Javier Blas Le négoce de matières premières p5 - Pictet Perspectives

Javier Blas
Le négoce de matières premières p5
Simon Arnold
Le négociant en céréales p9
Le Prix Pictet
Luc Delahaye p14
harry vafias
L’entrepreneur-armateur p17
introduction au monde du vin
La passion est la clé du succès p21
José Carreras
Offrir sa voix pour lutter contre la leucémie p26
marco Dunand et
Daniel Jaeggi
Les négociants en énergie p31
maurits Quarles van ufford
et Jos Knijn
La gestion du risque dans le domaine des marchandises p37
Alexandre Sabeti
Le secteur agroalimentaire mondial p43
Chloé Koos Dunand
Le point de vue de Pictet sur les matières premières p47
numÉro 12 | hiver 2013
les matières premières

ÉDITO
Encore peu connu dans les années 90, le négoce de matières premières
n’attirait alors que des placements relativement modestes. Aujourd’hui, les
investisseurs désireux de diversifier leur portefeuille se bousculent, alléchés
par des rendements élevés et une protection contre l’inflation dans un
contexte économique morose depuis la crise.
Entre-temps, les maisons de négoce sont devenues des conglomérats
internationaux qui investissent également dans le stockage, le transport et
la transformation de multiples matières premières. Au vu de l’assèchement
des liquidités bancaires, certaines se sont également lancées dans le
financement. D’autres ont fait leurs débuts en bourse et doivent faire face aux
préoccupations croissantes entourant la sécurité alimentaire et la pénurie de
produits industriels de base.
Cette édition s’ouvrira sur une présentation générale du secteur par le
spécialiste en énergies du Financial Times, avant de s’intéresser à deux grandes
sociétés internationales, l’une active dans le négoce de produits agricoles
depuis le XIX e siècle et l’autre spécialisée dans le négoce d’énergie depuis
dix ans. Nous avons également rencontré un négociant en céréales dont
l’entreprise de niche est basée à Genève, qui accueille 400 sociétés de négoce
et domine les transactions mondiales de pétrole et de sucre.
Mais le négoce de matières premières repose aussi sur plusieurs rouages
essentiels. Le transport en est un et vous découvrirez le parcours brillant d’un
jeune entrepreneur grec spécialisé dans les méthaniers. Les assurances en sont
un autre: deux experts vous expliqueront comment ils aident les négociants
à gérer les risques liés à leurs activités internationales.
Cette édition se fermera enfin sur deux sujets bien différents mais tout
aussi passionnants. Le responsable vins de Christie’s à Genève vous donnera
ainsi quelques conseils sur les placements dans le vin, sans oublier de rappeler
la dimension plaisir d’un tel investissement. Et le grand ténor José Carreras
évoquera la fondation de lutte contre la leucémie qu’il a créée après sa
guérison spectaculaire – un bel exemple de philanthropie pratique.
Nous espérons que cette immersion dans le monde secret et complexe
du négoce des matières premières sera pour vous une découverte intéressante.
Philippe Bertherat
Associé, Pictet & Cie
Janvier 2013
Illustration en couverture–Terminal charbonnier d'OBA, port d'Amsterdam
Equipe éditoriale de Pictet & Cie–Ninja Struye de Swielande et Olivier Capt
Conception et conseil éditorial–Winkreative | Rapporteur–John Willman
Photographie–Richie Hopson, Ralf Barthelmes, Luc Delahaye, Petros Efstathiadis, Mariano Herrera, Beat Schweizer et Robert Huber
Hiver 2013 ISSN 1664-0098
Pour en savoir plus sur les modalités d'abonnement, veuillez vous adresser à: privatebanking@pictet.com

Table des maTières
introduction
Javier blas p5
Le négoce de matières premières
agir
luc delahaye p14
Le Prix Pictet
en savoir plus
michael Ganne p21
Le vin
pictet report | hiver 2013
les matières premières
les entrepreneurs
simon arnold p9
Le négociant en céréales
marco dunand et daniel Jaeggi p31
Les négociants en énergie
José Carreras p26
Le philanthrope
maurits Quarles van Ufford p37
et Jos Knijn
Les assurances en matières premières
Harry Vafias p17
L’entrepreneur-armateur
alexandre sabeti p43
Le secteur agroalimentaire mondial
Chloé Koos dunand p47
Le point de vue de Pictet
3

le négoce de matières premières
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Le négoce de matières premières
Une demande croissante
de matières premières
JAVIER BLAS
RESPOnSAbLE RUbRIQUE MATIÈRES PREMIÈRES
FInAnCIAL TIMES
Les petits négociants rapprochant jadis acheteurs et
vendeurs de carburants, de matières premières et de
denrées alimentaires se sont transformés en sociétés
de négoce puissantes et diversifiées, intervenant à tous
les niveaux de la chaîne d’approvisionnement et levant
des fonds extérieurs
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Les investisseurs s’intéressent aux matières
premières afin de diversifier leurs portefeuilles
et de les couvrir contre l’inflation.
Classe d’actifs à part entière, elles représentent
désormais plus de USD 400 mias
d’actifs sous gestion, contre tout juste 10 en
2000. Cet afflux de capitaux est intervenu
à un moment où l’évolution des sociétés de
négoce de matières premières exigeait des
investissements beaucoup plus lourds.
La tendance est à la consolidation. Il y
a 20 ans, 15 à 20 négociants traitaient
chacun une matière première.
Aujourd’hui, il y a une quinzaine de
grandes maisons à l’échelle mondiale,
traitant pétrole brut, essence, gaz,
maïs, zinc, charbon, minerai de fer...
Les plus grandes vont des métaux au
pétrole en passant par le blé ou le sucre.
Deuxième tendance lourde, l’intervention
tout au long de la chaîne. Dans
les années 70, les négociants étaient
des intermédiaires. On achetait p. ex.
du cuivre à un producteur chilien qui
n’avait pas de réseau à l’étranger pour
vendre à une fonderie japonaise ne
sachant où acheter au meilleur prix.
Mais dans les années 80, les traders
ont commencé à tirer parti de leur
connaissance des marchés pour faire de
l’arbitrage, acheter dans un pays pour
vendre dans un autre aux prix plus
élevés, ou acheter en période de faible
demande pour vendre quand elle
avait augmenté, avec des profits supérieurs.
Mais la généralisation de cette
pratique l’a rendue moins lucrative.
Phase ultime, l’intégration verticale.
En intervenant dans l’agriculture,
les gisements pétroliers, les mines, les
ports, le transport maritime, le raffinage
et la fonderie, les sociétés de
négoce peuvent accroître leurs profits.
D’où l’offre d’achat du groupe minier
Xstrata par Glencore ou l’achat du
réseau africain de stations-service Shell
par Vitol, société de négoce énergétique
p. ex.
Quand les négociants n’étaient que
des intermédiaires, leurs besoins en
capitaux étaient réduits: ils empruntaient
aux banques pour financer leurs
transactions. Un transport de pétrole
d’Arabie saoudite vers la Corée du Sud
5
le négoce de matières premières

Ces besoins de
financement se sont
encore accrus du
fait de la hausse des
prix des matières
premières
6 le négoce de matières premières
de 40 jours était financé par des lettres
de crédit garanties par la marchandise.
Mais un groupe investissant dans
des gisements pétroliers, des mines
ou des raffineries devra immobiliser
des millions de dollars sur de longues
périodes, jusqu’à 20 ou 30 ans.
Les sociétés de négoce commencent
donc à faire appel aux marchés financiers.
Glencore, p. ex., a été introduite
en bourse en 2011. Trafigura a recouru
à l’emprunt, tout comme Louis Dreyfus
Commodities, qui a émis ses 1 res obligations
en 160 ans. Et d’autres ont cédé
des filiales et fait entrer des partenaires
stratégiques. Vitol a créé VTTI pour
acquérir ses terminaux, ports et activités
de stockage et en a cédé 50% au
Malaisien MISC. Trafigura prévoit d’introduire
en bourse sa filiale Puma, qui
exploite des terminaux, des installations
de stockage et des stations-service.
Et le négociant en pétrole Mercuria
a cédé 50% de ses terminaux et de sa
filiale de stockage au Chinois Sinopec.
Ces besoins de financement se sont
encore accrus du fait de la hausse des
prix des matières premières. Il y a dix
ans, avec un baril à 25 dollars, le transport
d’un million de barils exigeait un
investissement de 25 mios, financé par
des lettres de crédit. En 2008, quand il
frôlait les 150 dollars, cette cargaison
aurait exigé près de 150 mios – alors
que le système financier s’effondrait.
Un négociant qui se finançait jadis
avec une ligne de crédit de USD 2 mias
peut avoir besoin aujourd’hui de 20
mias. Or tous les grands bailleurs de
fonds dans ce domaine – bnP, Crédit
Agricole, InG et Société Générale –
réduisent leur bilan. Des chiffres récents
de la banque du Canada montrent ainsi
que la part du financement des sociétés
de négoce par les banques européennes
est tombée en deux ans de 80 à 50%.
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Les traders recherchent donc
d’autres sources de financement. De
nouvelles banques arrivant sur le
marché utilisent des produits dérivés
pour couvrir la valeur des marchandises
constituant la garantie, notamment
Citi et JP Morgan, ainsi que des
banques du Japon, du Moyen-Orient,
de Singapour et de Chine.
Les sociétés de négoce deviennent
par ailleurs très créatives. Ainsi, elles
titrisent des instruments tels que
les lettres de crédit pour les vendre à
des investisseurs comme les fonds de
pension en France et en Allemagne.
Elles font également appel à des sociétés
de capital investissement (private
equity) et à des fonds souverains, courtcircuitant
les banques et s’adressant
directement aux investisseurs.
La levée de fonds auprès d’investisseurs
exige toutefois une évolution
culturelle. Traditionnellement très
opaques, ces sociétés tiraient leur rentabilité
de l’identification d’opportunités
sur les marchés des matières premières.
Mais dans un monde désormais plus
transparent, l’information se propage
rapidement à travers les médias numériques.
Les possibilités d’arbitrage
lucratif ne durent que quelques jours
et non plus des mois. Et les investisseurs
extérieurs exigent inévitablement
plus d’informations sur l’activité
et les perspectives de l’entreprise.
Le recours à des investisseurs extérieurs
a sensibilisé les traders à l’importance
de leur image. Le scandale
«pétrole contre nourriture» en Irak et
les exportations de déchets pétroliers
de Trafigura vers la Côte d’Ivoire ont
gravement nui à leur réputation et, à
présent, le secret n’est plus une option.
De nombreux négociants intègrent
désormais la responsabilité sociale à
leurs activités et s’attaquent aux questions
de développement durable au
sein de la chaîne d’approvisionnement.
Parallèlement, les marchés
mondiaux des matières premières
connaissent une évolution rapide.
Historiquement, le négoce était
concentré sur la belgique et les Paysbas,
dans des ports comme Anvers
ou Rotterdam, avant de migrer vers
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Londres et new York, puis Chicago,
proche des grandes entreprises agroalimentaires
américaines.
Après la Seconde guerre mondiale,
les sociétés de négoce nord-américaines
telles que Cargill et Alcoa décidèrent
de démarrer des activités en
Europe et découvrirent que la Suisse
était l’endroit idéal. Pays neutre, au
régime fiscal attrayant, c’était un
centre financier et juridique important
– deux aspects essentiels pour
le négoce des matières premières.
La Suisse bénéficiait également d’excellentes
télécommunications, à la
différence de nombreux autres pays
européens à l’époque. Vinrent ensuite
les négociants égyptiens de coton
après la prise du pouvoir du président
nasser, puis les traders russes après
l’effondrement du communisme.
Enfin, ce fut le tour d’entreprises
européennes, attirées par les offres de
services et la concentration de talents.
En intervenant
dans l’agriculture,
les gisements
pétroliers, les
mines, les ports, le
transport maritime,
le raffinage et
la fonderie, les
sociétés de négoce
peuvent accroître
leurs profits
7
le négoce de matières premières

