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Lucie & Mathilde mènent l'enquête - Agir contre les accidents de la ...

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François Husson<br />

<strong>Lucie</strong> & <strong>Mathil<strong>de</strong></strong><br />

<strong>mènent</strong> l’enquête<br />

Tome 4<br />

Une étoile s’éteint


UNE ÉTOILE<br />

S’ÉTEINT<br />

- Une enquête <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong> & <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> -


le cadre<br />

Deux sexagénaires hors du commun<br />

L’une s’appelle <strong>Lucie</strong>, l’autre <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. Amies<br />

inséparab<strong>les</strong>, el<strong>les</strong> croquent <strong>la</strong> vie à pleines<br />

<strong>de</strong>nts et <strong>mènent</strong> <strong>de</strong> drô<strong>les</strong> d’enquêtes d’un<br />

bout à l’autre <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Leur perspicacité,<br />

leur intrépidité et une franche tendance à ne<br />

jamais se satisfaire <strong>de</strong>s apparences en font<br />

<strong>de</strong> redoutab<strong>les</strong> détectives. El<strong>les</strong> traquent <strong>les</strong><br />

meurtriers ou innocentent <strong>les</strong> faux coupab<strong>les</strong><br />

lors <strong>de</strong> truculentes aventures pleines <strong>de</strong><br />

rebondissements.<br />

<strong>les</strong> personnages<br />

principaux<br />

<strong>Lucie</strong><br />

Jeune veuve résidant à Avallon, <strong>de</strong>ux fois<br />

divorcée, <strong>Lucie</strong>, malgré ces <strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> <strong>de</strong><br />

parcours, reste une fonceuse dotée d’un<br />

optimisme luci<strong>de</strong>. Son intuition, son courage et<br />

son aplomb, ainsi que sa profon<strong>de</strong> humanité,<br />

<strong>la</strong> conduisent souvent à s’intéresser à <strong>de</strong>s<br />

affaires négligées par <strong>la</strong> justice. Jamais à court<br />

<strong>de</strong> ressources pour confondre un criminel ou<br />

innocenter une victime accusée à tort, <strong>Lucie</strong><br />

est accompagnée par son amie <strong>de</strong> toujours,<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. À el<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, el<strong>les</strong> forment un tan<strong>de</strong>m<br />

d’enquêtrices redouté et plein d’humour.<br />

6<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong><br />

Meilleure amie et voisine <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>, fascinée par<br />

ce caractère hors du commun, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> prend<br />

part à toutes <strong>les</strong> enquêtes et soutient <strong>Lucie</strong><br />

quoi qu’il advienne. Esprit cartésien, pleine<br />

<strong>de</strong> bon sens, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> est mariée à Jacques<br />

<strong>de</strong>puis quarante ans. Entre <strong>de</strong>ux enquêtes, elle<br />

coule une vie paisible entourée <strong>de</strong> son mari,<br />

ses enfants et ses petits-enfants.<br />

Jacques Le mari <strong>de</strong> <strong>Mathil<strong>de</strong></strong><br />

Patrice Le fils <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong><br />

7<br />

<strong>les</strong> personnages<br />

secondaires


Chapitre 1<br />

Le père et le fils…<br />

« Toujours en retard, il ne changera jamais »,<br />

pesta <strong>Lucie</strong>. Elle attendait déjà <strong>de</strong>puis une<br />

dizaine <strong>de</strong> minutes <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> gare <strong>de</strong> Paris-<br />

Bercy, sa valise à ses pieds. Elle refusait d’un<br />

bref signe <strong>de</strong> tête <strong>les</strong> avances <strong>de</strong>s chauffeurs<br />

<strong>de</strong> taxi qui maraudaient <strong>de</strong>vant le parvis. Il<br />

faisait un froid <strong>de</strong> canard et elle battait <strong>la</strong><br />

semelle en maudissant Paul, son retardataire<br />

<strong>de</strong> premier mari. Elle était arrivée d’Avallon<br />

par le train du matin, pour passer quelques<br />

jours avec lui, à l’occasion <strong>de</strong>s 40 ans <strong>de</strong> leur<br />

fils Patrice. <strong>Lucie</strong> chercha dans ses souvenirs<br />

<strong>la</strong> date <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière venue ici : « Deux ans<br />

déjà », soupira-t-elle dans un nuage <strong>de</strong> brume<br />

qui s’évanouit aussitôt.<br />

Paris ne lui manquait pas.<br />

Paul ne lui manquait pas beaucoup, même si<br />

le revoir était à chaque fois une idée p<strong>la</strong>isante,<br />

qui se dissolvait parfois rapi<strong>de</strong>ment.<br />

Patrice lui manquait un peu…<br />

Non. Patrice lui manquait beaucoup.<br />

La gare, maintenant, était vi<strong>de</strong>.<br />

Seule dans <strong>les</strong> courants d’air, elle vit arriver<br />

un taxi, qui pi<strong>la</strong> <strong>de</strong>vant elle. Paul en jaillit,<br />

