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ANNE ZINK micro-histoire, une telle recherche aurait exigé des fonds d'archives complets et un gros travail, sans avoir l'assurance d'arriver finalement à un résultat23. Je pense pourtant que les bordes qu'on met à la disposition d'un couple de cadets dans un moment de basse pression démographique, alors qu'on peut extirper un ou deux arpents supplémentaires de communaux et trouver des journées à faire, ont permis à ces jeunes gens d'élever des enfants et de donner à la borde un statut de maison à part entière. Si c'est le père du cádet qui a acquis la borde, elle est encore acquêt, donc disponible entre les mains du jeune couple, mais à la troisième génération elle devient avitine et est dévolue à l'héritier coutumier. Ces bordes ne sont donc plus disponibles pour caser des cadets puisqu'elles sont elles-mêmes devenues des vraies maisons avec un héritier. En employant le mot «borde», qui est celui qu'on trouve dans ces contrats de mariage, je n'ai pas pris position sur l'origine de ces bâtiments. Il peut s'agir de labaquis, mais ce n'est pas sur. Si une récession démographique antérieure a fermé des maisons, on a pu les affecter au bétail et aux récoltes, prendre l'habitude de les appeler bordes et les rouvrir sous ce nom pour des cadets. Mais pour connaître leur statut antérieur au XVIIème siècle, nous n'avons aucuns document écrit. Cette facilité qu'ont les cadets pour s'établir ne veut pas dire que le XVIIème siècle représente une période heureuse. Ces emprunts de grains que nous citions plus haut n'apparaissent pas chez les notaires tous les ans. On les trouve surtout, tant à Barcus qu'à Tardets24, en 1661 et 1662. La disette qu'ils traduisent est connue. On l'appelle «crise de l'avènement» parce qu'elle est contemporaine de l'arrivée de Louis XIV au pouvoir personnel après la mort de Mazarin. La Soule est atteinte, comme l'ensemble du royaume, pour des raisons météorologiques. Mais c'est aussi en Soule l'année de la révole de Matalas25. Nos minutes notariales n'ont aucune raison de rendre compte des événements, mais elles montrent l'année suivante la communauté de Tardets protester de son innocence: ses habitants n'ont pas pris part à la révolte, ils ont au contraire souffert d'avoir à loger les rebelles, ils ne demandent donc pas à être inclus dans l'amnistie, mais pour montrer qu'ils obéissent aux ordres, ils sont prêts à payer leur quote-part des 4500 livres demandées 26. Ma documentation est si lacunaire jusqu'au moment où commencent, en 1653, 23 II est vrai que le plus souvent une maison ne change pas de nom. II arrive pourtant qu'on surprenne un changement quand un acte donne pour la même maison deux noms reliés par «ou» ou par «anciennement». Si on n'a gardé aucun acte de la période charnière, on court le risque de perdre sa trace et, avec elle, la peine qu'on avait prise pour la suivre jusque là. Or, les noms des bordes risquaient d'être de tous les plus instables. 24 AD 64 III E 1344; AD 64 III E 1865-1866, 1661-1662. 25 J.B.E. Jaurgain, op. cit., p. 279. Jean-Marie Régnier, op. cit., p. 213-219 26 AD 64 III E 1344, 23/04/1662. 662 [10]

LA VIE EN SOULE AU TEMPS D'OIHÉNART les liasses de Barcus, qu'elle ne m'a pas permis d'apporter quoique ce soit de nouveau sur les crises antérieures et en particulier sur celle de 163127. En année normale, on est frappé par le manque de numéraire. On ne paye jamais comptant. On se libère d'une dette en cédant une créance, si bien qu'on arrive à des enchaînements d'une terrible complexité 28. Quand on emprunte pour acheter un attelage ou des marchandises à emporter en Espagne, on peut espérer, grâce à ce petit investissement, gagner de l'argent dans les mois qui suivent, rembourser l'emprunt et en retirer un petit bénéfice ou un petit capital désormais libre de dettes. Mais il arrive aussi que, pris de court, on emprunte sans espoir de gains pour payer un festin de noce, solder une dot ou rembourser une dette. Quand on emprunte la totalité de la somme nécessaire à l'achat ou au rachat d'une terre, on ne peut pas en attendre un revenu qui excède de beaucoup le taux de l'intérêt légal; on le fait pour la sécurité que donne la terre et pour rétablir l'assise ancienne de sa maison, sans envisager les aspects économiques de l'opération. Dans ce cas, il arrive qu'aucun argent n'apparaisse et que le vendeur semble prêt à se contenter pendant longtemps de toucher les intérêts de la somme stipulée. Un homme29 visiblement aisé, qui laisse des dots très confortables à ses cadettes et une maison acquise par lui à sa deuxième femme, a plein de dettes, petites et moyennes, dont il donne la liste. On ne lui aurait pas prêté tant s'il n'était pas riche. Il est riche mais il n'a pas d'argent. Les minutes notariales sont pleines de reconnaissances de dettes, petites et moyenne, dont on ne donne pas la raison et qui ne correspondent peut-être qu'au manque de numéraire. Ce manque de numéraire s'accompagne d'archaïsme et de maladresse. D'une part, on parle presque toujours en francs bordelais: soixante-quinze livres tournois font cent francs. S'exprimer en francs bordelais n'a pas une grande importance puisque toute la région les connait, que la livre tournois elle-même n'est qu'une monnaie de compte et qu'il n'y a pas de pièces d'une livre. Il existe, il est vrai, des pièces de trois et de six livres mais nous venons de dire que la plupart des transactions font appel au crédit, qu'il y a très peu de pièces en circulation et qu'on peut aussi bien utiliser des pièces espagnoles. Je n'ai vu qu'une seule fois dans mes minutes notariales mentionner une pièce d'or française. Les minutes notariales conservées ont un aspect assez rustique. Le papier n'est pas très bon, la plume non plus. Les lignes sont serrées et irrégulières, les actes sont brefs, exceptée la présentation des personnages, toujours identifiés par leur maison. Il arrive parfois que le notaire se lance dans un long récit [11] 27 Jean-Marie Régnier, op. cit., p. 204. 28 AD 64 III E 1857 31/03/1653 29 AD 64 III E 1071, 1657. 663

