieu) <strong>et</strong> de la<br />
<strong>«</strong> tremenda majestas ». Il est quand même troublant <strong>que</strong> nombre de per<strong>son</strong>nes s’intéressant<br />
à l’ésotérisme <strong>et</strong> aux symbolismes de la mythologie <strong>et</strong> des religions aient été compromises<br />
avec le fascisme. En fait, le religieux archaï<strong>que</strong> est toujours lié comme nous pouvons le voir<br />
avec la conception du religieux chez le sociologue Durkheim <strong>et</strong> chez ses successeurs à la<br />
figure du maître <strong>et</strong> à l’ordre social.<br />
22
Il écrivait : "la société est à l'individu ce qu'un Dieu est à ses fidèles". Ce n’est qu’avec le<br />
<strong>Christ</strong> <strong>que</strong> le religieux cesse d’être lié à la figure du maître <strong>et</strong> à la scène externe de l’ordre<br />
social pour être re-situer sur la scène interne infantile liée à la figure du Père. Hormis GWF<br />
Hegel dans <strong>son</strong> analyse d’Antigone, peu de penseurs l’ont dit mais c’est <strong>que</strong> pour GWF<br />
Hegel, la figure du maître était <strong>par</strong> excellence la figure de la <strong>«</strong> conscience malheureuse ».<br />
De l’adultère.<br />
La problémati<strong>que</strong> anti-sacrificielle est certes la dimension la plus importante des <strong>par</strong>oles du<br />
<strong>Christ</strong> mais pas la seule. C’est important pour <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> qui, après l’épisode nazi, use <strong>et</strong><br />
abuse de la notion du <strong>«</strong> bouc émissaire » dans sa conception christi<strong>que</strong> <strong>et</strong> moderne. Or dans<br />
deux passages des Evangiles, le <strong>Christ</strong> fustige <strong>«</strong> sa génération méchante <strong>et</strong> adultère » <strong>et</strong><br />
concernant l’adultère, on sait <strong>que</strong> s’il refuse le lynchage de la femme adultère, il lui dit, en<br />
a<strong>par</strong>té, : Va ! <strong>et</strong> ne pèche plus » (Jean 8 : 3). Ses diatribes contre les pharisiens qui font<br />
<strong>«</strong> porter de trop lourds fardeaux sur le dos des hommes » montrent qu’il s’oppose à l’ordre<br />
moral alors qu’il est d’une très grande exigence morale d’un autre coté. Pour comprendre<br />
cela, il faut structurer en scènes complémentaires les dimensions fondamentales psychi<strong>que</strong>s<br />
<strong>et</strong> voir <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> dissocie la figure du Père moral (<strong>«</strong> qui est dans le secr<strong>et</strong> ») de la figure<br />
du maître de la loi sociale (<strong>«</strong> Rendez à César, ce qui est à César <strong>et</strong> à Dieu, ce qui est à<br />
Dieu » Matthieu 22 : 21, Marc 12 : 17, Luc 20 : 25). L’important dans les Evangiles est la<br />
structuration ternaire (pas encore totalement quaternaire) où le Père moral est dissocié du<br />
maître extérieur (César) <strong>et</strong> associé, dans l’intériorité, à la figure de la Mère à la<strong>que</strong>lle il<br />
s’identifie :<br />
<strong>«</strong> Je suis le cep <strong>et</strong> <strong>vous</strong> êtes les sarments (la Mère englobante)<br />
<strong>et</strong> mon Père est le vigneron (le Père moral castrateur).<br />
(Jean 15 : 1).<br />
Quand est-il de <strong>notre</strong> configuration psychi<strong>que</strong>, à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>, dans nos sociétés<br />
occidentales ? Elles s’opposent comme le <strong>Christ</strong> à l’ordre moral mais elles restent<br />
<strong>«</strong> unidimensionnelles » comme l’était aussi la configuration de l’ordre moral. A <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>,<br />
nous sommes passés, de Carybde en Scylla, d’une position unidimensionnelle à une autre<br />
position unidimensionnelle opposée sans prendre en compte la sé<strong>par</strong>ation entre l’interne <strong>et</strong><br />
l’externe. A l’opposée de l’ordre moral, les <strong>«</strong> foules sentimentales », chères au chanteur<br />
Alain Souchon, se situent du coté des valeurs maternelles <strong>et</strong> féminines, celles du <strong>«</strong> souci des<br />
victimes » <strong>et</strong> celles du sentiment amoureux <strong>que</strong> célèbrent les chan<strong>son</strong>n<strong>et</strong>tes télévisuelles <strong>et</strong><br />
les romances cinématographi<strong>que</strong>s. Néanmoins, la caractéristi<strong>que</strong> de la modernité postsoixante-huitarde<br />
est l’instabilité du mariage. Dans <strong>son</strong> dernier livre, Pascal Bruckner énonce<br />
la faillite du mariage basé sur le désir amoureux. Mais ce n’est pas nouveau, il y a déjà des<br />
décennies <strong>que</strong> Denis de Rougemont posait la <strong>que</strong>stion : peut-on épouser Iseult ? la réponse<br />
était non car le mariage est la clôture de la passion romanti<strong>que</strong>. Le livre de Denis<br />
Rougemont intitulé l’Amour <strong>et</strong> l’Occident décrit, depuis l’épo<strong>que</strong> des troubadours jusqu’à nos<br />
romances cinématographi<strong>que</strong>s, la passion amoureuse qui était une folie pour les anciens.<br />
Concomitant aux créations des Universités <strong>et</strong> au cheminement intellectuel occidental en<br />
direction de l’esprit scientifi<strong>que</strong>, le désir amoureux avec Roméo <strong>et</strong> Juli<strong>et</strong>te s’opposait au<br />
mariage arrangé des familles <strong>et</strong> des clans. C’est à dire la liberté de choisir de l’individu face<br />
aux contraintes des institutions de l’ordre social traditionnel. Le désir amoureux s’oppose au<br />