Aujourd’hui, Genève – avec Zoug
et Lugano – est le principal centre
européen du négoce de pétrole, de
métaux et de produits agricoles.
D’autres centres se sont créés ailleurs,
comme Houston au Texas après la
dérégulation du marché américain de
l’électricité et du gaz dans les années
80. En Asie, Singapour devient un
centre international en raison de son
rôle d’entrepôt pour l’industrie pétrolière
mondiale.
Une bonne partie de la croissance
et du développement du négoce depuis
2000 s’explique par les fortes hausses
de prix liées à l’industrialisation de la
Chine et d’autres pays en croissance
rapide. La demande a été forte pour
toutes les matières premières, après
une période d’investissements insuffisants
du côté de l’offre. Résultat: le
prix du baril de pétrole a frôlé les 150
dollars, rentabilisant l’investissement
dans l’exploration.
Mais ce «supercycle» ralentit avec
l’arrivée de nouvelles offres. Dans ce
«supercycle moins super», la demande
restera ferme et les prix élevés. Le cours
du pétrole ne retombera pas à 20 dollars
le baril. Mais les prix ne monteront pas
éternellement non plus: le baril n’atteindra
pas les 200 dollars et devrait se
stabiliser entre 90 et 130 dollars.
Cette stabilisation pénalisera les
producteurs de matières premières,
dont les coûts augmentent et les
marges se resserrent. Au vu des salaires
des pays plus riches, leurs employés
exigent d’ailleurs déjà de meilleures
conditions, p. ex. en Afrique du Sud.
Les gouvernements voudront aussi
leur part. C’est pourquoi les actions
des sociétés minières et pétrolières
sont malmenées.
Le secteur des matières premières,
par ailleurs, pourra-t-il suivre le
rythme de croissance de la population
mondiale? La demande fera
monter les prix, ce qui se traduira par
l’exploitation de nouvelles sources
comme le gaz de schiste et les gisements
situés dans les profondeurs
ou en altitude. Même si l’offre de
nombreuses matières premières a
atteint son apogée dans le monde
8 le négoce de matières premières
Javier blas est depuis 2010
responsable de la rubrique Matières
premières au «Financial Times»,
qu’il a rejoint en 2007 en qualité de
correspondant Matières premières.
Il dirige une équipe de reporters
basés à Londres, Pékin et new
York, qui couvrent les marchés du
pétrole, des métaux et des produits
agricoles, ainsi que les sociétés
de négoce et la géopolitique des
ressources naturelles. Auparavant,
il était responsable de l’économie
internationale à «Expansión», le
principal quotidien économique
espagnol. Javier blas a remporté
le prix AH boerma décerné par
l’Organisation des nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) pour sa couverture de la crise
alimentaire de 2007 – 2008.
développé, les perspectives de hausse
de la production sont énormes sur les
marchés émergents d’Afrique et d’Asie
centrale. Les difficultés politiques et
d’infrastructures y seront fréquentes
(pénurie d’électricité p. ex.), mais les
retombées de ces nouvelles sources
de matières premières seront considérables
et contribueront à surmonter
ces obstacles.
La population mondiale est
passée de 2,5 mias en 1950 à 7 mias
aujourd’hui et les ressources suffisent à
nourrir, vêtir et chauffer tout le monde.
Mais chaque jour, de nombreuses
personnes ont faim en raison d’une
répartition inégale. Dans la perspective
de 9 mias d’humains d’ici à 2050,
j’ai bon espoir que l’offre de matières
premières nécessaire à leur survie
parvienne à suivre le rythme de croissance
de la population mondiale.
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Le négociant en céréales
Simon Arnold
Le fondateur d’une société de négoce de céréales achète du blé et de l’orge en Europe
et le vend au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il met à profit sa connaissance du
secteur pour garantir la sécurité aux agriculteurs et la qualité aux consommateurs
pictet report | hiver 2013
les matières premières
9
le négociant en céréales

Pour Simon Arnold, le négoce de céréales est
le «maillon ingrat» de la chaîne qui relie
les agriculteurs à ceux qui consomment les
produits de ces récoltes ou en font un autre
usage. Fondée en 2002 à Genève, Seagrain
achète des céréales dans des régions en
surplus de production et les achemine vers ses
clients partout dans le monde.
10 le négociant en céréales
L’entreprise, qui compte quatre employés à
Genève, expédie du blé de mouture de qualité
supérieure et de l’orge de brasserie, mais aussi
du blé et de l’orge fourragers. Bien que Seagrain
ait diversifié ses sources d’approvisionnement, la
plupart des céréales viennent de l’ouest et de l’est
de l’Europe. Grâce à un silo d’exportation récemment
construit dans un port letton, l’entreprise
peut désormais se procurer les céréales dans les
pays baltes et les greniers à blé russes, ukrainiens
et kazakhs.
Les clients de Seagrain sont des importateurs
céréaliers et des consommateurs tels que les minotiers
ou les producteurs de fourrage au Moyen-
Orient et en Afrique du Nord. «Les marchés que
nous approvisionnons s’étendent du Maroc à
l’Iran, en passant par le Golfe et de l’Afrique du
Nord, jusqu’à l’Afrique du Sud», affirme Simon
Arnold. «J’utilise mes connaissances en minoterie
pour fournir les types de blé requis, que ce soit
pour des miches de pain en Afrique du Nord ou
des galettes plates au Moyen-Orient.»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Il attribue son succès à deux ingrédients:
premièrement, le réseau de fournisseurs et
clients qu’il s’est construit en 30 ans de carrière
dans le négoce de céréales. «En ce qui concerne le
côté physique de l’activité, les gens ne changent
pas beaucoup et on finit par connaître les agriculteurs,
les coopératives, les importateurs et les
minotiers. Je me rends à la conférence annuelle
de l’Association internationale des exploitants
meuniers pour évoquer la situation du marché
des prix devant 800 participants.»
«Le second ingrédient est notre connaissance
approfondie du marché des céréales. Pour chaque
pays producteur, nous déterminons le niveau de
ses stocks, la production attendue ainsi que son
volume de consommation et d’exportation. Pour
chaque pays de destination, nous évaluons ses
besoins sur la base des tendances de consommation.
Nous contrôlons ces données chaque jour
car elles peuvent changer.
Cette base de connaissances nous aide
à appréhender l’offre et la demande à tout
moment. Nous partageons ces informations
avec les fournisseurs et les clients afin qu’ils
comprennent l’évolution des prix. S’ils doivent
compter sur les marchés à terme pour s’informer
des prix, ils s’exposent à une volatilité qui peut
les induire en erreur sur la réalité du marché.»
«Les négociants en céréales ‘physiques’ sont
les amis des agriculteurs, ajoute Simon Arnold.
La plupart préfèrent connaître le prix qui leur
est offert, ce qui les aide à financer leurs récoltes,
même si les prix à terme montent ou baissent
ensuite. Notre connaissance du marché nous a
forgé une bonne réputation, ce qui est essentiel
pour une petite entreprise.»
Simon Arnold est convaincu que les producteurs
peuvent satisfaire une demande céréalière
pictet report | hiver 2013
les matières premières
«Pour une petite société
de négoce comme
la nôtre, la réputation
joue un rôle essentiel»
croissante dans un monde préoccupé
par la sécurité alimentaire. «L’Europe
occidentale produit 136 millions de
tonnes de blé par an avec 6 tonnes par
hectare. Mais le rendement moyen est
de 3 tonnes par hectare en Russie et de
1,2 tonne au Kazakhstan: ces pays pourraient
doubler leur production de 100
millions de tonnes de blé par an s’ils
augmentaient leurs rendements pour
atteindre le niveau européen, sans devoir
mettre d’autres terres en production.»
La baisse de la dépendance vis-àvis
des stocks de céréales, qui peuvent
être conservés jusqu’à dix ans, affecte
le marché mondial. Auparavant, les
gouvernements achetaient de grandes
quantités pour soutenir les agriculteurs
et garantir l’approvisionnement
des consommateurs. L’UE a
ainsi constitué des stocks d’intervention
en achetant des céréales au prix
de soutien. Mais ce prix en Europe est
maintenant inférieur de plus de 100
euros la tonne au prix du marché et les
gros stocks de céréales ont disparu.
«Maintenant que ces stocks sont
épuisés, nous sommes sur le fil du
rasoir. Aujourd’hui, le monde s’approvisionne
en céréales dans l’hémisphère
nord durant six mois et dans l’hémisphère
sud les six autres mois, ce qui
peut poser des problèmes si le mauvais
temps affecte la production dans un
hémisphère et fait grimper les prix. Les
négociants doivent donc posséder un
réseau qui leur permette de s’approvisionner
quand ils sont un peu justes.»
Simon Arnold a commencé sa
carrière auprès d’une minoterie française.
Il a suivi une formation de deux
ans promue par la GAFTA (Grain and
Feed Trade Association) pour acquérir
les compétences nécessaires au négoce.
11
le négociant en céréales

La baisse de la dépendance
vis-à-vis des stocks de
céréales, qui peuvent être
conservés jusqu’à dix ans,
affecte le marché mondial
12 le négociant en céréales
Il s’est également forgé une expérience solide,
à la fois du côté des fournisseurs en travaillant
dans des silos et en prenant des livraisons de
céréales, et du côté des consommateurs dans une
minoterie et un élevage de poulets.
La première grande entreprise de négoce
qui l’a embauché était Tradergrain, qui expédiait
des céréales d’Afrique du Sud en Europe.
A sa fermeture en 2001, Simon Arnold a décidé de
créer Seagrain à Genève, avec quelques collègues.
«Nous voulions être actifs entre l’Europe et les
USA, mais il y avait des barrières de négoce et des
subventions dans la plupart des pays. La Suisse
représentait une base attrayante car elle était
en dehors des grands blocs politiques et appliquait
un régime fiscal attractif. Les banques ont
apporté leur soutien financier, ce qui explique
pourquoi le négoce des matières premières se
pratique autant depuis Genève.»
A l’heure actuelle, les autres grands centres de
négoce sont situés aux Etats-Unis avec Chicago et
Kansas City et en France avec le MATIF à Rouen.
Simon Arnold pense que Singapour va devenir un
centre important en raison de sa proximité avec
les marchés indien, chinois et indonésien. Mais il
se demande si Genève pourra conserver sa place
alors que le franc suisse fort fait grimper les coûts
en Suisse pour les grandes entreprises de négoce,
qui ont souvent des centaines d’employés.
«Le secteur des céréales a aujourd’hui moins
de petits négociants comme Seagrain, ajoutet-il,
car les conditions sont difficiles pour les
nouveaux arrivants. Nous avons eu beaucoup de
chance de pouvoir surmonter tous les obstacles.
Outre des ressources financières considérables, il
faut être accepté par la communauté céréalière et
jouir d’une bonne réputation. Il est donc important
d’être au cœur de cet univers et d’avoir la
confiance des banques. Notre connaissance du
secteur nous a pour notre part permis d’obtenir
le soutien de deux grandes banques.»
Depuis quelques années, les investisseurs
montrent un intérêt croissant
pour les céréales, mais selon Simon
Arnold, les stocks ne devraient pas
s’avérer attrayants pour les fonds
institutionnels. Même s’ils possèdent
des stocks, ils doivent compter sur
des prestataires pour les entreposer
et les transporter au juste prix. «En
l’absence de transparence, les fonds
d’investissement s’en sont tenus aux
contrats à terme car ils peuvent avoir
une vision claire de leurs positions avec
l’évaluation à la valeur du marché. Une
alternative serait d’acheter des actions
d’un négociant en céréales, mais ce
n’est pas la même chose que l’acquisition
de céréales physiques – l’entreprise
pourrait commettre des erreurs.»
Pour le secteur, le défi consiste à
former suffisamment de nouveaux
entrants. «Nous devons attirer plus de
jeunes dans ce métier, mais beaucoup
l’assimilent malheureusement à du
‘day trading’, où les opérations sont
bouclées dans la journée. Pour réussir
dans le négoce physique de céréales, il
faut se former à des aspects pratiques
tels que le chargement de céréales sur
des bateaux et connaître notamment
la qualité, la couleur et la consistance
requises pour un produit donné. Il faut
dix ans pour devenir négociant, car ce
métier nécessite également une solide
formation financière: crédits, contrats,
droit maritime, assurances, etc.
Mais c’est un univers passionnant
et j’encourage tous ceux qui s’y intéressent
à se lancer. Beaucoup plus qu’un
métier, c’est un mode de vie fantastique
que j’apprécie énormément.»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
13
le négociant en céréales

