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1 « croyez-vous que Jésus-Christ soit notre sauveur et que par son ...

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<strong>«</strong> <strong>croyez</strong>-<strong>vous</strong> <strong>que</strong> <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong> <strong>soit</strong> <strong>notre</strong> <strong>sauveur</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>que</strong> <strong>par</strong> <strong>son</strong> sang il ait purgé nos péchés ».<br />

Injonction du pasteur calviniste à la Reine de<br />

Navarre mourante, le vendredi 6 juin 1572.<br />

Qui ne se souvient du <strong>«</strong> minuit chrétien » de <strong>son</strong> enfance où l’on chantait <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> s’était<br />

offert en sacrifice pour apaiser le courroux de <strong>son</strong> Père. Le même pasteur cité en exergue<br />

fait réciter c<strong>et</strong>te prière à la mère d’Henri IV agonisante :<br />

<strong>«</strong> Seigneur Nostre Dieu, nous recoignois<strong>son</strong>s devant ta face <strong>que</strong> nous sommes indignes<br />

de tes grandes miséricordes. Seigneur, nous recognois<strong>son</strong>s <strong>que</strong> toutes nos afflictions<br />

viennent de ta main qui est juste juge <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous t’avons instamment provoqué à<br />

courroux. Si est-ce, Seigneur, qu’il y a miséricorde vers toy, puis<strong>que</strong> tu es nostre Père <strong>et</strong><br />

<strong>que</strong> tu ne veux la mort du pécheur mais qu’il se convertisse <strong>et</strong> qu’il vive. Qu’il te plaise<br />

accepter le mérite de <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong> ton filz <strong>notre</strong> Seigneur pour qu’estant appaisé nous<br />

sentions <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s allégements en nos maux …. »<br />

C’est clair, les hommes <strong>son</strong>t pécheurs <strong>et</strong> Dieu, les punissant, est responsable de la<br />

souffrance qu’ils endurent si ce n’était le <strong>Christ</strong> qui seul peut les soulager en effaçant leurs<br />

péchés <strong>par</strong> <strong>son</strong> sacrifice <strong>et</strong> apaiser ainsi le courroux divin. Tout comme Abraham, <strong>«</strong> serviteur<br />

de Dieu », est c<strong>et</strong> avocat de la défense qui essaie de sauver les habitants de Sodome <strong>et</strong><br />

Gomorre de la colère vengeresse de Dieu, le <strong>Christ</strong> comme <strong>«</strong> super serviteur de Dieu »<br />

puisqu’il est <strong>son</strong> propre fils est celui qui, dans la lignée des prophètes de l’Ancien Testament,<br />

est le <strong>«</strong> <strong>sauveur</strong> <strong>par</strong> excellence ». Mais pourquoi devait-il se sacrifier puis<strong>que</strong> ni Noé, ni<br />

Abraham ne l’ont fait ? Parce qu’il n’y a <strong>que</strong> le sacrifice qui puisse, comme le disait aussi<br />

saint Thomas d’Aquin au XIII e siècle, apaiser vraiment la colère de Dieu. C’est au fondement<br />

de toutes les religions sur toute la surface de la terre <strong>et</strong> depuis l’origine de l’humanité. Le<br />

sacré c’est le sacrificiel puis<strong>que</strong> c’est le sacrifice qui rend <strong>«</strong> sacré » <strong>et</strong> celui-ci, comme le<br />

montrait Rudolph Otto, renvoie à <strong>«</strong> l’orgè théou » (colère de Dieu) <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> Tremenda<br />

majestas ». Mais si le Roi-Prêtre ancien sacrifie au Dieu pour apaiser sa colère <strong>et</strong> se le<br />

rendre bienveillant, on sait aussi <strong>que</strong> dans nombre de mythologies <strong>et</strong> de religions, c’est le roi<br />

lui-même qui doit se sacrifier pour <strong>que</strong> revienne la fécondité des femmes <strong>et</strong> des champs, la<br />

victoire à la guerre, la guéri<strong>son</strong> d’une épidémie, <strong>et</strong>c.. c’est à dire l’harmonie dans l’ordre<br />

cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social. Nombre de cosmogonies montre un auto-sacrifice de la divinité au<br />

commencement de la création du monde <strong>et</strong> Mircea Eliade a bien montré <strong>que</strong> tout rituel<br />

religieux consistait en une imitation d’un événement primordial créateur perm<strong>et</strong>tant de<br />

réactualiser l’efficacité positive de l’acte primordial. Souvent les forces magi<strong>que</strong>s<br />

bienveillantes, source de grâces <strong>et</strong> de bénédictions, s’étant étiolées, le rite perm<strong>et</strong> de<br />

r<strong>et</strong>rouver les vertus bénéfi<strong>que</strong>s de l’acte primordial dit <strong>«</strong> archétypi<strong>que</strong> ». Le rituel chrétien de<br />

la messe ne déroge pas à ce principe <strong>et</strong> on sait <strong>que</strong> le Concile de Trente (1545 –1563)<br />

définissait ainsi la messe catholi<strong>que</strong> : <strong>«</strong> La messe est un sacrifice <strong>par</strong> le<strong>que</strong>l le <strong>sauveur</strong><br />

continue d’appli<strong>que</strong>r la vertu salvatrice de sa mort à la rémission des péchés ». Que la mort<br />

<strong>par</strong> sacrifice, source de grâces <strong>et</strong> de bénédictions, <strong>soit</strong> universelle, on n’a qu’à s’intéresser à<br />

l’histoire des religions. Dans l’Athènes de la Grèce ancienne, on choisissait un pauvre<br />

bougre de la plèbe <strong>que</strong> l’on traitait comme un roi pendant une certaine période pour ensuite<br />

l’immoler sous le nom du <strong>«</strong> pharmakos » ; ce sacrifice servant de <strong>«</strong> remède » contre les<br />

maux <strong>et</strong> les désordres de la cité. En Egypte comme l’expli<strong>que</strong> la Bible, face aux fléaux<br />

envoyés <strong>par</strong> Dieu, on tuait un mouton <strong>et</strong> le sang badigeonné sur le devant des mai<strong>son</strong>s<br />

protégeait de la colère de Dieu. Toujours dans la Bible, on voit Aaron utiliser le rituel du<br />

<strong>«</strong> bouc émissaire » qui consistait à charger symboli<strong>que</strong>ment un bouc des péchés de la tribu<br />

pour l’envoyer mourir au désert pour perm<strong>et</strong>tre de r<strong>et</strong>rouver la bienveillance de Dieu.<br />

Selon nous, les Evangiles, les synopti<strong>que</strong>s plus <strong>que</strong> celui de saint Jean, se composent de<br />

deux aspects. Le premier aspect expose les <strong>par</strong>oles, les faits <strong>et</strong> les gestes du <strong>Christ</strong>, en soi<br />

<strong>son</strong> enseignement <strong>et</strong> l’autre aspect, raconte en l’interprétant la passion du <strong>Christ</strong>.<br />

1


Pour l’exemple, l’apocryphe Evangile de Thomas ne fait <strong>que</strong> citer des logias du Galiléen<br />

sans aborder la tragédie de sa passion. Or de <strong>notre</strong> point de vue, les <strong>par</strong>oles <strong>et</strong> les gestes<br />

du <strong>Christ</strong> <strong>son</strong>t subversifs concernant la conception de la divinité qui n’est plus une divinité<br />

vengeresse puis<strong>que</strong> qu’il dit <strong>que</strong> Dieu est bon pour les méchants (cf. le Sermon sur la<br />

montagne - Luc 6 : 35)). Par contre, de manière contradictoire, ces mêmes rédacteurs des<br />

Evangiles interprètent sa passion selon le <strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe<br />

qui est, en fait, un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui, prenant sur lui les péchés des hommes, apaise la<br />

colère de Dieu <strong>et</strong> le rend plus bienveillant. Et c’est à cause de c<strong>et</strong>te référence à ce<br />

<strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe <strong>que</strong> les rédacteurs des Evangiles<br />

canoni<strong>que</strong>s n’ont de cesse de s’en référer à l’Ancien Testament en contradiction avec la<br />

<strong>par</strong>abole christi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> vin nouveau <strong>que</strong> l’on ne doit pas m<strong>et</strong>tre dans de vieilles outres ».<br />

Certes, le <strong>Christ</strong> se situe à la suite de l’Ancien Testament <strong>et</strong> il ne rem<strong>et</strong> pas en cause le<br />

<strong>«</strong> décalogue » <strong>et</strong> la différenciation de la loi morale propre à la révélation mosaï<strong>que</strong> mais<br />

concernant la conception de la divinité, la rupture est radicale <strong>et</strong> en rej<strong>et</strong>ant la divinité<br />

vengeresse, il rej<strong>et</strong>te radicalement le sacrificiel qui n’a de sens <strong>que</strong> d’apaiser la colère divine.<br />

Concernant c<strong>et</strong>te conception archaï<strong>que</strong> de la divinité punitive, l’Ancien Testament n’est pas<br />

différent des autres religions païennes de la planète. Il n’est donc pas <strong>que</strong>stion de rej<strong>et</strong>er<br />

entièrement tout l’Ancien Testament à la manière de Marcion pour déboucher sur un<br />

manichéisme où le Dieu de l’Ancien Testament serait un Dieu méchant à l’opposé du Dieu<br />

christi<strong>que</strong> qui serait un Dieu de pure bonté. On verra <strong>que</strong> cela est plus complexe <strong>et</strong> <strong>que</strong> la<br />

solution est venue, dans un premier temps, <strong>par</strong> l’entrée en scène du diable comme on le voit<br />

déjà dans le livre de Job <strong>et</strong> dans un second temps dans l’affirmation origénienne <strong>et</strong><br />

augustinienne du mal conçu comme une <strong>«</strong> privatio boni ». De toute façon, les dires du<br />

pasteur huguenot envoyé <strong>par</strong> Genève au chev<strong>et</strong> de la Reine de Navarre comme quoi c’est<br />

<strong>par</strong> la main de Dieu <strong>que</strong> provient toutes nos afflictions <strong>son</strong>t contredits <strong>par</strong> les dires mêmes<br />

du <strong>Christ</strong> qui, au suj<strong>et</strong> de l’épisode de l’effondrement de la tour de Siloé (Luc 13 : 4),<br />

détrompent ses contemporains en leur disant <strong>que</strong> les pauvres bougres écrasés sous les<br />

décombres ne <strong>son</strong>t en rien punis <strong>par</strong> Dieu au regard de soi-disant péchés. Bien entendu, le<br />

<strong>Christ</strong> n’est pas un rationaliste scientiste comme nous le sommes devenus à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> <strong>et</strong><br />

pour lui, le malheur est le fait du mal <strong>et</strong> s’il est venu pour nous en libérer, ce n’est pas pour<br />

apaiser la violence coléreuse de <strong>son</strong> père qui, pour lui, n’est <strong>que</strong> pure bonté. En fait,<br />

concernant c<strong>et</strong>te conception de la divinité juge <strong>et</strong> punitive, les positions luthérienne <strong>et</strong><br />

calviniste ne <strong>son</strong>t en rien antagonistes à celle de la Contre-réforme <strong>et</strong> du Concile de Trente.<br />

Ce <strong>son</strong>t uni<strong>que</strong>ment les <strong>«</strong> dissenters » de Luther, les Cas<strong>par</strong> Schwenckfeld, Valentin Weigel<br />

ou Sébastien Franck qui s’opposeront ouvertement au sacrificiel <strong>et</strong> à la divinité punitive :<br />

<strong>«</strong> … rien n’est plus absurde [la thèse prédestinationaliste] <strong>que</strong> supposer un Dieu créant<br />

des hommes qu’il voue lui-même à la damnation. Une cruauté <strong>par</strong>eille serait indigne d’un<br />

animal féroce. L’humanité n’est pas une massa perditionis comme l’affirme Luther. […]<br />

Faudrait-il donc adm<strong>et</strong>tre <strong>que</strong> Dieu ait été réellement courroucé ? qu’il fallait un sacrifice<br />

pour apaiser sa colère ? Quelle ineptie ! Dieu est bon, il est l’amour. […] Non, Dieu n’a<br />

jamais eu besoin de c<strong>et</strong>te victime sanglante – c’est nous tout au plus qui en avons eu<br />

besoin. En eff<strong>et</strong>, l’homme pécheur s’imagine <strong>que</strong> Dieu le condamne; à l’homme charnel<br />

(adami<strong>que</strong>), Dieu ap<strong>par</strong>aît – faussement – comme courroucé ; <strong>et</strong> c’est pour détruire c<strong>et</strong>te<br />

erreur, c<strong>et</strong>te illusion de l’homme <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> est venu nous révéler l’amour du Père<br />

céleste, nous enseigner la vraie foi en Dieu …. ».<br />

A. Koyré Mysti<strong>que</strong>s, spirituels <strong>et</strong> alchimistes au XVI e siècle allemand<br />

Or c<strong>et</strong>te conception tridentine de la messe liée au sacrificiel fut au fondement de la<br />

dogmati<strong>que</strong> catholi<strong>que</strong> jusqu’au concile de Vatican II qui, timidement, tenta de s’en dégager<br />

au grand dam des traditionalistes qui reviennent en force à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>.<br />

2


Le 3 avril 1969, le pape Paul VI signait la constitution apostoli<strong>que</strong> Missale romanum, dont le<br />

titre disait qu'elle "promulguait le Missel romain restauré sur l'ordre du deuxième concile<br />

oecuméni<strong>que</strong> du Vatican". La nouvelle messe était née <strong>et</strong> elle entraîna une vive réaction des<br />

Cardinaux Ottaviani <strong>et</strong> Bacci :<br />

"Le nouvel Ordo Missae, si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles<br />

d'appréciations fort diverses, qui y <strong>par</strong>aissent sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de<br />

façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholi<strong>que</strong><br />

de la sainte messe, telle qu'elle a été formulée à la XXème session du Concile de Trente,<br />

le<strong>que</strong>l, en fixant définitivement les "canons" du rite, éleva une barrière infranchissable<br />

contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité du mystère".<br />

Pour les traditionalistes, le nouveau rite sur la base d'une théologie héréti<strong>que</strong> tend à effacer<br />

les dogmes de foi qui fonde proprement la messe : c’est à dire l’oblation <strong>et</strong> l’ immolation du<br />

sacrifice du <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> le pouvoir sacramentel ministériel du prêtre. C’est à dire ce qu’est le rite<br />

sacrificiel dans toutes les religions les plus archaï<strong>que</strong>s de la planète. Pour l’exemple, un des<br />

rituels des aztè<strong>que</strong>s, peuple <strong>par</strong>ticulièrement fascinés <strong>par</strong> le sang <strong>et</strong> les sacrifices humains<br />

destinés à assurer l’ordre <strong>et</strong> l’harmonie sociale <strong>et</strong> cosmi<strong>que</strong>. Le rituel se dénomme Teoqualo,<br />

<strong>«</strong> la manducation du dieu » r<strong>et</strong>ranscrit <strong>par</strong> le frère Bernardino de Sahagun le<strong>que</strong>l était<br />

missionnaire au Mexi<strong>que</strong>, huit ans après la prise de Mexico en 1529 :<br />

<strong>«</strong> L’autre matin, le corps [ de pâte du dieu ] Uitzilopochtli a été sacrifié.<br />

Le prêtre qui représentait [ le dieu ] Qu<strong>et</strong>zalcoatl l’a tué,<br />

Il l’a tué avec une lance dont la pointe était une pierre à feu<br />

Et il la lui a plantée dans le cœur.<br />

Il a été sacrifié en présence du roi Montézuma<br />

Et du grand prêtre avec le<strong>que</strong>l Uitzilopochtli <strong>par</strong>lait …<br />

Et après qu’il fut mort, ils ont découpé <strong>son</strong> corps de pâte.<br />

Le cœur est revenu à Montézuma<br />

Et les autres <strong>par</strong>ties cylindri<strong>que</strong>s qui formaient pour ainsi dire ses os<br />

ont été <strong>par</strong>tagées entre les assistants .<br />

[…] Cha<strong>que</strong> année ils mangent le corps<br />

<strong>et</strong> quand ils ré<strong>par</strong>tissent entre eux le corps pétri en pâte,<br />

chacun d’eux reçoit seulement un tout p<strong>et</strong>it morceau.<br />

De jeunes guerriers le mangent.<br />

Et le manger ainsi s’appelle <strong>«</strong> manger le dieu »<br />

Et ceux qui l’ont mangé <strong>son</strong>t appelés <strong>«</strong> gardiens du dieu ».<br />

Pour nos traditionalistes, la nouvelle messe de Paul VI inverse les fins de toute liturgie en<br />

donnant le primat à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> à l’apostolat sur le culte divin qui seul en lui-même apporte<br />

grâces <strong>et</strong> bénédictions. L’adoption de la langue vernaculaire à la place du latin, l’extension<br />

de la <strong>«</strong> liturgie de la <strong>par</strong>ole » <strong>et</strong> la célébration face au peuple, caractéristi<strong>que</strong>s de la nouvelle<br />

messe, prouvent c<strong>et</strong>te inversion. Enfin <strong>et</strong> pas des moindres, l’ouverture à l’œcuménisme<br />

voulant adapter la liturgie aux besoins de l’union des Eglises impli<strong>que</strong>rait une dérive vers<br />

l’hérésie <strong>et</strong> une trahi<strong>son</strong> de la messe de saint Pie V, seule conforme aux <strong>«</strong> canons »<br />

catholi<strong>que</strong>s définitivement fixés <strong>par</strong> le Concile de Trente. Actuellement, il existe dans l’église<br />

catholi<strong>que</strong>, un conflit concernant ces deux messes <strong>et</strong> la curie romaine, dans un but politi<strong>que</strong><br />

d’apaisement <strong>et</strong> de réintégration des schismati<strong>que</strong>s lefèvristes, propose une co-existence<br />

pacifi<strong>que</strong> entre la messe ordinaire, celle de Vatican II <strong>et</strong> la messe extraordinaire, celle de<br />

saint Pie V mais c’est une dérobade au regard de la vérité car elles ne <strong>son</strong>t pas conciliables,<br />

ce <strong>que</strong> pensent avec rai<strong>son</strong> les traditionalistes qui, plus logi<strong>que</strong>s <strong>et</strong> plus cohérents, ne<br />

veulent rien savoir de la messe de Vatican II.<br />

D’un autre coté, la messe tridentine se situe à l’aboutissement d’une élaboration qui prend<br />

sa source dans les Evangiles eux-mêmes qui comprennent la passion du <strong>Christ</strong> au regard du<br />

<strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe, un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui prend sur lui les<br />

péchés du groupe, <strong>«</strong> justifie » les hommes <strong>et</strong> les sauve de la colère divine :<br />

3


Méprisé <strong>et</strong> abandonné des hommes,<br />

Homme de douleur <strong>et</strong> habitué à la souffrance,<br />

Semblable à celui dont on détourne le visage,<br />

Nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.<br />

Cependant, ce <strong>son</strong>t nos souffrances qu’il a portées,<br />

C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ;<br />

Et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu, <strong>et</strong> humilié.<br />

Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ;<br />

Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui,<br />

Et c’est <strong>par</strong> ses meurtrissures <strong>que</strong> nous sommes guéris.<br />

Et l’Eternel a fait r<strong>et</strong>omber sur lui l’iniquité de nous tous.<br />

Il a été maltraité <strong>et</strong> opprimé <strong>et</strong> il n’a point ouvert la bouche,<br />

Semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie,<br />

A une brebis mu<strong>et</strong>te devant ceux qui la tondent ;<br />

Il n’a point ouvert la bouche.<br />

Il a été enlevé <strong>par</strong> l’angoisse <strong>et</strong> le châtiment ;<br />

Et <strong>par</strong>mi ceux de sa génération qui a cru<br />

Qu’il était r<strong>et</strong>ranché de la terre des vivants<br />

Et frappé pour les péchés de mon peuple.<br />

Quoiqu’il n’eût point eu de fraude dans sa bouche<br />

Il a plu à l’Eternel de le briser <strong>par</strong> la souffrance …<br />

Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché,<br />

Il verra une postérité <strong>et</strong> prolongera ses jours ;<br />

Et l‘œuvre de l’Eternel prospérera entre ses mains.<br />

A cause du travail de <strong>son</strong> âme, il rassasiera ses regards ;<br />

Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes,<br />

Et il se chargera de leur iniquités.<br />

C’est pourquoi je lui donnerai sa <strong>par</strong>t avec les grands ;<br />

Il <strong>par</strong>tagera le butin avec les puissants,<br />

Parce qu’il s’est livré lui-même à la mort,<br />

Et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs,<br />

Parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes,<br />

Et qu’il a intercédé pour les coupables. Isaïe 53, 3-12<br />

Dans les Actes des Apôtres, le diacre Philippe convertit le juif éthiopien qui revenait de faire<br />

ses Pâ<strong>que</strong>s à Jérusalem en lui faisant comprendre <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> est ce <strong>«</strong> juste souffrant »<br />

prophétisé <strong>par</strong> le second Isaïe. La <strong>«</strong> première Epître de Clément », daté de 88, cite en entier<br />

dans <strong>son</strong> chapitre 16 le texte du second Isaïe sur le <strong>«</strong> juste souffrant » identifié au <strong>Christ</strong><br />

tandis <strong>que</strong> l’Epître de Barnabé, daté de 130, contient encore, dans <strong>son</strong> chapitre 5,1, c<strong>et</strong>te<br />

même référence au <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe. Or le <strong>«</strong> juste souffrant » est un<br />

<strong>«</strong> bouc émissaire » qui s’inscrit dans toute la phénoménologie sacrificielle qui n’a d’autres<br />

buts <strong>que</strong> de rendre bienveillant les âmes des morts, les ancêtres mythi<strong>que</strong>s ou les divinités.<br />

Le sacrifice du <strong>«</strong> bouc émissaire » qui prend sur lui les péchés du groupe, les lave <strong>et</strong> les<br />

justifie, apaise le courroux des divinités vengeresses, responsables des fléaux <strong>et</strong> des<br />

malheurs du groupe. La colère de Dieu n’est pas uni<strong>que</strong>ment le fait du Dieu juge de l’Ancien<br />

Testament car on le r<strong>et</strong>rouve dans toutes les religions de la planète <strong>et</strong> également chez le<br />

philosophe grec présocrati<strong>que</strong>s Héraclite :<br />

<strong>«</strong> Je contemple le devenir <strong>et</strong> per<strong>son</strong>ne n’a scruté si attentivement ce ressac <strong>et</strong> ce rythme<br />

éternel des choses. Et qu’ai-je vu ? Des processus réglés, les voies toujours identi<strong>que</strong>s<br />

de la justice (punitive), le jugement des Erinnyes derrière cha<strong>que</strong> infraction aux lois, le<br />

monde entier comme le spectacle d’une justice souveraine <strong>et</strong> des forces naturelles<br />

présentes en tous lieux comme des démons ….<br />

4


Où règnent l’iniquité ap<strong>par</strong>aissent alors l’arbitraire, le désordre, le dérèglement <strong>et</strong> la<br />

contradiction ; mais ce monde où seules la loi <strong>et</strong> Diké, fille de Zeus, règnent, comment<br />

pourrait-il être autre chose <strong>que</strong> la sphère de la culpabilité, de l’expiation, de la<br />

condamnation, <strong>et</strong> en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte un lieu de supplice pour tous les damnés ? ».<br />