LA VIE EN SOULE AU TEMPS D'OIHÉNART<br />

les liasses de Barcus, qu'elle ne m'a pas permis d'apporter quoique ce soit de<br />

nouveau sur les crises antérieures et en particulier sur celle de 163127.<br />

En année normale, on est frappé par le manque de numéraire. On ne<br />

paye jamais comptant. On se libère d'une dette en cédant une créance, si bien<br />

qu'on arrive à des enchaînements d'une terrible complexité <strong>28</strong>. Quand on<br />

emprunte pour acheter un attelage ou des marchandises à emporter en Espagne,<br />

on peut espérer, grâce à ce petit investissement, gagner de l'argent dans les<br />

mois qui suivent, rembourser l'emprunt et en retirer un petit bénéfice ou un<br />

petit capital désormais libre de dettes. Mais il arrive aussi que, pris de court,<br />

on emprunte sans espoir de gains pour payer un festin de noce, solder une<br />

dot ou rembourser une dette. Quand on emprunte la totalité de la somme<br />

nécessaire à l'achat ou au rachat d'une terre, on ne peut pas en attendre un<br />

revenu qui excède de beaucoup le taux de l'intérêt légal; on le fait pour la<br />

sécurité que donne la terre et pour rétablir l'assise ancienne de sa maison,<br />

sans envisager les aspects économiques de l'opération. Dans ce cas, il arrive<br />

qu'aucun argent n'apparaisse et que le vendeur semble prêt à se contenter<br />

pendant longtemps de toucher les intérêts de la somme stipulée. Un homme29<br />

visiblement aisé, qui laisse des dots très confortables à ses cadettes et une<br />

maison acquise par lui à sa deuxième femme, a plein de dettes, petites et<br />

moyennes, dont il donne la liste. On ne lui aurait pas prêté tant s'il n'était<br />

pas riche. Il est riche mais il n'a pas d'argent. Les minutes notariales sont<br />

pleines de reconnaissances de dettes, petites et moyenne, dont on ne donne<br />

pas la raison et qui ne correspondent peut-être qu'au manque de numéraire.<br />

Ce manque de numéraire s'accompagne d'archaïsme et de maladresse.<br />

D'une part, on parle presque toujours en francs bordelais: soixante-quinze<br />

livres tournois font cent francs. S'exprimer en francs bordelais n'a pas une<br />

grande importance puisque toute la région les connait, que la livre tournois<br />

elle-même n'est qu'une monnaie de compte et qu'il n'y a pas de pièces d'une<br />

livre. Il existe, il est vrai, des pièces de trois et de six livres mais nous venons<br />

de dire que la plupart des transactions font appel au crédit, qu'il y a très<br />

peu de pièces en circulation et qu'on peut aussi bien utiliser des pièces<br />

espagnoles. Je n'ai vu qu'une seule fois dans mes minutes notariales mentionner<br />

une pièce d'or française.<br />

Les minutes notariales conservées ont un aspect assez rustique. Le papier<br />

n'est pas très bon, la plume non plus. Les lignes sont serrées et irrégulières,<br />

les actes sont brefs, exceptée la présentation des personnages, toujours identifiés<br />

par leur maison. Il arrive parfois que le notaire se lance dans un long récit<br />

[11]<br />

27 Jean-Marie Régnier, op. cit., p. 204.<br />

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29 AD 64 III E 1071, 1657.<br />

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