l’embrassa ma<strong>la</strong>droitement en se répandant<br />

8<br />

en excuses inaudib<strong>les</strong>. Il s’empara <strong>de</strong> sa<br />

valise en même temps que le chauffeur, pour<br />

finalement <strong>la</strong>isser à ce <strong>de</strong>rnier le soin <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>cer dans le coffre. Il fit monter <strong>Lucie</strong> dans<br />

le taxi, qui se retrouva nez à nez avec une<br />

jolie femme d’une cinquantaine d’années,<br />

très apprêtée, qui <strong>la</strong> gratifia d’un sourire<br />

faussement enjoué.<br />

- Je te présente Marthe, ma fiancée, dit Paul<br />

en refermant <strong>la</strong> porte.<br />

- Voici donc <strong>la</strong> fameuse <strong>Lucie</strong>, dont Paul<br />

me parle sans cesse ! dit Marthe sur un ton<br />

acidulé qui déplut à <strong>Lucie</strong>. Je suis absolument<br />

ravie <strong>de</strong> vous connaître.<br />

- Moi <strong>de</strong> même, dit <strong>Lucie</strong>, qui n’en pensait pas<br />

un traître mot.<br />

Elle passa le voyage coincée entre Paul, qui<br />

avait incontestablement forci, et sa volubile<br />

fiancée dont elle tentait vainement d’éviter<br />

le contact. <strong>Lucie</strong> s’avoua à regret qu’elle<br />

ressentait une pointe <strong>de</strong> jalousie à l’égard<br />

<strong>de</strong> Marthe, et elle répondait à ses questions<br />

mielleuses avec le minimum syndical <strong>de</strong><br />

politesse.<br />

Paris ne lui manquait vraiment pas.<br />

Son premier mari, <strong>de</strong> moins en moins !<br />

Ils finirent par arriver chez Paul. Marthe resta<br />

dans le taxi, au grand sou<strong>la</strong>gement <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>,<br />

9


qui avait cru un instant qu’elle serait <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

soirée.<br />

- Eh bien, je vous <strong>la</strong>isse en famille. Tu<br />

salueras ton grand fils, que je ne connais pas<br />

encore…<br />

- Merci. Pour une fois qu’il est en France, on<br />

en profitera pour faire <strong>les</strong> présentations…<br />

Tu passes voir ta tante ? <strong>de</strong>manda Paul en<br />

sortant du véhicule.<br />

- Non, j’ai une séance qui est tombée en toute<br />

fin <strong>de</strong> journée, il faut que je <strong>la</strong> prépare. Tu<br />

n’oublies pas notre ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> <strong>de</strong>main ?<br />

- Ne t’inquiète pas. Quand il s’agit <strong>de</strong> toi, je<br />

n’oublie jamais…<br />

<strong>Lucie</strong> s’interdit <strong>de</strong> lever <strong>les</strong> yeux au ciel.<br />

Paul l’aida ensuite à sortir du taxi avant <strong>de</strong><br />

contourner <strong>la</strong> berline au petit trot pour aller<br />

déposer un baiser rapi<strong>de</strong> sur <strong>les</strong> lèvres <strong>de</strong><br />

Marthe. <strong>Lucie</strong> détourna le regard. Le taxi<br />

démarra et s’éloigna enfin. Entre le moment où<br />

il tapa le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte d’entrée et l’arrivée<br />

<strong>de</strong> l’ascenseur, Paul eut le temps d’expliquer<br />

à <strong>Lucie</strong> sa ren<strong>contre</strong> avec Marthe – chez <strong>de</strong>s<br />

amis, <strong>de</strong>s gens charmants, très distingués –<br />

et le métier <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière – le « coaching<br />

image » <strong>de</strong> cadres, pour <strong>les</strong> entraîner à se<br />

tenir correctement <strong>de</strong>vant une caméra.<br />

- Marthe déboîte, dans ce job !<br />

10<br />

- Elle quoi ?<br />

- Elle déboîte… C’est une expression <strong>de</strong>s gens<br />

<strong>de</strong> l’image, <strong>de</strong> <strong>la</strong> télé, du cinéma, qui signifie<br />

qu’elle est au top, qu’elle assure !<br />

<strong>Lucie</strong> réprima un commentaire, se forçant à<br />

ne pas penser que Paul était complètement<br />

ridicule. Elle n’y parvint qu’à moitié.<br />

Il occupait <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s décennies le même<br />

appartement cossu du VII e arrondissement,<br />

où <strong>Lucie</strong> et lui avaient vécu <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers<br />

temps <strong>de</strong> leur mariage. Seule <strong>la</strong> décoration<br />

avait changé, et <strong>la</strong> vue sur <strong>la</strong> tour Eiffel était<br />

toujours aussi saisissante. Le soir tombait ;<br />

<strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Dame <strong>de</strong> fer se mit à crépiter dans<br />

un scintillement d’ampou<strong>les</strong>, puis s’embrasa<br />

totalement. Les illuminations <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s fêtes donnaient à <strong>la</strong> star <strong>de</strong> l’exposition<br />

universelle <strong>de</strong> 1889 une c<strong>la</strong>sse « so Paris »<br />

qui fit définitivement oublier à <strong>Lucie</strong> <strong>la</strong> courte<br />

séquence avec Marthe.<br />

Après une douche bienvenue, elle s’était<br />

confortablement installée dans le canapé <strong>de</strong><br />

cuir très mou. Paul avait glissé sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>tine<br />

un vieux standard <strong>de</strong> jazz que <strong>Lucie</strong> adorait,<br />