conservatisme de tout ordre moral <strong>et</strong> est, en cela, foncièrement progressiste. Toute<br />
l’idéologie du désir libertaire de <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> trouve une de ses racines dans c<strong>et</strong>te épo<strong>que</strong><br />
des troubadours. D’un autre coté, la psychanalyse montre <strong>que</strong> le blocage de la passion<br />
amoureuse chez l’adolescent provient d’un complexe négatif du Père d’exigence morale.<br />
23
On a vu <strong>que</strong>, histori<strong>que</strong>ment, la différenciation positive de la Loi morale se focalisa sur ce<br />
<strong>que</strong> René Girard appelle les désirs miméti<strong>que</strong>s : l’envie, la jalousie, la rivalité, <strong>et</strong>c… <strong>et</strong><br />
nombre de commandements divins bibli<strong>que</strong>s condamnent la jalousie <strong>et</strong> la convoitise des<br />
biens d’autrui, cause du meurtre entre les propres frères (Caïn <strong>et</strong> Abel) :<br />
" tu ne convoiteras point la mai<strong>son</strong> de ton prochain; tu ne convoiteras pas la femme de<br />
ton prochain, ni <strong>son</strong> serviteur, ni sa servante, ni <strong>son</strong> bœuf, ni <strong>son</strong> âne, ni aucune chose<br />
qui ap<strong>par</strong>tienne à ton prochain" (Exode 20.17).<br />
Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan aussi <strong>et</strong> bien avant René Girard, le désir est le désir de l’autre :<br />
<strong>«</strong> Dans la dialecti<strong>que</strong> de jalousie-sympathie, l’obj<strong>et</strong> appréhendé, désiré, c’est lui ou moi<br />
qui l’aura... il y a une communauté du moi <strong>et</strong> de l’autre dans le désir de l’obj<strong>et</strong> - qui est en<br />
somme le même désir…» (Le séminaire Livre II p. 68)<br />
Et bien avant eux, cela était aussi le cas pour GWF Hegel comme le signale A. Kojève :<br />
<strong>«</strong> … le désir qui porte sur un obj<strong>et</strong> naturel n’est humain <strong>que</strong> dans la mesure où il est<br />
médiatisé <strong>par</strong> le désir d’un autre portant sur le même obj<strong>et</strong> : il est humain de désirer ce<br />
<strong>que</strong> désirent les autres, <strong>par</strong>ce qu’ils le désirent. Ainsi, un obj<strong>et</strong> <strong>par</strong>faitement inutile au<br />
point de vue biologi<strong>que</strong> (tel qu’une décoration, <strong>et</strong>c …) peut-être désiré <strong>par</strong>ce qu’il fait<br />
l’obj<strong>et</strong> d’autres désirs » (Introduction à la lecture de Hegel p. 13).<br />
Pour René Girard, si nos désirs n'étaient pas miméti<strong>que</strong>s <strong>et</strong> triangulaires, "ils seraient à<br />
jamais fixés sur des obj<strong>et</strong>s prédéterminés, ils seraient une forme <strong>par</strong>ticulière d'instinct". Il<br />
écrit également <strong>que</strong> " le propre du désir est de ne pas être propre" <strong>et</strong> <strong>que</strong> le "mimétisme<br />
violent n'est rien de substantiel <strong>et</strong> qu'il n'a pas d'être du tout" ( R. Girard - Je vois satan<br />
tomber comme l'éclair p.74). Il rejoint en cela le "man<strong>que</strong> d'être", la <strong>«</strong> béance » <strong>que</strong> Jac<strong>que</strong>s<br />
Lacan assigne au désir car il est vrai <strong>que</strong> le désir miméti<strong>que</strong> <strong>et</strong> le mécanisme du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire » propre à l'ordre symboli<strong>que</strong> se situent sur la scène extérieure de l'ex-sistentiel,<br />
(hors de l'être). Or, René Girard s’est passionné pour la littérature occidentale <strong>et</strong> <strong>son</strong> rapport<br />
au désir amoureux (cf. <strong>son</strong> livre Men<strong>son</strong>ge romanti<strong>que</strong> <strong>et</strong> vérité romanes<strong>que</strong>) <strong>et</strong> il montre<br />
bien <strong>que</strong> le désir amoureux est un désir triangulaire miméti<strong>que</strong>. Pour nous, la loi morale<br />
légitime s’oppose au désir miméti<strong>que</strong> d’obj<strong>et</strong>s alors <strong>que</strong> le désir amoureux s’oppose à la loi<br />
morale aliénante ; du moins, dans la première <strong>par</strong>tie de la vie, car après le mariage, le désir<br />
amoureux devient le désir adultère, c’est à dire le démon de midi. Dans la comédie musicale<br />
<strong>«</strong> Notre Dame de Paris », le prêtre <strong>«</strong> se détourne du ciel » pour les beaux yeux d'Esméralda.<br />
C’est tout à l’opposé des grands poètes amoureux médiévaux (Pétrar<strong>que</strong>, Lulle, March, <strong>et</strong>c..)<br />
pour qui ce fait psychologi<strong>que</strong> était une erreur d’orientation :<br />
<strong>«</strong> Aimer une chose mortelle avec une foi<br />
qui à Dieu seul est due <strong>et</strong> à lui seul convient <strong>«</strong> (Pétrar<strong>que</strong>).<br />
La <strong>par</strong>abole de l’enfant prodigue qui s’éloigne du Père pour ensuite y revenir (sans pour<br />
autant renier les acquis de c<strong>et</strong> éloignement) symbolise c<strong>et</strong>te nécessaire sé<strong>par</strong>ation entre<br />
l’extérieur <strong>et</strong> l’intérieur, entre la scène externe du social-histori<strong>que</strong> où le progressisme anticonservateur<br />
opposé à l’ordre moral est légitime <strong>et</strong> la scène de l’interne où l’exigence morale<br />
du Père a toute sa place associée à la figure de la Mère-communauté englobante.<br />
L’interdiction de l’adultère ne peut être un article de la loi sociale même si elle l’est au regard<br />
de la Loi morale <strong>et</strong>, de même, le désir libertaire n’a pas à vouloir <strong>que</strong> l’ordre social <strong>soit</strong> une<br />