Qui a <strong>par</strong>lé de l’innocence joyeuse du paganisme <strong>que</strong> le judéo-christianisme aurait balayé ?<br />

Le monde comme lieu d’expiation des pécheurs n’est pas le propre de la chrétienté<br />

médiévale comme le montre ce texte ci-dessus d’Héraclite datant du V e siècle av.JC. Or<br />

l’hybris, la démesure est la chose la plus importante pour la Grèce anti<strong>que</strong> <strong>et</strong> c’est elle,<br />

comme transgression de la loi divine, qui était responsable de la légitime intervention des<br />

Erinnyes, les divinités vengeresses envoyées <strong>par</strong> Zeus, maître de l’ordre cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social.<br />

Pour le <strong>Christ</strong>, outre <strong>que</strong> le Père divin est bon avec les méchants <strong>et</strong> ne les punit pas, c<strong>et</strong>te<br />

figure du Père est dissociée de la figure du maître, garant de l’ordre <strong>et</strong> de la loi sociale ( le<br />

<strong>«</strong> Rendez à César …. »). On n’est plus dans l’opposition entre ordre <strong>et</strong> désordre <strong>et</strong> le Satan<br />

christi<strong>que</strong> n’est en rien le responsable du désordre mais l’accusateur public qui accuse<br />

injustement les innocents. Il est le <strong>«</strong> menteur meurtrier » qui, du coté des <strong>«</strong> puissances <strong>et</strong><br />

des dominations », donne toujours rai<strong>son</strong>, dans les mythes <strong>et</strong> les dogmes religieux, du<br />

sacrifice de l’individu soi-disant nécessaire pour sauver le groupe. Le <strong>Christ</strong> refuse le<br />

sacrificiel <strong>par</strong>ce qu’il condamne des innocents : <strong>«</strong> <strong>«</strong> Si <strong>vous</strong> saviez ce <strong>que</strong> signifie : Je prends<br />

plaisir à <strong>«</strong> matricier » <strong>et</strong> non aux sacrifices, <strong>vous</strong> n'auriez pas condamné des innocents »<br />

(Matthieu 12 : 7). Dans l’Evangile de st Luc (9 : 51), l’épisode du passage en Samarie<br />

montre <strong>que</strong> les disciples n’avaient rien compris au message de leur maître lorsqu’ils en<br />

appelaient à Dieu pour qu’il punisse les samaritains de leur mauvais accueil. De même, les<br />

Actes des apôtres attribuent la mort soudaine de Hérode au bras vengeur de l’Ange de Dieu.<br />

L’incompréhension du message christi<strong>que</strong> semble avoir été total chez ses propres disciples<br />

<strong>et</strong> per<strong>son</strong>ne ne s’est jamais demandé pourquoi le recours à saint Paul fut nécessaire pour<br />

palier à c<strong>et</strong>te incompréhension car même si les Epîtres du nouvel apôtre <strong>son</strong>t souvent<br />

<strong>«</strong> brouillon », ils <strong>son</strong>t foncièrement anti-sacrificiels <strong>et</strong> ne valorise jamais la mort (<strong>«</strong> Mort où est<br />

ta victoire ? ») car ils intuitionnent, tant bien <strong>que</strong> mal, <strong>que</strong> la crucifixion m<strong>et</strong> en spectacle les<br />

men<strong>son</strong>gères accusations diaboli<strong>que</strong>s de la figure du maître, garant de la loi sociale (saint<br />

Paul Colossiens 2:14) :<br />

<strong>«</strong> Il a effacé la loi mosaï<strong>que</strong> dont les ordonnances nous condamnaient <strong>et</strong> qui subsistait<br />

contre nous, <strong>et</strong> il l’a détruite en la clouant à la croix ; il a dépouillé les dominations <strong>et</strong> les<br />

autorités, <strong>et</strong> les a livrées publi<strong>que</strong>ment en spectacle, en triomphant d'elles <strong>par</strong> la croix ».<br />

La dénomination de <strong>«</strong> Justice de Dieu » chez le <strong>Christ</strong> a une signification inverse à la justice<br />

divine traditionnelle qui s’appli<strong>que</strong>, elle, à la punition du fauteur du désordre <strong>et</strong> du<br />

transgresseur de la loi sociale. La <strong>par</strong>abole des vignerons assassins dénoncent c<strong>et</strong>te vérité<br />

fondamentale <strong>que</strong> les humains depuis l’origine de l’humanité se structurent sur le sacrifice de<br />

l’individu nécessaire à la bonne santé du groupe car, comme le dit le grand prêtre<br />

Caïphe : <strong>«</strong> il est de <strong>notre</strong> intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple <strong>et</strong> <strong>que</strong> la nation<br />

entière ne périsse pas » (Jean 11- 50). A l’opposé, le <strong>Christ</strong> donne la <strong>par</strong>abole du bon berger<br />

qui quitte le troupeau pour s’occuper de l’uni<strong>que</strong> brebis égarée. Il est à noter <strong>que</strong> de manière<br />

aberrante, le rédacteur de l’Evangile reprend à <strong>son</strong> compte les dires abominables de Caïphe<br />

en les considérant comme prophéti<strong>que</strong>s au regard du <strong>par</strong>adigme du <strong>«</strong> juste souffrant » du<br />

second Isaïe dont le sacrifice sauve le peuple des croyants en les justifiant <strong>et</strong> en apaisant<br />

ainsi la colère de Dieu. C<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> sacrificielle archaï<strong>que</strong> se r<strong>et</strong>rouve dans<br />

certaines formes de la superstition comme la corde du pendu, le toucher du bois (de la croix)<br />

ou le toucher la bosse du bossu. René Girard a très bien montré <strong>que</strong> la différence physi<strong>que</strong><br />

était capitale pour l’horizon primitif dans le choix du <strong>«</strong> bouc émissaire ». Elle l’est toujours<br />

dans les cours de nos écoles enfantines. Lucien Lévy Brühl a, lui, de <strong>son</strong> coté, montré <strong>que</strong><br />

dans le phénomène des <strong>«</strong> monstra » dans l’horizon primitif, l’élimination pure <strong>et</strong> simple était<br />

la solution r<strong>et</strong>enue à ce qui était différent <strong>et</strong> non-conforme à l’ordre des choses. Or c’est la<br />

figure du maître qui est le garant de l’ordre cosmi<strong>que</strong> <strong>et</strong> social.<br />

5


Dans c<strong>et</strong>te affaire du sacrificiel, il faut différencier la figure du Père, garant de la loi morale<br />

anti-sexuelle de la figure du maître, garant de la loi sociale pro-sexuelle ( le <strong>«</strong> croissez <strong>et</strong><br />

multipliez-<strong>vous</strong> »). En général, la plu<strong>par</strong>t des penseurs ne font pas c<strong>et</strong>te différence ainsi <strong>que</strong><br />

saint Paul, ce qui rend <strong>son</strong> texte embrouillé concernant <strong>son</strong> rapport à la loi. Surtout, il ne faut<br />

pas analyser le sacrificiel au regard de la loi morale du Père comme le font les freudiens ou<br />

certaines lacaniennes comme Mary Balmary (cf. le sacrifice interdit). Dans tout l’univers<br />

archaï<strong>que</strong>, la religion concerne l’ordre <strong>et</strong> le désordre <strong>et</strong> la figure du maître. De plus, le<br />

<strong>«</strong> pénis » n’est pas le <strong>«</strong> phallus » qui, lui, n’a de sens <strong>que</strong> dans le cadre de l’hermaphrodite.<br />

Eliane Amado Lévy-Valensi, une des psychanalystes lacaniennes a l’avoir bien vu, montre<br />

<strong>que</strong> la circoncision n’est en rien une castration du pénis mais une sé<strong>par</strong>ation de<br />

l’hermaphrodite :<br />

<strong>«</strong> A Abram est ôté le prépuce - reconnu comme reste “anthropologi<strong>que</strong>” du<br />

féminin <strong>et</strong> à Saraï on ôte le yod (la l<strong>et</strong>tre i) connu comme signe phalli<strong>que</strong>.<br />

A tous deux est ajouté le hé, l<strong>et</strong>tre hautement symboli<strong>que</strong>, l<strong>et</strong>tre de la détermination<br />

(qui est celui de l'article défini) <strong>et</strong> l<strong>et</strong>tre qui désigne le nom du Divin dans le<strong>que</strong>l elle<br />

ap<strong>par</strong>aît deux fois. Abraham <strong>et</strong> Sarah <strong>son</strong>t respectivement virilisés <strong>et</strong> féminisés <strong>et</strong> en<br />

même temps déterminés dans leur essence <strong>et</strong>, <strong>par</strong> la même, relier à Dieu ».<br />

C<strong>et</strong>te conception de la circoncision comme signifiant de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite<br />

rejoint celle de C. Desroches-Noblecourt, spécialiste de l'Egypte qui écrit <strong>que</strong> la<br />

“circoncision rappelle la coutume qui, en Afri<strong>que</strong>, se perd dans la nuit des temps, ayant pour<br />

but de confirmer les sexes <strong>et</strong> de bien différencier l'homme <strong>et</strong> la femme de la nature divine qui<br />

était androgyne ... ”. (La femme au temps des Pharaons). Platon dans le Ban<strong>que</strong>t <strong>par</strong>le aussi<br />

de c<strong>et</strong>te sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite comme, d’ailleurs, de nombreux autres mythes de<br />

toutes les cultures de la planète. En fait, la circoncision est répandue sur toute la surface de<br />

la terre <strong>et</strong> on la conjecture pour le paléolithi<strong>que</strong>, bien avant l’agriculture <strong>et</strong> la domestication<br />

des animaux. Elle a toujours été un procédé magi<strong>que</strong> de protection. Elle est souvent un rite<br />

de passage à l’âge adulte. Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, il y a l’opposition entre <strong>«</strong> avoir le pénis ou<br />

être le phallus de la Mère » <strong>et</strong> la <strong>«</strong> sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite » est une accession au<br />

pénis <strong>et</strong> à la fonction génitale. Dans <strong>son</strong> livre intitulé <strong>«</strong> La circoncision – Enquête sur un rite<br />

fondateur », Patrick Banon écrit : <strong>«</strong> les mains mutilées dessinées sur les cavernes du<br />

Paléolithi<strong>que</strong> ne <strong>son</strong>t pas sans rappeler la valeur protectrice du phallus circoncis » (p. 16).<br />

Dans l’univers mythi<strong>que</strong>, l’ablation d’un doigt ou de tout ordre obj<strong>et</strong> du corps est un sacrifice<br />

comme un autre mais, contrairement, à la théorie freudienne orthodoxe, ce sacrifice n’a rien<br />

à voir avec la castration du pénis <strong>par</strong> le Père surmoi<strong>que</strong>. Bien au contraire, tout sacrifice<br />

s’adresse à la divinité, garante de l’ordre cosmi<strong>que</strong> dont l’harmonie entraîne la fécondité des<br />

femmes <strong>et</strong> des champs. Il ne faut jamais oublier <strong>que</strong> les démons dans l’horizon primitif<br />

s’opposent à la sexualité telle <strong>«</strong> la sorcière qui noue les aiguill<strong>et</strong>tes ». Tout comme les<br />

sacrifices humains <strong>et</strong> animaux qui versent le sang, la circoncision également le verse <strong>et</strong> on<br />

sait <strong>que</strong> dans tous serments, pactes <strong>et</strong> alliances nécessitant le respect d’un contrat, il existe<br />

nombre de rituels de versement du sang où souvent le jureur touche les <strong>par</strong>ties sexuelles de<br />

<strong>son</strong> <strong>par</strong>tenaire pour qu’il engage aussi sa descendance. Un des rituels de serment consistait<br />

à sacrifier un animal <strong>et</strong> à le couper en deux en faisant passer les contractants <strong>par</strong> <strong>son</strong> milieu<br />

(Jérémie 34 : 18). Patrick Banon écrit :<br />

<strong>«</strong> Hérodote rapporte <strong>que</strong> les Arabes prêtaient serments en pratiquant une incision au<br />

creux de la main, près du pouce, enduisant de leur sang sept pierres placées entre eux,<br />

recommandant à leurs propres <strong>et</strong> descendants de s’estimer autant liés <strong>par</strong> ce serment<br />

qu’eux-mêmes . Un rituel équivalent à celui des prêtres de Tyr versant leur sang sur<br />

l’autel de Baal <strong>et</strong> à la circoncision décrite en Josué 5, effectuée au centre de Guigal, un<br />

cercle de pierres sacrées ». (p. 19).<br />

Le cercle est, selon CG Jung, l’archétype de l’ordre <strong>et</strong>, indéniablement, il symbolise l’ordre<br />

social <strong>et</strong> cosmi<strong>que</strong> sous l’égide de la figure du maître.<br />

6


On sait <strong>que</strong> la pensée grec<strong>que</strong> était fascinée <strong>par</strong> c<strong>et</strong>te figure du cercle en totale adéquation<br />

avec leur Logos, ordonnateur du cosmos. La circoncision, différenciatrice de l’hermaphrodite<br />

originel, relève de la figure du maître <strong>et</strong> relève de la phénoménologie du sacrificiel. On trouve<br />

au Mexi<strong>que</strong> chez les Aztè<strong>que</strong>s un rite de circoncision en lien avec le dieu Uitzilopochtli. Le<br />

maître est le garant des serments <strong>et</strong> des pactes d’alliance <strong>et</strong> il n’y a pas d’alliance sans<br />

versement de sang. C’est d’autant plus vrai dans l’Ancien Testament. Dans la Bible (Exode<br />

24,8), nous trouvons ce lien entre le versement du sang <strong>et</strong> l’acte d’alliance avec la divinité :<br />

<strong>«</strong> Moïse prit le sang [des taureaux sacrifiés] en aspergea le peuple <strong>et</strong> dit : <strong>«</strong> voici le sang de<br />

l’alliance <strong>que</strong> le Seigneur a conclue avec <strong>vous</strong> … ». C’est c<strong>et</strong>te Alliance qui conditionne sa<br />

protection <strong>et</strong> sa bénédiction <strong>et</strong> on sait <strong>que</strong> tous les déboires du peuple juif seront imputés<br />

essentiellement au non respect de c<strong>et</strong>te alliance. Toute transgression ou autre péché<br />

devront pour être lavés <strong>et</strong> rach<strong>et</strong>és impli<strong>que</strong>r le sacrifice <strong>et</strong> le sang versé. Toujours dans <strong>son</strong><br />

livre sur la circoncision, Patrick Banon écrit (p.90) :<br />

<strong>«</strong> Devant la menace de mort proférée <strong>par</strong> Yahvé à l’encontre de Moïse, il est évident <strong>que</strong><br />

la seule chose <strong>que</strong> Sippora, <strong>son</strong> épouse, puisse faire pour satisfaire la divinité est un<br />

sacrifice. La circoncision de <strong>son</strong> fils est supposée sauver la vie du père. Mais le fait <strong>que</strong><br />

le sang de la circoncision du fils <strong>soit</strong> versé sur les pieds du père …. ».<br />

Pour la Bible, l’âme est dans le sang <strong>et</strong> c’est pour cela qu’il est interdit de le consommer <strong>et</strong><br />

<strong>que</strong>, de nos jours encore, les témoins de Jéhova s’interdisent toutes transfusions sanguines.<br />

L’aspersion du sang sacrificiel sur la tête impli<strong>que</strong> une bénédiction <strong>et</strong> un destin favorable. Ce<br />

motif du sang qui r<strong>et</strong>ombe sur la tête est très important à c<strong>et</strong>te épo<strong>que</strong> <strong>et</strong> pas uni<strong>que</strong>ment<br />

chez le peuple juif. Lors de <strong>son</strong> initiation, le myste de la religion de Mithra, concurrente de la<br />

religion chrétienne au début de celle-ci, se plaçait sous le taureau représentant le dieu Mithra<br />

<strong>que</strong> l’on égorgeait <strong>et</strong> ainsi la puissance magi<strong>que</strong> bénéfi<strong>que</strong> du Dieu associé à <strong>son</strong> sang<br />

r<strong>et</strong>ombait sur la tête du néophyte. Mais pour le <strong>Christ</strong>, le sang versé n’est en rien<br />

<strong>«</strong> magi<strong>que</strong> » car il est tout simplement le sang des innocents <strong>et</strong> s’il <strong>«</strong> r<strong>et</strong>ombe sur nos<br />

têtes », ce n’est pas pour nous amener des grâces <strong>et</strong> des bienfaits, bien au contraire, mais<br />

pour qu’enfin nous prenions conscience de ce fondement meurtrier <strong>et</strong> de la nécessité de<br />

sortir du sacrificiel, responsable de la condamnation d’innocents :<br />

<strong>«</strong> …<strong>et</strong> <strong>vous</strong> dites : <strong>«</strong> Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous n’aurions pas été<br />

leurs complices pour verser le sang des prophètes. Ainsi <strong>vous</strong> témoignez contre <strong>vous</strong>mêmes<br />

: <strong>vous</strong> êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. […] C’est pourquoi,<br />

voici <strong>que</strong> moi, j’envoie vers <strong>vous</strong> des prophètes, des sages <strong>et</strong> des scribes. Vous en<br />

tuerez <strong>et</strong> m<strong>et</strong>trez en croix, <strong>vous</strong> en flagellerez dans vos temples <strong>et</strong> <strong>vous</strong> les<br />

pourchasserez de ville en ville, pour <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ombe sur <strong>vous</strong> tout le sang des justes<br />

répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de<br />

Barachie, <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel. En vérité, je <strong>vous</strong> le<br />

déclare, tout cela va r<strong>et</strong>omber sur c<strong>et</strong>te génération ».<br />

Evangiles (Matthieu 23 – 30)<br />

La mort du <strong>Christ</strong> se situe à la suite de c<strong>et</strong>te litanie d’innocents sacrifiés comme le montre la<br />

<strong>par</strong>abole des vignerons assassins :<br />

<strong>«</strong> [...] Il se mit ensuite à dire au peuple c<strong>et</strong>te <strong>par</strong>abole : Un homme planta une vigne,<br />

l'afferma à des vignerons, <strong>et</strong> quitta pour longtemps le pays.<br />

Au temps de la récolte, il envoya un serviteur vers les vignerons, pour qu'ils lui<br />

donnassent une <strong>par</strong>t du produit de la vigne. Les vignerons le battirent, <strong>et</strong> le<br />

renvoyèrent à vide. Il envoya de nouveau un autre serviteur ; ils le battirent,<br />

l'outragèrent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il en envoya encore un troisième ; ils le<br />

blessèrent, <strong>et</strong> le chassèrent. Le maître de la vigne dit : Que ferai-je ? J'enverrai mon<br />

fils bien-aimé ; peut-être auront-ils pour lui du respect.<br />

7


Mais, quand les vignerons le virent, ils rai<strong>son</strong>nèrent entre eux, <strong>et</strong> dirent : voici l'héritier<br />

; tuons-le, afin <strong>que</strong> l'héritage <strong>soit</strong> à nous. Et ils le j<strong>et</strong>èrent hors de la vigne <strong>et</strong> le<br />

tuèrent.<br />

Matthieu 20 – 2<br />

Comprendre la passion du <strong>Christ</strong> de manière vétero-testamentaire au regard du juste<br />

souffrant du second Isaïe, c’est continuer le sacrificiel <strong>et</strong> si la première alliance impliquait le<br />

sang versé purificateur <strong>et</strong> dispensateur de grâces, la deuxième alliance devra<br />

nécessairement impli<strong>que</strong>r aussi le versement du sang, non celui im<strong>par</strong>fait des taureaux ou<br />

autres animaux mais le sacrifice uni<strong>que</strong>, <strong>par</strong>fait <strong>et</strong> vraiment efficace c<strong>et</strong>te fois, le sacrifice du<br />

propre fils de Dieu. C’est le thème de l’Epître aux Hébreux (9 : 11) <strong>que</strong> les exégètes refusent<br />

de reconnaître être de l’apôtre Paul <strong>par</strong>ce qu’il est manifestement non homogène aux autres<br />

épîtres qui globalement relèvent du mythologème du <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » <strong>et</strong> de la victoire<br />

sur la mort <strong>et</strong> non de celui de la mort salvatrice. Le <strong>«</strong> sacrifice » n’est pas mis au premier<br />

plan car c’est la résurrection qui est centrale même s’il faut bien sûr mourir pour pouvoir<br />

renaître, ressusciter <strong>et</strong> vaincre la mort. <strong>«</strong> Mort où est ta victoire ! » écrit l’Apôtre pour qui la<br />

mort identifiée au mal est la non-valeur suprême. Il faut mourir au vieil Adam pour renaître en<br />

<strong>Christ</strong> <strong>et</strong> le vieil Adam est l’être de chair identifié à la mort (<strong>«</strong> l’affection de la chair, c’est la<br />

mort » Romains 8 – 6). Nous avons chez saint Paul, le motif de la <strong>«</strong> mort de la mort »,<br />

l’autodestruction de la négativité, représentée archétypi<strong>que</strong>ment <strong>par</strong> le symbole du dragon<br />

qui s’auto-dévore, le serpent qui se mort la <strong>que</strong>ue, le monstre ouroboros alchimi<strong>que</strong>. C’est<br />

chez l’apôtre des Gentils le pendant du <strong>«</strong> laissez les morts enterrer les morts » de l’Evangile<br />

(Matthieu 8:22). La dogmati<strong>que</strong> chrétienne est un <strong>«</strong> pachwork » qui, heureusement, n’est pas<br />

uni<strong>que</strong>ment fondée sur la mort salvatrice. Beaucoup d’auteurs chrétiens médiévaux y font<br />

référence <strong>que</strong> très secondairement. Mais ne pas être sacrificiel ne veut pas dire <strong>que</strong> l’on <strong>soit</strong><br />

anti-sacrificiel car l’interprétation anti-sacrificielle est difficile si on s’en tient à la notion<br />

devenue très moderne du <strong>«</strong> bouc émissaire », celle de l’acharnement du <strong>«</strong> tous contre un ».<br />

En fait, le <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe focalise sur lui la haine commune du groupe <strong>et</strong><br />

semble donc être un <strong>«</strong> bouc émissaire » comme nous l’entendons aujourd’hui. Pour nous<br />

modernes, nous nous indignons de ce mécanisme psychi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> refus de la différence »<br />

mais pour la mentalité religieuse vétéro-testamentaire du second Isaïe, même si le <strong>«</strong> juste<br />

souffrant » focalise sur lui la haine commune des hommes, il n’en demeure pas moins <strong>que</strong><br />

<strong>son</strong> calvaire apaise la colère de Dieu <strong>et</strong> renouvelle sa protection <strong>et</strong> ses bienfaits. De ce fait,<br />

le leitmotiv du Psaumes 118 <strong>que</strong> l’on r<strong>et</strong>rouve dans les Evangiles <strong>et</strong> dans les Actes des<br />