Le Prix Pictet
Luc Delahaye
GaGnant de La 4 e édItIon
du PrIx PICtet 2012
14 le prix pictet
Créé en 2008, le Prix Pictet utilise la photographie et
son pouvoir évocateur dans le but de sensibiliser le
public aux enjeux sociaux et environnementaux qui
caractérisent notre époque. Il s’est imposé comme une
récompense internationale majeure dans le domaine
de la photographie. Le thème choisi pour sa 4 e édition,
«Power», se prêtait à une interprétation très large,
embrassant contradictions et paradoxes. Quelque 650
photographes de 76 pays ont soumis leur candidature
sur proposition d’un réseau mondial de spécialistes.
pictet report | hiver 2013
les matières premières

emis en octobre dernier, lors d’une cérémonie qui s’est tenue
à la Saatchi Gallery, à Londres, le 4 e Prix Pictet a été décerné
au Français Luc delahaye, récompensé pour une sélection de
dix clichés faisant partie d’un remarquable travail photographique
réalisé au cours des dix dernières années.
Connu pour ses photographies grand format en couleur
illustrant des conflits armés, des événements internationaux
ou des sujets de société, Luc delahaye a commencé sa
carrière comme photojournaliste. Ses clichés se distinguent
par un regard frontal, précis et détaché, un style documentaire
avec lequel tranchent l’intensité dramatique et la
structure narrative de l’image. Plusieurs fois primées, ses
pictet report | hiver 2013
les matières premières
photographies de guerre, dans lesquelles se mêlent souvent
une dangereuse proximité avec les événements et une
certaine distance intellectuelle, rendent compte de manière
brute et immédiate de l’actualité.
«Mes images sont souvent empreintes d’un certain
lyrisme. Il reste assez léger et contrôlé, mais il leur donne
des couleurs et semble apparaître dès que les images représentent
des gens, en particulier s’ils sont impliqués dans une
action à dimension tragique. C’est une qualité qui a disparu
des sociétés évoluées, qui nous limitent à des actions individuelles,
utilitaires et au bout du compte absurdes.»
132 e conférence au siège de l’oPeC, le 15.09.2004, à Vienne
15
le prix pictet

16 l’entrepreneur-armateur
pictet report | hiver 2013
les matières premières

L’entrepreneur-armateur
Harry Vafias
Après avoir créé ex nihilo une société de transport pétrolier
en 2000, le fils d’un grand armateur grec est devenu le plus
jeune directeur exécutif d’une société cotée, avec l’entrée de
sa 2 e entreprise au Nasdaq en 2005
Harry Vafias est né avec le négoce dans les
gênes et s’est lancé tout naturellement dans
le transport maritime dès la fin de ses études,
en 2000. Mais il n’a pas voulu travailler
dans la société familiale, se lançant dans les
pétroliers, activité dont son père se méfiait à
cause des risques de marée noire.
«La demande en GPL
est toujours forte
car c’est la 1 re source
d’énergie utilisée par
les pays émergents
quand ils abandonnent
le bois»
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Son père a alors mis à sa disposition 4 millions de dollars
pour créer la Stealth Maritime. «Je suis arrivé au bon
moment. Le marché des pétroliers était mal en point en
2000, ce qui m’a permis de racheter des navires à bas prix.
Et après la grave pollution provoquée par l’Erika en 1999, les
compagnies pétrolières étaient prêtes à payer très cher l’affrètement
de navires plus sûrs.»
«Je comptais facturer 8000 dollars par jour et par navire,
ce qui, avec des coûts d’exploitation quotidiens de 5000
dollars, m’aurait laissé 3000 dollars par navire et par jour.
Mais j’ai pu obtenir en moyenne 27 000 dollars par jour, pour
un bénéfice quotidien de 22 000 dollars par navire. Nous
avons donc remboursé nos dettes beaucoup plus vite que
prévu et constitué une flotte de 16 pétroliers, dont 6 des plus
grands navires de transport de brut – des VLCC.»
«En 2005, j’ai pensé – à tort – que le marché avait atteint
son apogée et l’année suivante, j’ai cédé 11 pétroliers pour
400 millions de dollars. Pas mal comme rendement, après
avoir investi tout juste 4 millions six ans plus tôt!»
Harry Vafias – vite surnommé le «Harry Potter du transport
maritime» pour sa réussite spectaculaire – représente
la 3e génération d’une famille de brillants entrepreneurs.
Son grand-père, parti de rien de l’île Chios, a bâti l’une
des plus grandes affaires de négoce de viande d’Amérique
latine. Son père Nicholas a créé Brave Maritime en 1972,
mais investi également dans l’immobilier.
Pour Harry, tout a commencé à 17 ans, le jour où son père
l’a fait embarquer sur un cargo. «Je ne connaissais personne
– les officiers venaient d’Europe de l’Est et l’équipage était
philippin. J’y ai acquis un savoir qu’on n’apprend pas dans
les livres, comme le fonctionnement de la salle des machines,
l’accostage du navire ou le déchargement de la cargaison.»
Harry savait dès l’enfance qu’il voulait devenir armateur,
mais il avait compris que l’envie ne suffisait pas pour
réussir. Il a ainsi obtenu en 2000 un mastère en négoce
17
l’entrepreneur-armateur

StealthGas a été la 1 re
société cotée purement
consacrée au GPL
maritime et en finance, tout en travaillant pour
deux courtiers maritimes afin d’apprendre
comment affréter, vendre et acheter des navires.
Avant même de revendre ses pétroliers,
il s’était mis en quête de nouvelles opportunités,
notamment dans le vrac, les produits
chimiques et le gaz. Et il a découvert rapidement
une concurrence beaucoup moins vive dans les
méthaniers, où les navires en construction sont
moins nombreux, avec en plus des opportunités
de consolidation dans un secteur surtout
composé d’armateurs assez modestes. Les taux de
fret sont moins volatils que ceux des pétroliers,
où les importants profits d’une année peuvent
être effacés l’année suivante. Il a donc créé
StealthGas et acheté son 1 er navire GPL en 2004.
18 l’entrepreneur-armateur
«La demande en GPL est toujours forte car
c’est la 1 re source d’énergie utilisée par les pays
émergents quand ils abandonnent le bois. Les
villages d’Afrique et d’Asie sans électricité (Chine,
Thaïlande, Indonésie) – utilisent pour cuisiner
et se chauffer des bonbonnes de GPL car ce n’est
pas très cher. Et contrairement au gaz naturel,
le GPL n’exige pas de pipelines. Il est transporté
par des géants des mers jusqu’à des ports comme
Singapour. Une partie des cargaisons est ensuite
transférée sur mes bateaux, moins grands et
très flexibles, jusqu’aux petits ports d’Extrême-
Orient. Comme leur tirant d’eau est faible, ils
peuvent remonter les fleuves et toucher des ports
inaccessibles aux gros navires.
«Les deux tiers de mes bateaux, qui naviguent
en Extrême-Orient, peuvent desservir encore plus
de ports car le déchargement du GPL n’exige pas
de terminaux: la gazéification et la liquéfaction
peuvent s’effectuer à bord du navire, en fonction
des besoins des clients. Nos concurrents ont opté
pour les navires vraquiers, délaissant un marché
de niche, pourtant moins concurrentiel et générant
des rendements stables. Nos 33 navires ont
pris 14% du marché du GPL, ce qui fait de nous le
n O 1 du secteur. Le cours de notre action a doublé
depuis novembre dernier!»
Quand sa flotte est passée à 9 navires GPL,
Harry Vafias a voulu emprunter à sa famille pour
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
s’agrandir. Mais elle était réticente car sa priorité
était les vraquiers et l’immobilier. On lui a
suggéré de lever des fonds en bourse. Et c’est
ainsi qu’n 2005, à 27 ans, il a débuté une tournée
des investisseurs de 28 jours à travers les Etats-
Unis avant d’introduire en bourse StealthGas,
devenue ainsi la 1 re société cotée purement consacrée
au GPL.
S’y est ajouté pour Harry Vafias le prestige de
devenir le plus jeune CEO au monde d’une société
cotée, qui lui a valu une distinction du Nasdaq. «A
Londres, les investisseurs font attention à l’âge,
mais les Américains s’en moquent tant que les
affaires sont bonnes. Nous avons vendu 55% des
titres pour 160 millions de dollars.»
Il avait promis aux investisseurs de tripler
la flotte en trois ans, d’en affréter la majorité à
terme fixe afin d’éviter la volatilité du marché
au comptant et de maintenir les coûts au niveau
le plus bas du secteur. Trois ans après, il avait 50
navires, 75% en affrètement à terme fixe, et une
dette inférieure à 50% des actifs. Ses coûts d’exploitation
sont les plus bas hors de Chine, grâce
à une gestion en prise directe: achat des approvisionnements
en gros et approbation personnelle
de toutes les factures.
Ironie de l’histoire, aucun de ses navires ne
bat pavillon grec. Un équipage national coûterait
20% plus cher et les jeunes sont difficiles à recruter.
Ils ne veulent pas passer six mois en mer. Il
utilise plutôt des équipages philippins, ou même
indiens. «J’adorerais battre pavillon grec, et la
communication serait plus facile. Mais pour mes
clients, seuls les taux de rendement comptent.»
En 2009, son père a décidé de se retirer.
Harry Vafias a alors repris Brave Maritime, qu’il
gère désormais en plus de Stealth Maritime et
StealthGas. Avec 71 navires, y compris ceux en
commande, le groupe Vafias est désormais le 3 e
plus important en Grèce en nombre de navires.
«Notre valeur totale atteint environ 1,7 milliard
de dollars pour une dette de 950
millions, notre valeur nette est donc
d’environ 700 millions, à un moment
où la plupart des compagnies maritimes
ont des fonds propres négatifs.»
Pour lui, le secteur maritime doit
relever trois défis importants. Le 1 er est
le grand nombre de navires commandés
avant la crise financière à livrer l’an
prochain – notamment des vraquiers,
des pétroliers et des porte-conteneurs.
Même avec une demande de transport
maritime soutenue, la croissance de
l’offre va exacerber la concurrence et
réduire les prix d’affrètement.
Le 2 e défi est celui du ralentissement
conjoncturel qui pèse sur la demande
mondiale et s’ajoute à la pression baissière
sur les taux. «La majorité des
navires sont affrétés à des taux bien inférieurs
à leur point mort et la plupart des
armateurs perdent de l’argent.»
Enfin, 3 e défi, la liquidité s’assèche,
car les banques – notamment
en Europe – réduisent leurs prêts au
secteur. «Les armateurs qui désirent
s’agrandir à un moment où les prix
sont bas n’obtiennent pas de crédits
bancaires. Ils doivent autofinancer
leurs achats ou lever des fonds auprès
d’investisseurs privés, directement
ou en émettant des obligations. Mais
les armateurs ne peuvent réaliser des
acquisitions sur fonds propres parce
qu’ils en ont besoin pour compenser
leurs pertes jusqu’à la reprise du
marché. Le déficit de financement
paralyse tout.»
«A Londres, les
investisseurs font
attention à l’âge,
mais les Américains
s’en moquent tant
que les affaires
sont bonnes»
19
l’entrepreneur-armateur