communauté englobante. Les utopies communistes telles celles du XIX e siècle débouchent<br />
toujours sur une société totalitaire aliénante pour le suj<strong>et</strong>. A <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>, c’est<br />
symptomati<strong>que</strong> <strong>que</strong> ce <strong>soit</strong> les stars de la chan<strong>son</strong> avec leurs romances amoureuses qui<br />
portent désormais les valeurs du <strong>«</strong> souci des victimes » dans leur grand show télévisuel au<br />
service de l’Ethiopie, du sida ou de tout autre malheur présent sur la surface de la planète.<br />
24
Coluche a remplacé l’Abbé Pierre. La configuration psychi<strong>que</strong> moderne, celle des <strong>«</strong> foules<br />
sentimentales », opposée radicalement à la configuration <strong>«</strong> machiste » de l’ordre moral m<strong>et</strong>,<br />
à cause de <strong>son</strong> unidimensionalité, en souffrance, à la fois, l’ordre social <strong>et</strong> la Loi morale.<br />
L’instabilité du mariage n’est qu’un des eff<strong>et</strong>s de c<strong>et</strong>te mise en souffrance de l’ordre social <strong>et</strong><br />
de sa pérennité. Pour la conception ancienne, c’est la sorcière qui, <strong>«</strong> nouant les<br />
aiguill<strong>et</strong>tes », m<strong>et</strong>tait à mal la fonction génitale <strong>et</strong> la relation matrimoniale. Pour la<br />
psychanalyse également, le complexe maternel négatif s’oppose à l’être adulte masculin <strong>et</strong> à<br />
<strong>son</strong> insertion sociale. L’inquiétant est <strong>que</strong> le mariage comme structuration de l’échange des<br />
femmes est au fondement de tout échange de biens, spécificité des sociétés humaines (cf.<br />
C. Lévi-Strauss, à la suite de M. Mauss), c’est à dire concerne l’activité économi<strong>que</strong> <strong>et</strong> la<br />
bonne santé du groupe social.<br />
Hermaphrodite <strong>et</strong> sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite.<br />
Dans la chrétienté, il existe toute une tradition, sans lien avec le sacrificiel, qui faisait du<br />
<strong>Christ</strong>, un nouvel Adam ayant r<strong>et</strong>rouvé sa nature hermaphrodite perdue à cause du péché<br />
originel. L’Homme primordial Adam, avant le péché, était dans un état de perfection d’être. Il<br />
ne possédait pas de corps grossièrement matériel mais un corps fait de quintessence pure <strong>et</strong><br />
céleste tel <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> l’a r<strong>et</strong>rouvé <strong>et</strong> tel <strong>que</strong> l’homme l’aura après la résurrection. Après le<br />
péché originel <strong>et</strong> l’expulsion du <strong>par</strong>adis, Adam a été divisé en deux moitiés <strong>et</strong> tout comme<br />
dans le Ban<strong>que</strong>t de Platon, c’est c<strong>et</strong>te sé<strong>par</strong>ation qui expli<strong>que</strong> la sexualité humaine. En fait,<br />
l’homme recherche toujours sa propre réintégration, le complément de lui-même qu’il a<br />
perdu. Il cherche désespérément <strong>et</strong> aveuglément dans l’extérieur la réalisation de <strong>son</strong> propre<br />
être total, c<strong>et</strong> être hermaphrodite qu’il était avant la chute. Le péché originel dont est<br />
responsable le diable a rendu l’humain identi<strong>que</strong> au monde en l’enlisant dans le sensible,<br />
l’animalité <strong>et</strong> la matérialité. En le sé<strong>par</strong>ant de Dieu (perte de l’âme), il l’a rendu mortel. Mais<br />
cela n’est pas irrémédiable <strong>et</strong> l’humain garde la possibilité de r<strong>et</strong>rouver, avec l’aide de la<br />
divinité bonne <strong>et</strong> secourable, <strong>son</strong> état d’avant la chute. Pour se faire, c’est le propre Fils de<br />
Dieu qui s’est incarner dans l’homme <strong>Jésus</strong> pour vaincre le péché <strong>et</strong> la mort, r<strong>et</strong>rouver en<br />
premier l’état <strong>par</strong>adisia<strong>que</strong> de l’Adam d’avant la chute <strong>et</strong> montrer le chemin aux autres<br />
humains. Pour c<strong>et</strong>te tradition chrétienne, <strong>et</strong> en accord avec la théologie de saint Paul, le<br />
<strong>Christ</strong> a revêtu dans la souffrance <strong>et</strong> la mort la condition de l’Adam déchu (le <strong>«</strong> vieil Adam »)<br />
pour pouvoir réintégrer, <strong>et</strong> nous avec, la condition <strong>par</strong>adisia<strong>que</strong> d’avant la chute. Même si on<br />
peut conjecturer <strong>que</strong> la situation terrestre est une punition divine, ce n’est en rien la mort du<br />
<strong>Christ</strong> qui est essentiellement salvatrice mais c’est surtout sa résurrection. En cela, une<br />
église chrétienne comme l’Eglise orthodoxe a toujours plus mis en relief la résurrection du<br />
<strong>Christ</strong> <strong>que</strong> l’Eglise romaine tridentine, manifestement plus sacrificielle.<br />
Un des intérêts de c<strong>et</strong>te tradition <strong>que</strong> nous venons de citer est l’opposition entre la<br />
sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite <strong>et</strong> sa réunification. C’est, à <strong>notre</strong> avis, la symboli<strong>que</strong><br />
représentative du suj<strong>et</strong> psychi<strong>que</strong> la plus importante. Nous avons vu <strong>que</strong> la sé<strong>par</strong>ation de<br />
hermaphrodite était le fait de la figure du maître <strong>et</strong> de sa loi sociale comme dans la<br />
circoncision ou le <strong>«</strong> pacte tranché » des alliances <strong>et</strong> des serments. Le r<strong>et</strong>our à<br />