Apôtres, peut être interprété de manière contraire :<br />

<strong>«</strong> La pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent est devenue la principale de l’angle »<br />

De <strong>notre</strong> avis, il doit être interprété de manière sacrificielle en tant <strong>que</strong> Psaumes 118 comme<br />

un équivalent du <strong>«</strong> juste souffrant », un <strong>«</strong> bouc émissaire » qui focalisant la haine commune<br />

contre lui, prend sur lui les péchés des hommes, souffre <strong>et</strong> apaise la colère de Dieu.<br />

Néanmoins, il semble qu’il <strong>soit</strong> interprété de manière anti-sacrificielle <strong>par</strong> le <strong>Christ</strong> dans<br />

l’Evangile car il y ajoute le fait <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te pierre est un <strong>«</strong> scandalon », une <strong>«</strong> pierre<br />

d’achoppement » <strong>et</strong> surtout <strong>par</strong>ce qu’il le situe juste après la <strong>par</strong>abole des vignerons<br />

assassins :<br />

<strong>Jésus</strong> dit : Que signifie donc ce qui est écrit ( Psaumes 118 - 22 ) :<br />

La pierre qu'ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissaient<br />

Est devenue la principale de l'angle.<br />

Quicon<strong>que</strong> tombera sur c<strong>et</strong>te pierre s'y brisera,<br />

<strong>et</strong> celui sur qui elle tombera sera écrasé ”.<br />

Or c<strong>et</strong>te façon de concevoir le <strong>«</strong> bouc émissaire » est moderne car elle l’expli<strong>que</strong> <strong>par</strong> une<br />

projection haineuse sur un obj<strong>et</strong> qui résiste <strong>et</strong> qui fait r<strong>et</strong>our sur le suj<strong>et</strong> qui s’auto-détruit.<br />

8


Ce qu’on appelle <strong>«</strong> tomber sur un os », ce qu’est le <strong>«</strong> scandalon », la <strong>«</strong> pierre<br />

d’achoppement » . La projection est dévoilée <strong>et</strong> la pseudo-légitimité men<strong>son</strong>gère du<br />

sacrificiel <strong>«</strong> depuis le commencement du monde » est détruite. R<strong>et</strong>our à l’envoyeur de la<br />

négativité. Le scorpion r<strong>et</strong>ourne <strong>son</strong> dard contre lui-même, c’est le <strong>«</strong> Satan chasse Satan »<br />

évangéli<strong>que</strong>. C<strong>et</strong>te interprétation anti-sacrificielle du Psaumes 118 est celle qu’a développée<br />

René Girard dans ses premiers écrits mais il a tort de croire qu’elle est présente dans<br />

l’Ancien Testament, voire dans les Actes des Apôtres car elle se comprend selon une<br />

interprétation sacrificielle, celle du <strong>«</strong> juste souffrant » du Second Isaïe. C’est en ce sens <strong>que</strong><br />

l’ont compris tous les disciples du <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> c’est ce qui expli<strong>que</strong> le nécessaire recours à saint<br />

Paul pour <strong>que</strong> le message anti-sacrificiel ne <strong>soit</strong> pas totalement perdu. Bien entendu, nous<br />

croyons avec René Girard <strong>que</strong> le sens <strong>que</strong> lui donnait le <strong>Christ</strong> était anti-sacrificiel mais<br />

contrairement à lui, nous croyons <strong>que</strong> dans le Psaume 118 (<strong>et</strong> dans les Actes des Apôtres),<br />

sa signification est sacrificielle. C<strong>et</strong>te différence d’avec René Girard provient du fait qu’il<br />

n’analyse pas, dans ses écrits, la vérité sacrificielle du <strong>«</strong> juste souffrant » du second Isaïe <strong>et</strong><br />

qui expli<strong>que</strong>, en <strong>par</strong>tie, la <strong>«</strong> reculade » de ses écrits récents. C<strong>et</strong>te subversion de sens <strong>par</strong> le<br />

<strong>Christ</strong> d’un passage de l’Ancien Testament n’est pas uni<strong>que</strong> <strong>et</strong> on la trouve également dans<br />

sa reprise d’un passage tiré de Osée (6 :6) :<br />

<strong>«</strong> car c‘est l’amour qui me plaît, non le sacrifice<br />

<strong>et</strong> la connaissance de Dieu, je la préfère aux holocaustes ».<br />

Ce texte s’inscrit dans l’approfondissement individuel spirituel <strong>et</strong> moral selon les exigences<br />

du décalogue d’amour de Dieu <strong>et</strong> du prochain <strong>par</strong>-delà les rites <strong>et</strong> les coutumes tout<br />

extérieurs. De <strong>son</strong> coté, le <strong>Christ</strong> reprend ce texte (Matthieu 12 : 7) mais pour le compléter<br />

<strong>et</strong>, en cela, il subvertit le sacrificiel ; ce <strong>que</strong> ne fait pas le texte en référence :<br />

<strong>«</strong> Si <strong>vous</strong> saviez ce <strong>que</strong> signifie: Je prends plaisir à <strong>«</strong> matricier » <strong>et</strong> non aux sacrifices,<br />

<strong>vous</strong> n'auriez pas condamné des innocents ».<br />

A juste titre, René Girard interprète ce texte christi<strong>que</strong> de manière anti-sacrificielle mais il<br />

croit, à tort, <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> anti-sacrificielle se trouve en germe dans l’Ancien<br />

Testament alors <strong>que</strong> celui-ci est totalement sacrificiel. Certes, le <strong>Christ</strong> se situe à la suite de<br />

la Loi morale de Moïse <strong>et</strong> c’est pourquoi la chrétienté a légitimement repris entièrement la<br />

révélation du Sinaï mais concernant le sacrificiel ancré dans l’apaisement de la colère de<br />

Dieu conçu comme une figure du maître, il y a une rupture radicale <strong>et</strong> subversive <strong>par</strong><br />

l’enseignement christi<strong>que</strong> d’où la <strong>par</strong>abole <strong>«</strong> qu’on ne doit pas m<strong>et</strong>tre de vin nouveau dans<br />

de vieilles outres ». Cela impliquait également la différenciation de la figure du Père moral de<br />

celle du maître, le <strong>«</strong> rendez à César …. ». L’exception <strong>que</strong> je concède à René Girard (cf. <strong>son</strong><br />

livre la route anti<strong>que</strong> des hommes pervers), concernant une composante anti-sacrificielle<br />

présente dans l’Ancien Testament, est le livre de Job.<br />

Dans ce livre, le per<strong>son</strong>nage subissant l’acharnement du <strong>«</strong> tous contre un » refuse de<br />

concevoir <strong>que</strong> ses malheurs puissent provenir d’une punition divine au regard de soi-disant<br />

péchés comme le lui disent ses pseudo-amis. Le fait surtout <strong>que</strong> sa souffrance ne <strong>soit</strong> en<br />

rien salvatrice pour le groupe semble pouvoir faire de Job une pré-figuration christi<strong>que</strong> dans<br />

le sens anti-sacrificiel. Néanmoins, la leçon qu’on a toujours tirée du livre de Job veut <strong>que</strong> s’il<br />

n’est pas moralement coupable, il l’est <strong>par</strong> <strong>son</strong> <strong>«</strong> hybris » de se dire <strong>«</strong> juste » car il ne peut<br />

se déclarer <strong>«</strong> juste » sans déclarer en même temps <strong>que</strong> Dieu est <strong>«</strong> injuste <strong>et</strong> méchant ». Les<br />

protestants intègreront le texte dans leur condamnation de <strong>«</strong> la justification <strong>par</strong> les œuvres »<br />

au profit de la seule <strong>«</strong> justification <strong>par</strong> la foi ». Certes, la description des épreuves de Job<br />

décrit bien un acharnement injuste contre un innocent mais la référence à l’ <strong>«</strong> hybris » de<br />

celui qui dispute avec le Dieu–tout puissant montre qu’on est toujours dans la problémati<strong>que</strong><br />

sacrificielle. De nos jours, on se sert de ce texte pour criti<strong>que</strong>r le subjectivisme humaniste en<br />

religion ; position qui a toujours cautionné la figure du maître. Le <strong>«</strong> Père qui est dans le<br />

secr<strong>et</strong> » est proche <strong>et</strong> aimant <strong>et</strong> rien dans les <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> ne <strong>par</strong>le d’un <strong>«</strong> nuage<br />

d’inconnaissance ».<br />

9


Dans l’épître au Romains (8,15), l’apôtre Paul se fait le porte <strong>par</strong>ole de c<strong>et</strong>te vérité centrale<br />

du christianisme lorsqu’il écrit : " Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour être<br />

encore dans la crainte; mais <strong>vous</strong> avez reçu l'esprit d'adoption, <strong>par</strong> le<strong>que</strong>l nous crions: Abba<br />

! Père !". La fin du livre de Job fait penser à ce texte de Go<strong>et</strong>he écrivant à <strong>son</strong> ami<br />

Eckermann (L<strong>et</strong>tre du 31.12.1823) :<br />

" Les gens traitent le nom divin comme si l'Être suprême, incompréhensible <strong>et</strong><br />

absolument inimaginable, n'était guère plus <strong>que</strong> leur égal. Sinon, ils ne diraient pas : "le<br />

bon Dieu". S'ils étaient pénétrés de sa grandeur ils en perdraient la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong>, <strong>par</strong><br />

vénération, n'oseraient pas le nommer."<br />

Certes, la problémati<strong>que</strong> du livre de Job s’inscrit dans la réflexion sur la souffrance du juste<br />

<strong>que</strong> la pensée juive tenait de la religion mésopotamienne mais le texte vétéro-testamentaire<br />

ne débouche en rien sur ce qui sera la révélation christi<strong>que</strong>, la subversion du sacrificiel,<br />

toujours associé à la figure du maître. Par ailleurs, l’épilogue du livre de Job voit Dieu<br />

demander le sacrifice de sept taureaux <strong>et</strong> de sept béliers <strong>et</strong> Job recevoir, à nouveau, ses<br />

grâces <strong>et</strong> ses bienfaits qui lui procurèrent de nombreux biens matériels <strong>et</strong> une nombreuse<br />

descendance pour mourir vieux <strong>et</strong> rassasié de jours. Ce qui nous semble <strong>par</strong> contre plus<br />

intéressant dans le livre, c’est la présence auprès de Dieu de l’Adversaire, le diable,<br />

responsable des malheurs du per<strong>son</strong>nage.<br />

Le diable <strong>et</strong> la conception augustinienne de la <strong>«</strong> privatio boni ».<br />

Si nous revenons au début de <strong>notre</strong> essai, celui du <strong>«</strong> Seigneur, nous recognois<strong>son</strong>s <strong>que</strong><br />

toutes nos afflictions viennent de ta main qui est juste juge <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous t’avons<br />

instamment provoqué à courroux », nous voyons <strong>que</strong> le malheur des hommes provient de la<br />

justice vengeresse de la divinité. Nous avons vu qu’Héraclite écrivait exactement la même<br />

chose. A ce suj<strong>et</strong>, on peut faire le jeu de mot du Seigneur = saigneur. Pourquoi alors, dans le<br />

livre de Job, la présence de Satan, responsable des souffrances infligés au<br />

per<strong>son</strong>nage puis<strong>que</strong> dans un pur monothéisme c’est Dieu lui-même qui inflige les punitions<br />

en expiation des péchés ? CG Jung soutenant sa thèse de la <strong>«</strong> coïncidencia oppositorum »<br />

de bien <strong>et</strong> de mal en Dieu cite le pape Clément de Rome qui professait <strong>que</strong> Dieu régentait le<br />

monde avec une main droite <strong>et</strong> une main gauche. La main droite signifiait le <strong>Christ</strong> <strong>et</strong> la main<br />

gauche Satan » (cf. Réponse à Job p. 244). Or si Satan est une <strong>«</strong> main dont viennent toutes<br />

nos afflictions », il est ainsi un équivalent des Erinnyes de Zeus qui punissaient l’hybris<br />

humain. D’un autre coté, tout comme Abraham est, comme modèle du <strong>«</strong> serviteur de dieu »,<br />

l’avocat de la défense des habitants de Sodome <strong>et</strong> Gomorre contre la colère de Dieu, le<br />

<strong>Christ</strong> serait donc bien, comme suprême serviteur de Dieu <strong>et</strong> dans une opti<strong>que</strong> sacrificielle,<br />

l’avocat de la défense qui apaise c<strong>et</strong>te colère de Dieu.<br />

C’est d’ailleurs ce <strong>que</strong> dit Job qui face à l’acharnement de l’Adversaire, ayant une délégation<br />

de Dieu lui-même, en appelle à un défenseur :<br />

Dès maintenant, j’ai dans le ciel un témoin,<br />

Là-haut se tient mon défenseur. (Job 16 : 19)<br />

Je sais, moi, <strong>que</strong> mon défenseur est vivant,<br />

Que lui, le dernier, se lèvera sur la terre » (Job 19 : 25).<br />

Néanmoins, Satan est avant tout celui qui tente <strong>et</strong> s’oppose à la loi morale, au décalogue qui<br />

interdit les désirs miméti<strong>que</strong>s. Une grande <strong>par</strong>t des articles des commandements divins<br />

concerne la convoitise des biens <strong>et</strong> la jalousie d’autrui. Caïn tue Abel <strong>et</strong> le diable est<br />

fondamentalement celui qui fait verser le sang d’autrui mais l’Ancien Testament répondait au<br />

sang versé <strong>par</strong> le sang versé. On sait <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> s’opposera à c<strong>et</strong>te loi du talion :<br />

10


<strong>«</strong> Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Et moi je <strong>vous</strong> dit de ne<br />

pas rendre coup pour coup au méchant. Au contraire, si <strong>que</strong>lqu’un te gifle sur la joue<br />

droite, tens-lui aussi l’autre. A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tuni<strong>que</strong>,<br />

laisse aussi ton manteau … afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux,<br />

car il fait lever <strong>son</strong> soleil sur les méchants <strong>et</strong> les bons, <strong>et</strong> tomber la pluie sur les justes <strong>et</strong><br />

les injustes » (Matthieu 5 : 38).<br />

A l’opposé des <strong>par</strong>ole du <strong>Christ</strong>, l’Ancien Testament ne rej<strong>et</strong>te pas radicalement le sang<br />

versé, avec la loi du talion, d’un coté <strong>et</strong> avec le sacrificiel, de l’autre. Si Dieu n’est pas<br />

vengeur <strong>et</strong> s’il est <strong>«</strong> bon pour les ingrats <strong>et</strong> les méchants » (Luc 6 : 35), l’Adversaire (Satan)<br />

se détache totalement de Dieu <strong>et</strong> devient l’accusateur public qui accuse injustement les<br />

innocents. Comme le dit René Girard, Satan est, pour le <strong>Christ</strong>, doublement meurtrier :<br />

meurtrier du prochain comme l’avait bien vu l’Ancien Testament mais meurtrier aussi du<br />

<strong>«</strong> sacrifié » , soi-disant <strong>«</strong> remède» pour apaiser la colère de Dieu, cause des déboires du<br />

groupe social. La loi morale qui s’oppose à la rivalité meurtrière s’associe à la loi sociale<br />

pour qui l’individu est source du désordre. En cela, <strong>«</strong> Yavhé » est une divinité fusionnant la<br />

figure du maître (loi sociale) <strong>et</strong> la figure du Père (la loi morale). Mais si l’ordre social luttant<br />

contre le désordre dû à l’individu asocial est en soi positif, il possède néanmoins un aspect<br />

négatif d’acharnement contre l’individu. Or la configuration psychi<strong>que</strong> du suj<strong>et</strong> humain de<br />

l’antiquité est un être encore amplement collectif <strong>et</strong> comme l’écrivait CG Jung dans <strong>son</strong> livre<br />

les Types psychologi<strong>que</strong>s <strong>«</strong> la psyché collective hait avec la même ardeur tout<br />

développement individuel sans utilité immédiate pour des fins collectives ” (p. 83). En fait, le<br />

sacrificiel, omniprésent dans l’horizon primitif, exprime c<strong>et</strong>te réalité psychi<strong>que</strong> collective du<br />

suj<strong>et</strong> archaï<strong>que</strong> <strong>et</strong> c’est pour cela <strong>que</strong> le processus de prise en compte de la per<strong>son</strong>ne sera<br />

une sortie du <strong>«</strong> sacrificiel ». Comment peut-on avoir l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu <strong>et</strong> le<br />

<strong>«</strong> souci des victimes » si celles-ci souffrent à cause de leurs péchés <strong>et</strong> reçoivent en souffrant<br />

leur légitime punition. Mais, on l’a déjà écrit, pour le <strong>Christ</strong>, le malheur est le fait du méchant<br />

qui fait du mal à autrui <strong>et</strong> si des innocents <strong>son</strong>t condamnés, c’est <strong>que</strong> l’ordre collectif a aussi<br />

un aspect négatif. S’il arrive <strong>que</strong> les méchants soient mis en souffrance, c’est <strong>que</strong>, <strong>«</strong> tombant<br />

sur un os », leur méchanc<strong>et</strong>é se r<strong>et</strong>ourne contre eux tel le scorpion qui se pi<strong>que</strong> ou le<br />

serpent qui s’auto-dévore. Judas, le traître <strong>et</strong> le méchant <strong>par</strong> excellence, se suicide <strong>et</strong> n’est<br />

en rien terrassé <strong>par</strong> la vengeance divine. Face aux dix-huit per<strong>son</strong>nes écrasées <strong>par</strong><br />

l’effondrement de la tour de Siloé, le <strong>Christ</strong> dit qu’elles ne <strong>son</strong>t pas coupables mais il ajoute<br />

qu’il faut se convertir pour de pas périr comme elles. C’est <strong>par</strong>ce <strong>que</strong> nous nous situons du<br />

coté du mal <strong>que</strong> nous générons le malheur d’autrui, voire le nôtre <strong>par</strong> r<strong>et</strong>our du boomerang.<br />

Le <strong>Christ</strong> nous propose de nous libérer du mal <strong>et</strong>, nouveauté, ce qui était jusqu’alors légitime<br />

justice punitive de Dieu devient une nouvelle négativité diaboli<strong>que</strong> condamnant des<br />

innocents. C’est en cela <strong>que</strong> la nouveauté christi<strong>que</strong> au regard de l’Ancien Testament est<br />

une subversion du sacrificiel <strong>et</strong> non pas un sacrificiel plus <strong>par</strong>fait <strong>et</strong> définitif comme l’a<br />

compris, hélas, la plu<strong>par</strong>t du temps la chrétienté. Notre thèse veut <strong>que</strong> les rédacteurs des<br />

évangiles ont r<strong>et</strong>ranscrit les dires du <strong>Christ</strong> qui <strong>son</strong>t fondamentalement anti-sacrificiels au<br />

même moment où ils comprenaient sa passion de manière sacrificielle au regard du <strong>«</strong> juste<br />

souffrant » du second Isaïe. On peut le voir avec la reprise du Psaumes 118 qui, chez le<br />

<strong>Christ</strong> est subverti de sacrificiel en anti-sacrificiel alors qu’il est repris de manière sacrificielle<br />

dans les Actes des Apôtres (4 : 11). La <strong>«</strong> pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » est une<br />

<strong>«</strong> pierre d’achoppement » sur la<strong>que</strong>lle va se cogner <strong>et</strong> faire r<strong>et</strong>our en s’auto-détruisant la<br />

méchanc<strong>et</strong>é de ceux qui focalisent leur haine commune contre le <strong>«</strong> bouc émissaire ». La<br />

signification anti-sacrificielle de ce terme correspond à la signification moderne <strong>que</strong> nous<br />

donnons au <strong>«</strong> bouc émissaire ». La signification sacrificielle est, elle, archaï<strong>que</strong> car elle fait<br />

du <strong>«</strong> bouc émissaire », un <strong>«</strong> remède » qui apaise la colère de Dieu, justifie <strong>et</strong> sauve le<br />

groupe social en lui perm<strong>et</strong>tant de revenir en grâce auprès de lui <strong>et</strong> de bénéficier à nouveau<br />

de ses bienfaits. Chez le <strong>Christ</strong>, la <strong>«</strong> pierre qu’ont rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » symbolise la<br />

projection du <strong>«</strong> bouc émissaire » qui <strong>«</strong> tombe sur un os » <strong>et</strong> qui fait ainsi r<strong>et</strong>our dévastateur<br />

chez le suj<strong>et</strong> qui r<strong>et</strong>ourne contre lui c<strong>et</strong>te projection haineuse :<br />

11


<strong>«</strong> Et il se mit ensuite à dire au peuple c<strong>et</strong>te <strong>par</strong>abole : Un homme planta une vigne,<br />

l'afferma à des vignerons, <strong>et</strong> quitta pour longtemps le pays. Au temps de la récolte, il<br />

envoya un serviteur vers les vignerons, pour qu'ils lui donnassent une <strong>par</strong>t du produit de<br />

la vigne. Les vignerons le battirent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il envoya de nouveau un<br />

autre serviteur ; ils le battirent, l'outragèrent, <strong>et</strong> le renvoyèrent à vide. Il en envoya encore<br />

un troisième ; ils le blessèrent, <strong>et</strong> le chassèrent. Le Maître de la vigne dit : Que ferai-je ?<br />

J'enverrai mon fils bien-aimé ; peut-être auront-ils pour lui du respect. Mais, quand les<br />

vignerons le virent, ils rai<strong>son</strong>nèrent entre eux, <strong>et</strong> dirent : voici l'héritier ; tuons-le, afin <strong>que</strong><br />

l'héritage <strong>soit</strong> à nous. Et ils le j<strong>et</strong>èrent hors de la vigne <strong>et</strong> le tuèrent.<br />

[...] <strong>Jésus</strong>, les regardant en face, leur dit : Que signifie donc ce texte de l’Ecriture (<br />

Psaumes 118 - 22 ) : La pierre qu'ont rej<strong>et</strong>ée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la<br />

pierre angulaire ? Tout homme qui tombe sur c<strong>et</strong>te pierre sera brisé, <strong>et</strong> celui sur qui elle<br />

tombera, elle l’écrasera. » ( Luc 20 : 9)<br />

De la même manière, il dit <strong>que</strong> suite à la litanie histori<strong>que</strong> des meurtres du <strong>«</strong> tous contre<br />

un », le temps est venue avec lui du dévoilement du meurtre du <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens<br />

moderne du terme :<br />

<strong>«</strong> C’est pourquoi j’envoie vers <strong>vous</strong> des prophètes, des sages <strong>et</strong> des scribes. Vous en<br />

tuerez <strong>et</strong> m<strong>et</strong>trez en croix, <strong>vous</strong> en flagellerez dans vos synagogues <strong>et</strong> <strong>vous</strong> les<br />

pourchasserez de ville en ville, pour <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ombe sur <strong>vous</strong> le sang des justes répandu<br />

sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez<br />

assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel. En vérité, je <strong>vous</strong> le déclare, tout cela va<br />

r<strong>et</strong>omber sur c<strong>et</strong>te génération (Matthieu 23 – 34).<br />