20 l’entrepreneur-armateur
Harry Vafias est quant à lui un peu à l’abri
de ces pressions, car il opère dans une niche:
sur les 876 compagnies maritimes grecques,
seules quatre se consacrent au GPL. Sa stratégie
l’a également protégé: «Nous n’avons jamais
spéculé sur le marché au comptant. Nos contrats
d’une durée de quatre à sept ans garantissent
le rendement de notre capital. Et nous n’avons
jamais accumulé les dettes, car c’est ce qui vous
anéantit quand les perspectives sont mauvaises.»
Autre menace pour les armateurs: les sociétés
de négoce de produits de base qui s’implantent au
sein de la chaîne d’approvisionnement, y compris
dans le transport maritime. C’est une stratégie qui
n’a pas toujours réussi. Harry Vafias raconte ainsi
que Vale, le géant minier brésilien, a commandé
quelques très grands vraquiers à 120 millions de
dollars l’unité pour transporter du minerai de
fer vers la Chine. Manque de chance, la Chine a
bloqué leur utilisation. Il admet toutefois que
d’autres sociétés de négoce plus prudentes, qui ont
acheté des navires d’occasion, lui posent davantage
de problèmes.
A court terme, la crise financière grecque
freine toute expansion. «Je ne veux pas partir,
mais si l’état d’esprit se dégrade, nous
pourrions devoir envisager une délocalisation,
notamment si la Grèce revient
à la drachme.»
Espère-t-il que son fils poursuivra
la tradition entrepreneuriale familiale?
Harry Vafias pense qu’à chaque
génération il devient plus difficile
de développer les affaires familiales
comme son père et lui l’ont fait. «Les
risques se multiplient quand vous
disposez de plus d’argent pour débuter.
Je serais content si mon fils parvenait
à conserver ce que nous avons. Et
s’il peut faire encore mieux, alors ce
sera fantastique!»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Introduction au monde du vin
La passion est la clé du succès
MICHAEL GANNE
Responsable des ventes, dépaRtement vIns
CHRIstIe’s, GenÈve
les passionnés qui investissent dans le vin peuvent être gagnants
– et déguster d’excellents vins
pictet report | hiver 2013
les matières premières
21
introduction au monde du vin

A propos des ventes aux
enchères de vins de Christie’s
Christie’s organise environ 25
ventes aux enchères de vins par an
à londres, new York, Hong Kong,
paris, amsterdam et Genève. le
chiffre d’affaires de l’année dernière
était de Usd 90 millions (réalisé
pour l’essentiel à Hong Kong).
la dernière vente à Genève en
novembre 2012 a dégagé CHF
3,7 millions (frais acheteur inclus)
sur 743 lots qui comprenaient:
• une bouteille de chaque millésime
de Château d’Yquem entre 1900
et 2000 – CHF 230 000,
• trois bouteilles d’Henri Jayer,
Richebourg 1978 — CHF 80 500,
• un double magnum de Château
Cheval-blanc 1921 — CHF 39 100,
• une bouteille de Château d’Yquem
1865 – CHF 17 250,
• une bouteille du domaine de la
Romanée-Conti 1992 – CHF 10 350.
22 introduction au monde du vin
Le vin peut être un placement mais, comme
dans bien d’autres domaines, les passionnés
auront plus de chances de réussite. Si vous
n’êtes par un connaisseur, vous pouvez
investir en suivant les conseils d’un expert.
Et si vous ne voulez pas vous impliquer, des
fonds de placement spécialisés s’en chargeront
à votre place. Mais c’est toujours mieux
de s’y connaître, et les investisseurs en vins
sont généralement des passionnés.
les prix du vin se sont envolés ces
dernières années, et le risque de bulle
existe toujours, comme pour tout
investissement. mais il faut plutôt
considérer le vin comme un placement
à long terme à conserver un certain
temps avant qu’il ne dégage un rendement
attractif. de par sa nature, un
bon vin prendra en effet de la valeur
au fil du temps: à la différence des
montres, le vin se consomme progressivement
et les bouteilles restantes
deviennent d’autant plus rares. et l’attrait
d’un placement dans le vin, c’est
que vous pouvez le déguster!
l’envolée des prix tient au boom
du marché asiatique, qui a suivi les
baisses de taxes à Hong Kong en 2008.
par la suite, les achats – de bordeaux
essentiellement – ont explosé en 2009-
2010. Il est assez simple d’investir dans
du bordeaux car les grands noms se
limitent à une vingtaine de châteaux.
ainsi peut-on acheter sans problème
du lafite Rothschild ou du latour.
mais quand les bordeaux ont
atteint des niveaux très élevés en 2011,
les investisseurs se sont tournés vers
le bourgogne, plus complexe. si l’on
veut effectuer de bons placements
dans ce vignoble, il faut être passionné.
parier sur le domaine de la Romanée-
Conti n’est guère risqué puisque les
meilleurs crus sont connus. mais les
vins du domaine armand Rousseau
peuvent provenir de Gevrey-Chambertin,
de musigny ou d’ailleurs, et
il faut connaître les bons millésimes
de chacun.
naturellement, il existe d’excellents
vins ailleurs. Une petite dizaine
de vins espagnols, comme le vega sicilia,
est vendue aux enchères, mais les
bourgognes et bordeaux dominent.
nous vendons aussi beaucoup de
pictet report | hiver 2013
les matières premières

cognacs – le plus vieux date de 1789 –
ainsi que des whiskies de malt écossais
tels que le macallan.
mais les vins plus récents mettent
plus de temps à émerger, même s’il
s’agit de grands vins américains tels
que le screaming eagle. Un lafite
1884 est toujours exceptionnel, on sait
donc qu’il peut être conservé plus d’un
siècle. mais on ignore comment les
vins du nouveau monde vieilliront.
or, nous vendons un produit destiné à
être dégusté.
parfois, l’état d’une bouteille d’un
vin connu peut indiquer qu’il ne sera
pas bon à boire. C’est souvent dû à
la qualité de conservation, et nous
regardons toujours la provenance des
vins que nous vendons. de nombreux
propriétaires suisses stockent le vin
dans l’abri nucléaire sous leur maison
et les bouteilles sont en excellent état.
mais les caves françaises, notamment
dans les grandes villes, peuvent être
soumises à des variations de température
dommageables. nous vérifions
donc toujours les caves et nous
devons parfois refuser de vendre des
pictet report | hiver 2013
les matières premières
«Par essence, un
bon vin prendra
de la valeur au fil
du temps»
bouteilles, même lorsqu’il s’agit de
grands vins. nous nous assurons aussi
que nos vins peuvent être consommés.
suite à l’envolée des prix, les meilleurs
vins deviennent inabordables en
europe. alors qu’un acheteur asiatique
est prêt à débourser 1000 euros pour
une bouteille, ce prix est trop élevé pour
des européens qui l’auraient payée 30
euros vingt ans plus tôt. et pour ceux
ayant investi, les prix sont tellement
élevés aujourd’hui qu’ils pourraient
décider de vendre une bouteille à 1000
euros plutôt que de l’ouvrir. Ils peuvent
aussi réinvestir leurs gains dans des
vins plus récents à des prix assez raisonnables
pour la dégustation.
autre conséquence de la hausse
des prix: une caisse de bon vin des
années 80 peut coûter quasiment le
même prix que les mêmes vins de
2009. Il faut toujours choisir les vins
les plus anciens s’ils semblent pouvoir
se conserver encore dix ans. Il est
probable que l’on dégagera un bénéfice
si l’on choisit de les vendre plus tard.
le vin peut être un placement
rentable à condition de choisir les bons
millésimes. mais là encore, il existe des
variations: le margaux 1989, qui est
un bon cru, est déjà passé, alors que le
petrus 1989 est excellent et sera encore
meilleur dans 20 ans. C’est pourquoi
les investisseurs doivent développer
une passion pour le vin afin d’en
comprendre toutes les facettes.
Les conseils de Michael Ganne
• N’achetez que les meilleurs – de bons
bordeaux ou bourgognes sont généralement
très demandés.
• Choisissez les meilleurs crus que vous
envisagez d’acheter.
• Etudiez la provenance du vin
(lieu, conditions de conservation).
• Vérifiez l’état des bouteilles, y compris
la couleur et le niveau du vin.
• Développez votre passion du vin,
vous finirez probablement par déguster
une partie de votre placement!
23
introduction au monde du vin

24
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
Terminal charbonnier d’OBA, port d’Amsterdam
25