l’hermaphrodite s’oppose alors à la loi sociale négative <strong>et</strong> s’effectue <strong>par</strong> le r<strong>et</strong>rait de la<br />
dimension <strong>«</strong> diaboli<strong>que</strong> » proj<strong>et</strong>ée. Le mécanisme psychologi<strong>que</strong> de la projection s’instaure<br />
chez l’humain lors de <strong>son</strong> accession à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> au langage-signifiant, plus<br />
<strong>par</strong>ticulièrement avec l’articulation syntaxi<strong>que</strong> du langage ; c’est à dire lors de <strong>son</strong> insertion<br />
dans l’ordre symboli<strong>que</strong>. Le r<strong>et</strong>rait de la projection impliquant une introjection se réalise dans<br />
le cas du r<strong>et</strong>our de l’ombre proj<strong>et</strong>ée jus<strong>que</strong> là dans la <strong>«</strong> tête de turc », les non-valeurs des<br />
idéaux moï<strong>que</strong>s (Moi idéal <strong>et</strong> Idéal du moi) mais aussi dans le cas du r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> bouc<br />
émissaire », aspect négatif de l’ordre social. C’est également le cas pour la projection du<br />
<strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », aspect négatif de la loi morale négative <strong>et</strong> aliénante. En fait, la sé<strong>par</strong>ation<br />
de l’hermaphrodite relève de la loi en toute généralité, tout autant de la loi sociale <strong>que</strong> de la<br />
loi morale. En consé<strong>que</strong>nce, la bisexualité de l’hermaphrodite concernera également tout<br />
autant le dépassement de la loi sociale négative <strong>que</strong> celui de la loi morale.<br />
25
On touche là à l’imbroglio actuel du discours junguien concernant l’intégration chez l’humain<br />
masculin de la dimension féminine dénommée l’intégration de l’anima (<strong>et</strong> l’animus viril chez<br />
la femme). Or les textes d’Emma Jung sur l’anima <strong>et</strong> l’animus montrent <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te<br />
complémentarité psychologi<strong>que</strong> est liée au devenir histori<strong>que</strong> de la culture occidentale <strong>et</strong> n’a<br />
aucun rapport avec la bisexualité <strong>que</strong> l’on trouve dans la spiritualité <strong>et</strong> la mysti<strong>que</strong>. On se<br />
trouve plutôt dans le cadre de la bisexualité dont <strong>par</strong>le Elisab<strong>et</strong>h Badinter dans <strong>son</strong> livre L’un<br />
<strong>et</strong> l’autre. La même configuration psychi<strong>que</strong> <strong>que</strong> celle dont <strong>par</strong>le Jac<strong>que</strong>s Lacan lorsqu’il écrit<br />
<strong>que</strong> <strong>«</strong> c’est en tant qu’autre sexe <strong>que</strong> l’humain désire ». C<strong>et</strong> hermaphrodisme émerge du<br />
r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » lié à la figure du père moral négatif <strong>et</strong> aliénant, castrateur du<br />
désir amoureux adolescent <strong>que</strong> l’on r<strong>et</strong>rouve, en <strong>par</strong>tie, dans le surmoi freudien. Or, <strong>notre</strong><br />
épo<strong>que</strong> a autonomisé les adolescents comme groupe social alors <strong>que</strong> dans les sociétés<br />
anciennes, l’humain s’insérait dans l’ordre social adulte dès la puberté. On peut même dire<br />
<strong>que</strong> la société actuelle est devenue <strong>«</strong> adolescentes<strong>que</strong> » avec la dominance de l’idéologie<br />
du désir entraînant c<strong>et</strong>te hermaphrodisme du suj<strong>et</strong> moderne dont <strong>par</strong>le Elisab<strong>et</strong>h Badinter.<br />
Nous avons vu <strong>que</strong> le junguisme théorisait une topi<strong>que</strong> relevant d’une bisexualité. Une<br />
topi<strong>que</strong> où pour l’humain masculin : le moi conscient s’identifie à la Per<strong>son</strong>a d’identité<br />
sexuelle en opposition à l’âme inconsciente féminine. Mais la référence à l’hermaphrodite se<br />
r<strong>et</strong>rouve aussi dans le lacanisme dont l’opposition majeure est <strong>«</strong> avoir le pénis ou être le<br />
phallus de la Mère ». Bien entendu, <strong>«</strong> avoir le pénis » est le fait de la fonction génitale <strong>et</strong><br />
relève donc de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite, celle du maître tandis <strong>que</strong> <strong>«</strong> être le phallus<br />
de la Mère » est l’équivalent de l’hermaphrodite. Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, le <strong>«</strong> phallus » est le<br />
<strong>«</strong> pénis qui man<strong>que</strong> à la Mère », c’est à dire le signifiant du <strong>«</strong> man<strong>que</strong> dans l’Autre »,<br />
autrement dit la <strong>«</strong> béance ». En outre, en plus de c<strong>et</strong>te opposition entre <strong>«</strong> avoir le pénis » <strong>et</strong><br />
<strong>«</strong> être le phallus de la Mère », se situe une opposition entre le désir <strong>et</strong> la loi morale plus<br />
classi<strong>que</strong>ment freudien. Par contre, ce qui est original chez Jac<strong>que</strong>s Lacan, c’est qu’il<br />
associe le désir <strong>et</strong> la <strong>«</strong> béance », le <strong>«</strong> phallus » positivé (+phi) opposé à la loi morale, ellemême<br />
résultat du refoulement du désir (<strong>«</strong> la loi morale est le désir refoulé » in Kant avec<br />
Sade). En consé<strong>que</strong>nce, le <strong>«</strong> phallus de la Mère » sera le <strong>«</strong> phallus » négativé (-phi). De<br />
plus, le psychiatre <strong>par</strong>isien inscrit c<strong>et</strong>te formulation quaternaire du psychisme humain dans la<br />