Le <strong>«</strong> r<strong>et</strong>omber sur » a pour le <strong>Christ</strong> un sens, quasi psychanalyti<strong>que</strong>, opposé au sens<br />

magi<strong>que</strong> traditionnel. Nous avons vu <strong>que</strong> Moïse avait pris le sang des taureaux sacrifiés pour<br />

en asperger le peuple (Exode 24,8) <strong>et</strong> <strong>que</strong> le sang versé du sacrifice à toujours une valeur<br />

magi<strong>que</strong> <strong>et</strong> protectrice dans l’horizon ancien. A Pilate qui leur dit qu’il est innocent du sang<br />

de ce juste, le peuple répond : <strong>«</strong> <strong>que</strong> <strong>son</strong> sang r<strong>et</strong>ombe sur nous <strong>et</strong> sur nos enfants »<br />

Caïphe ne dit-il pas : <strong>«</strong> il est de <strong>notre</strong> intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple <strong>et</strong> <strong>que</strong><br />

la nation entière ne périsse pas ” (Jean 11- 50). Pour le <strong>Christ</strong>, c’est le contraire, le sacrificiel<br />

était histori<strong>que</strong>ment fini (même s’il n’a pas encore fini de nos jours de se perpétuer).<br />

Comme il était, lui, c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> Pierre » où l’ordre social sacrificiel juif viendrait se briser, il<br />

prophétisait sa destruction ; non <strong>que</strong> ce <strong>soit</strong> les anges vengeurs de Dieu qui seront<br />

responsables de c<strong>et</strong>te destruction (ce <strong>que</strong> dira, hélas, l’Apocalypse de saint Jean) mais<br />

<strong>par</strong>ce <strong>que</strong> sa propre négativité se r<strong>et</strong>ournera sur lui (<strong>«</strong> Satan chasse Satan »). La prophétie<br />

de la destruction du Temple, lieu <strong>par</strong> excellence du sacrifice, correspond symboli<strong>que</strong>ment à<br />

c<strong>et</strong>te destruction du sacrificiel <strong>et</strong> chez saint Paul, il n’y a de temple <strong>que</strong> le corps en voie de<br />

divinisation (corps de résurrection). Ce n’est <strong>que</strong> plus tard <strong>que</strong> les églises, nouveaux temples<br />

du nouvel Israël <strong>que</strong> <strong>son</strong>t devenus les chrétiens, r<strong>et</strong>rouveront le sempiternel autel de<br />

sacrifice, celui-là saint, uni<strong>que</strong> <strong>et</strong> définitif. <strong>«</strong> Chassez le naturel, il revient au galop » dit le<br />

proverbe <strong>et</strong> au lieu de concevoir c<strong>et</strong>te sortie, en toute généralité, du sacrificiel impliquant <strong>que</strong><br />

le <strong>«</strong> royaume du Père s’est approché », la chrétienté a proj<strong>et</strong>é <strong>et</strong> s’est déchargée sur le<br />

peuple juif déicide de c<strong>et</strong>te négativité fondamentale sacrificielle malgré une des <strong>par</strong>oles du<br />

<strong>Christ</strong>, on ne peut plus claire (Matthieu 23 - 29):<br />

<strong>«</strong> Malheur à nous, scribes <strong>et</strong> pharisiens hypocrites, <strong>vous</strong> qui bâtissez les sépulcres des<br />

prophètes (<strong>et</strong> du <strong>Christ</strong>) <strong>et</strong> décorez les tombeaux des justes, <strong>et</strong> <strong>vous</strong> dites : <strong>«</strong> si nous<br />

avions vécu du temps de nos pères (les juifs), nous n’aurions pas été leurs complices<br />

pour verser le sang des prophètes (<strong>et</strong> du <strong>Christ</strong>). Ainsi <strong>vous</strong> témoignez contre <strong>vous</strong>mêmes<br />

: <strong>vous</strong> êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes (<strong>et</strong> le <strong>Christ</strong>) ».<br />

12


Le <strong>Christ</strong>, psychanalyste ?<br />

Nous venons de voir <strong>que</strong> le <strong>«</strong> sang qui r<strong>et</strong>ombe sur nos têtes » n’a pas chez le <strong>Christ</strong> c<strong>et</strong>te<br />

valeur magi<strong>que</strong> sacrificielle mais qu’au contraire il impli<strong>que</strong> un r<strong>et</strong>our d’une projection<br />

négative, celle du <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens moderne du terme. Certes, on pourrait<br />

objecter <strong>que</strong> le terme de projection, terme central de la psychanalyse <strong>que</strong> Ja<strong>que</strong>s Lacan<br />

associe à l’ordre symboli<strong>que</strong> langagier est un terme moderne, donc anachroni<strong>que</strong> <strong>par</strong><br />

rapport à un texte de près de deux millénaires. Pourtant, la métaphore évangéli<strong>que</strong> de la<br />

paille <strong>et</strong> de la poutre traduit simplement <strong>et</strong> indéniablement c<strong>et</strong>te réalité psychi<strong>que</strong> de la<br />

projection. Pour la psychanalyse, il y a un temps narcissi<strong>que</strong> où le jugement moï<strong>que</strong> sur<br />

autrui se r<strong>et</strong>ourne contre le suj<strong>et</strong> lui-même. De là, le <strong>«</strong> <strong>vous</strong> serez jugés du jugement dont<br />

<strong>vous</strong> jugez ». Le <strong>Christ</strong> ne dit pas simplement <strong>que</strong> les pharisiens <strong>son</strong>t hypocrites mais qu’ils<br />

<strong>son</strong>t métaphori<strong>que</strong>ment <strong>«</strong> aveugles », c’est à dire qu’ils construisent à leurs yeux <strong>et</strong> aux yeux<br />

du monde un per<strong>son</strong>nage de respectabilité sociale alors <strong>que</strong> leur <strong>«</strong> intérieur » est tout à<br />

l’opposé. Ce qui ne veut pas dire <strong>que</strong> les pharisiens trompent les autres en étant conscients<br />

eux-mêmes de leur forfaiture. <strong>«</strong> Aveugle » veut dire inconscient :<br />

<strong>«</strong> Pharisien aveugle ! purifie d’abord le dedans de la coupe pour <strong>que</strong> le dehors aussi<br />

devienne pur. […] Vous ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle<br />

ap<strong>par</strong>ence mais au dedans ils <strong>son</strong>t pleins d’ossements de morts <strong>et</strong> d’impur<strong>et</strong>és de toutes<br />

sortes » (Matthieu 23 : 26) .<br />

C<strong>et</strong>te façon de voir correspond à une topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> bien <strong>par</strong>ticulière qui est, en<br />

psychanalyse, la topi<strong>que</strong> junguienne opposant l’âme contaminée <strong>par</strong> l’ombre opposé à la<br />

Per<strong>son</strong>a à la<strong>que</strong>lle s’identifie le moi (cf. la théorisation junguienne in <strong>«</strong> Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong><br />

de l’inconscient »). C<strong>et</strong>te opposition entre le moi <strong>et</strong> l’inconscient détermine une ambivalence<br />

psychi<strong>que</strong> névroti<strong>que</strong> <strong>que</strong> reconnaît le <strong>Christ</strong> lorsqu’il dit <strong>«</strong> Que votre <strong>par</strong>ole <strong>soit</strong> oui, oui ou<br />

non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin » (Matthieu 5 :37). On sait <strong>que</strong> l’humain peut<br />

vouloir consciemment de la main droite <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tre inconsciemment le bâton dans les roues<br />

de la main gauche. Les Evangiles contiennent la métaphore de la mai<strong>son</strong> construite sur du<br />

sable qui tend à être détruite au profit d’une construction plus solide <strong>et</strong> incorruptible ; ce qui<br />

impli<strong>que</strong> un processus de transformation psychi<strong>que</strong> m<strong>et</strong>tant en acte une force de destruction<br />

nécessaire à la remise en cause du <strong>«</strong> faux-self ». L’ombre négative qui s’oppose à la<br />

Per<strong>son</strong>a est généralement proj<strong>et</strong>ée sur nos nombreuses <strong>«</strong> têtes de turcs » mais il arrive <strong>que</strong><br />

le <strong>«</strong> refoulé proj<strong>et</strong>é » fasse r<strong>et</strong>our, m<strong>et</strong>te le suj<strong>et</strong> dans l’ambivalence <strong>et</strong> lui détruise la<br />

Per<strong>son</strong>a, la mai<strong>son</strong> construite sur du sable. Mais c<strong>et</strong>te négativité n’a de sens <strong>que</strong> pour<br />

perm<strong>et</strong>tre un processus de transformation intérieur qui se symbolisait, à une épo<strong>que</strong> préscientifi<strong>que</strong>,<br />

<strong>par</strong> le processus alchimi<strong>que</strong> comme CG Jung, à la suite de Herbert Silberer, l’a<br />

montré. La recherche du <strong>«</strong> Royaume du Père qui est en nous <strong>et</strong> <strong>par</strong>mi nous » dont <strong>par</strong>le le<br />

<strong>Christ</strong> est un processus intérieur psychologi<strong>que</strong> <strong>et</strong> non une <strong>«</strong> justification » magi<strong>que</strong> du fait<br />

de la foi en <strong>Christ</strong> sachant, néanmoins, <strong>que</strong> celui-ci est une figure intérieure centrale dans ce<br />

processus mysti<strong>que</strong>. Tout enfant masculin attribue au <strong>par</strong>ent de <strong>son</strong> sexe <strong>son</strong> futur être<br />

adulte d’insertion dans le groupe social, c’est le <strong>«</strong> mon papa, il est pompier » mais à <strong>par</strong>tir de<br />

l’adolescence, au moment de l’accession à la fonction génitale, fonction de l’espèce, le suj<strong>et</strong><br />

humain se re-approprie ce per<strong>son</strong>nage d’insertion sociale <strong>que</strong> CG Jung dénomme la<br />

Per<strong>son</strong>a au<strong>que</strong>l le moi s’identifie. C<strong>et</strong> être social adulte avec ses normes <strong>et</strong> ses idéaux se<br />

caractérise <strong>par</strong> trois fonctions : la fonction professionnelle, la fonction matrimoniale <strong>et</strong> la<br />

fonction <strong>par</strong>entale, toutes trois <strong>son</strong>t avec la fonction génitale au service du groupe social<br />

sous l’égide de la figure du maître pour assurer la pérennité du groupe. Néanmoins, c<strong>et</strong>te<br />

structuration adulte n’est pas la <strong>«</strong> fin des fins » de tout développement psychi<strong>que</strong>. L’être<br />

adulte avec sa fonction paternelle attribue à l’enfant un autre être, infantile celui-là<br />

d’ap<strong>par</strong>tenance à une communauté située sur une autre scène <strong>que</strong> la scène sociale. C’est<br />

en cela <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> dit qu’il faut redevenir comme un enfant <strong>et</strong> se faire eunu<strong>que</strong> pour entrer<br />

dans le <strong>«</strong> Royaume du Père » qui est en ce monde mais pas de ce monde.<br />

13


Il n’est, bien entendu, pas <strong>que</strong>stion de <strong>«</strong> rester un enfant » mais de <strong>«</strong> redevenir un enfant »<br />

sans pour autant détruire ce qu’a de légitime l’être adulte inséré socialement. Tout comme<br />

l’ordre social possède, à coté de sa dimension légitime, un aspect négatif qui est ce<br />

mécanisme du <strong>«</strong> bouc émissaire », la fonction <strong>par</strong>entale qui a pour fonction de faire grandir<br />

<strong>et</strong> vivre les enfants, a un aspect négatif qui tend à aliéner un ou plusieurs des enfants de la<br />

fratrie. La célèbre psychanalyste d’enfants Maud Mannoni, montre dans ses écrits <strong>que</strong><br />

lorsqu’un enfant névroti<strong>que</strong>, voire psychoti<strong>que</strong>, commence à aller mieux <strong>et</strong> s’engage sur le<br />

chemin de la guéri<strong>son</strong>, c’est un autre enfant de la fratrie qui développe alors des symptômes<br />

ou bien l’un des <strong>par</strong>ents qui déraille à <strong>son</strong> tour ou bien se suicide. Pour le courant antipsychiatri<strong>que</strong><br />

des années soixante-dix <strong>et</strong> quatre-vingt, le <strong>«</strong> fou » était également conçu<br />

comme le <strong>«</strong> bouc émissaire » du groupe. La fonction paternelle négative <strong>et</strong> le mécanisme du<br />

<strong>«</strong> bouc émissaire », négativité de l’ordre social <strong>son</strong>t étroitement liés <strong>et</strong> c’est pourquoi,<br />

souvent, dans l’horizon archaï<strong>que</strong>, le <strong>«</strong> sacrificiel » incluait l’immolation d’un des enfants de<br />

la famille. <strong>«</strong> Redevenir un enfant » <strong>et</strong> <strong>«</strong> sortir du sacrificiel » <strong>son</strong>t concomitants dans les<br />

<strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> pour pouvoir accéder à ce <strong>«</strong> Royaume du Père » <strong>et</strong> tout <strong>son</strong> enseignement<br />

en <strong>par</strong>aboles renvoie à ce processus psychi<strong>que</strong> mysti<strong>que</strong> intérieur. Par contre, la conception<br />

archaï<strong>que</strong> de la <strong>«</strong> justification » <strong>par</strong> la mort salvatrice fait écran à c<strong>et</strong> enseignement à la<br />

différence du motif mythi<strong>que</strong> du <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » comme on peut le voir chez saint Paul<br />

avec la transformation du <strong>«</strong> vieil Adam » <strong>et</strong> la <strong>«</strong> renaissance en <strong>Christ</strong> ». C<strong>et</strong>te opposition<br />

entre la <strong>«</strong> mort salvatrice <strong>«</strong> <strong>et</strong> le <strong>«</strong> mourir <strong>et</strong> renaître » est manifeste chez les dissenters de<br />

Luther comme l’a très bien analysé Alexandre Koyré (La philosophie de Jacob Boehme p.<br />

44-46):<br />

<strong>«</strong> Un trait commun unissait, en eff<strong>et</strong>, tous ces opposants [à Luther] : pour eux, le salut, la<br />

justification, la régénération, la <strong>«</strong> seconde naissance » étaient <strong>et</strong> devaient être <strong>que</strong>l<strong>que</strong><br />

chose de réel, <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui se passe dans l’âme réellement, <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui<br />

l’illumine, la transforme, la régénère réellement <strong>et</strong> effectivement.<br />

Pour tous la justification … se fait ad intra <strong>et</strong> non ab extra ; l’âme justifiée est une âme<br />

purifiée, une âme renouvelée. Il est fort compréhensible <strong>que</strong> rien ne leur ait semblé plus<br />

apte à rendre, à illustrer, à symboliser, à expli<strong>que</strong>r <strong>et</strong> à saisir ce processus <strong>que</strong> les<br />

formules <strong>et</strong> les notations de l’alchimie…. C’était déjà <strong>par</strong> des formules <strong>et</strong> des<br />

com<strong>par</strong>ai<strong>son</strong>s alchimi<strong>que</strong>s <strong>que</strong> Maître Eckhart expliquait ou plutôt exemplifiait le<br />

processus mysti<strong>que</strong>…. Contre les tenants de la justification ab extra per remissionem<br />

culpae, ceux qui aspiraient à une justification ab intra per tranmutationem realem étaient<br />

disposaient à accueillir les formules des alchimistes ».<br />

Dans la structuration psychi<strong>que</strong> humaine, il y a un temps infantile vers l’âge de trois ans de<br />

différenciation sexuelle où l’identification moï<strong>que</strong> à <strong>son</strong> sexe biologi<strong>que</strong> refoule la<br />

caractéristi<strong>que</strong> féminine <strong>que</strong> CG Jung dénomme l’âme. Comme le moi construit <strong>par</strong><br />

l’éducation des images de lui-même au regard de valeurs idéalistes (Moi idéal <strong>et</strong> Idéal du<br />

moi), ces non-valeurs <strong>son</strong>t refoulées <strong>et</strong>, venant contaminer l’âme, elles forment l’ombre <strong>que</strong><br />

l’on proj<strong>et</strong>te <strong>et</strong> criti<strong>que</strong> sur autrui. Toujours dans la théorie junguienne, avec la perte de la<br />

projection <strong>et</strong> le r<strong>et</strong>our du refoulé, fait r<strong>et</strong>our également la <strong>par</strong>tie féminine qui est l’âme,<br />

fonction mysti<strong>que</strong> <strong>et</strong> spirituelle de relation au monde intérieur. En fait, lors<strong>que</strong> l’âme<br />

contaminée <strong>par</strong> l’ombre fait r<strong>et</strong>our, se m<strong>et</strong>tent en acte une dimension persécutrice<br />

(identification à l’être négatif <strong>que</strong> l’on critiquait au<strong>par</strong>avant en autrui) <strong>et</strong> une dimension<br />

homosexuelle (identification à la <strong>par</strong>tie féminine). On sait <strong>que</strong> la psychanalyse repère ces<br />

deux caractéristi<strong>que</strong>s persécutrice <strong>et</strong> homosexuelle dans les névroses <strong>et</strong> les psychoses (cf.<br />

l’analyse <strong>par</strong> S. Freud du Président Scheber). Ce qui est intéressant dans la théorie<br />

junguienne, c’est qu’avec le r<strong>et</strong>our de l’ombre, accèdent aussi des fonctions psychologi<strong>que</strong>s<br />

jus<strong>que</strong> là refoulées <strong>et</strong> non développées <strong>par</strong> le suj<strong>et</strong>. Dans le cas de l’homme de type pensée<br />

<strong>et</strong> sensation extravertis, font r<strong>et</strong>our pour être développées, les fonctions sentiment <strong>et</strong> intuition<br />

introvertis propre à la spiritualité. Néanmoins, le moi ne doit en rien s’identifier à l’âme qui<br />

reste autonome dans la mesure où elle <strong>«</strong> <strong>par</strong>le » de manière métaphori<strong>que</strong> du monde<br />

intérieur mais plus à l’insu du moi.<br />

14


C<strong>et</strong>te autonomie de l’âme perm<strong>et</strong> ainsi un décentrage de la per<strong>son</strong>nalité réunissant d’un<br />

coté, le moi tourné vers le monde extérieur <strong>et</strong> l’âme tournée vers le monde intérieur :<br />

La symboli<strong>que</strong> hermaphrodite <strong>que</strong> l’on trouve dans les grimoires alchimi<strong>que</strong>s symbolise c<strong>et</strong>te<br />

réunion du masculin <strong>et</strong> du féminin dans le <strong>«</strong> Rebis » , but final du processus alchimi<strong>que</strong>. On<br />

sait aussi <strong>que</strong> le stade initial de ce processus est la <strong>«</strong> nigredo » associée aux corbeaux, au<br />

noir Saturne <strong>et</strong> à la dépression mélancoli<strong>que</strong> ainsi qu’à la mise en acte de l’ouroboros, le<br />

serpent qui s’auto-dévore (la tendance suicidaire).<br />

Tout comme chez Dante Alighieri, l’âme féminine qui était proj<strong>et</strong>ée dans l’obj<strong>et</strong> du désir<br />

amoureux devient la <strong>«</strong> guide intérieure » <strong>et</strong> de ce fait, la réalisation de l’hermaphrodite n’est<br />

<strong>que</strong> le début d’une recherche intérieure dont le but est l’accession à ce <strong>«</strong> Royaume du<br />

Père ». Tout comme à une phase infantile, il y a la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite <strong>et</strong> le<br />

refoulement du féminin <strong>par</strong> le p<strong>et</strong>it bonhomme qui s’identifie à <strong>son</strong> sexe biologi<strong>que</strong>, avec<br />

l’accession à l’être adulte socialement responsable, c’est l’être infantile qui est refoulé. Mais<br />

tout comme il y a un processus de réunion des contraires <strong>par</strong> une structuration<br />

extravertie/introvertie, de même, il y a une réunion des contraires entre l’être adulte <strong>et</strong> l’être<br />

infantile <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te réunion est le but du cheminement spirituel intérieur : une structuration entre<br />

une ap<strong>par</strong>tenance adulte responsable au groupe social <strong>et</strong> une ap<strong>par</strong>tenance infantile à une<br />

communauté, l’église invisible, corps mysti<strong>que</strong> du <strong>Christ</strong> qu’il ne faut en rien identifier aux<br />

églises institutionnelles qui n’en possèdent <strong>que</strong> la clé de la porte d’entrée. La réunion des<br />

contraires, but des processus psychologi<strong>que</strong>s intérieurs libère du mal dans la mesure où le<br />

mal est la négation de l’antagoniste. Au début du processus psychi<strong>que</strong> se trouve un mixte de<br />

bien <strong>et</strong> de mal, d’être <strong>et</strong> de non-être comme s’exprimait Raymond Lulle, le mixtum des<br />

alchimistes mais la <strong>«</strong> cause finale », le but à atteindre du processus est l’Être, le <strong>«</strong> summum<br />

bonum », tout comme la clarté du jour émerge du clair-obscur de l’aurore. Le mal est une<br />

réalité efficiente mais du fait qu’il s’auto-détruit (<strong>«</strong> Satan chasse Satan » - Matthieu 12:26,<br />

Marc 3:26) <strong>et</strong> dis<strong>par</strong>aît à la fin du processus, il est en cela un <strong>«</strong> non-être », une <strong>«</strong> privatio<br />

boni ». Le psychanalyste CG Jung n’a eu de cesse de réfuter c<strong>et</strong>te conception augustinienne<br />

de la <strong>«</strong> privatio boni » pour marteler, dans toute <strong>son</strong> œuvre, <strong>que</strong> la divinité est une<br />

<strong>«</strong> coincidencia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal. Pourtant la lecture de <strong>son</strong> texte majeur<br />

intitulé <strong>«</strong> Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong> de l’inconscient » montre, dans le développement des<br />

fonctions psychologi<strong>que</strong>s, un passage de la négativité à la positivité <strong>et</strong> l’âme inconsciente,<br />

elle-même dénommée <strong>«</strong> démonia<strong>que</strong> » à l’origine du processus de transformation, y devient<br />

un guide secourable <strong>par</strong>eil à un <strong>«</strong> ange gardien ». Le processus de transformation y ap<strong>par</strong>aît<br />

<strong>par</strong>eil à un processus d’immunisation contre les tendances négatives comme si le suj<strong>et</strong> avait<br />

construit c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> mai<strong>son</strong> indestructible construite sur le roc ». Il écrit (p. 213) <strong>que</strong> le<br />

processus d’individuation perm<strong>et</strong> au suj<strong>et</strong> d’acquérir une<strong>«</strong> protection contre les puissances<br />

invisibles qui vivent en lui ".<br />

15


Néanmoins, pour prouver sa conception de la <strong>«</strong> coincidencia oppositorum », le maître de<br />

Küsnacht cite l’Apocalypse de saint Jean qui serait une compensation violente à<br />

l’unilatéralité de la conception du Dieu Père uni<strong>que</strong>ment d’amour des <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> :<br />