Le philanthrope
Offrir sa voix pour lutter
contre la leucémie
Après avoir vaincu la leucémie en 1988, le célèbre
ténor José Carreras a créé une fondation ayant pour
but d’atteindre un taux de guérison de 100%
Parmi les mélomanes et le grand public,
personne n’ignore comment José Carreras a
vaincu la leucémie avant de faire son retour
sur scène, notamment comme l’un des «Trois
ténors». En revanche, le travail de la fondation
qu’il a créée en 1988 en vue de vaincre une
maladie qui, il y a encore quelques années,
équivalait souvent à une sentence de mort est
peut-être moins connu. Le traitement de la
leucémie progresse en effet à grands pas, en
particulier grâce au soutien de la José Carreras
Leukaemia Foundation pour la recherche sur
la maladie et en faveur des malades.
Interrogé dans les locaux du siège de sa
fondation, au centre de Barcelone, José
Carreras déclare avoir été inspiré par la
générosité et l’affection exprimées dans
les messages de soutien qu’il a reçus
du monde entier durant sa maladie.
«Je me suis senti redevable envers ces
personnes, envers la société en général,
mais aussi vis-à-vis de la communauté
scientifique et médicale à l’origine de
ma guérison. Après avoir réfléchi à ce
que je pouvais faire en retour, j’ai décidé
d’exploiter mon statut d’artiste et de
créer une fondation.»
Créée en 1988, la «fondation mère»
a organisé un concert de bienfaisance
auquel ont assisté 150 000 personnes à
26 le philanthrope
l’Arc de triomphe de Barcelone, la ville
qui l’a vu naître et grandir. Un an plus
tard, une unité de greffe financée par
la fondation était inaugurée à l’hôpital
clinique de Barcelone, suivie en 1991
de la création du registre espagnol des
donneurs de moelle osseuse (REDMO),
qui se trouve toujours au siège de la
fondation. En parallèle, la fondation a
essaimé aux Etats-Unis et en Suisse en
1990, puis en Allemagne en 1995.
«Notre objectif était de combattre
la leucémie et de trouver un traitement
pour tous le plus rapidement
possible. Nous avons créé un comité
de direction avec nos mécènes, ainsi
qu’un comité scientifique qui examine
les demandes de financement d’infrastructures
ou de programmes de
recherche venant des chercheurs et des
centres de traitement. Nous soutenons
également des programmes sociaux:
ainsi avons-nous ouvert le premier
appartement permettant aux patients
et à leur famille de séjourner le temps
du traitement à Barcelone.»
Le concert des Trois ténors, donné
avec Plácido Domingo et Luciano
Pavarotti aux thermes de Caracalla
à la veille de la finale de la Coupe du
monde en 1990 à Rome, fut l’une des
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
27
le philanthrope

toutes premières initiatives de collecte des dons. «Mes amis
ont été enthousiasmés par mon idée, aussi bien pour des
raisons artistiques et personnelles que sociales. Nous avons
donné une trentaine de concerts en 15 ans.»
La fondation allemande est devenue très importante
en raison du soutien apporté par la chaîne ARD, qui diffuse
chaque année le José Carreras Gala. Les quelque 100 millions
d’euros de dons récoltés depuis 1995 ont permis de financer
900 projets et programmes en Allemagne, dont une nouvelle
unité de greffe de moelle osseuse et un registre de donneurs.
De nouvelles techniques telles que les thérapies par
cellules souches révolutionnent le traitement de la leucémie,
mais les greffes de moelle osseuse restent essentielles dans
environ 95% des cas. Il existe également les autogreffes, qui
consistent à prélever de la moelle osseuse chez un patient,
puis à la lui réinjecter après une chimiothérapie ou des rayons
à haute dose. L’allogreffe utilise la moelle osseuse de donneurs
proches génétiquement (membres de la famille, etc.). Mais la
greffe de cellules souches contenues dans le cordon ombilical
des nouveaux-nés est de plus en plus répandue.
Le soutien du REDMO en Espagne et des autres registres
de donneurs dans le monde est prioritaire. «Tous les
registres sont reliés entre eux, soit 20 millions de donneurs
potentiels dans le monde. Ainsi, un Espagnol peut bénéficier
d’une greffe provenant des Etats-Unis, d’Allemagne ou
d’Australie. C’est une magnifique opportunité qui profite à
beaucoup de monde.»
Selon José Carreras, l’Espagne enregistre environ 6000
nouveaux cas de leucémie par an sur une population de 45
millions. «C’est habituel dans cette région du monde, et
malheureusement, cette maladie frappe souvent les enfants.
Mais les jeunes ont de meilleurs taux de réussite – au moins
75% survivent à la maladie, ce qui représente un progrès
considérable en 30 ans. Chez les adultes, 45% remportent la
bataille. Malgré ces avancées spectaculaires, nous ne serons
pas satisfaits tant qu’une seule personne en mourra encore.»
Le grand projet de la fondation est actuellement la
construction du José Carreras International research institute
against leukaemia à Barcelone. Son coût de 15 millions
d’euros inclut l’équipement et la maintenance du site.
28 le philanthrope
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
29
le philanthrope

«Ce centre unique en Europe est la
consécration de nos efforts. Il rejoindra
les très rares instituts du genre que
compte le monde.»
Il reconnaît que la collecte de
fonds est devenue plus difficile dans
le contexte économique actuel. Mais
la fondation bénéficie du soutien de
grands groupes mondiaux tels qu’Allianz,
Roche ou Sony, ainsi que de
sociétés familiales comme Chopard.
Elle s’est également constituée un
réseau de 40 000 donateurs réguliers.
«Je me suis engagé à continuer
de donner des concerts pour lever des
fonds», ajoute-t-il.
«Nous avons eu la chance que les
gens aient cru en nous dès le début.
Nous avons toujours agi de manière
transparente. Comme la femme de
César, nous ne devons pas seulement
être honnête, mais également prouver
que nous sommes au-dessus de tout
soupçon. Les gens nous font confiance
et croient en nous.»
«Mon statut est aussi relativement
30 le philanthrope
important car je suis connu pour avoir
vaincu la leucémie il y a 25 ans. Je peux
dire aux patients que je comprends leur
combat et que je suis la preuve vivante
qu’on peut guérir de cette maladie.
C’est important pour les malades hospitalisés
des semaines et des mois durant,
même pour les enfants qui ne savent
pas bien qui je suis.»
Pour lui, créer une fondation
requiert avant tout de l’enthousiasme.
«Cela ne peut pas être juste une activité
secondaire, il faut de l’énergie et de la
détermination. Vous devez vous engager
à 100% et êtes prêt à vous battre tous les
jours.» Selon lui, le succès de sa fondation
repose sur le fait qu’il a su s’entourer
dès le départ des bonnes personnes
dans les domaines de la science, des
affaires et de la communication.
«Créer cette fondation a été un
moment important de ma vie. Ce n’est
pas seulement une belle chose, mais
également un véritable moyen d’éradiquer
cette maladie. J’en suis fier mais il
y a encore tant à faire...»
«Je peux dire aux
patients que je
comprends leur
combat et que
je suis la preuve
vivante qu’on peut
guérir de cette
maladie»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Les négociants en énergie et en matières premières
Marco Dunand
et Daniel Jaeggi
Leur société de négoce de pétrole fondée en 2004 à Genève s’est
rapidement muée en un groupe énergétique mondial touchant
aux divers maillons de la chaîne d’approvisionnement
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Daniel Jaeggi et Marco Dunand
31
les négociants en énergie et en matières premières

Mercuria, l’un des cinq 1 ers négociants indépendants au monde, opère
sur de nombreux marchés, pétrole brut, produits raffinés, gaz, électricité,
charbon, biocarburants, émissions de carbone... Le groupe
possède aussi réserves de pétrole en Amérique, terminaux pétroliers,
etc. Son chiffre d’affaires annuel a désormais dépassé les USD 80
mios, alors que le grand public ne connaît pas ce nom.
«Nous étions dix il y a huit ans, se rappelle Marco Dunand,
PDG Suisse romande de Mercuria. Aujourd’hui, nous avons
37 bureaux et près de 1000 employés. Mais comme nous
sommes tous deux suisses et naturellement discrets, nous
parlons rarement aux médias.»
Mais la situation évolue, car cet univers attire de plus
en plus l’attention et, parfois, les critiques. «Nous sommes
conscients du fait que nous devons réagir, reconnaît Daniel
Jaeggi, vice-président Suisse alémanique et responsable
Négoce monde. A défaut, nous laisserions à d’autres le soin
de raconter l’histoire à notre place.»
Et leur histoire est impressionnante. Diplômés de l’université
de Genève, ils se croisent chez Cargill en 1986. Un an
plus tard, ils se retrouvent à Londres, chez Goldman Sachs,
entré dans le négoce de matières premières grâce à l’acquisition
de J. Aron & Company en 1981.
«L’équipe était plutôt restreinte, se remémore Marco,
mais Goldman devenait le plus important négociant
en matières premières dans le secteur bancaire. En 7 ans,
nous y avons appris le côté financier, comme les opérations
de couverture.»
32 les négociants en énergie et en matières premières
«La situation a beaucoup
changé depuis 2004, quand
le baril de pétrole fluctuait
entre 20 et 40 dollars»
Ils rejoignent ensuite la division
Phibro (Philipp Brothers) de Salomon
Brothers, depuis toujours plus axé sur le
marché physique. «Arrivés avec d’assez
bonnes connaissances financières, nous
y avons appris le côté concret de cette
activité, p. ex. les subtilités du négoce
avec différents pays», explique Marco.
«Un gisement de pétrole au
mauvais endroit n’a pas de valeur,
ajoute Daniel. Il n’en prend que si vous
pouvez assurer le transport.»
Sept ans plus tard, ils sont approchés
par Sempra, distributeur californien
de gaz et d’électricité, désireux de se
lancer après la dérégulation du secteur
de l’électricité aux Etats-Unis. Partis de
rien, ils créent alors à Londres une division
performante de négoce d’énergie à
l’échelle mondiale et commencent à se
demander s’ils ne pourraient pas faire la
même chose seuls.
Avec USD 250 mios de capitaux
propres, ils rachètent donc une société
de négoce fournissant du pétrole brut
à des raffineries polonaises et bénéficiant
de lignes de crédit intéressantes.
«Notre but était de créer une société
énergétique mondiale, souligne
Marco. Mondiale parce que le marché
de l’énergie est mondial, et énergétique
parce qu’il ne se limite pas au
pétrole mais englobe le gaz, le charbon
et d’autres formes d’énergie.»
Daniel explique qu’ils n’ont jamais
élaboré de plan de développement.
«Nous savions quel était notre cap,
pictet report | hiver 2013
les matières premières

mais notre destination dépendait du
vent et des opportunités. La situation a
beaucoup changé depuis 2004, quand
le baril de pétrole fluctuait entre
20 et 40 dollars. Et puis il y a eu les
crises financières et les problèmes de
dettes souveraines – le paysage évolue
presque chaque jour.»
La stratégie de diversification associant
au pétrole l’ensemble des énergies
procède de la conviction que les différents
marchés énergétiques convergent.
Ainsi, l’extraction du gaz de schiste
aux Etats-Unis a réduit le prix du gaz à
2 dollars par MBtu, supplantant le charbon
américain, qui est donc devenu
compétitif plutôt en Europe. Et les
exportations de charbon américain –
pratiquement nulles il y a deux ans – ont
bondi à 40 millions de tonnes par an.
«Si on se restreint au pétrole et au
gaz, on omet une partie du marché,
estime Daniel. Toutes ces sources
d’énergie ont un pouvoir calorifique,
mais produisent également des émissions
de carbone, raison pour laquelle
nous sommes aussi négociants en
pictet report | hiver 2013
les matières premières
émissions. Nous disposons ainsi de la panoplie
complète pour arbitrer le prix du gaz en tant que
matière première.
Et avec la hausse du prix du brut, l’extraction
du pétrole de schiste est devenue rentable. Au
cours de la décennie à venir, les USA pourraient
ainsi passer du statut d’importateur à celui d’exportateur
de pétrole. A UDS 40/baril, il n’y a plus
de réserves. Mais à USD 80 – 100, de nouvelles
réserves comme le pétrole de schiste, qui s’épuiseront
certes aussi un jour, s’ouvrent. La question
sera alors de savoir à quel prix extraire du pétrole
ailleurs. Il n’y a pas de pénurie de matières
premières: si on laisse faire les marchés, ils règleront
le problème. Rien ne remédie mieux aux
prix élevés que des prix élevés!»
«Vous ne pouvez être dans le pétrole et le gaz
sans être dans le charbon, ajoute Marco. Et si vous
êtes dans le charbon, vous devez être présent sur
le marché maritime du vrac sec ainsi que sur celui
du transport pétrolier. Vous devriez donc également
être sur celui du minerai de fer qui utilise
le même type de navires. Et les fonderies sont de
gros utilisateurs de charbon. De même, si vous
êtes dans le pétrole, un certain pourcentage de
biocarburant est généralement nécessaire, si bien
que vous devez être dans les céréales qui sont,
33
les négociants en énergie et en matières premières