problémati<strong>que</strong> d’accession à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> au langage-signifiant propre à l’humain. En cela, le<br />
<strong>«</strong> phallus » (+phi) est la <strong>«</strong> béance » qui entraîne l’organisation syntaxi<strong>que</strong> (ordre symboli<strong>que</strong>)<br />
dans la diachronie sachant le <strong>«</strong> je », suj<strong>et</strong> du désir est tout à la fois suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> obj<strong>et</strong> du désir lié<br />
à la métonymie. Pour ce qui est du <strong>«</strong> phallus (-phi) de la Mère », il le situe sur le lieu de la<br />
<strong>par</strong>ole <strong>et</strong> de la signification métaphori<strong>que</strong> du suj<strong>et</strong>. Pour le psychiatre <strong>par</strong>isien, il n’y a<br />
d’inconscient <strong>que</strong> chez un suj<strong>et</strong> qui <strong>par</strong>le <strong>et</strong> le langage-signifiant humain est différent du<br />
langage animal qui <strong>«</strong> n’adm<strong>et</strong> pas la métaphore, ni n’engendre la métonymie » (Ecrits II<br />
p.206) sachant <strong>que</strong> <strong>«</strong> rien dans le monde animal ne représente le suj<strong>et</strong> » <strong>et</strong> <strong>que</strong> c’est le<br />
<strong>«</strong> signifiant [métaphori<strong>que</strong>] qui représente le suj<strong>et</strong> »:<br />
• La structure métaphori<strong>que</strong> indi<strong>que</strong> <strong>que</strong> c’est dans la substitution du signifiant au<br />
signifiant <strong>que</strong> se produit un eff<strong>et</strong> de signification qui est de poésie ou de création,<br />
autrement dit d’avènement de la signification en <strong>que</strong>stion ».<br />
• La structure métonymi<strong>que</strong> indi<strong>que</strong> <strong>que</strong> c’est la connexion du signifiant au signifiant<br />
qui perm<strong>et</strong> l’élision <strong>par</strong> quoi le signifiant installe le man<strong>que</strong> de l’être dans la relation<br />
d’obj<strong>et</strong> … La barre placée entre S <strong>et</strong> s mar<strong>que</strong> l’irréductibilité où se constitue dans<br />
les rapports du signifiant au signifié, la résistance de la signification»<br />
Ecrits I p. 274.<br />
Outre la quaternité <strong>que</strong> nous avons vu précédemment, la dualité entre la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong><br />
l’articulation syntaxi<strong>que</strong> du langage (l’ordre symboli<strong>que</strong>) fonde l’opposition entre l’introversion<br />
<strong>et</strong> l’extraversion ; termes <strong>que</strong> Jac<strong>que</strong>s Lacan n’emploie pas mais qui ressortent de sa<br />
fondamentale dualité différenciant l’être <strong>et</strong> la l<strong>et</strong>tre, le dit <strong>et</strong> le dire, l’énoncé <strong>et</strong> l’énonciation,<br />
l’être <strong>et</strong> le <strong>«</strong> man<strong>que</strong> d’être », l’Autre <strong>et</strong> l’autre, <strong>et</strong>c…<br />
26
On sait qu’il écrivait également <strong>que</strong> <strong>«</strong> .. rien n’a été encore valablement articulé de ce qui lie<br />
la métaphore à la <strong>que</strong>stion de l’être <strong>et</strong> la métonymie à <strong>son</strong> man<strong>que</strong> » (Jac<strong>que</strong>s Lacan - Ecrits<br />
I p. 289). L’intérêt de la formulation lacanienne réside dans la quaternité des dimensions<br />
psychi<strong>que</strong>s fondamentales <strong>et</strong> dans le double versant de la <strong>«</strong> béance » qui perm<strong>et</strong> de<br />
comprendre ce double <strong>«</strong> hermaphrodisme » qui reste enchevêtrée dans les textes junguiens.<br />
De là, la nécessité de différencier dans le junguisme le concept de l’âme de celui de l’anima.<br />
La <strong>«</strong> béance » (l’anima) proj<strong>et</strong>ée dans le réel comme un a priori de l’extraversion impli<strong>que</strong><br />
une potentialisation moï<strong>que</strong> déversant sa vitalité vers ce réel :<br />
1 (moi) 0 (anima - obj<strong>et</strong>)<br />
C’est la définition même de l’extraversion chez CG Jung : <strong>«</strong> le type extraverti suppose <strong>que</strong><br />
l’obj<strong>et</strong> <strong>soit</strong> vide, <strong>et</strong> qu’il peut le remplir de sa propre vie» (Types psychologi<strong>que</strong>s p.284).<br />
Par contre, l’âme comme <strong>«</strong> béance » en relation à l’Autre impli<strong>que</strong> la demande d’être remplie<br />
d’une vitalité qui provient de c<strong>et</strong> Autre intérieur. L’image de la coupe (saint Graal) a toujours<br />
symbolisé c<strong>et</strong>te âme recevant une énergéti<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> provenant de l’Autre :<br />
0 (l’âme) 1 (l’Autre comme le Dieu des mysti<strong>que</strong>s).<br />
La symboli<strong>que</strong> de l’hermaphrodite <strong>et</strong> de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite est fondamentale <strong>et</strong><br />
il est à noter <strong>que</strong> seule les théories psychanalystes junguienne <strong>et</strong> lacanienne s’y réfèrent ;<br />
En cela, ce <strong>son</strong>t les seules qui possèdent un véritable intérêt concernant le savoir sur le suj<strong>et</strong><br />
psychi<strong>que</strong>. Par contre, c<strong>et</strong>te symboli<strong>que</strong> se trouvent quotidiennement sous nos yeux sans<br />
<strong>que</strong> nous la voyons sachant <strong>que</strong> mêmes les astrologues ne la voient pas :<br />
Signes hermaphrodites :<br />
_ Scorpion<br />
_ Capricorne<br />
_ Taureau<br />