<strong>«</strong> …Je vais venir à toi pour combattre ces gens avec l’épée de ma bouche .<br />

[…] Je vais j<strong>et</strong>er Jézabel sur un lit de souffrance .. <strong>et</strong> ses enfants, je vais les frapper de<br />

mort.<br />

[…] Car il est arrivé le grand jour de la colère de l’Agneau.<br />

[…] Le Fils de l’Homme tient dans ses mains une faucille aiguisée … <strong>et</strong> il en coula du<br />

sang qui monta jusqu’au mors des chevaux sur une distance de mille six cents stades.<br />

[…] Les sept Anges porteurs des sept coupes, pleines de la colère de Dieu, vont<br />

répandre les sept fléaux sur le monde… »<br />

[…] Les yeux du cavalier <strong>son</strong>t une flamme ardente,<br />

Il est revêtue d’un manteau trempé de sang,<br />

De sa bouche sort un glaise acéré pour en frapper les nations.<br />

Il foulera la cuve où bouillonne le vin de la colère du Dieu Tout-Puissant, <strong>et</strong>c… »<br />

Néanmoins, la conception junguienne du rêve <strong>et</strong> de la vision est erronée car ceux-ci se<br />

situent, à l’opposé, sur le lieu de l’interdit (inter-dit), le lieu de la représentation<br />

psychologi<strong>que</strong> à la<strong>que</strong>lle il faut renoncer. Pourtant, dans <strong>son</strong> livre consacré à l’Ancien <strong>et</strong> au<br />

Nouveau Testament intitulé Réponse à Job, il voit bien <strong>que</strong> le cheminement histori<strong>que</strong> de la<br />

conscience humaine impliquait une transformation de l’image de Dieu.<br />

La métamorphose de la divinité<br />

Dans <strong>son</strong> livre Les racines de la conscience ( p. 295), le psychanalyste suisse écrit qu’ <strong>«</strong> au<br />

XVII e siècle encore, le savant jésuite Nicolas Caussin interprète le monoceros [l'animal à une<br />

corne - la licorne] comme le symbole le plus adéquat pour désigner le Dieu de l'Ancien<br />

testament ... tel un rhinocéros furieux. Mais, finalement, soumis <strong>par</strong> l'amour à une Vierge<br />

pure, il s'est transformé dans <strong>son</strong> sein en un Dieu d'Amour." On peut voir <strong>que</strong> la Vulgate, la<br />

Bible du renouveau carolingien réalisée selon les traductions latines de saint Jérôme (V e<br />

siècle), fait dans Job (39) <strong>et</strong> dans Psaumes (28) de l'unicorne <strong>et</strong> du rhinocéros, les symboles<br />

de la puissance <strong>et</strong> de la colère vengeresse de Dieu.<br />

Manifestement, le Dieu-Père d’amour des <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> qui <strong>«</strong> est bon avec les<br />

méchants » est différent du Dieu justicier <strong>et</strong> vengeur de l’Ancien Testament. L’image de Dieu<br />

s’est réellement modifiée. Pour certains penseurs chrétiens, c<strong>et</strong>te transformation qui, on l’a<br />

vu, rej<strong>et</strong>te le <strong>«</strong> sacrificiel », serait, au contraire, le fait du <strong>«</strong> sacrifice » de <strong>Jésus</strong>-<strong>Christ</strong>.<br />

Ce sacrifice, dans <strong>son</strong> unicité, aurait rompu la malédiction du péché originel <strong>et</strong> définitivement<br />

réconcilié Dieu avec les hommes. Sous-entendu, Dieu n’est plus un Dieu de colère mais<br />

désormais, un Dieu d’amour qui est bon aussi pour les méchants. C’est la thèse qu’a rejoint<br />

René Girard dans ses écrits tardifs : le sacrifice du <strong>Christ</strong> libère du sacrificiel. A noter <strong>que</strong><br />

c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale n’est pas celle des nouveaux curés traditionalistes anti-<br />

Vatican II pour qui Dieu est toujours coléreux <strong>et</strong> qui nous font rechanter à la messe ce type<br />

de refrain :<br />

Priez pour nous, ô Vierge tutélaire,<br />

Car <strong>notre</strong> esquif menace de sombrer :<br />

Dieu nous punit, les flots de sa colère<br />

Montent toujours : Oh ! venez nous sauver !<br />

Or c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale qu’a rejoint René Girard est celle <strong>que</strong> r<strong>et</strong>ient CG Jung<br />

dans <strong>son</strong> texte <strong>«</strong> Réponse à Job » <strong>et</strong> qui était, certainement, celle de l’église protestante de<br />

Zurich, à <strong>son</strong> épo<strong>que</strong>. De ce fait, il n’oppose, pas comme nous le fai<strong>son</strong>s, les <strong>par</strong>oles antisacrificielles<br />

du <strong>Christ</strong> à la dogmati<strong>que</strong> sacrificielle puisqu’il associe le Dieu unilatéralement<br />

bon à la mort sacrificielle du <strong>Christ</strong> (p. 156) :<br />

16


<strong>«</strong> De Dieu, en tant <strong>que</strong> bon Père qui est l’amour per<strong>son</strong>nifié, on serait en droit d’attendre<br />

un <strong>par</strong>don compréhensif. Mais <strong>que</strong> l’Être suprêmement bon se fasse ach<strong>et</strong>er c<strong>et</strong> acte de<br />

grâce <strong>par</strong> le sacrifice d’une vie humaine, c’est à dire <strong>par</strong> le meurtre de <strong>son</strong> propre fils,<br />

cela est ressenti comme un choc inattendu. […] Or, il faut bien se m<strong>et</strong>tre en présence<br />

des faits : le Dieu de bonté est à ce point inconciliant <strong>et</strong> implacable qu’il ne se laisse<br />

apaiser qu’au prix du sacrifice d’un homme ! il y a là <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d’intolérable <strong>que</strong> la<br />

sensibilité moderne ne <strong>par</strong>vient plus à accepter sans autre forme de procès, car <strong>que</strong>lle<br />

puissance d’aveuglement ne faut-il pas avoir pour ne point discerner la lumière crue <strong>que</strong><br />

ces circonstances proj<strong>et</strong>tent sur le caractère divin, ramenant à un men<strong>son</strong>ge tout ce<br />

verbiage d’amour <strong>et</strong> de summum bonum ? »<br />

Nous sommes d’accord pour dire <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te thèse sacrificielle <strong>par</strong>adoxale est <strong>«</strong> intolérable<br />

pour la sensibilité moderne » mais pas pour acquiescer à la thèse de <strong>son</strong> évangile éternel,<br />

celui du <strong>«</strong> on peut aimer Dieu <strong>et</strong> on doit le craindre » (p. 199), sa thèse de la <strong>«</strong> coïncidencia<br />

oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal en Dieu. Pour CG Jung, le Dieu christi<strong>que</strong> de bonté est une<br />

unilatéralité de bien qui aurait refoulé le mal, ce mal refoulé qui aurait soi-disant<br />

<strong>«</strong> explosé » dans le nazisme rendant ainsi responsable le vrai christianisme (!) de ce terrible<br />

épisode de l’Histoire. Dans d’autres textes, nous avons essayé de montrer <strong>que</strong> la conception<br />

religieuse de l’Histoire de CG Jung était erronée car il la pose duelle alors qu’elle est<br />

quaternaire. Pour lui, l’unilatéralité du Dieu de bonté du <strong>Christ</strong> serait le lieu d’une<br />

différenciation histori<strong>que</strong> unilatérale du conscient masculin refoulant la féminité (<strong>et</strong> le mal)<br />

dans l’inconscient. Or, il est manifeste <strong>que</strong> la sortie du sacrificiel <strong>et</strong> le r<strong>et</strong>our de la projection<br />

sur le <strong>«</strong> bouc émissaire » amènent avec eux la différenciation des valeurs féminines<br />

maternelles, celle de l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu, le <strong>«</strong> souci des victimes ». En fait, le<br />

maître de Küsnacht essaie d’appli<strong>que</strong>r <strong>son</strong> intéressante topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> à la philosophie<br />

de l’Histoire mais c’est une erreur car celle-ci n’est pas duelle mais quaternaire. Le point<br />

médian, ce n’est pas le <strong>Christ</strong> mais Moïse sur le Sinaï, temps numéro 2 de la différenciation<br />

de la Loi morale venant s’ajouter au temps numéro 1, celui de la différenciation de la volonté<br />

de puissance de l’ordre social <strong>par</strong> les grands empires civilisateurs de l’Antiquité. Et c’est un<br />

fait <strong>que</strong> ce deuxième temps, mar<strong>que</strong> une différenciation unilatérale des potentialités<br />

masculines refoulant des potentialités féminines. Mais déjà, avec le <strong>Christ</strong>, comme temps<br />

numéro 3, ap<strong>par</strong>aît c<strong>et</strong>te différenciation de la dimension maternelle de l’Amour du faible <strong>et</strong><br />

de l’exclu.<br />

La <strong>«</strong> crainte de Dieu » <strong>et</strong> sa conception pédagogi<strong>que</strong>.<br />

Dans <strong>son</strong> livre Réponse à Job, CG Jung écrit à juste titre qu’il n’y a de crainte <strong>que</strong> là où il y a<br />

un danger. Pour lui, l’œuvre de rédemption du <strong>Christ</strong> s’est proposée de libérer l’homme de la<br />

crainte de Dieu (p. 127). C<strong>et</strong>te conception sera aussi celle de Luther qui refusera la crainte<br />

de Dieu aux prédestinés <strong>que</strong> seule la foi en <strong>Christ</strong> sauve mais, chez lui, Dieu reste<br />

néanmoins terrible pour les damnées, c’est à dire pour la grande majorité de l’humanité,<br />

massa perditionis vouée aux enfers. Le sentiment religieux de la crainte de Dieu ne fait,<br />

chez le moine allemand, qu’aggraver la culpabilité de l’Homme <strong>et</strong> sa damnation. Pour CG<br />

Jung, c<strong>et</strong>te croyance en un Dieu devenu bon grâce au sacrifice de <strong>son</strong> propre fils<br />

<strong>«</strong> présuppose un man<strong>que</strong> de réflexion ou un sacrifice de l’intelligence (p. 127). Il écrit (p.133)<br />

: <strong>«</strong> la croyance à Dieu en tant <strong>que</strong> summum bonum est impossible à une conscience qui<br />

réfléchit. Une tête pensante ne se sent nullement libérée de la crainte de Dieu ». D’où <strong>son</strong><br />

refus du mal conçu comme une <strong>«</strong> privatio boni » <strong>et</strong> sa conception de la divinité conçue<br />

comme une <strong>«</strong> conjunctio oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal. Pour la catholicité traditionnelle,<br />

issue du Concile de Trente, même si la messe réactualise le sacrifice du <strong>Christ</strong>, apaise le<br />

courroux de Dieu <strong>et</strong> nous le rend propice (sacrifice propitiatoire), c<strong>et</strong>te colère divine reste<br />

effective <strong>et</strong> les hommes doivent toujours <strong>«</strong> craindre » Dieu <strong>et</strong> faire de <strong>«</strong> bonnes œuvres »<br />

pour être <strong>«</strong> justifié » <strong>et</strong> être récompensé <strong>par</strong> le <strong>par</strong>adis.<br />

17


On sait <strong>que</strong> le Concile de Trente est le Concile de la Contre-Réforme dirigé <strong>par</strong>ticulièrement<br />

contre Luther. Mais durant le XIX e siècle, on trouve des penseurs catholi<strong>que</strong>s, de bon<br />

niveau, qui essayèrent de formaliser toute c<strong>et</strong>te problémati<strong>que</strong> concernant le sacrificiel <strong>et</strong> la<br />

crainte de Dieu de manière un peu différente. Certains d’entre eux comme <strong>par</strong> exemple,<br />

l’évê<strong>que</strong> d’Angers Freppel s’en référèrent à Clément d’Alexandrie (II e siècle) dont l’école était<br />

très peu sacrificielle <strong>et</strong> très dévalorisante concernant la crainte de Dieu qui était, pour elle, le<br />

degré le plus inférieur <strong>et</strong> le plus im<strong>par</strong>fait des sentiments religieux. Pour l’école d’Alexandrie,<br />

la recherche du royaume de Dieu était pour le vrai chrétien qu’il dénommait le <strong>«</strong> vrai<br />

gnosti<strong>que</strong> », une élévation de l’âme, <strong>par</strong> la connaissance <strong>et</strong> <strong>par</strong> amour, vers la béatitude de<br />

l’union mysti<strong>que</strong> . Dans les Stromates, c<strong>et</strong> élève du stoïcien chrétien Pantène élabore toute<br />

une échelle des vertus <strong>et</strong> des sentiments religieux où la crainte est quasiment une nonvaleur.<br />

Son seul intérêt reconnu résidait dans le fait qu’elle <strong>«</strong> peut détacher l’homme du<br />

péché, lui inspirer la résolution de changer de vie » à condition <strong>que</strong> cela le conduise à une<br />

crainte moins égoïste <strong>et</strong> plus désintéressée, la <strong>«</strong> crainte filiale » ; c’est à dire la crainte<br />

d’offenser <strong>son</strong> père. Il est vrai <strong>que</strong> lorsqu’on aime <strong>que</strong>lqu’un, on a peur <strong>et</strong> on craint de le<br />

blesser mais est-ce vraiment de la crainte ? Pour s’opposer à Luther qui faisait de la<br />

<strong>«</strong> crainte » un sentiment mauvais, contraire à l’Evangile <strong>et</strong> pour être conforme au Concile de<br />

Trente, l’évê<strong>que</strong> angevain va chercher c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> crainte filiale » chez Clément d’Alexandrie.<br />

Il reconnaît néanmoins <strong>que</strong> <strong>«</strong> tout le monde accorde <strong>que</strong> la loi du Sinaï, avec ses menaces<br />

<strong>et</strong> ses terreurs, était une loi de crainte plutôt qu’une loi d’amour ; le christianisme, au<br />

contraire, se résume dans la loi de charité qui en est l’âme <strong>et</strong> l’essence » (cf. <strong>son</strong> texte<br />

Clément d’Alexandrie p. 377). Pour l’auteur des Stromates, il y a un développement<br />

progressif <strong>et</strong> une gradation ascendante du sentiment religieux <strong>et</strong> si l’Ancien Testament<br />

précède le Nouveau, la crainte de Dieu peut avoir un intérêt pédagogi<strong>que</strong> pour le repentir <strong>et</strong><br />

le changement de vie. Il y préfère néanmoins la <strong>«</strong> honte de soi » , celle de <strong>«</strong> l’homme qui<br />

recule devant le péché à cause de la laideur qu’il y découvre, ou qui s’en repent <strong>par</strong> suite de<br />

la honte intérieure qu’il éprouve : une <strong>par</strong>eille aversion a sans contredit une grande valeur<br />

morale <strong>et</strong> pré<strong>par</strong>e les voies à la justification » (ibidem p. 368). Le texte vétéro-testamentaire<br />

qui dit <strong>que</strong> <strong>«</strong> la crainte est le commencement de la sagesse » est pris au mot <strong>par</strong> le prêtre<br />

d’Alexandrie qui la comprend comme le début d’une accession à la sagesse, à la <strong>«</strong> gnose de<br />

l’union divine <strong>par</strong> amour », ultime <strong>et</strong> seul légitime sentiment religieux. La crainte doit<br />

détacher l’homme du mal <strong>et</strong> le pré<strong>par</strong>er à la sagesse. En fait, il écrit : <strong>«</strong> Ce n’est pas Dieu<br />

<strong>que</strong> je crains mais je crains d’être détaché de Dieu ». Néanmoins, il n’abandonne jamais la<br />

référence à la crainte <strong>et</strong> c’est ce qui intéresse les penseurs catholi<strong>que</strong>s tridentins en lutte<br />

contre le protestantisme qui bannit la crainte comme un sentiment mauvais. Comme pour la<br />

plu<strong>par</strong>t des systèmes philosophi<strong>que</strong>s <strong>et</strong> religieux qui ne différencient jamais la loi sociale<br />

punitive <strong>et</strong> la loi morale, ils n‘arrivent pas à comprendre <strong>que</strong> la loi morale christi<strong>que</strong> n’est pas<br />

punitive. Pour eux, refuser la crainte, c’est refuser la loi morale <strong>et</strong> il est vrai <strong>que</strong> le<br />

protestantisme rej<strong>et</strong>ait, concernant la <strong>«</strong> justification », les <strong>«</strong> bonnes œuvres » qui <strong>son</strong>t le fait<br />

de la loi morale. Or, nous l’avons vu, pour le <strong>Christ</strong>, le mal fait mal à autrui <strong>et</strong>, des fois, se<br />

r<strong>et</strong>ourne contre le méchant lors<strong>que</strong> celui-ci tombe sur une <strong>«</strong> pierre d’achoppement ».<br />

Lorsqu’il prophétise la destruction du Temple <strong>et</strong> du système social religieux juif, ce n’est pas<br />

<strong>par</strong>ce qu’il pense <strong>que</strong> Dieu le vengera de <strong>son</strong> injuste condamnation mais <strong>par</strong>ce <strong>que</strong>, se<br />

sachant la <strong>«</strong> pierre d’achoppement » histori<strong>que</strong> du système sacrificiel, il savait <strong>que</strong> leur<br />

négativité se r<strong>et</strong>ournerait contre eux, de la même manière <strong>que</strong> Judas l’a r<strong>et</strong>ournée contre lui<br />

en se suicidant. Parmi les Pères de l’Eglise, <strong>notre</strong> très platonisant Clément d’Alexandrie fut<br />

celui qui montra le plus d’indifférence à la hiérarchie ecclésiale car le christianisme était pour<br />

lui la doctrine d’un accomplissement spirituel individuel. Après lui, le mot <strong>«</strong> gnosti<strong>que</strong> » fut<br />

banni du langage de l’Eglise à cause des délires spéculatifs des gnosti<strong>que</strong>s dualistes contre<br />

les<strong>que</strong>ls s’acharnèrent d’autres penseurs chrétiens tel Irénée, Tertullien ou Epiphane. Non<br />

comptant de dévaloriser la crainte de Dieu <strong>et</strong> la punition de l’enfer sauf à en faire un<br />

déclencheur <strong>et</strong> dans la mesure où tout reste à faire, le prêtre d’Alexandrie refusait également<br />

la soif du bonheur éternel <strong>et</strong> de l’obtention du <strong>par</strong>adis. Ni la crainte des châtiments ni le désir<br />

des récompenses n’ont aucune <strong>par</strong>t à l’ultime <strong>et</strong> seul légitime sentiment religieux. Il n’y a<br />

d’autre récompense <strong>que</strong> Dieu lui-même avec qui on est éternellement uni.<br />

18


On sait <strong>que</strong> Fenelon, en lien transférentiel avec Mme de Guyon <strong>que</strong> l’on accusait de<br />

quiétisme, disait avoir trouvé dans les Stromates de Clément une autorité à l’appui de <strong>son</strong><br />

sentiment. Pour l’archevê<strong>que</strong> de Cambrai au<strong>que</strong>l s’opposa résolument Bossu<strong>et</strong>, <strong>«</strong> l’amour de<br />

Dieu doit rester, pour être vraiment pur, complètement désintéressé ». En fait, ce <strong>son</strong>t là les<br />

<strong>par</strong>oles de tous les mysti<strong>que</strong>s de la planète : la mort de l’ego, d’un coté, <strong>et</strong>, de l’autre, l’âme<br />

comme pure <strong>«</strong> béance » <strong>et</strong> <strong>«</strong> obj<strong>et</strong> <strong>par</strong>tiel <strong>et</strong> pur semblant » de la divinité. On voit <strong>que</strong> la<br />

spiritualité chrétienne possède de nombreuses fac<strong>et</strong>tes <strong>et</strong>, pour certaines, la dimension<br />

sacrificielle s’estompe grandement. Néanmoins, elle reste fondamentale dans la liturgie où la<br />

messe est le <strong>«</strong> saint sacrifice <strong>«</strong> <strong>par</strong> excellence. A lire les Evangiles, le <strong>Christ</strong> savait qu’il<br />

devait mourir mais était-ce vraiment comme <strong>«</strong> bouc émissaire » au sens archaï<strong>que</strong> du terme,<br />

c’est à dire pour apaiser la colère de Dieu <strong>et</strong>, justifiant <strong>par</strong> c<strong>et</strong>te mort les humains, les<br />

réconcilier avec lui. Nous pen<strong>son</strong>s, nous, qu’il savait qu’il était appelé à jouer ce rôle<br />

histori<strong>que</strong> de la <strong>«</strong> Pierre qu’on rej<strong>et</strong>ée ceux qui bâtissent » mais pas dans le sens du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire » traditionnel mais dans celui, moderne du terme. Il savait qu’il était c<strong>et</strong>te<br />

<strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle se briserait le système sacrificiel juif <strong>et</strong> avec lui, tous les systèmes<br />

sociaux religieux sacrificiels qui, depuis le commencement de l’Humanité, <strong>«</strong> condamnent des<br />

innocents ». La Croix m<strong>et</strong> en spectacle, comme le dit l’apôtre Paul, la loi sociale négative,<br />

celle des <strong>«</strong> puissances <strong>et</strong> des dominations », celle de Satan, l’accusateur public, le menteur<br />

<strong>et</strong> le meurtrier qui condamne les innocents. Dans un de ses premiers écrits, René Girard<br />

écrivait <strong>que</strong> la croix était un panneau de <strong>«</strong> publicité gigantes<strong>que</strong> donné en spectacle à la face<br />

du monde » montrant l’innocence de la victime injustement condamnée :<br />

<strong>«</strong> En clouant le <strong>Christ</strong> sur la croix, les puissances <strong>et</strong> les dominations (le <strong>«</strong> Prince de ce<br />

monde ») croyaient faire ce qu’elles font d’habitude en déclenchant le mécanisme<br />

victimaire, elles croyaient écarter une menace de révélation, elles se clouaient ellesmêmes<br />

sur la croix dont elles ne soupçonnaient pas le pouvoir révélateur …<br />

En déclenchant le mécanisme victimaire contre <strong>Jésus</strong>, Satan croyait protéger <strong>son</strong><br />

royaume, défendre <strong>son</strong> bien, sans se rendre compte qu’il faisait tout le contraire. Il faisait<br />

exactement ce <strong>que</strong> Dieu souhaitait qu’il fit. Seul Satan pouvait m<strong>et</strong>tre en route, sans s’en<br />

douter, le processus de sa propre destruction ».<br />

R. Girard - Je vois Satan tomber comme l’éclair p.222 <strong>et</strong> 235.<br />

C<strong>et</strong>te façon de voir s’oppose à concevoir la croix comme un nouveau <strong>«</strong> grigri » qui,<br />

lorsqu’on le touche, nous apporte des bienfaits <strong>et</strong> des grâces. Si la mort du <strong>Christ</strong> nous<br />

délivre du péché, ce n’est certainement pas des péchés contraires à la loi sociale de l’ordre<br />

divin mais du péché <strong>que</strong> représente l’aspect négatif de tout ordre social s’acharnant<br />

injustement contre la per<strong>son</strong>ne. Le temps histori<strong>que</strong> était arrivé où le système diaboli<strong>que</strong><br />

sacrificiel devait être détruit. Le <strong>Christ</strong> savait qu’il était c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle il se<br />

fracasserait r<strong>et</strong>ournant contre lui sa propre méchanc<strong>et</strong>é ( <strong>«</strong> Satan chasse Satan »)<br />

perm<strong>et</strong>tant ainsi qu’advienne enfin le <strong>«</strong> règne du Père », celui de la vérité, de la justice <strong>et</strong> de<br />

l’Amour. Qu’on relise le passage sur la répétition des meurtres <strong>«</strong> depuis Abel le juste<br />

jusqu’au sang de Zacharie <strong>que</strong> <strong>vous</strong> avez assassiné entre le sanctuaire <strong>et</strong> l’autel » (Matthieu<br />