elles aussi, transportées dans des vraquiers. Et
dès lors que vous avez des bureaux dans différents
pays, le coût supplémentaire d’une diversification
dans d’autres matières premières y est
minime, d’autant qu’elle réduit le risque.»
L’intégration verticale en amont et en aval
constitue pour Mercuria un autre moyen de
réduire son risque. A un moment où les banques
réduisent leurs crédits afin de reconstituer leur
bilan, Mercuria peut financer les producteurs et
conclure d’utiles contrats d’approvisionnement.
La logistique constitue un autre maillon de la
chaîne permettant de trouver des opportunités
de création de valeur ajoutée comme les installations
de stockage.
«Le modèle s’appuie sur une petite équipe
d’experts de haut niveau, explique Marco. Nous
ne tenons pas à posséder une chaîne d’approvisionnement
entièrement intégrée, mais visons à
identifier de la valeur dans ses différents secteurs.
Et si le projet est trop gros pour nous, nous
recherchons des partenariats – comme une jointventure
avec le Chinois Sinopec en vue de fournir
du stockage de vrac liquide.»
Mercuria est réputée pour sa capacité à attirer
quelques-uns des meilleurs talents du secteur.
Pour Daniel, le capital intellectuel est essentiel:
«Une activité comme la nôtre exige des experts
aux postes clés. Les erreurs sont certes inévitables,
ajoute-t-il, mais il est important de laisser
les gens travailler et d’accepter ces erreurs.»
Le risque est géré de manière centralisée aux
Pays-Bas, par un site spécialisé employant d’anciens
traders. Mais chaque département dispose
de son gestionnaire de risque – un aspect de la
solide culture de gestion du risque des deux
cofondateurs. «Il est important pour nous que
tous les actifs de la société – produits financiers
et physiques, contrats de location, engagements
à long terme – soient évalués à leur valeur de
marché afin de refléter précisément leur valeur
monétaire, explique Daniel. Nous savons mesurer
rigoureusement le risque que nous prenons
chaque jour ou chaque mois afin d’atteindre les
rendements attendus.»
Mercuria reste entre les mains des fondateurs
et d’un groupe d’une centaine de cadres de
l’entreprise. Les deux fondateurs apprécient cette
liberté qui leur offre un horizon à plus long terme
34 les négociants en énergie et en matières premières
que s’ils étaient soumis au régime des
publications trimestrielles des sociétés
cotées. Mais ils ont chargé Credit Suisse
de les aider à identifier un investisseur
en mesure d’acquérir 10 à 20% du capital
afin d’augmenter les fonds propres.
«Nous souhaitons un investisseur
visant le long terme, explique Marco,
type fonds souverain déjà impliqué sur
le marché des matières premières.»
Quels sont les principaux défis que
Mercuria doit actuellement relever?
Pour Marco Dunand, il est difficile de
le dire: «Si vous m’aviez posé la question
il y a trois ans, j’aurais probablement
omis trois des cinq principaux
défis auxquels nous sommes confrontés
depuis lors. Si vous m’aviez demandé il
y a six ans si le système bancaire connaîtrait
la crise actuelle, j’aurais répondu
que c’était impossible.»
L’essentiel pour Mercuria est donc
de rester flexible et polyvalente et de ne
pas surpondérer l’une des classes d’actifs.
«Plutôt que de prédire quels seront
les plus gros risques, nous devons être
prêts à réagir et à nous adapter. Et ce de
plus en plus vite, alors que les sources
de risque sont multiples.»
Et Daniel Jaeggi d’ajouter qu’il
importe d’être plus attentif aux
craintes suscitées par le secteur des
matières premières. «Certaines de
ces craintes sont légitimes et nous ne
pouvons les ignorer. Mais les gens ont
tort de dire que le négoce des matières
premières est largement dérégulé. J’ai
compté plus de 50 instances à travers
le monde réglementant ce secteur. Cela
étant, nous avons besoin de devenir
moins “secrets”.»
«Nous savons mesurer
précisément le risque
que nous prenons chaque
jour ou chaque mois
afin d’atteindre les
rendements attendus»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
35
les négociants en énergie et en matières premières

36 les gestionnaires de risque
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Les gestionnaires de risque
La gestion du risque dans le
domaine des marchandises
Le numéro un mondial du courtage d’assurances
propose aux sociétés de négoce des garanties contre les
risques liés au transport et au stockage de marchandises,
ainsi que contre d’autres risques commerciaux plus
conventionnels (responsabilité juridique, difficultés
financières et risques politiques)
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Le négoce de marchandises présente des
risques importants et souvent complexes, qui
varient considérablement suivant les négociants.
L’acheminement des marchandises
jusqu’aux marchés nécessite des prestations
de stockage, de transport, de traitement et
d’autres opérations logistiques sujettes à
risques. Ces activités peuvent également être
perturbées par des évènements politiques,
des catastrophes naturelles, des conflits
juridiques ou des problèmes financiers. Les
négociants confient donc souvent une partie
des risques inhérents à leurs activités à des
compagnies d’assurance comme AON, leader
mondial de la gestion des risques.
La division Commodity Trade d’AON
propose des garanties spécialisées
contre les risques de transport et de
stockage liés au négoce physique
de toutes les marchandises. «Nous
évaluons avec le négociant le type de
risques liés à son activité, explique
Maurits Quarles van Ufford, basé à
Genève. Puis nous lui indiquons le
coût d’assurance de chaque risque
et lui demandons les garanties qu’il
souhaite. Outre les risques de stockage
et de transport, nous couvrons également
les risques politiques et de crédit
et la responsabilité produit.»
Pour Jos Knijn, courtier spécialisé
qui travaille avec les assureurs, il
s’agit de fournir des services personnalisés
répondant aux besoins du client
qui dépendent de la marchandise, du
pays d’origine et du marché de destination.
«Le négoce de marchandises
exige souvent une approche totalement
différente en termes de garanties et de
délais. Les négociants ont parfois besoin
de délais très courts. Il peut s’agir d’un
simple certificat ou d’une garantie
immédiate lorsqu’un client dispose
d’un créneau de déchargement dans un
port. Nous travaillons avec les assureurs
pour intervenir rapidement.»
Basée à Amsterdam, la division
Commodity Trade d’AON a accès à
l’un des marchés de l’assurance les
plus anciens et les plus sophistiqués au
monde, dont le savoir-faire remonte à
l’époque de la Compagnie néerlandaise
des Indes orientales au XVII e siècle.
Outre les deux bourses néerlandaises
37
les gestionnaires de risque

La législation
européenne en
matière d’hygiène
et de sécurité est
une autre source
de préoccupation
croissante pour les
négociants
38 les gestionnaires de risque
de l’assurance, elle peut également
souscrire à des garanties spécifiques
ailleurs, comme celles contre le risque
politique auprès de Lloyd’s of London
ou contre le risque de crédit en Suisse.
L’un des problèmes rencontrés
autrefois par les transporteurs de
marchandises entre les Pays-Bas et
les Indes orientales a fait son retour
au XXI e siècle: la piraterie. Mais Jos
Knijn explique «qu’aujourd’hui, il
s’agit davantage d’enlèvements et
de demandes de rançon. Les pirates
modernes ne s’intéressent guère au
navire ou à sa cargaison: ils veulent les
échanger contre de l’argent. Le risque
est majeur dans certains lieux comme
le détroit de Malacca ou au large de la
Somalie et de l’Afrique de l’ouest. Les
navires, l’équipage et la cargaison sont
en jeu, et aujourd’hui, c’est l’aspect
humain qui prédomine.»
«Il s’agit aussi d’un enjeu politique,
ajoute M. van Ufford. Les assureurs
donnent des conseils pour protéger les
cargaisons qu’ils assurent, comme le
fait de voyager en convoi ou d’employer
des navires suffisamment rapides pour
rendre l’abordage difficile.»
La législation européenne en
matière d’hygiène et de sécurité est
une autre source de préoccupation
croissante pour les négociants, selon
Jos Knijn. «Quand vous importez des
marchandises au sein de l’UE, vous
endossez le rôle de producteur. Vous
êtes soumis aux règles de traçabilité,
qui constituent une obligation importante
pour une entreprise. Le règlement
REACH sur les risques chimiques
pictet report | hiver 2013
les matières premières

s’applique ainsi aussi aux négociants
en marchandises. Les entreprises ont
donc besoin de nombreux documents
lorsqu’il s’agit de produits destinés à la
consommation.»
La tendance, pour les sociétés de
négoce, à se diversifier dans d’autres
marchandises et à se développer le
long de la chaîne logistique attire l’attention
sur ces questions, explique M.
van Ufford. «L’introduction en bourse
d’entreprises comme Glencore expose
leurs activités à l’examen des investisseurs.
Elles doivent éviter toute activité
susceptible de porter atteinte à leur
réputation et sont tenues de s’engager
sur les questions de responsabilité
sociale de l’entreprise (RSE). Les sociétés
de négoce doivent aujourd’hui
agir de manière très différente d’il y a
10 ans et leurs dirigeants doivent être
formés à la communication.
«Nous publions un sondage concernant
les risques majeurs tels que les
perçoivent les négociants en marchandises.
La nouvelle génération cite les
problèmes de réputation d’entreprise
et de cyberattaques, mais les sociétés de
négoce traditionnelles parlent encore
de cargaisons et de fluctuation des prix,
et elles vont devoir s’adapter à l’évolution
de l’opinion publique.»
La division Commodity Trade
d’AON peut offrir aux sociétés de
négoce se diversifiant dans d’autres
marchandises des conseils sur la façon
de se protéger contre les risques mal
connus. «Par exemple, on leur recommande
parfois de solliciter la présence
d’une société spécifique lors du chargement
d’une nouvelle marchandise
pour éviter tout litige concernant la
commande», précise Jos Knijn.
«Pour le négociant, la prise de
risques est quotidienne», explique
M. van Ufford. «Nous évaluons les activités
et les objectifs de chacun, puis
nous leur expliquons les risques liés
aux activités qu’ils envisagent. Certains
peuvent être réduits, mais le coût peut
limiter les rendements, notamment
lorsque le profit provient des marges et
non de la hausse des prix. C’est au client
de choisir le risque à couvrir. Nous indiquons
simplement les options.»
pictet report | hiver 2013
les matières premières
L’Asie va continuer
de revêtir une
importance
croissante pour
les négociants, qui
doivent travailler
avec différentes
cultures au sein de
contextes juridiques
inconnus
Pour ces deux courtiers, la
tendance au développement et à la
diversification des sociétés de négoce
va se poursuivre, mais certains acteurs
spécialisés seront en mesure d’offrir
de meilleurs services. L’Asie va continuer
également de revêtir une importance
croissante pour les négociants en
marchandises, qui doivent apprendre
à travailler avec différentes cultures au
sein de contextes juridiques inconnus.
Les sanctions politiques à l’encontre
de pays comme l’Iran limiteront également
leurs opportunités.
«Mais il y aura toujours des différences
entre l’offre et la demande, dit M.
van Ufford, ainsi que des mouvements
de marchandises et un besoin de les
garantir contre les risques associés.»
39
les gestionnaires de risque