Signes doubles<br />
_ Balance<br />
_ Verseau<br />
_ Gémeaux<br />
Signes féminins<br />
_ Vierge<br />
_ Pois<strong>son</strong>s<br />
_ Cancer<br />
Signes masculins<br />
_ Sagittaire<br />
_ Bélier<br />
_ Lion<br />
M + flèche<br />
Corne + Queue<br />
Soleil + Lune<br />
Double trait<br />
Double trait<br />
Double trait<br />
M castré de la flèche<br />
Queues du pois<strong>son</strong>s<br />
Lune seule du Cancer<br />
Flèche<br />
Corne<br />
Soleil du Lion<br />
Nous avons cru longtemps être le seul à repérer c<strong>et</strong>te structuration des signes du zodia<strong>que</strong><br />
au regard de la symboli<strong>que</strong> de l’hermaphrodite <strong>et</strong> de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite jusqu’à<br />
la lecture du livre Dieu d’eau de Marcel Griaule. C<strong>et</strong> <strong>et</strong>hnographe, non susceptible d’être<br />
accusé d’ésotérisme, les avait trouvé, à sa grande surprise, aux fondements de la<br />
conception du monde des Dogons <strong>que</strong> lui avait dévoilé en 1946 le vieux chasseur aveugle,<br />
Ogotemmêli (Les signes du Zodia<strong>que</strong> in Dieu d’Eau ) :<br />
27
<strong>«</strong> Au cours de ces journées remplies <strong>par</strong> les entr<strong>et</strong>iens avec l’aveugle <strong>et</strong> <strong>par</strong> cent autres<br />
travaux, au cours des nuits de réflexion <strong>et</strong> de mises au point, il (l’auteur) avait <strong>son</strong>gé,<br />
obscurément d’abord, <strong>et</strong> de plus en plus n<strong>et</strong>tement dans la suite, à certains détails de la<br />
cosmologie dont l’ensemble lui <strong>par</strong>aissait surprenant. […] Jumeaux, bélier, taureau,<br />
scorpion. Il pensa au Zodia<strong>que</strong>. Mais il garda c<strong>et</strong>te idée à <strong>par</strong>t lui : il voulait <strong>que</strong> le<br />
système ap<strong>par</strong>ût sans heurt, de lui-même, dans les entr<strong>et</strong>iens du seuil où le maître<br />
s’asseyait. Les noirs avaient-ils leur explication cohérente du symbole du Zodia<strong>que</strong> alors<br />
<strong>que</strong> les Méditerranéens ne tenaient sur <strong>son</strong> compte <strong>que</strong> des propos enfantins ? Car on<br />
ne peut adm<strong>et</strong>tre sérieusement <strong>que</strong> les Anciens aient reconnu dans le ciel un scorpion,<br />
des jumeaux, des pois<strong>son</strong>s <strong>et</strong> <strong>que</strong> la position des étoiles ait dicté douze signes<br />
abracadabrants où une vierge voisine avec une balance, un crabe avec un lion (p. 210).<br />
Il lui semblait donc bien <strong>que</strong>, sans présenter un système constitué du Zodia<strong>que</strong>, la<br />
cosmologie <strong>et</strong> la métaphysi<strong>que</strong> des Dogon offraient du moins une place de choix à la<br />
plu<strong>par</strong>t de ses signes. (p. 212). […] Le signe de la vierge, sorte de m dont le dernier<br />
jambage est sectionné, pourrait être rapproché de celui du scorpion, dont le dernier<br />
jambage est au contraire terminé <strong>par</strong> une pointe. Le premier représenterait la vierge<br />
excisée …(p.215)<br />
Néanmoins, c<strong>et</strong>te inscription symboli<strong>que</strong> représentative de la structuration fondamentale du<br />
suj<strong>et</strong> psychi<strong>que</strong>, CG Jung avait eu l’intuition qu’elle pourrait se trouver, comme il l’écrivit à S.<br />
Freud, dans la symboli<strong>que</strong> zodiacale (L<strong>et</strong>tre de Jung à Freud du 12.06.1911):<br />
<strong>«</strong> Je dois dire <strong>que</strong> l'on pourrait fort bien découvrir un jour dans l'astrologie, un bon<br />
morceau de connaissance des voies de l'intuition qui s'est égaré au ciel ...»<br />
L’hermaphrodite <strong>et</strong> la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite symbolisent les deux mécanismes<br />
fondamentaux de la psyché humaine sachant <strong>que</strong> la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite relève<br />
toujours de la Loi <strong>que</strong> celle-ci <strong>soit</strong> la loi sociale pro-sexuelle ou la loi morale anti-sexuelle. Il<br />
en est de même pour l’hermaphrodite qui concerne tout à la fois la problémati<strong>que</strong> spirituelle<br />
intérieure <strong>que</strong> la problémati<strong>que</strong> histori<strong>que</strong> progressiste externe. De là, <strong>notre</strong> insistance à<br />
vouloir différencier le concept de l’âme de celui de l’anima dans la théorie junguienne car<br />
tout autant l’un <strong>que</strong> l’autre m<strong>et</strong>tent en acte une dimension féminine pour le suj<strong>et</strong> masculin.<br />
Concernant c<strong>et</strong>te bisexualité, toute manifestation féminoïde n’est pas en soi positive car la<br />
psychopathologie névroti<strong>que</strong> est une réaction intempestive à la nouvelle dimension d’être<br />
<strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> est appelé à assumer. Pour l’adolescent qui doit accéder à la passion<br />
romanti<strong>que</strong>, légitime à <strong>son</strong> âge, sa problémati<strong>que</strong> psychopathologi<strong>que</strong> prendra la forme<br />
d’une névrose obsessionnelle m<strong>et</strong>tant en acte un complexe négatif du père moral qui se<br />
traduira <strong>par</strong> des rêves m<strong>et</strong>tant en scène le diable. Dans <strong>son</strong> texte Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong> de<br />
l'Inconscient (p.148), CG Jung cite le rêve d'un jeune obsessionnel de seize ans :<br />
<strong>«</strong> le rêveur se voit suivre une rue inconnue. Il fait noir. Il entend des pas derrière lui qui le<br />