23 – 34) <strong>et</strong> également la <strong>par</strong>abole des vignerons assassins (Matthieu 20 – 2) où le <strong>Christ</strong><br />

annonce qu’il est le fils de Dieu mais aussi la <strong>«</strong> Pierre » sur la<strong>que</strong>lle la négativité des<br />

bâtisseurs de l’ordre social se brisera <strong>et</strong> on verra <strong>que</strong> c’est c<strong>et</strong>te conception antisacrificielle<br />

de la mort du <strong>Christ</strong> qu’il aurait fallu r<strong>et</strong>enir <strong>et</strong> non sa compréhension au regard du <strong>«</strong> juste<br />

souffrant » du second Isaïe qui n’était qu’un <strong>«</strong> bouc émissaire » <strong>par</strong>mi tant d’autres soi-disant<br />

nécessaires à la <strong>«</strong> rémission des péchés <strong>par</strong> sa souffrance » qui seule apaise la colère de<br />

Dieu <strong>et</strong> le rend à nouveau propice. On pourrait dire, d’une certaine manière, <strong>que</strong>, sachant<br />

qu’il devait mourir <strong>et</strong> qu’il a accepté volontairement c<strong>et</strong>te épreuve, le <strong>Christ</strong> s’est offert en<br />

<strong>«</strong> sacrifice » mais on court le ris<strong>que</strong> de r<strong>et</strong>omber dans le <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> c’est pour cela qu’il<br />

faut renoncer au terme de <strong>«</strong> sacrifice » , trop connoté <strong>par</strong> <strong>son</strong> sens archaï<strong>que</strong>.<br />

19


Les <strong>par</strong>oles du <strong>Christ</strong> dévoilent une subversion du <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> il est dangereux de faire,<br />

comme le fait l’Epître aux hébreux qu’il faut exclure du corpus paulinien, de la mort du <strong>Christ</strong><br />

concernant la nouvelle alliance un équivalent, plus <strong>par</strong>fait, des sacrifices im<strong>par</strong>faits de<br />

l’ancienne alliance. Il n’y a de sacrifice <strong>que</strong> de sang versé <strong>et</strong> la mort ne peut en rien être<br />

salvatrice. L’essentiel du christianisme est la résurrection, c’est à dire une victoire contre la<br />

mort comme en avait l’intuition l’apôtre Paul (<strong>«</strong> Ô mort ! où est ta victoire » Corinthiens I,<br />

15:55). Outre d’être une prophétie, la destruction du Temple de Jérusalem est un signifiant<br />

de la destruction du sacrificiel. Malheureusement, la chrétienté ne le comprit pas <strong>et</strong> renoua<br />

amplement avec le sacrificiel en pure <strong>«</strong> continuité de l’histoire des religions » comme le<br />

signale CG Jung qui n’a jamais saisi, lui non plus, le message anti-sacrificiel des <strong>par</strong>oles du<br />

<strong>Christ</strong> :<br />

<strong>«</strong> Saint Pierre de Rome, ne l’oubliez pas, se dresse aujourd’hui à l’endroit où se<br />

déroulaient les taurobolia, les baptêmes de sang du culte d’Attis. Les grands prêtres de<br />

ce culte, en outre, portaient le titre de Papas – titre qui fut repris <strong>par</strong> le pape, le<strong>que</strong>l<br />

n’était au<strong>par</strong>avant <strong>que</strong> l’évê<strong>que</strong> de Rome … ».<br />

La rationalité scientifi<strong>que</strong> a <strong>«</strong> désenchanté » le monde <strong>et</strong>, beaucoup, <strong>par</strong>mi les modernes,<br />

<strong>son</strong>t nostalgi<strong>que</strong>s de la conception du monde religieuse des anciens qui donnait du <strong>«</strong> sens »<br />

à la vie. On se rappelle la chan<strong>son</strong> de Georges Brassens intitulé le Grand Pan.<br />

Histori<strong>que</strong>ment, c<strong>et</strong>te demande de re-enchantement du monde fut le fait du Romantisme,<br />

<strong>par</strong>ticulièrement de la philosophie romanti<strong>que</strong> allemande qui était en réaction à la<br />

philosophie des Lumières, l’Aufklarüng. Dans <strong>son</strong> introduction à sa Philosophie de la<br />

mythologie <strong>et</strong> de la révélation, le philosophe Schelling écrit <strong>que</strong> <strong>«</strong> les mythes <strong>son</strong>t le produit<br />

d’un processus indépendant de la pensée <strong>et</strong> de la volonté » <strong>et</strong> il s’y attribue le mérite d’avoir<br />

démontré <strong>que</strong> la psyché humaine est le subiectum agens de la mythologie. CG Jung<br />

s’inscrira à sa suite avec <strong>son</strong> <strong>«</strong> inconscient collectif <strong>et</strong> ses archétypes ». A <strong>par</strong>tir de l’intuition<br />

première de Creuzer <strong>et</strong> avant F. Ni<strong>et</strong>zsche, le philosophe souabe est de l’avis <strong>que</strong> la clef de<br />

compréhension de la mythologie est la figure de Dionysos qui ap<strong>par</strong>aît sous des noms <strong>et</strong> des<br />

figures diverses dans toutes les religions de la planète. Il <strong>par</strong>tage avec les romanti<strong>que</strong>s ainsi<br />

qu’avec GWF Hegel <strong>et</strong> plus tard avec F. Ni<strong>et</strong>zsche la conviction <strong>que</strong> le fait le plus important<br />

de la modernité est <strong>que</strong> <strong>«</strong> Dieu est mort » <strong>et</strong> <strong>que</strong> Apollon, tenu en équilibre dans la Grèce<br />

anti<strong>que</strong>, a écrasé Dionysos. Mais alors <strong>que</strong>, dans ses écrits de jeunesse, sa conception<br />

première de c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> nouvelle mythologie » s’opposait à la religion chrétienne, dans ses écrits<br />

de maturité, il énonce <strong>que</strong> le degré le plus élevé de la rédemption résulte dans la<br />

transformation de Dionysos en <strong>Christ</strong> sans la<strong>que</strong>lle l’humain reste captif de la mythologie <strong>et</strong><br />

n’atteint pas le but qui lui est réservé d’atteindre. Il comprend <strong>que</strong> dans l’Histoire de<br />

l’humanité il y a un processus de transformation de Dionysos en <strong>Christ</strong> car la seconde<br />

potentialité a un caractère franchement désaliénant pour les humains alors <strong>que</strong> la première<br />

est imprévisible, sauvage <strong>et</strong> peu aimable pour eux. Ni<strong>et</strong>zsche, lui, n’a pas eu ce recul face<br />

au danger <strong>que</strong> peut représenter ce r<strong>et</strong>our à la mythologie païenne pré-chrétienne, il accuse,<br />

tout à la fois Socrate <strong>et</strong> le christianisme <strong>et</strong> souhaite <strong>que</strong> Dionysos réoccupe la place du<br />

<strong>Christ</strong>. Pour lui, le christianisme associé à la métaphysi<strong>que</strong> post-socrati<strong>que</strong> <strong>son</strong>t<br />

responsables de la dégénérescence de l’humanité coupée de ses forces vivifiantes <strong>et</strong> il<br />

définit la divinité <strong>par</strong>eil à une <strong>«</strong> conjunctio oppositorum <strong>«</strong> de création <strong>et</strong> de destruction :<br />

<strong>«</strong> Savez-<strong>vous</strong> ce qu'est le monde pour moi ? ... un monstre de force ...une force une <strong>et</strong><br />

multiple comme un jeu de forces <strong>et</strong> d'ondes de force ... une mer de forces en tempête <strong>et</strong><br />

en flux perpétuel, éternellement entrain de changer ... un flux <strong>et</strong> un reflux de ses formes.<br />

Voilà mon univers dionysia<strong>que</strong>, qui se crée <strong>et</strong> se détruit éternellement ... comme une<br />

réalité pleine d'ivresse qui, à <strong>son</strong> tour, ne se préoccupe pas de l'individu, <strong>et</strong> même<br />

poursuit l'anéantissement de l'individu <strong>et</strong> sa dissolution libératrice <strong>par</strong> un sentiment<br />

d'identification mysti<strong>que</strong>".<br />

" Dionysos contre le "crucifié" : la voici bien, l'opposition. Ce n'est pas une différence<br />

quant au martyre - mais celui-ci a un sens différent.<br />

20


La vie même, <strong>son</strong> éternelle fécondité, <strong>son</strong> éternel r<strong>et</strong>our, détermine le tourment, la<br />

destruction, la volonté d'anéantir. Dans l'autre cas, la souffrance, le "crucifié" en tant qu'il<br />

est innocent sert d'argument contre c<strong>et</strong>te vie, de formule de sa condamnation"....<br />

L'individu a été si bien pris au sérieux <strong>par</strong> le christianisme, qu'on ne pouvait plus le<br />

crucifier : mais l'espèce ne survit <strong>que</strong> grâce aux sacrifices humains... la véritable<br />

philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l'espèce... Et c<strong>et</strong>te pseudo-humanité qui<br />

s'intitule le christianisme, veut précisément imposer <strong>que</strong> per<strong>son</strong>ne ne <strong>soit</strong> sacrifié.<br />

F. Ni<strong>et</strong>zsche Fragments posthumes<br />

Le romantisme, <strong>et</strong> après lui CG Jung, ont rai<strong>son</strong>, il y a un lieu dans le monde intérieur, lieu<br />

du symbolisme qui est une source de vitalité psychi<strong>que</strong>. L’âme est, de toujours, <strong>par</strong>eille à<br />

une <strong>«</strong> coupe » vide qui demande à être remplie de c<strong>et</strong>te énergéti<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> qui donne<br />

sens à la vie. Mais concevoir <strong>«</strong> l’inconscient collectif » comme lieu des <strong>«</strong> archétypes »<br />

archaï<strong>que</strong>s, forcément sacrificiels, on court le ris<strong>que</strong> de m<strong>et</strong>tre en acte ce qui est au<br />

fondement de la psyché collective qui, comme <strong>par</strong> ailleurs le reconnaît le psychanalyste<br />

suisse, <strong>«</strong> hait avec la même ardeur tout développement individuel sans utilité immédiate pour<br />

des fins collectives ” (Types psychologi<strong>que</strong>s p. 83). C<strong>et</strong>te haine est celle du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire », celle du <strong>«</strong> sacrificiel » car l’inconscient collectif est le fait de l’inconscience<br />

propre à l’horizon primitif dans le<strong>que</strong>l le suj<strong>et</strong> est un être collectif. Or la plu<strong>par</strong>t des<br />

<strong>«</strong> mythologues » regroupés autour de CG Jung n’étaient pas franchement des<br />

<strong>«</strong> progressistes de gauche » <strong>et</strong> beaucoup d’entre eux se <strong>son</strong>t compromis avec le fascisme <strong>et</strong><br />

le nazisme, lui-même fasciné <strong>par</strong> les religions orientales <strong>et</strong> la mythologie germani<strong>que</strong>.<br />

Certes, <strong>son</strong> disciple <strong>et</strong> traducteur français, Roland Cohen a défendu CG Jung d’avoir la<br />

moindre position anti-sémite mais en 1932, au moment de la montée du nazisme <strong>et</strong> de <strong>son</strong><br />

imminente prise de pouvoir, il co-organise à Zurich un séminaire sur le Yoga tantri<strong>que</strong> avec<br />

l’indianiste J. W. Hauer fondateur du Mouvement de la Foi allemande. Dans <strong>son</strong> livre de<br />

1933 intitulé La vision allemande de Dieu, ce notoire nazi proclamait <strong>«</strong> l’avènement d’une<br />

religion spécifi<strong>que</strong>ment allemande libérée de l’esprit sémite du christianisme … en étroite<br />

relation avec le mouvement national qui a conduit à la fondation du Troisième Reich». Le<br />

discours de CG Jung daté du 21 juin 1933 lors de <strong>son</strong> interview à la Radio de Berlin est plus<br />

<strong>que</strong> douteux. Dans <strong>son</strong> écrit sur Wotan (Odin) daté de 1936, reprenant <strong>son</strong> idée d’un<br />

inconscient collectif propre à cha<strong>que</strong> race, il fait la proposition <strong>que</strong> c’est le Dieu Wotan<br />

(Odin), divinité germani<strong>que</strong> qui s’est em<strong>par</strong>ée de l’Allemagne. C<strong>et</strong>te possession collective<br />

aurait été annoncée <strong>par</strong> certains philosophes <strong>et</strong> poètes allemands, Ni<strong>et</strong>zsche, Schuler,<br />

Klages <strong>et</strong> le poète Stefan George. En fait, il n’y a pas d’inconscient collectif propre à cha<strong>que</strong><br />

race <strong>et</strong> F. Ni<strong>et</strong>zsche ne s’en référait pas à Wotan mais à Dionysos qui lui est d’ailleurs<br />

similaire comme le reconnaît CG Jung lui-même. Si nous sommes tout à fait d’accord pour<br />

penser <strong>que</strong> le nazisme fut une psychose collective m<strong>et</strong>tant en acte une divinité archaï<strong>que</strong><br />

représentative d’un état psychi<strong>que</strong> où le suj<strong>et</strong> est un être collectif englouti dans le groupe<br />

social, nous refu<strong>son</strong>s d’en attribuer la cause au christianisme comme le fait le maître de<br />

Küsnacht. Tout comme les romanti<strong>que</strong>s <strong>et</strong> F. Ni<strong>et</strong>zsche avaient accusé la philosophie des<br />

Lumières d’avoir écrasé <strong>et</strong> refoulé Dionysos, CG Jung accuse le christianisme, surtout<br />

depuis la réforme, d’avoir <strong>par</strong> <strong>son</strong> Dieu unilatéral de bonté coupé en deux la divinité<br />

<strong>«</strong> coincidentia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal <strong>et</strong> d’avoir refoulé le mal qui aurait fait r<strong>et</strong>our<br />

dans la psychose collective nazie. En fait, le nazisme est, outre les rai<strong>son</strong>s sociales <strong>et</strong><br />

politi<strong>que</strong>s spécifi<strong>que</strong>s, le résultat d’une certaine dérive du romantisme allemand en<br />

opposition à la sclérose de l’esprit bourgeois du XIX e siècle. Avec c<strong>et</strong>te dérive, la culture<br />

germani<strong>que</strong> est <strong>«</strong> sortie de ses gonds » <strong>et</strong> détruisant les acquis histori<strong>que</strong>s concernant la<br />

morale <strong>et</strong> le souci des victimes a rechuté dans une configuration ancienne valorisant la<br />

volonté de puissance héroï<strong>que</strong> de l’ordre social <strong>et</strong> le dionysia<strong>que</strong> sexuel pré-mosaï<strong>que</strong>. Le<br />

problème de CG Jung est qu’il veut trouver dans toutes les manifestations religieuses, les<br />

symboles de sa topi<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong>, <strong>par</strong> ailleurs valable, de la <strong>«</strong> Per<strong>son</strong>a , de l’âme féminine<br />

<strong>et</strong> de l’ombre » <strong>et</strong> de la quaternité des fonctions psychologi<strong>que</strong>s.<br />

21


Le christianisme <strong>et</strong> sa divinité unilatérale de bonté serait ainsi le symbole d’un temps<br />

intermédiaire de différenciation unilatérale de la dimension masculine, cause du refoulement<br />

du mal <strong>et</strong> de la féminité. Le problème est <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te <strong>«</strong> dérive » du romantisme dont nous<br />

<strong>par</strong>lons, n’était pas <strong>par</strong>ticulièrement féministe comme on peut le voir :<br />

" Nous en avons assez de souffrir pour des idées, des idéaux, des p<strong>et</strong>ites hypocrisies<br />

idéalisées <strong>et</strong> perverses aux<strong>que</strong>lles per<strong>son</strong>ne ne sait plus croire. Vous avez fait de la<br />

femme une espèce de divinité co<strong>que</strong>tte, cruelle <strong>et</strong> vampiri<strong>que</strong>.<br />

Vos femmes fatales, <strong>et</strong> vos femmes adultères, <strong>et</strong> vos femmes desséchées de vertu, nous<br />

ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos "divines". La femme est d'abord<br />

une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le mâle dominateur. Au lieu de<br />

chanter la courtoisie, nous chanterons les ruses du désir animal, l'emprise totale du sexe<br />

sur l'esprit. Et la grande innocence bestiale nous guérira de votre goût du péché, c<strong>et</strong>te<br />

maladie de l'instinct génési<strong>que</strong>. Ce <strong>que</strong> <strong>vous</strong> appelez morale, c'est ce qui nous rend<br />

méchants, tristes <strong>et</strong> honteux. Ce <strong>que</strong> <strong>vous</strong> appelez ordure, voilà ce qui peut nous<br />

purifiez. Vos tabous <strong>son</strong>t des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la Vie,<br />

c'est l'instinct libéré de l'esprit, la grande puissance solaire qui broie <strong>et</strong> magnifie l'individu<br />

fécond, la belle brute déchaînée ..."<br />

cité <strong>par</strong> Denis de Rougemont L'Amour <strong>et</strong> l'Occident p. 201<br />

La loi sociale n’est pas la loi morale <strong>et</strong> les diables <strong>et</strong> les démons pour la loi sociale <strong>son</strong>t des<br />

forces de désordre qui s’opposent à l’ordre social <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> fécondité des femmes <strong>et</strong> des<br />

champs ». La sorcière <strong>«</strong> noue les aiguill<strong>et</strong>tes » <strong>et</strong> s’oppose à la fonction matrimoniale. La loi<br />

sociale sous l’égide de la figure du maître ne s’oppose pas à la sexualité (le <strong>«</strong> croissez <strong>et</strong><br />

multipliez-<strong>vous</strong> » bibli<strong>que</strong>), à une sexualité néanmoins disciplinée <strong>et</strong> machiste. Par contre,<br />

c’est avec la différenciation de la loi morale anti-sexuelle <strong>que</strong> le diable devient une figure<br />

tentatrice au regard de la sexualité, le <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » <strong>par</strong>ticulièrement attaché aux<br />

monothéismes. De ce fait, il faut bien différencier la figure du <strong>«</strong> bouc émissaire », négativité<br />

proj<strong>et</strong>ée <strong>par</strong> l’aspect négatif de l’ordre social <strong>et</strong> la figure du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », négativité<br />

proj<strong>et</strong>ée <strong>par</strong> l’aspect négatif de la figure du Père moral. Tout comme le r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire » au fondement du sacrificiel impliquait la différenciation de la dimension<br />

maternelle de <strong>«</strong> l’Amour du faible <strong>et</strong> de l’exclu », le r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », associé à la<br />

femme dans la chrétienté médiévale, entraîne la différenciation d’une nouvelle dimension<br />

féminine, éroti<strong>que</strong> c<strong>et</strong>te fois, liée au désir libertaire qui, comme l’a formulé Jac<strong>que</strong>s Lacan,<br />

se soutient de la <strong>«</strong> béance » (le +phi). C’est le quatrième temps histori<strong>que</strong>, celui propre à<br />

l’Occident. Ce qu’on peut voir dans le texte cité précédemment de Denis de Rougement,<br />

c’est <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te dérive du romantisme qui, en lui-même, était légitimement travaillé <strong>par</strong> des<br />

tendances éroti<strong>que</strong>s féminoïdes opposées à une certaine morale virile aliénante, bascule<br />

dans la barbarie de la sexualité <strong>«</strong> machiste » liée à la volonté de puissance niant le <strong>«</strong> souci<br />

du faible <strong>et</strong> de l’exclu » christi<strong>que</strong>. Le quatrième temps histori<strong>que</strong>, propre à la modernité, doit<br />

se situer à la suite des différenciations positives précédentes au ris<strong>que</strong> sinon, d’être<br />

déraciner <strong>et</strong> de r<strong>et</strong>omber dans la barbarie comme cela s’est passé avec le nazisme.<br />

Il faut dire aux junguiens <strong>que</strong> la structuration histori<strong>que</strong> est quaternaire <strong>et</strong> non duelle <strong>et</strong> <strong>que</strong><br />

s’il est bien de r<strong>et</strong>rouver une dimension spirituelle <strong>et</strong> religieuse <strong>que</strong> l’esprit des lumières <strong>et</strong> la<br />

science moderne nous a fait perdre, ce n’est pas une rai<strong>son</strong> pour r<strong>et</strong>ourner dans une<br />

configuration religieuse archaï<strong>que</strong> avec ses <strong>«</strong> représentations archétypi<strong>que</strong>s <strong>«</strong>, pour la<br />

plu<strong>par</strong>t sacrificielles, au ris<strong>que</strong> de m<strong>et</strong>tre en acte à nouveau le sordide mécanisme du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire ». Aucun r<strong>et</strong>our possible au <strong>«</strong> sacré » car le <strong>«</strong> sacré » <strong>et</strong> le <strong>«</strong> numineux », cher à<br />

Rudolph Otto, renvoient sur le <strong>«</strong> sacrificiel », celui de <strong>«</strong> l’orgè théou »(colère de Dieu) <strong>et</strong> de la<br />

<strong>«</strong> tremenda majestas ». Il est quand même troublant <strong>que</strong> nombre de per<strong>son</strong>nes s’intéressant<br />

à l’ésotérisme <strong>et</strong> aux symbolismes de la mythologie <strong>et</strong> des religions aient été compromises<br />

avec le fascisme. En fait, le religieux archaï<strong>que</strong> est toujours lié comme nous pouvons le voir<br />

avec la conception du religieux chez le sociologue Durkheim <strong>et</strong> chez ses successeurs à la<br />

figure du maître <strong>et</strong> à l’ordre social.<br />

22


Il écrivait : "la société est à l'individu ce qu'un Dieu est à ses fidèles". Ce n’est qu’avec le<br />

<strong>Christ</strong> <strong>que</strong> le religieux cesse d’être lié à la figure du maître <strong>et</strong> à la scène externe de l’ordre<br />

social pour être re-situer sur la scène interne infantile liée à la figure du Père. Hormis GWF<br />

Hegel dans <strong>son</strong> analyse d’Antigone, peu de penseurs l’ont dit mais c’est <strong>que</strong> pour GWF<br />