40
pictet report | hiver 2013
les matières premières

pictet report | hiver 2013
les matières premières
Fûts de Bordeaux, à Genève, utilisés dans les années 1920
41

Alexandre Sabeti, responsable de l’unité “Special opportunities”"
42 le secteur agroalimentaire mondial
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Le secteur agroalimentaire mondial
Du champ à l’assiette: nourrir
une population croissante
Il y a près de 200 ans, Bunge se lançait dans le négoce et le transport
de produits agricoles de base. Aujourd’hui, c’est l’un des leaders
mondiaux de l’agroalimentaire, avec des activités intégrées
contribuant à l’efficacité et à la durabilité des exploitations agricoles
Quelle que soit votre alimentation, elle arrive
sur votre table par une chaîne de production
complexe, venant du monde entier. Bunge,
l’un des leaders du négoce de produits agricoles
de base, joue un rôle essentiel au sein de
cette chaîne en fournissant les ingrédients
nécessaires à l’industrie alimentaire. Pourtant,
ce nom est peu connu du grand public.
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Bunge, qui intervient à chaque étape de la chaîne de
production alimentaire, assiste les agriculteurs de l’ensemencement
à la récolte, stocke les produits, les transporte et
les transforme. La société fabrique également des produits à
haute valeur ajoutée, tels qu’aliments pour bétail, engrais,
denrées de consommation ou biocarburants.
Figurant parmi les quatre grands négociants en
produits agricoles, elle fait le lien entre agriculteurs et
clients pour les produits de base (oléagineux, sucre de
canne, blé, maïs...). Ses activités de trading sont basées à
Genève, centre de négoce profitant de sa situation dans
un fuseau horaire entre les principaux marchés asiatiques
et américains. Mais ses 35 000 employés travaillent dans
plus de 40 pays sur six continents, réalisant l’an dernier un
chiffre d’affaires net de USD 59 mias.
Bunge intervient aussi de plus en plus sur les marchés
financiers afin de réduire le coût de ses énormes besoins de
financement et de minimiser le risque au sein de la chaîne
d’approvisionnement. Et comme le crédit bancaire s’est asséché
depuis la crise financière, l’entreprise contribue désormais
à financer ses partenaires, ainsi que d’autres activités.
«Nous percevons des opportunités dans des activités
désormais délaissées par les banques», affirme Alexandre
Shahram Sabeti, responsable Opportunités spéciales au
sein des services financiers de Bunge. «Comme les banques
doivent respecter des exigences accrues en matière de fonds
propres, il s’est créé un vide.»
Tout ceci est bien loin de la société d’import/export de
céréales créée à Amsterdam en 1818 par Johann Peter Gottlieb
Bunge. L’un de ses petits-fils transfère les activités à
Anvers en 1859, tandis qu’un autre s’installe en Argentine,
point de départ d’une expansion mondiale qui se poursuivra
au Brésil, puis en Amérique du Nord. Pendant ce temps,
43
le secteur agroalimentaire mondial

l’activité de négoce s’étend à la minoterie, à la
fourniture d’engrais aux clients cultivateurs, au
stockage de produits de base et au transport
autour du globe.
Dans les années 1980 et 1990, Bunge se développe
grâce à des acquisitions, puis transfère
en 1999 son siège à White Plains, NY, afin de se
rapprocher des centres financiers mondiaux.
En 2001, c’est l’introduction à la bourse de New
York, suivie en 2002 de l’achat de Cereol, qui
donne à Bunge sa position de leader en Europe.
L’entreprise s’implante par croissance organique
en Asie (Inde, Chine notamment), et maintenant
en Afrique. Bunge a également commencé
à produire du sucre de canne et divers produits
à base de sucre et d’éthanol. Sa présence à tous
les niveaux de la chaîne crée des synergies entre
les différentes activités et diversifie ses sources
de revenu de manière à protéger son chiffre
d’affaires en cas de ralentissement de l’une des
composantes.
Bunge entrevoit d’ailleurs d’excellentes perspectives
pour le secteur agroalimentaire. En
effet, la population mondiale devrait passer de
7 à 9 mias d’ici à 2050 et à plus de 10 mias à la fin
du siècle. Compte tenu de la stabilité probable
des surfaces agricoles et de l’explosion des villes,
44 le secteur agroalimentaire mondial
«Nous percevons
des opportunités
dans des activités
désormais délaissées
par les banques»
il faudra accroître le rendement à l’hectare.
Du fait de l’expansion des classes
moyennes, l’augmentation des revenus
entraînera aussi celle de la consommation
de protéines.
«Nos laboratoires recherchent
des technologies nouvelles sur l’ensemble
de la chaîne», commente
A. Sabeti. «L’innovation en matière de
semences, de formes d’irrigation, d’engrais
et de gestion des sols sera essentielle.
Des entreprises comme la nôtre
constituent une partie de la solution
permettant de nourrir une population
mondiale croissante.»
La clé du succès de Bunge réside
dans l’établissement de relations à
long terme avec ses clients. «Ces relations
offrent un avantage concurrentiel
sur des marchés où acheteurs et
vendeurs sont nombreux. Un autre
trader pourra toujours vous battre sur
les prix mais, si vous avez établi une
relation à long terme avec vos clients,
ils vous seront plus fidèles.
C’est particulièrement vrai des agriculteurs:
ils préfèrent traiter avec un
acheteur qui est à leurs côtés en toute
circonstance. Leur récolte annuelle
représente toute leur vie et si vous ne
les laissez pas tomber quand les choses
vont mal, ils vous vendront plus volontiers
en période faste, même si les
concurrents offrent de meilleurs prix.»
Bunge tire également avantage
de la taille, ajoute-t-il. «La taille est
importante car le négoce des produits
de base dépend du prix et des économies
d’échelle. Un vaste entrepôt coûte
pictet report | hiver 2013
les matières premières

«Compte tenu de la stabilité
probable des surfaces
agricoles et de l’explosion
des villes, il faudra accroître
le rendement à l’hectare»
pictet report | hiver 2013
les matières premières
moins que dix petits. Pouvoir utiliser des navires plus grands
réduit le coût de transport. L’efficience paie parce que nous
pouvons vendre la même qualité un peu moins cher.
La taille facilite aussi la livraison à temps. Vous devez
être en mesure de gérer des goulots d’étranglement comme
la capacité portuaire après la récolte des produits agricoles.
L’ampleur de nos activités implique que nous contrôlions
souvent les ports que nous utilisons, ce qui nous permet d’y
faire transiter nos produits selon nos besoins.»
Créer un réseau de cette taille et transporter de vastes
volumes exige toutefois d’importants capitaux. Et comme
les marges sont faibles, être capable de mobiliser les capitaux
nécessaires au traitement efficace de volumes importants
augmente la rentabilité.
Pour s’assurer la surface financière nécessaire, Bunge a
aussi créé un groupe de services financiers optimisant ses
flux financiers. Les montants immobilisés dans le négoce
de produits de base peuvent ainsi générer des rendements
45
le secteur agroalimentaire mondial

«Nous servons en fait
d’incubateur à la mine
jusqu’à ce que les banques
soient prêtes à la financer»
46 le secteur agroalimentaire mondial
supplémentaires, tout comme la gestion
des opérations de change, qui font partie
intégrante du négoce international.
Le groupe gère également le risque
par le biais d’instruments financiers,
tels que les contrats à terme, les options
et les produits dérivés, afin de réduire
les coûts. «La plupart des agriculteurs
veulent être sûrs du prix qu’ils toucheront
pour leurs produits, car ils ont déjà
supporté les frais de plantation et de
culture. Si c’est ce qu’ils veulent, nous
répondons à leur demande.»
Autre activité du groupe, le négoce
du carbone. «Il s’agit en quelque
sorte d’un produit de base», explique
A. Sabeti. «Une tonne de carbone, c’est
comme une tonne de maïs, et si vous
réduisez les émissions de carbone sur
les marchés émergents, vous pouvez
gagner des crédits carbone.
Notre couverture des marchés
émergents nous permet de financer des
projets de réduction des émissions générant
ces crédits. Nous utilisons p. ex. des
technologies simples pour capter les
émissions de méthane dans l’élevage. Le
méthane peut être utilisé pour générer
de la chaleur et de l’électricité pour l’éleveur,
qui reçoit aussi sa part de profit du
négoce de crédits carbone.»
La gestion d’actifs, qui vise à lever
des capitaux destinés au cœur de
métier de Bunge auprès d’investisseurs
institutionnels, family offices et fondations
compris, constitue une fonction
financière de plus en plus importante.
«Si vous considérez l’agroalimentaire
comme un bon investissement à long
terme, vous pouvez acheter des actions
ou des fonds indiciels (ETF). Mais vous
pouvez aussi y investir directement, en
partenariat avec nous. Nous gérons en
permanence ce type d’actifs et sommes toujours en quête de
nouvelles sources de financement.»
«Nous contrôlons p. ex. de nombreux ports mais nous
ne les utilisons pas en permanence. Nous pouvons regrouper
nos ports au sein d’un fonds commun de placement
permettant aux investisseurs de bénéficier de la progression
des volumes échangés dans un secteur à capacité limitée.»
D’autres fonds Bunge investissent dans des terres
agricoles au Brésil, des portefeuilles de négoce d’émissions
ou le transport maritime.
Enfin, le service Opportunités spéciales que dirige
A. Sabeti investit dans des actifs hors du métier de base de
Bunge, où son implantation mondiale lui donne accès à des
opportunités intéressantes. «Prenons l’exemple d’une mine
de charbon en Indonésie appartenant à une jeune société,
qui a du mal à obtenir un financement bancaire. Grâce à nos
importantes activités agroalimentaires dans ce pays, nous
pouvons faire appel à nos liens sur place pour en évaluer le
potentiel et, s’il est intéressant, y investir.
Nous tirons parti de notre présence. Notre personnel
agroalimentaire peut facilement visiter la mine et enquêter
localement sur le propriétaire. Nous servons en fait d’incubateur
à la mine jusqu’à ce que les banques soient prêtes
à la financer.»
D’autres opportunités semblables naissent du retrait
des banques des marchés émergents, à la suite du durcissement
des exigences de fonds propres après la crise financière.
Les opportunités d’investissement dans l’énergie,
l’immobilier, les concessions portuaires, les barges et les
vraquiers peuvent offrir des rendements intéressants aux
investisseurs ayant des liquidités et la capacité à gérer l’investissement
localement.
«Mais la demande dépasse le montant des capitaux
disponibles de Bunge», explique A. Sabeti. «Du fait du
manque de liquidités, les investisseurs s’associant à nous
peuvent obtenir un meilleur rendement que celui d’investissements
plus conventionnels. Notre présence mondiale
et nos relations locales créant l’expertise à la clé du succès
de toutes nos activités.»
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Le point de vue de pictet sur les matières premières
Le boom des matières
premières, un mal pour
un bien?
chloÉ koos dunand
StrAtégiStE mAtièrES prEmièrES & mOnnAiES ASSOCiéES
piCtEt & CiE
Bien que les conséquences du boom des matières
premières en termes d’environnement et de
développement durable aient été éminemment
critiquées, les changements induits par ce
phénomène pourraient tourner en faveur de la
planète à très long terme
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Le boom des matières premières a été très
largement discuté depuis l’entrée de la
Chine dans le commerce international. Tout
d’abord captivant, il s’est mis à effrayer à
mesure que les prix augmentaient.
Le volume de matières premières
consommé par la Chine avait en effet
de quoi laisser pantois. En 2000, elle
ne consommait que 12% des métaux
industriels au niveau mondial,
contre plus de 40% en 2011. Et si elle a
commencé par exploiter ses propres
ressources, la croissance de ses besoins
était telle que certains Etats émergents
riches en matières premières l’ont
vite courtisée, l’invitant même à venir
exploiter leurs terres.
Si l’impact des exploitations
minières sur l’environnement, ainsi que
les conditions de travail des mineurs,
étaient déjà largement critiqués, le débat
est devenu nettement plus féroce quand
les prix de l’agriculture ont commencé à
flamber, en 2007 – 2008. Les régions les
plus pauvres ont commencé à avoir des
difficultés d’approvisionnement, avec la
crainte de périodes de famines généralisées
et d’instabilités politiques. La FAO
tira alors la sonnette d’alarme, prévenant
que le phénomène irait en s’amplifiant
et que les politiques en faveur des biocarburants
empireraient la situation. C’est
à la même période que la finance essuya
de vives critiques, d’aucuns prétendant
que c’était le résultat de la «financiarisation»
des matières premières et que l’entrée
de l’agriculture en bourse posait des
problèmes éthiques aux conséquences
catastrophiques.
Bien que de nombreuses études
eussent depuis modéré, voire démenti,
le rôle de la spéculation financière,
les ingrédients pour tourner un film
catastrophe étaient réunis. Le phénomène
fut diabolisé et des séries de
chiffres sur les années de réserves
vinrent étayer les craintes. La crise de
2008 et la chute rapide des prix des
matières premières mirent le débat
sur pause, mais bien que la Chine n’ait
pas encore vu sa croissance revenir aux
niveaux d’avant la crise, son industrialisation
n’est pas terminée. De plus, si
la Chine a été le moteur principal du
47
le point de vue de pictet sur les matières premières