suivent. Légèrement inqui<strong>et</strong> il accélère sa marche. Mais les pas se rapprochent <strong>et</strong> <strong>son</strong><br />
angoisse augmente. Il se m<strong>et</strong> à courir. Il a la sensation qu'il va être rejoint. Finalement, il<br />
se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> voit le diable. Pris d'une horrible peur, il fait un grand saut <strong>et</strong> reste<br />
suspendu dans les airs. (Ce rêve se répéta deux fois comme pour souligner sa grande<br />
importance). »<br />
Or ce rêve comme bien d’autres donne tort au maître de Küsnacht en ce qui concerne sa<br />
conception du rêve <strong>et</strong> de la vision comme compensation de la conscience, expression d’une<br />
dimension psychi<strong>que</strong> <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> doit assumer. En réalité, c’est le contraire, le rêve montre<br />
l’attitude psychologi<strong>que</strong> <strong>et</strong> la conception des choses <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> doit abandonner, dépasser<br />
ou compléter. Pour l’adolescent, l’accession à la passion romanti<strong>que</strong> s’oppose à la loi morale<br />
aliénante <strong>et</strong> à <strong>son</strong> <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » <strong>et</strong> le rêve présentera c<strong>et</strong>te négativité réactionnelle<br />
faisant obstacle à la légitime accession à la dimension antagoniste dans le couple psychi<strong>que</strong><br />
opposant la loi morale <strong>et</strong> le désir.<br />
28
Le rêve <strong>et</strong> la vision <strong>son</strong>t le lieu de l’interdit <strong>et</strong> non celui de la dimension <strong>que</strong> l’on doit<br />
assumer. C<strong>et</strong>te conception erronée junguienne du rêve est funeste <strong>et</strong> nous l’avons vu au<br />
suj<strong>et</strong> de <strong>son</strong> interprétation des visions de l’Apocalypse de saint Jean. Alors <strong>que</strong> celles-ci<br />
expriment les actions violentes d’un Dieu de vengeance <strong>que</strong> le chrétien doit désormais<br />
histori<strong>que</strong>ment dépasser en refusant le <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> <strong>son</strong> <strong>«</strong> sang versé », le psychanalyste<br />
suisse y voit au contraire une dimension <strong>que</strong> le visionnaire chrétien aurait refoulé mais qu’il<br />
devrait assumer. Bien entendu, cha<strong>que</strong> élément du couple d’opposés a un aspect négatif <strong>et</strong><br />
un aspect positif <strong>et</strong> si nous avons vu <strong>que</strong> le rêve de l’adolescent montrait l’attitude<br />
obsessionnelle morale négative, il y a aussi la configuration inverse où c’est le désir<br />
amoureux <strong>et</strong> la passion romanti<strong>que</strong> qui <strong>son</strong>t négatives face à la légitimité de la loi morale<br />
castratrice du désir du Père comme avec le <strong>«</strong> démon de midi ». Le rêve alors sera<br />
l’expression d’une mentalité d’un adolescent, témoin ce patient ayant dépassé le midi de la<br />
vie <strong>et</strong> dont les rêves <strong>son</strong>t exposés dans le livre Psychologie <strong>et</strong> alchimie :<br />
<strong>«</strong> Le rêveur est entouré de nombreuses formes féminines indistinctes. Une voix dit en<br />
lui : "il faut d'abord <strong>que</strong> je m'éloigne de Père ».<br />
En réalité, tel l’enfant prodigue de l’Evangile, c’est au Père intérieur d’exigence morale qu’il<br />
fallait qu’il r<strong>et</strong>ourne. Or, ce rêveur n’était autre <strong>que</strong> le prix Nobel de physi<strong>que</strong> quanti<strong>que</strong><br />
Wolfgang Pauli en analyse chez une disciple de CG Jung. Par sa correspondance avec le<br />
psychanalyste suisse, nous possédons également de ce célèbre scientifi<strong>que</strong> un rêve datée<br />
du 28 septembre 1952 où déambule une chinoise :<br />
<strong>«</strong> la chinoise marche devant moi <strong>et</strong> me fait signe de la suivre. Elle ouvre une trappe <strong>et</strong><br />
commence à descendre un escalier en laissant la porte ouverte derrière elle. Ses<br />
mouvements <strong>son</strong>t extraordinairement dansants, elle ne <strong>par</strong>le pas <strong>et</strong> ne s’exprime <strong>que</strong> <strong>par</strong><br />
pantomime, comme le font les danseurs de ball<strong>et</strong>. Je la suis <strong>et</strong> m’aperçois <strong>que</strong> l’escalier<br />
mène à une salle de cours. Les inconnus m’y attendent. La chinoise me fait à nouveau<br />
signe de monter sur l’estrade <strong>et</strong> de <strong>par</strong>ler aux gens, visiblement pour tenir une<br />
conférence. Tandis <strong>que</strong> j’attends, elle re<strong>par</strong>t dans l’escalier sans cesser de danser de<br />
façon rythmée, repasse devant la porte de la trappe puis redescend.... »<br />
Dans ce rêve de 1952, la chinoise, comme elle le sera plus tard dans les années soixante,<br />
est une représentation exoti<strong>que</strong> de l’obj<strong>et</strong> du désir amoureux pour l’homme qui, comme<br />
<strong>«</strong> man<strong>que</strong> » (+phi) lacanien est la <strong>«</strong> béance » qui entraîne le social-histori<strong>que</strong> dans le<br />
changement progressiste <strong>et</strong> libertaire opposé à la morale conservatrice. En fait,<br />
contrairement à l’interprétation junguienne de ce rêve qui <strong>par</strong>le d’intégration de l’anima<br />
comme dimension féminine <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> devait soi-disant assumer, le rêve appelle, au<br />
contraire, au renoncement au <strong>«</strong> démon de midi » pour revenir au Père d’exigence morale qui<br />