Hegel, la figure du maître était <strong>par</strong> excellence la figure de la <strong>«</strong> conscience malheureuse ».<br />

De l’adultère.<br />

La problémati<strong>que</strong> anti-sacrificielle est certes la dimension la plus importante des <strong>par</strong>oles du<br />

<strong>Christ</strong> mais pas la seule. C’est important pour <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> qui, après l’épisode nazi, use <strong>et</strong><br />

abuse de la notion du <strong>«</strong> bouc émissaire » dans sa conception christi<strong>que</strong> <strong>et</strong> moderne. Or dans<br />

deux passages des Evangiles, le <strong>Christ</strong> fustige <strong>«</strong> sa génération méchante <strong>et</strong> adultère » <strong>et</strong><br />

concernant l’adultère, on sait <strong>que</strong> s’il refuse le lynchage de la femme adultère, il lui dit, en<br />

a<strong>par</strong>té, : Va ! <strong>et</strong> ne pèche plus » (Jean 8 : 3). Ses diatribes contre les pharisiens qui font<br />

<strong>«</strong> porter de trop lourds fardeaux sur le dos des hommes » montrent qu’il s’oppose à l’ordre<br />

moral alors qu’il est d’une très grande exigence morale d’un autre coté. Pour comprendre<br />

cela, il faut structurer en scènes complémentaires les dimensions fondamentales psychi<strong>que</strong>s<br />

<strong>et</strong> voir <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> dissocie la figure du Père moral (<strong>«</strong> qui est dans le secr<strong>et</strong> ») de la figure<br />

du maître de la loi sociale (<strong>«</strong> Rendez à César, ce qui est à César <strong>et</strong> à Dieu, ce qui est à<br />

Dieu » Matthieu 22 : 21, Marc 12 : 17, Luc 20 : 25). L’important dans les Evangiles est la<br />

structuration ternaire (pas encore totalement quaternaire) où le Père moral est dissocié du<br />

maître extérieur (César) <strong>et</strong> associé, dans l’intériorité, à la figure de la Mère à la<strong>que</strong>lle il<br />

s’identifie :<br />

<strong>«</strong> Je suis le cep <strong>et</strong> <strong>vous</strong> êtes les sarments (la Mère englobante)<br />

<strong>et</strong> mon Père est le vigneron (le Père moral castrateur).<br />

(Jean 15 : 1).<br />

Quand est-il de <strong>notre</strong> configuration psychi<strong>que</strong>, à <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>, dans nos sociétés<br />

occidentales ? Elles s’opposent comme le <strong>Christ</strong> à l’ordre moral mais elles restent<br />

<strong>«</strong> unidimensionnelles » comme l’était aussi la configuration de l’ordre moral. A <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>,<br />

nous sommes passés, de Carybde en Scylla, d’une position unidimensionnelle à une autre<br />

position unidimensionnelle opposée sans prendre en compte la sé<strong>par</strong>ation entre l’interne <strong>et</strong><br />

l’externe. A l’opposée de l’ordre moral, les <strong>«</strong> foules sentimentales », chères au chanteur<br />

Alain Souchon, se situent du coté des valeurs maternelles <strong>et</strong> féminines, celles du <strong>«</strong> souci des<br />

victimes » <strong>et</strong> celles du sentiment amoureux <strong>que</strong> célèbrent les chan<strong>son</strong>n<strong>et</strong>tes télévisuelles <strong>et</strong><br />

les romances cinématographi<strong>que</strong>s. Néanmoins, la caractéristi<strong>que</strong> de la modernité postsoixante-huitarde<br />

est l’instabilité du mariage. Dans <strong>son</strong> dernier livre, Pascal Bruckner énonce<br />

la faillite du mariage basé sur le désir amoureux. Mais ce n’est pas nouveau, il y a déjà des<br />

décennies <strong>que</strong> Denis de Rougemont posait la <strong>que</strong>stion : peut-on épouser Iseult ? la réponse<br />

était non car le mariage est la clôture de la passion romanti<strong>que</strong>. Le livre de Denis<br />

Rougemont intitulé l’Amour <strong>et</strong> l’Occident décrit, depuis l’épo<strong>que</strong> des troubadours jusqu’à nos<br />

romances cinématographi<strong>que</strong>s, la passion amoureuse qui était une folie pour les anciens.<br />

Concomitant aux créations des Universités <strong>et</strong> au cheminement intellectuel occidental en<br />

direction de l’esprit scientifi<strong>que</strong>, le désir amoureux avec Roméo <strong>et</strong> Juli<strong>et</strong>te s’opposait au<br />

mariage arrangé des familles <strong>et</strong> des clans. C’est à dire la liberté de choisir de l’individu face<br />

aux contraintes des institutions de l’ordre social traditionnel. Le désir amoureux s’oppose au<br />

conservatisme de tout ordre moral <strong>et</strong> est, en cela, foncièrement progressiste. Toute<br />

l’idéologie du désir libertaire de <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> trouve une de ses racines dans c<strong>et</strong>te épo<strong>que</strong><br />

des troubadours. D’un autre coté, la psychanalyse montre <strong>que</strong> le blocage de la passion<br />

amoureuse chez l’adolescent provient d’un complexe négatif du Père d’exigence morale.<br />

23


On a vu <strong>que</strong>, histori<strong>que</strong>ment, la différenciation positive de la Loi morale se focalisa sur ce<br />

<strong>que</strong> René Girard appelle les désirs miméti<strong>que</strong>s : l’envie, la jalousie, la rivalité, <strong>et</strong>c… <strong>et</strong><br />

nombre de commandements divins bibli<strong>que</strong>s condamnent la jalousie <strong>et</strong> la convoitise des<br />

biens d’autrui, cause du meurtre entre les propres frères (Caïn <strong>et</strong> Abel) :<br />

" tu ne convoiteras point la mai<strong>son</strong> de ton prochain; tu ne convoiteras pas la femme de<br />

ton prochain, ni <strong>son</strong> serviteur, ni sa servante, ni <strong>son</strong> bœuf, ni <strong>son</strong> âne, ni aucune chose<br />

qui ap<strong>par</strong>tienne à ton prochain" (Exode 20.17).<br />

Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan aussi <strong>et</strong> bien avant René Girard, le désir est le désir de l’autre :<br />

<strong>«</strong> Dans la dialecti<strong>que</strong> de jalousie-sympathie, l’obj<strong>et</strong> appréhendé, désiré, c’est lui ou moi<br />

qui l’aura... il y a une communauté du moi <strong>et</strong> de l’autre dans le désir de l’obj<strong>et</strong> - qui est en<br />

somme le même désir…» (Le séminaire Livre II p. 68)<br />

Et bien avant eux, cela était aussi le cas pour GWF Hegel comme le signale A. Kojève :<br />

<strong>«</strong> … le désir qui porte sur un obj<strong>et</strong> naturel n’est humain <strong>que</strong> dans la mesure où il est<br />

médiatisé <strong>par</strong> le désir d’un autre portant sur le même obj<strong>et</strong> : il est humain de désirer ce<br />

<strong>que</strong> désirent les autres, <strong>par</strong>ce qu’ils le désirent. Ainsi, un obj<strong>et</strong> <strong>par</strong>faitement inutile au<br />

point de vue biologi<strong>que</strong> (tel qu’une décoration, <strong>et</strong>c …) peut-être désiré <strong>par</strong>ce qu’il fait<br />

l’obj<strong>et</strong> d’autres désirs » (Introduction à la lecture de Hegel p. 13).<br />

Pour René Girard, si nos désirs n'étaient pas miméti<strong>que</strong>s <strong>et</strong> triangulaires, "ils seraient à<br />

jamais fixés sur des obj<strong>et</strong>s prédéterminés, ils seraient une forme <strong>par</strong>ticulière d'instinct". Il<br />

écrit également <strong>que</strong> " le propre du désir est de ne pas être propre" <strong>et</strong> <strong>que</strong> le "mimétisme<br />

violent n'est rien de substantiel <strong>et</strong> qu'il n'a pas d'être du tout" ( R. Girard - Je vois satan<br />

tomber comme l'éclair p.74). Il rejoint en cela le "man<strong>que</strong> d'être", la <strong>«</strong> béance » <strong>que</strong> Jac<strong>que</strong>s<br />

Lacan assigne au désir car il est vrai <strong>que</strong> le désir miméti<strong>que</strong> <strong>et</strong> le mécanisme du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire » propre à l'ordre symboli<strong>que</strong> se situent sur la scène extérieure de l'ex-sistentiel,<br />

(hors de l'être). Or, René Girard s’est passionné pour la littérature occidentale <strong>et</strong> <strong>son</strong> rapport<br />

au désir amoureux (cf. <strong>son</strong> livre Men<strong>son</strong>ge romanti<strong>que</strong> <strong>et</strong> vérité romanes<strong>que</strong>) <strong>et</strong> il montre<br />

bien <strong>que</strong> le désir amoureux est un désir triangulaire miméti<strong>que</strong>. Pour nous, la loi morale<br />

légitime s’oppose au désir miméti<strong>que</strong> d’obj<strong>et</strong>s alors <strong>que</strong> le désir amoureux s’oppose à la loi<br />

morale aliénante ; du moins, dans la première <strong>par</strong>tie de la vie, car après le mariage, le désir<br />

amoureux devient le désir adultère, c’est à dire le démon de midi. Dans la comédie musicale<br />

<strong>«</strong> Notre Dame de Paris », le prêtre <strong>«</strong> se détourne du ciel » pour les beaux yeux d'Esméralda.<br />

C’est tout à l’opposé des grands poètes amoureux médiévaux (Pétrar<strong>que</strong>, Lulle, March, <strong>et</strong>c..)<br />

pour qui ce fait psychologi<strong>que</strong> était une erreur d’orientation :<br />

<strong>«</strong> Aimer une chose mortelle avec une foi<br />

qui à Dieu seul est due <strong>et</strong> à lui seul convient <strong>«</strong> (Pétrar<strong>que</strong>).<br />

La <strong>par</strong>abole de l’enfant prodigue qui s’éloigne du Père pour ensuite y revenir (sans pour<br />

autant renier les acquis de c<strong>et</strong> éloignement) symbolise c<strong>et</strong>te nécessaire sé<strong>par</strong>ation entre<br />

l’extérieur <strong>et</strong> l’intérieur, entre la scène externe du social-histori<strong>que</strong> où le progressisme anticonservateur<br />

opposé à l’ordre moral est légitime <strong>et</strong> la scène de l’interne où l’exigence morale<br />

du Père a toute sa place associée à la figure de la Mère-communauté englobante.<br />

L’interdiction de l’adultère ne peut être un article de la loi sociale même si elle l’est au regard<br />

de la Loi morale <strong>et</strong>, de même, le désir libertaire n’a pas à vouloir <strong>que</strong> l’ordre social <strong>soit</strong> une<br />

communauté englobante. Les utopies communistes telles celles du XIX e siècle débouchent<br />

toujours sur une société totalitaire aliénante pour le suj<strong>et</strong>. A <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong>, c’est<br />

symptomati<strong>que</strong> <strong>que</strong> ce <strong>soit</strong> les stars de la chan<strong>son</strong> avec leurs romances amoureuses qui<br />

portent désormais les valeurs du <strong>«</strong> souci des victimes » dans leur grand show télévisuel au<br />

service de l’Ethiopie, du sida ou de tout autre malheur présent sur la surface de la planète.<br />

24


Coluche a remplacé l’Abbé Pierre. La configuration psychi<strong>que</strong> moderne, celle des <strong>«</strong> foules<br />

sentimentales », opposée radicalement à la configuration <strong>«</strong> machiste » de l’ordre moral m<strong>et</strong>,<br />

à cause de <strong>son</strong> unidimensionalité, en souffrance, à la fois, l’ordre social <strong>et</strong> la Loi morale.<br />

L’instabilité du mariage n’est qu’un des eff<strong>et</strong>s de c<strong>et</strong>te mise en souffrance de l’ordre social <strong>et</strong><br />

de sa pérennité. Pour la conception ancienne, c’est la sorcière qui, <strong>«</strong> nouant les<br />

aiguill<strong>et</strong>tes », m<strong>et</strong>tait à mal la fonction génitale <strong>et</strong> la relation matrimoniale. Pour la<br />

psychanalyse également, le complexe maternel négatif s’oppose à l’être adulte masculin <strong>et</strong> à<br />

<strong>son</strong> insertion sociale. L’inquiétant est <strong>que</strong> le mariage comme structuration de l’échange des<br />

femmes est au fondement de tout échange de biens, spécificité des sociétés humaines (cf.<br />

C. Lévi-Strauss, à la suite de M. Mauss), c’est à dire concerne l’activité économi<strong>que</strong> <strong>et</strong> la<br />

bonne santé du groupe social.<br />

Hermaphrodite <strong>et</strong> sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite.<br />

Dans la chrétienté, il existe toute une tradition, sans lien avec le sacrificiel, qui faisait du<br />

<strong>Christ</strong>, un nouvel Adam ayant r<strong>et</strong>rouvé sa nature hermaphrodite perdue à cause du péché<br />

originel. L’Homme primordial Adam, avant le péché, était dans un état de perfection d’être. Il<br />

ne possédait pas de corps grossièrement matériel mais un corps fait de quintessence pure <strong>et</strong><br />

céleste tel <strong>que</strong> le <strong>Christ</strong> l’a r<strong>et</strong>rouvé <strong>et</strong> tel <strong>que</strong> l’homme l’aura après la résurrection. Après le<br />

péché originel <strong>et</strong> l’expulsion du <strong>par</strong>adis, Adam a été divisé en deux moitiés <strong>et</strong> tout comme<br />

dans le Ban<strong>que</strong>t de Platon, c’est c<strong>et</strong>te sé<strong>par</strong>ation qui expli<strong>que</strong> la sexualité humaine. En fait,<br />

l’homme recherche toujours sa propre réintégration, le complément de lui-même qu’il a<br />

perdu. Il cherche désespérément <strong>et</strong> aveuglément dans l’extérieur la réalisation de <strong>son</strong> propre<br />

être total, c<strong>et</strong> être hermaphrodite qu’il était avant la chute. Le péché originel dont est<br />

responsable le diable a rendu l’humain identi<strong>que</strong> au monde en l’enlisant dans le sensible,<br />

l’animalité <strong>et</strong> la matérialité. En le sé<strong>par</strong>ant de Dieu (perte de l’âme), il l’a rendu mortel. Mais<br />

cela n’est pas irrémédiable <strong>et</strong> l’humain garde la possibilité de r<strong>et</strong>rouver, avec l’aide de la<br />

divinité bonne <strong>et</strong> secourable, <strong>son</strong> état d’avant la chute. Pour se faire, c’est le propre Fils de<br />

Dieu qui s’est incarner dans l’homme <strong>Jésus</strong> pour vaincre le péché <strong>et</strong> la mort, r<strong>et</strong>rouver en<br />

premier l’état <strong>par</strong>adisia<strong>que</strong> de l’Adam d’avant la chute <strong>et</strong> montrer le chemin aux autres<br />

humains. Pour c<strong>et</strong>te tradition chrétienne, <strong>et</strong> en accord avec la théologie de saint Paul, le<br />

<strong>Christ</strong> a revêtu dans la souffrance <strong>et</strong> la mort la condition de l’Adam déchu (le <strong>«</strong> vieil Adam »)<br />

pour pouvoir réintégrer, <strong>et</strong> nous avec, la condition <strong>par</strong>adisia<strong>que</strong> d’avant la chute. Même si on<br />

peut conjecturer <strong>que</strong> la situation terrestre est une punition divine, ce n’est en rien la mort du<br />

<strong>Christ</strong> qui est essentiellement salvatrice mais c’est surtout sa résurrection. En cela, une<br />

église chrétienne comme l’Eglise orthodoxe a toujours plus mis en relief la résurrection du<br />

<strong>Christ</strong> <strong>que</strong> l’Eglise romaine tridentine, manifestement plus sacrificielle.<br />

Un des intérêts de c<strong>et</strong>te tradition <strong>que</strong> nous venons de citer est l’opposition entre la<br />

sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite <strong>et</strong> sa réunification. C’est, à <strong>notre</strong> avis, la symboli<strong>que</strong><br />

représentative du suj<strong>et</strong> psychi<strong>que</strong> la plus importante. Nous avons vu <strong>que</strong> la sé<strong>par</strong>ation de<br />

hermaphrodite était le fait de la figure du maître <strong>et</strong> de sa loi sociale comme dans la<br />

circoncision ou le <strong>«</strong> pacte tranché » des alliances <strong>et</strong> des serments. Le r<strong>et</strong>our à<br />

l’hermaphrodite s’oppose alors à la loi sociale négative <strong>et</strong> s’effectue <strong>par</strong> le r<strong>et</strong>rait de la<br />

dimension <strong>«</strong> diaboli<strong>que</strong> » proj<strong>et</strong>ée. Le mécanisme psychologi<strong>que</strong> de la projection s’instaure<br />

chez l’humain lors de <strong>son</strong> accession à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> au langage-signifiant, plus<br />

<strong>par</strong>ticulièrement avec l’articulation syntaxi<strong>que</strong> du langage ; c’est à dire lors de <strong>son</strong> insertion<br />

dans l’ordre symboli<strong>que</strong>. Le r<strong>et</strong>rait de la projection impliquant une introjection se réalise dans<br />

le cas du r<strong>et</strong>our de l’ombre proj<strong>et</strong>ée jus<strong>que</strong> là dans la <strong>«</strong> tête de turc », les non-valeurs des<br />

idéaux moï<strong>que</strong>s (Moi idéal <strong>et</strong> Idéal du moi) mais aussi dans le cas du r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> bouc<br />

émissaire », aspect négatif de l’ordre social. C’est également le cas pour la projection du<br />

<strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> », aspect négatif de la loi morale négative <strong>et</strong> aliénante. En fait, la sé<strong>par</strong>ation<br />

de l’hermaphrodite relève de la loi en toute généralité, tout autant de la loi sociale <strong>que</strong> de la<br />

loi morale. En consé<strong>que</strong>nce, la bisexualité de l’hermaphrodite concernera également tout<br />

autant le dépassement de la loi sociale négative <strong>que</strong> celui de la loi morale.<br />

25


On touche là à l’imbroglio actuel du discours junguien concernant l’intégration chez l’humain<br />

masculin de la dimension féminine dénommée l’intégration de l’anima (<strong>et</strong> l’animus viril chez<br />

la femme). Or les textes d’Emma Jung sur l’anima <strong>et</strong> l’animus montrent <strong>que</strong> c<strong>et</strong>te<br />

complémentarité psychologi<strong>que</strong> est liée au devenir histori<strong>que</strong> de la culture occidentale <strong>et</strong> n’a<br />

aucun rapport avec la bisexualité <strong>que</strong> l’on trouve dans la spiritualité <strong>et</strong> la mysti<strong>que</strong>. On se<br />

trouve plutôt dans le cadre de la bisexualité dont <strong>par</strong>le Elisab<strong>et</strong>h Badinter dans <strong>son</strong> livre L’un<br />

<strong>et</strong> l’autre. La même configuration psychi<strong>que</strong> <strong>que</strong> celle dont <strong>par</strong>le Jac<strong>que</strong>s Lacan lorsqu’il écrit<br />

<strong>que</strong> <strong>«</strong> c’est en tant qu’autre sexe <strong>que</strong> l’humain désire ». C<strong>et</strong> hermaphrodisme émerge du<br />

r<strong>et</strong>our du <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » lié à la figure du père moral négatif <strong>et</strong> aliénant, castrateur du<br />

désir amoureux adolescent <strong>que</strong> l’on r<strong>et</strong>rouve, en <strong>par</strong>tie, dans le surmoi freudien. Or, <strong>notre</strong><br />

épo<strong>que</strong> a autonomisé les adolescents comme groupe social alors <strong>que</strong> dans les sociétés<br />

anciennes, l’humain s’insérait dans l’ordre social adulte dès la puberté. On peut même dire<br />

<strong>que</strong> la société actuelle est devenue <strong>«</strong> adolescentes<strong>que</strong> » avec la dominance de l’idéologie<br />

du désir entraînant c<strong>et</strong>te hermaphrodisme du suj<strong>et</strong> moderne dont <strong>par</strong>le Elisab<strong>et</strong>h Badinter.<br />

Nous avons vu <strong>que</strong> le junguisme théorisait une topi<strong>que</strong> relevant d’une bisexualité. Une<br />

topi<strong>que</strong> où pour l’humain masculin : le moi conscient s’identifie à la Per<strong>son</strong>a d’identité<br />

sexuelle en opposition à l’âme inconsciente féminine. Mais la référence à l’hermaphrodite se<br />

r<strong>et</strong>rouve aussi dans le lacanisme dont l’opposition majeure est <strong>«</strong> avoir le pénis ou être le<br />

phallus de la Mère ». Bien entendu, <strong>«</strong> avoir le pénis » est le fait de la fonction génitale <strong>et</strong><br />

relève donc de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite, celle du maître tandis <strong>que</strong> <strong>«</strong> être le phallus<br />

de la Mère » est l’équivalent de l’hermaphrodite. Pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, le <strong>«</strong> phallus » est le<br />

<strong>«</strong> pénis qui man<strong>que</strong> à la Mère », c’est à dire le signifiant du <strong>«</strong> man<strong>que</strong> dans l’Autre »,<br />

autrement dit la <strong>«</strong> béance ». En outre, en plus de c<strong>et</strong>te opposition entre <strong>«</strong> avoir le pénis » <strong>et</strong><br />

<strong>«</strong> être le phallus de la Mère », se situe une opposition entre le désir <strong>et</strong> la loi morale plus<br />

classi<strong>que</strong>ment freudien. Par contre, ce qui est original chez Jac<strong>que</strong>s Lacan, c’est qu’il<br />

associe le désir <strong>et</strong> la <strong>«</strong> béance », le <strong>«</strong> phallus » positivé (+phi) opposé à la loi morale, ellemême<br />

résultat du refoulement du désir (<strong>«</strong> la loi morale est le désir refoulé » in Kant avec<br />

Sade). En consé<strong>que</strong>nce, le <strong>«</strong> phallus de la Mère » sera le <strong>«</strong> phallus » négativé (-phi). De<br />

plus, le psychiatre <strong>par</strong>isien inscrit c<strong>et</strong>te formulation quaternaire du psychisme humain dans la<br />

problémati<strong>que</strong> d’accession à la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong> au langage-signifiant propre à l’humain. En cela, le<br />

<strong>«</strong> phallus » (+phi) est la <strong>«</strong> béance » qui entraîne l’organisation syntaxi<strong>que</strong> (ordre symboli<strong>que</strong>)<br />

dans la diachronie sachant le <strong>«</strong> je », suj<strong>et</strong> du désir est tout à la fois suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> obj<strong>et</strong> du désir lié<br />

à la métonymie. Pour ce qui est du <strong>«</strong> phallus (-phi) de la Mère », il le situe sur le lieu de la<br />