Ce n’est qu’une
question de temps
avant que le débat
sur la durabilité et le
partage des richesses
ne reprenne
48 le point de vue de pictet sur les matières premières
boom des matières premières jusqu’à
aujourd’hui, d’autres régions émergentes
marchent sur ses traces. Ce n’est
donc qu’une histoire de temps avant
que le débat ne reprenne.
pourtant, ces raisonnements
oublient un élément essentiel, les
innovations, car ce sont elles qui transforment
le présage d’une catastrophe
malthusienne en sophisme. De tout
temps, l’humanité a bercé en son sein
des esprits brillants, dont la curiosité
n’avait d’égale que leur volonté de
révolutionner le quotidien. Bien que
certaines innovations eussent notoirement
marqué l’histoire, d’autres, plus
simples mais au final non moins utiles,
ont permis de grandes avancées.
preuve en est le pic pétrolier. Le
nombre d’années restantes de pétrole
est calculé selon le ratio réserves
prouvées/production actuelle. Ce ratio
atteignait 30 en 1980, annonçant le
cataclysme pour 2010. Le monde avait
Consommation d'énergie par personne
3.0
2.8
2.6
2.4
2.2
2.0
1.8
1.6
1.4
1.2
Tendance à long terme
Consommation mondiale d'énergie
donc du souci à se faire. mais la technologie
a évolué, des réserves jusque
là inexploitables devinrent accessibles
et la hausse du prix du pétrole permit
à l’industrie d’investir des montants
de plus en plus importants dans la
recherche et le développement. En
2008, au pic du boom des matières
premières et des critiques, le ratio était
monté à 50, et on repoussait les soucis
à 2058. C’est à ce moment là aussi que
gaz et pétrole de schiste vinrent changer
la donne, les journaux parlant
d’une nouvelle révolution et d’une
possible indépendance énergétique
pour les Etats-Unis d’ici environ 25
ans, bien que l’impact environnemental
de ces nouvelles technologies soit
encore source de débats.
Cette prise de conscience globale
au sujet des risques de pollution a d’ailleurs
permis au cours de la dernière
décennie de mettre en avant les énergies
renouvelables. Fukushima, qui
nous a rappelé les risques liés à l’énergie
nucléaire, n’a fait qu’intensifier
la volonté du public de recourir à des
énergies plus propres, plus efficaces. Là
aussi, les innovations technologiques
ont été pléthore. Si l’énergie photovoltaïque
était surtout utilisée par l’industrie
spatiale il y a trente ans, l’industrie
a grandement évolué après les chocs
pétroliers des années 80, au point d’être
aujourd’hui au service du consommateur,
qui peut chauffer son eau grâce
à des panneaux installés sur son toit.
Début du boom des
matières premières
65 70 75 80 85 90 95 00 05 10 15
Source: Pictet, Datastream, BP
pictet report | hiver 2013
les matières premières

Ce progrès technologique est de nos
jours relativement reconnu puisque
facilement observable au nombre croissant
de panneaux qui recouvrent nos
maisons et bâtiments.
Si les consommateurs et les municipalités
se mobilisent pour réduire
l’empreinte carbone au niveau local,
le protocole de Kyoto vise à le faire au
niveau mondial. malheureusement,
les principaux pollueurs de la planète,
les Américains, ont refusé de le ratifier,
entre autres parce que la Chine,
en tant que pays en voie d’industrialisation,
n’était pas soumise aux mêmes
conditions que les pays développés. il
est vrai que la consommation énergétique
chinoise est impressionnante,
voire effrayante, en particulier depuis
son entrée à l’Organisation mondiale
du commerce en 2001. Cette évolution
est d’autant plus inquiétante
que la principale source d’énergie du
pays est le charbon, solution extrêmement
polluante, mais économiquement
intéressante puisqu’elle en
produit abondamment, limitant ainsi
sa dépendance aux importations.
pourtant, la Chine, bien que ne
souhaitant pas sacrifier son évolution
économique au profit de l’environnement,
n’en prend pas moins le problème
de la pollution au sérieux. En effet,
depuis les accords de Kyoto, la consommation
d’énergie renouvelable chinoise,
certes toujours de moitié moins importante
que celle des Etats-Unis, a affiché
une croissance moyenne de 20% par an.
Et à en croire les dépôts de brevets dans
le secteur de la technologie environnementale,
il y a fort à parier que cette
tendance perdure. En 1995, la Chine ne
déposait que 0,41% des brevets internationaux
dans ce secteur, mais cette
proportion est passée à 14% en 2009,
proportion équivalente à celle des Etats-
Unis. Ainsi la Chine, à elle seule, a-telle
contribué à 20% de l’augmentation
totale des brevets dans le secteur de la
technologie environnementale sur les
quinze dernières années.
Bien que la Chine et les Etats-Unis
soient les principaux pollueurs de
la planète, il est rassurant de constater
que tous les pays affichent une
pictet report | hiver 2013
les matières premières
Consommation Chinoise d’énergie (mios de tep)
2,500
2,000
1,500
1,000
500
0
20
15
10
5
0
-5
Autres
Gaz
Charbon
Pétrole
65 70 75 80 85 90 95 00 05
Source: Pictet, BP
volonté manifeste de réduire l’empreinte
carbone. Ainsi, même si l’énergie
renouvelable ne représente encore
qu’un infime 1,6% de la consommation
totale, c’est avec un certain soulagement
que l’on constate que c’est la
source ayant connu le plus fort taux de
croissance depuis 1995.
Si le boom des matières premières
met en exergue les défis qui nous
attendent, ses conséquences éthiques
et environnementales, sans oublier
l’augmentation de ses prix, sont
autant de catalyseurs de motivation, et
c’est d’un effort commun entre scientifiques
et entrepreneurs à trouver des
solutions que continuera à jaillir le
progrès technologique de demain.
Début du boom des
matières premières
taux de CroissanCe annuel par sourCe d’énergie
Consommée dans le monde
Energies renouvelables
Autres
Pétrole, charbon et gaz
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11
Source: Pictet, BP
La consommation
d’énergies
renouvelables est
celle qui a connu
la plus large
progression
49
le point de vue de pictet sur les matières premières

POsT-sCrIPTUm
Nous espérons que la lecture de ce Pictet Report vous aura permis de
découvrir d’intéressantes facettes du commerce des matières premières,
activité peu connue du public. Les sociétés de négoce font aujourd’hui
face à des défis importants. Il s’agit notamment de développer les
énergies nouvelles en vue de réduire les émissions de CO2 et d’accroître
la production alimentaire. La recherche de réponses à ces défis favorise
l’établissement de synergies entre les différents acteurs du secteur.
Ainsi, l’utilisation croissante des biocarburants mobilise à la fois les
négociants en énergie et les négociants en produits agroalimentaires.
Comme le montrent les articles de ce numéro, les solutions innovantes
conçues par les sociétés de négoce posent des jalons pour l’avenir.
remerCIemenTs
Nous remercions les dirigeants d’entreprise et les négociants en
matières premières qui ont aimablement accepté de nous décrire
leurs activités et d’évoquer avec nous leur parcours, Daniel Jaeggi,
Marco Dunand, Simon Arnold, Harry Vafias et Alexandre Sabeti.
Nos remerciements vont également aux spécialistes qui nous ont
expliqué le rôle des compagnies d’assurance dans le négoce des
matières premières, ainsi qu’à Michael Ganne de la maison Christie’s
pour son éclairage sur l’investissement dans le vin. Nous sommes en
outre reconnaissants à Javier Blas de nous avoir guidés dans l’univers
des matières premières, et exprimons nos sincère remerciements
à José Carreras pour nous avoir parlé de sa fondation et de son
engagement philanthropique.
Enfin, nous remercions les autorités portuaires d’Amsterdam,
de même que les employés du terminal charbonnier d’OBA, pour leur
accueil et le temps qu’ils nous ont consacré lors de la réalisation des
photographies reproduites dans ce numéro du Pictet Report.
Pictet & Cie
50 post-scriptum et remerciements
pictet report | hiver 2013
les matières premières

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PICtEt rEPOrt
Le Pictet report est une publication
périodique de Pictet & Cie. Il retrace le
contenu d’entretiens avec des interlocuteurs
choisis et de discussions sur des
thèmes d’investissement spécifiques et
des sujets précis touchant au domaine
des affaires, sélectionnés en raison de
leur intérêt et de leur actualité.
PICtEt & CIE
Fondée en 1805 à Genève, Pictet & Cie
est aujourd’hui l’une des principales
banques privées de Suisse, avec des fonds
sous gestion et en dépôt de 374 milliards
de francs suisses (309 milliards d’euros)
au Septembre 2012. Elle est en outre
considérée comme l’une des plus grandes
institutions indépendantes en matière
de gestion de fortune en Europe.
La Banque revêt la forme juridique
d’une société en commandite, détenue
et gérée par huit associés indéfiniment
et solidairement responsables de ses
engagements.
Le groupe Pictet, dont le siège se
trouve à Genève, emploie plus de 3200
collaborateurs et dispose de bureaux dans
les villes suivantes: Amsterdam, Barcelone,
Bâle, Dubaï, Florence, Francfort,
Genève, Hong-Kong, Lausanne, Londres,
Luxembourg, Madrid, Milan, Montréal,
Nassau, Osaka, Paris, rome, Singapour,
taipei, tokyo, turin et Zurich.
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