est <strong>«</strong> dans le secr<strong>et</strong> ». Dans l’église de Py consacré à l’Apôtre Paul, se trouve au fond de la<br />
nef tout un lieu consacré au mysti<strong>que</strong> majorquin Raymond Lulle. La caractéristi<strong>que</strong> de ces<br />
deux per<strong>son</strong>nages, c’est <strong>que</strong> leur conversion résulta d’un épisode visionnaire m<strong>et</strong>tant en<br />
cause l’acharnement violent contre une minorité pour l’Apôtre des gentils <strong>et</strong> le désir adultère<br />
pour le fondateur de la langue littéraire catalane. Dans les deux cas, la vision situait le suj<strong>et</strong><br />
dans une position négative persécutrice à la<strong>que</strong>lle il devait renoncer. Nous l’avons écrit, le<br />
problème de l’adultère est un des problèmes majeurs de <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> concernant le<br />
cheminement spirituel intérieur en vue du <strong>«</strong> Royaume du Père » <strong>et</strong> cela, en rai<strong>son</strong> de la<br />
dérive adolescentes<strong>que</strong> de nos sociétés modernes occidentales. Bien entendu, cela ne veut<br />
pas dire qu’il faille re-inscrire dans la loi sociale l’interdit de l’adultère, voire revenir à <strong>son</strong><br />
lynchage. Le <strong>Christ</strong> refuse la lapidation de la femme adultère mais lui dit en a<strong>par</strong>té : va ! <strong>et</strong><br />
ne pêche plus. La problémati<strong>que</strong> moderne est <strong>son</strong> <strong>«</strong> unidimensionalité » <strong>et</strong> <strong>son</strong> absence de<br />
structuration en scènes complémentaires des quatre dimensions fondamentales de la<br />
psyché. Or pour qu’il y ait une réunion des dimensions psychi<strong>que</strong>s antagonistes libératrice<br />
du mal, il faut qu’existe c<strong>et</strong>te structuration entre intérieur <strong>et</strong> extérieur, signifiants inconscients<br />
majeurs <strong>que</strong> nous délivre la névrose phobi<strong>que</strong> (claustrophobie <strong>et</strong> agoraphobie).<br />
29
Qu’on se rappelle <strong>que</strong> pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, le <strong>«</strong> symptôme névroti<strong>que</strong> est une métaphore<br />
signifiante ». En fait, le désir progressiste <strong>et</strong> libertaire est légitime sur la scène externe du<br />
social-histori<strong>que</strong> lorsqu’il s’oppose à la Loi morale conservatrice réactionnaire <strong>et</strong> négative.<br />
(C’est la femme (l’anima) au sein nu menant le peuple du tableau de Delacroix). Par contre,<br />
<strong>son</strong> aspect négatif qui nie la Loi morale légitime dis<strong>par</strong>aît lorsqu’on situe c<strong>et</strong>te Loi morale<br />
avec sa figure divine du Père sur la scène complémentaire de l’interne (l’<strong>«</strong> Autre scène » qui<br />
est la <strong>«</strong> scène de l’Autre »). Il en est de même pour l’opposition entre la volonté de puissance<br />
de l’ordre <strong>et</strong> de la loi sociale <strong>et</strong> l’Amour de l’exclu. Il y a donc bien un cheminement intérieur<br />
de réunion des dimensions psychi<strong>que</strong>s antagonistes mais ce processus de réunion des<br />
antagonistes n’impli<strong>que</strong> pas une réunion du bien <strong>et</strong> du mal comme le théorise CG Jung avec<br />
sa <strong>«</strong> coincidencia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal mais bien une libération du mal qui, en<br />
fait, est ce qui dans cha<strong>que</strong> dimension psychi<strong>que</strong> nie <strong>son</strong> antagoniste. Si le <strong>«</strong> sang versé du<br />
sacrifice » fut la négativité fondamentale de l’humanité en ses débuts, c’est <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong><br />
humain y était essentiellement un être collectif <strong>et</strong> <strong>que</strong> la per<strong>son</strong>ne humaine en elle-même n’y<br />
était pas prise en compte (cf. le per<strong>son</strong>nalisme du philosophe chrétien Emmanuel Mounier).<br />
On peut voir <strong>que</strong> les Evangiles ne <strong>par</strong>lent jamais du péché d’Adam <strong>et</strong> Eve ; <strong>par</strong> contre, la<br />
lecture de la <strong>par</strong>abole des vignerons assassins laisse entendre <strong>que</strong> pour le <strong>Christ</strong>, le<br />
véritable <strong>«</strong> péché originel » de l’humanité fut ce <strong>«</strong> sang versé du sacrifice » qui ne cessa de<br />
condamner des innocents. S’il est vrai comme l’intuitionnait CG Jung qu’il y a un processus<br />
de transformation psychi<strong>que</strong> vers c<strong>et</strong> état de <strong>«</strong> per<strong>son</strong>ne » qui concilie le collectif <strong>et</strong><br />
l’individuel, le désir libertaire <strong>et</strong> la loi morale, ce processus dit d’individuation se réalise du<br />
coté du <strong>«</strong> déch<strong>et</strong> » social, du <strong>«</strong> bouc émissaire » pris dans <strong>son</strong> sens christi<strong>que</strong> <strong>et</strong> moderne<br />
du terme <strong>et</strong> non <strong>par</strong> un soi-disant r<strong>et</strong>our au <strong>«</strong> sacré », au <strong>«</strong> numineux » <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> tremenda<br />
majestas » qui, de toujours, furent associés au <strong>«</strong> bouc émissaire » magi<strong>que</strong>, celui dont le<br />
sang versé assurait la rémission des péchés <strong>et</strong> la réconciliation avec la divinité.<br />
Fait à Py, en novembre 2010.<br />
Gérard Rabat<br />
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