<strong>par</strong>ole <strong>et</strong> de la signification métaphori<strong>que</strong> du suj<strong>et</strong>. Pour le psychiatre <strong>par</strong>isien, il n’y a<br />

d’inconscient <strong>que</strong> chez un suj<strong>et</strong> qui <strong>par</strong>le <strong>et</strong> le langage-signifiant humain est différent du<br />

langage animal qui <strong>«</strong> n’adm<strong>et</strong> pas la métaphore, ni n’engendre la métonymie » (Ecrits II<br />

p.206) sachant <strong>que</strong> <strong>«</strong> rien dans le monde animal ne représente le suj<strong>et</strong> » <strong>et</strong> <strong>que</strong> c’est le<br />

<strong>«</strong> signifiant [métaphori<strong>que</strong>] qui représente le suj<strong>et</strong> »:<br />

• La structure métaphori<strong>que</strong> indi<strong>que</strong> <strong>que</strong> c’est dans la substitution du signifiant au<br />

signifiant <strong>que</strong> se produit un eff<strong>et</strong> de signification qui est de poésie ou de création,<br />

autrement dit d’avènement de la signification en <strong>que</strong>stion ».<br />

• La structure métonymi<strong>que</strong> indi<strong>que</strong> <strong>que</strong> c’est la connexion du signifiant au signifiant<br />

qui perm<strong>et</strong> l’élision <strong>par</strong> quoi le signifiant installe le man<strong>que</strong> de l’être dans la relation<br />

d’obj<strong>et</strong> … La barre placée entre S <strong>et</strong> s mar<strong>que</strong> l’irréductibilité où se constitue dans<br />

les rapports du signifiant au signifié, la résistance de la signification»<br />

Ecrits I p. 274.<br />

Outre la quaternité <strong>que</strong> nous avons vu précédemment, la dualité entre la <strong>par</strong>ole <strong>et</strong><br />

l’articulation syntaxi<strong>que</strong> du langage (l’ordre symboli<strong>que</strong>) fonde l’opposition entre l’introversion<br />

<strong>et</strong> l’extraversion ; termes <strong>que</strong> Jac<strong>que</strong>s Lacan n’emploie pas mais qui ressortent de sa<br />

fondamentale dualité différenciant l’être <strong>et</strong> la l<strong>et</strong>tre, le dit <strong>et</strong> le dire, l’énoncé <strong>et</strong> l’énonciation,<br />

l’être <strong>et</strong> le <strong>«</strong> man<strong>que</strong> d’être », l’Autre <strong>et</strong> l’autre, <strong>et</strong>c…<br />

26


On sait qu’il écrivait également <strong>que</strong> <strong>«</strong> .. rien n’a été encore valablement articulé de ce qui lie<br />

la métaphore à la <strong>que</strong>stion de l’être <strong>et</strong> la métonymie à <strong>son</strong> man<strong>que</strong> » (Jac<strong>que</strong>s Lacan - Ecrits<br />

I p. 289). L’intérêt de la formulation lacanienne réside dans la quaternité des dimensions<br />

psychi<strong>que</strong>s fondamentales <strong>et</strong> dans le double versant de la <strong>«</strong> béance » qui perm<strong>et</strong> de<br />

comprendre ce double <strong>«</strong> hermaphrodisme » qui reste enchevêtrée dans les textes junguiens.<br />

De là, la nécessité de différencier dans le junguisme le concept de l’âme de celui de l’anima.<br />

La <strong>«</strong> béance » (l’anima) proj<strong>et</strong>ée dans le réel comme un a priori de l’extraversion impli<strong>que</strong><br />

une potentialisation moï<strong>que</strong> déversant sa vitalité vers ce réel :<br />

1 (moi) 0 (anima - obj<strong>et</strong>)<br />

C’est la définition même de l’extraversion chez CG Jung : <strong>«</strong> le type extraverti suppose <strong>que</strong><br />

l’obj<strong>et</strong> <strong>soit</strong> vide, <strong>et</strong> qu’il peut le remplir de sa propre vie» (Types psychologi<strong>que</strong>s p.284).<br />

Par contre, l’âme comme <strong>«</strong> béance » en relation à l’Autre impli<strong>que</strong> la demande d’être remplie<br />

d’une vitalité qui provient de c<strong>et</strong> Autre intérieur. L’image de la coupe (saint Graal) a toujours<br />

symbolisé c<strong>et</strong>te âme recevant une énergéti<strong>que</strong> psychi<strong>que</strong> provenant de l’Autre :<br />

0 (l’âme) 1 (l’Autre comme le Dieu des mysti<strong>que</strong>s).<br />

La symboli<strong>que</strong> de l’hermaphrodite <strong>et</strong> de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite est fondamentale <strong>et</strong><br />

il est à noter <strong>que</strong> seule les théories psychanalystes junguienne <strong>et</strong> lacanienne s’y réfèrent ;<br />

En cela, ce <strong>son</strong>t les seules qui possèdent un véritable intérêt concernant le savoir sur le suj<strong>et</strong><br />

psychi<strong>que</strong>. Par contre, c<strong>et</strong>te symboli<strong>que</strong> se trouvent quotidiennement sous nos yeux sans<br />

<strong>que</strong> nous la voyons sachant <strong>que</strong> mêmes les astrologues ne la voient pas :<br />

Signes hermaphrodites :<br />

_ Scorpion<br />

_ Capricorne<br />

_ Taureau<br />

Signes doubles<br />

_ Balance<br />

_ Verseau<br />

_ Gémeaux<br />

Signes féminins<br />

_ Vierge<br />

_ Pois<strong>son</strong>s<br />

_ Cancer<br />

Signes masculins<br />

_ Sagittaire<br />

_ Bélier<br />

_ Lion<br />

M + flèche<br />

Corne + Queue<br />

Soleil + Lune<br />

Double trait<br />

Double trait<br />

Double trait<br />

M castré de la flèche<br />

Queues du pois<strong>son</strong>s<br />

Lune seule du Cancer<br />

Flèche<br />

Corne<br />

Soleil du Lion<br />

Nous avons cru longtemps être le seul à repérer c<strong>et</strong>te structuration des signes du zodia<strong>que</strong><br />

au regard de la symboli<strong>que</strong> de l’hermaphrodite <strong>et</strong> de la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite jusqu’à<br />

la lecture du livre Dieu d’eau de Marcel Griaule. C<strong>et</strong> <strong>et</strong>hnographe, non susceptible d’être<br />

accusé d’ésotérisme, les avait trouvé, à sa grande surprise, aux fondements de la<br />

conception du monde des Dogons <strong>que</strong> lui avait dévoilé en 1946 le vieux chasseur aveugle,<br />

Ogotemmêli (Les signes du Zodia<strong>que</strong> in Dieu d’Eau ) :<br />

27


<strong>«</strong> Au cours de ces journées remplies <strong>par</strong> les entr<strong>et</strong>iens avec l’aveugle <strong>et</strong> <strong>par</strong> cent autres<br />

travaux, au cours des nuits de réflexion <strong>et</strong> de mises au point, il (l’auteur) avait <strong>son</strong>gé,<br />

obscurément d’abord, <strong>et</strong> de plus en plus n<strong>et</strong>tement dans la suite, à certains détails de la<br />

cosmologie dont l’ensemble lui <strong>par</strong>aissait surprenant. […] Jumeaux, bélier, taureau,<br />

scorpion. Il pensa au Zodia<strong>que</strong>. Mais il garda c<strong>et</strong>te idée à <strong>par</strong>t lui : il voulait <strong>que</strong> le<br />

système ap<strong>par</strong>ût sans heurt, de lui-même, dans les entr<strong>et</strong>iens du seuil où le maître<br />

s’asseyait. Les noirs avaient-ils leur explication cohérente du symbole du Zodia<strong>que</strong> alors<br />

<strong>que</strong> les Méditerranéens ne tenaient sur <strong>son</strong> compte <strong>que</strong> des propos enfantins ? Car on<br />

ne peut adm<strong>et</strong>tre sérieusement <strong>que</strong> les Anciens aient reconnu dans le ciel un scorpion,<br />

des jumeaux, des pois<strong>son</strong>s <strong>et</strong> <strong>que</strong> la position des étoiles ait dicté douze signes<br />

abracadabrants où une vierge voisine avec une balance, un crabe avec un lion (p. 210).<br />

Il lui semblait donc bien <strong>que</strong>, sans présenter un système constitué du Zodia<strong>que</strong>, la<br />

cosmologie <strong>et</strong> la métaphysi<strong>que</strong> des Dogon offraient du moins une place de choix à la<br />

plu<strong>par</strong>t de ses signes. (p. 212). […] Le signe de la vierge, sorte de m dont le dernier<br />

jambage est sectionné, pourrait être rapproché de celui du scorpion, dont le dernier<br />

jambage est au contraire terminé <strong>par</strong> une pointe. Le premier représenterait la vierge<br />

excisée …(p.215)<br />

Néanmoins, c<strong>et</strong>te inscription symboli<strong>que</strong> représentative de la structuration fondamentale du<br />

suj<strong>et</strong> psychi<strong>que</strong>, CG Jung avait eu l’intuition qu’elle pourrait se trouver, comme il l’écrivit à S.<br />

Freud, dans la symboli<strong>que</strong> zodiacale (L<strong>et</strong>tre de Jung à Freud du 12.06.1911):<br />

<strong>«</strong> Je dois dire <strong>que</strong> l'on pourrait fort bien découvrir un jour dans l'astrologie, un bon<br />

morceau de connaissance des voies de l'intuition qui s'est égaré au ciel ...»<br />

L’hermaphrodite <strong>et</strong> la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite symbolisent les deux mécanismes<br />

fondamentaux de la psyché humaine sachant <strong>que</strong> la sé<strong>par</strong>ation de l’hermaphrodite relève<br />

toujours de la Loi <strong>que</strong> celle-ci <strong>soit</strong> la loi sociale pro-sexuelle ou la loi morale anti-sexuelle. Il<br />

en est de même pour l’hermaphrodite qui concerne tout à la fois la problémati<strong>que</strong> spirituelle<br />

intérieure <strong>que</strong> la problémati<strong>que</strong> histori<strong>que</strong> progressiste externe. De là, <strong>notre</strong> insistance à<br />

vouloir différencier le concept de l’âme de celui de l’anima dans la théorie junguienne car<br />

tout autant l’un <strong>que</strong> l’autre m<strong>et</strong>tent en acte une dimension féminine pour le suj<strong>et</strong> masculin.<br />

Concernant c<strong>et</strong>te bisexualité, toute manifestation féminoïde n’est pas en soi positive car la<br />

psychopathologie névroti<strong>que</strong> est une réaction intempestive à la nouvelle dimension d’être<br />

<strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> est appelé à assumer. Pour l’adolescent qui doit accéder à la passion<br />

romanti<strong>que</strong>, légitime à <strong>son</strong> âge, sa problémati<strong>que</strong> psychopathologi<strong>que</strong> prendra la forme<br />

d’une névrose obsessionnelle m<strong>et</strong>tant en acte un complexe négatif du père moral qui se<br />

traduira <strong>par</strong> des rêves m<strong>et</strong>tant en scène le diable. Dans <strong>son</strong> texte Dialecti<strong>que</strong> du moi <strong>et</strong> de<br />

l'Inconscient (p.148), CG Jung cite le rêve d'un jeune obsessionnel de seize ans :<br />

<strong>«</strong> le rêveur se voit suivre une rue inconnue. Il fait noir. Il entend des pas derrière lui qui le<br />

suivent. Légèrement inqui<strong>et</strong> il accélère sa marche. Mais les pas se rapprochent <strong>et</strong> <strong>son</strong><br />

angoisse augmente. Il se m<strong>et</strong> à courir. Il a la sensation qu'il va être rejoint. Finalement, il<br />

se r<strong>et</strong>ourne <strong>et</strong> voit le diable. Pris d'une horrible peur, il fait un grand saut <strong>et</strong> reste<br />

suspendu dans les airs. (Ce rêve se répéta deux fois comme pour souligner sa grande<br />

importance). »<br />

Or ce rêve comme bien d’autres donne tort au maître de Küsnacht en ce qui concerne sa<br />

conception du rêve <strong>et</strong> de la vision comme compensation de la conscience, expression d’une<br />

dimension psychi<strong>que</strong> <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> doit assumer. En réalité, c’est le contraire, le rêve montre<br />

l’attitude psychologi<strong>que</strong> <strong>et</strong> la conception des choses <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> doit abandonner, dépasser<br />

ou compléter. Pour l’adolescent, l’accession à la passion romanti<strong>que</strong> s’oppose à la loi morale<br />

aliénante <strong>et</strong> à <strong>son</strong> <strong>«</strong> diable lubri<strong>que</strong> » <strong>et</strong> le rêve présentera c<strong>et</strong>te négativité réactionnelle<br />

faisant obstacle à la légitime accession à la dimension antagoniste dans le couple psychi<strong>que</strong><br />

opposant la loi morale <strong>et</strong> le désir.<br />

28


Le rêve <strong>et</strong> la vision <strong>son</strong>t le lieu de l’interdit <strong>et</strong> non celui de la dimension <strong>que</strong> l’on doit<br />

assumer. C<strong>et</strong>te conception erronée junguienne du rêve est funeste <strong>et</strong> nous l’avons vu au<br />

suj<strong>et</strong> de <strong>son</strong> interprétation des visions de l’Apocalypse de saint Jean. Alors <strong>que</strong> celles-ci<br />

expriment les actions violentes d’un Dieu de vengeance <strong>que</strong> le chrétien doit désormais<br />

histori<strong>que</strong>ment dépasser en refusant le <strong>«</strong> sacrificiel » <strong>et</strong> <strong>son</strong> <strong>«</strong> sang versé », le psychanalyste<br />

suisse y voit au contraire une dimension <strong>que</strong> le visionnaire chrétien aurait refoulé mais qu’il<br />

devrait assumer. Bien entendu, cha<strong>que</strong> élément du couple d’opposés a un aspect négatif <strong>et</strong><br />

un aspect positif <strong>et</strong> si nous avons vu <strong>que</strong> le rêve de l’adolescent montrait l’attitude<br />

obsessionnelle morale négative, il y a aussi la configuration inverse où c’est le désir<br />

amoureux <strong>et</strong> la passion romanti<strong>que</strong> qui <strong>son</strong>t négatives face à la légitimité de la loi morale<br />

castratrice du désir du Père comme avec le <strong>«</strong> démon de midi ». Le rêve alors sera<br />

l’expression d’une mentalité d’un adolescent, témoin ce patient ayant dépassé le midi de la<br />

vie <strong>et</strong> dont les rêves <strong>son</strong>t exposés dans le livre Psychologie <strong>et</strong> alchimie :<br />

<strong>«</strong> Le rêveur est entouré de nombreuses formes féminines indistinctes. Une voix dit en<br />

lui : "il faut d'abord <strong>que</strong> je m'éloigne de Père ».<br />

En réalité, tel l’enfant prodigue de l’Evangile, c’est au Père intérieur d’exigence morale qu’il<br />

fallait qu’il r<strong>et</strong>ourne. Or, ce rêveur n’était autre <strong>que</strong> le prix Nobel de physi<strong>que</strong> quanti<strong>que</strong><br />

Wolfgang Pauli en analyse chez une disciple de CG Jung. Par sa correspondance avec le<br />

psychanalyste suisse, nous possédons également de ce célèbre scientifi<strong>que</strong> un rêve datée<br />

du 28 septembre 1952 où déambule une chinoise :<br />

<strong>«</strong> la chinoise marche devant moi <strong>et</strong> me fait signe de la suivre. Elle ouvre une trappe <strong>et</strong><br />

commence à descendre un escalier en laissant la porte ouverte derrière elle. Ses<br />

mouvements <strong>son</strong>t extraordinairement dansants, elle ne <strong>par</strong>le pas <strong>et</strong> ne s’exprime <strong>que</strong> <strong>par</strong><br />

pantomime, comme le font les danseurs de ball<strong>et</strong>. Je la suis <strong>et</strong> m’aperçois <strong>que</strong> l’escalier<br />

mène à une salle de cours. Les inconnus m’y attendent. La chinoise me fait à nouveau<br />

signe de monter sur l’estrade <strong>et</strong> de <strong>par</strong>ler aux gens, visiblement pour tenir une<br />

conférence. Tandis <strong>que</strong> j’attends, elle re<strong>par</strong>t dans l’escalier sans cesser de danser de<br />

façon rythmée, repasse devant la porte de la trappe puis redescend.... »<br />

Dans ce rêve de 1952, la chinoise, comme elle le sera plus tard dans les années soixante,<br />

est une représentation exoti<strong>que</strong> de l’obj<strong>et</strong> du désir amoureux pour l’homme qui, comme<br />

<strong>«</strong> man<strong>que</strong> » (+phi) lacanien est la <strong>«</strong> béance » qui entraîne le social-histori<strong>que</strong> dans le<br />

changement progressiste <strong>et</strong> libertaire opposé à la morale conservatrice. En fait,<br />

contrairement à l’interprétation junguienne de ce rêve qui <strong>par</strong>le d’intégration de l’anima<br />

comme dimension féminine <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong> devait soi-disant assumer, le rêve appelle, au<br />

contraire, au renoncement au <strong>«</strong> démon de midi » pour revenir au Père d’exigence morale qui<br />

est <strong>«</strong> dans le secr<strong>et</strong> ». Dans l’église de Py consacré à l’Apôtre Paul, se trouve au fond de la<br />

nef tout un lieu consacré au mysti<strong>que</strong> majorquin Raymond Lulle. La caractéristi<strong>que</strong> de ces<br />

deux per<strong>son</strong>nages, c’est <strong>que</strong> leur conversion résulta d’un épisode visionnaire m<strong>et</strong>tant en<br />

cause l’acharnement violent contre une minorité pour l’Apôtre des gentils <strong>et</strong> le désir adultère<br />

pour le fondateur de la langue littéraire catalane. Dans les deux cas, la vision situait le suj<strong>et</strong><br />

dans une position négative persécutrice à la<strong>que</strong>lle il devait renoncer. Nous l’avons écrit, le<br />

problème de l’adultère est un des problèmes majeurs de <strong>notre</strong> épo<strong>que</strong> concernant le<br />

cheminement spirituel intérieur en vue du <strong>«</strong> Royaume du Père » <strong>et</strong> cela, en rai<strong>son</strong> de la<br />

dérive adolescentes<strong>que</strong> de nos sociétés modernes occidentales. Bien entendu, cela ne veut<br />

pas dire qu’il faille re-inscrire dans la loi sociale l’interdit de l’adultère, voire revenir à <strong>son</strong><br />

lynchage. Le <strong>Christ</strong> refuse la lapidation de la femme adultère mais lui dit en a<strong>par</strong>té : va ! <strong>et</strong><br />

ne pêche plus. La problémati<strong>que</strong> moderne est <strong>son</strong> <strong>«</strong> unidimensionalité » <strong>et</strong> <strong>son</strong> absence de<br />

structuration en scènes complémentaires des quatre dimensions fondamentales de la<br />

psyché. Or pour qu’il y ait une réunion des dimensions psychi<strong>que</strong>s antagonistes libératrice<br />

du mal, il faut qu’existe c<strong>et</strong>te structuration entre intérieur <strong>et</strong> extérieur, signifiants inconscients<br />

majeurs <strong>que</strong> nous délivre la névrose phobi<strong>que</strong> (claustrophobie <strong>et</strong> agoraphobie).<br />

29


Qu’on se rappelle <strong>que</strong> pour Jac<strong>que</strong>s Lacan, le <strong>«</strong> symptôme névroti<strong>que</strong> est une métaphore<br />

signifiante ». En fait, le désir progressiste <strong>et</strong> libertaire est légitime sur la scène externe du<br />

social-histori<strong>que</strong> lorsqu’il s’oppose à la Loi morale conservatrice réactionnaire <strong>et</strong> négative.<br />

(C’est la femme (l’anima) au sein nu menant le peuple du tableau de Delacroix). Par contre,<br />

<strong>son</strong> aspect négatif qui nie la Loi morale légitime dis<strong>par</strong>aît lorsqu’on situe c<strong>et</strong>te Loi morale<br />

avec sa figure divine du Père sur la scène complémentaire de l’interne (l’<strong>«</strong> Autre scène » qui<br />

est la <strong>«</strong> scène de l’Autre »). Il en est de même pour l’opposition entre la volonté de puissance<br />

de l’ordre <strong>et</strong> de la loi sociale <strong>et</strong> l’Amour de l’exclu. Il y a donc bien un cheminement intérieur<br />

de réunion des dimensions psychi<strong>que</strong>s antagonistes mais ce processus de réunion des<br />

antagonistes n’impli<strong>que</strong> pas une réunion du bien <strong>et</strong> du mal comme le théorise CG Jung avec<br />

sa <strong>«</strong> coincidencia oppositorum » de bien <strong>et</strong> de mal mais bien une libération du mal qui, en<br />

fait, est ce qui dans cha<strong>que</strong> dimension psychi<strong>que</strong> nie <strong>son</strong> antagoniste. Si le <strong>«</strong> sang versé du<br />

sacrifice » fut la négativité fondamentale de l’humanité en ses débuts, c’est <strong>que</strong> le suj<strong>et</strong><br />

humain y était essentiellement un être collectif <strong>et</strong> <strong>que</strong> la per<strong>son</strong>ne humaine en elle-même n’y<br />

était pas prise en compte (cf. le per<strong>son</strong>nalisme du philosophe chrétien Emmanuel Mounier).<br />

On peut voir <strong>que</strong> les Evangiles ne <strong>par</strong>lent jamais du péché d’Adam <strong>et</strong> Eve ; <strong>par</strong> contre, la<br />

lecture de la <strong>par</strong>abole des vignerons assassins laisse entendre <strong>que</strong> pour le <strong>Christ</strong>, le<br />

véritable <strong>«</strong> péché originel » de l’humanité fut ce <strong>«</strong> sang versé du sacrifice » qui ne cessa de<br />

condamner des innocents. S’il est vrai comme l’intuitionnait CG Jung qu’il y a un processus<br />

de transformation psychi<strong>que</strong> vers c<strong>et</strong> état de <strong>«</strong> per<strong>son</strong>ne » qui concilie le collectif <strong>et</strong><br />

l’individuel, le désir libertaire <strong>et</strong> la loi morale, ce processus dit d’individuation se réalise du<br />

coté du <strong>«</strong> déch<strong>et</strong> » social, du <strong>«</strong> bouc émissaire » pris dans <strong>son</strong> sens christi<strong>que</strong> <strong>et</strong> moderne<br />

du terme <strong>et</strong> non <strong>par</strong> un soi-disant r<strong>et</strong>our au <strong>«</strong> sacré », au <strong>«</strong> numineux » <strong>et</strong> à la <strong>«</strong> tremenda<br />

majestas » qui, de toujours, furent associés au <strong>«</strong> bouc émissaire » magi<strong>que</strong>, celui dont le<br />

sang versé assurait la rémission des péchés <strong>et</strong> la réconciliation avec la divinité.<br />

Fait à Py, en novembre 2010.<br />

Gérard Rabat<br />

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