Round Midnight, <strong>de</strong> Thelonious Monk,<br />

qui compléta son bien-être. Paul s’agitait.<br />

Apportait <strong>de</strong> petits amuse-bouche, retournait<br />

11


à <strong>la</strong> cuisine pour mettre une bouteille au frais,<br />

faisant une pause <strong>de</strong> temps en temps pour<br />

parler <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien, avant <strong>de</strong> repartir<br />

prestement, l’air ravi.<br />

<strong>Lucie</strong> saisit cet instant comme un rappel du<br />

passé. La générosité <strong>de</strong> Paul était une chose<br />

belle à voir et à vivre. La joie sincère que lui<br />

procurait le fait <strong>de</strong> simplement faire p<strong>la</strong>isir<br />

irradiait l’atmosphère.<br />

Il vint s’asseoir dans le salon. Ils parlèrent<br />

encore <strong>de</strong> choses sans importance, se payant<br />

le luxe <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser quelques b<strong>la</strong>ncs traîner<br />

en longueur sans aucune gêne, autorisant<br />

leurs esprits à dériver dans <strong>de</strong>s directions<br />

différentes. Ils attendaient l’arrivée <strong>de</strong> Patrice.<br />

Ils s’étaient mariés jeunes et avaient eu un<br />

enfant assez rapi<strong>de</strong>ment. Tandis que Paul<br />

gravissait <strong>les</strong> échelons du gros cabinet<br />

comptable qui l’avait embauché, <strong>Lucie</strong> menait<br />

l’existence socialement convenable d’une<br />

épouse au foyer qui s’occupait <strong>de</strong> son fils.<br />

Peu épanouie dans ce rôle passif, elle profita <strong>de</strong><br />

son temps pour reprendre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, et évita<br />

le plus possible <strong>de</strong> fréquenter ses « pairs »,<br />

dont l’activité principale tournait en général<br />

autour <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong> soirées où l’ennui<br />

le disputait à <strong>la</strong> fatuité <strong>de</strong> tira<strong>de</strong>s convenues<br />

et politiquement très, très correctes. Au fil<br />

12<br />

<strong>de</strong>s ans, <strong>les</strong> rapports du couple avaient tiédi.<br />

Paul et <strong>Lucie</strong> ne s’étaient jamais vraiment<br />

disputés, mais s’étaient éloignés l’un <strong>de</strong> l’autre<br />

dans une indifférence bienveil<strong>la</strong>nte, qui avait<br />

fini par <strong>la</strong>sser <strong>la</strong> jeune femme. Paul, <strong>de</strong>venu<br />

cadre supérieur zélé, négligeait son foyer au<br />

profit d’un travail qui avait progressivement<br />

rempli sa vie. Lorsque leur fils Patrice partit<br />

étudier en Californie, <strong>Lucie</strong> se dit qu’il était<br />

temps <strong>de</strong> vivre comme elle l’entendait. Un<br />

soir, au retour d’une <strong>de</strong> ces nombreuses<br />

soirées mondaines qu’elle ne supportait pas,<br />

elle <strong>de</strong>manda calmement le divorce à Paul.<br />

Il en fut surpris, mais il comprit, et accepta<br />

sans chicaner. <strong>Lucie</strong> lui fut reconnaissante <strong>de</strong><br />

leur éviter <strong>les</strong> mesquineries d’une procédure<br />

qui <strong>les</strong> aurait éloignés à jamais. Elle quitta<br />

Paris pour Bor<strong>de</strong>aux, où Paul lui avait trouvé<br />

un poste dans un cabinet comptable. Poste<br />

qu’elle al<strong>la</strong>it abandonner rapi<strong>de</strong>ment pour<br />

entrer dans une banque où elle ne resta pas<br />

plus longtemps, embarquée un peu malgré<br />

elle dans une re<strong>la</strong>tion étrange avec un artiste.<br />

Paul et <strong>Lucie</strong> évoquèrent ensuite le <strong>de</strong>stin<br />

d’amis communs, puis il se mit en tête <strong>de</strong><br />

retrouver quelques vieil<strong>les</strong> photos dans un<br />

p<strong>la</strong>card. <strong>Lucie</strong> l’aida <strong>de</strong> mauvaise grâce,<br />

redoutant <strong>de</strong> se voir en robe longue, vingt<br />

13


ans plus jeune. Paul déplia un escabeau sur<br />

lequel il grimpa prestement, ouvrit un p<strong>la</strong>card<br />

en hauteur, farfouil<strong>la</strong> un instant à tâtons,<br />

avant <strong>de</strong> recevoir sur le crâne trente ans <strong>de</strong><br />

photographies. <strong>Lucie</strong> rigo<strong>la</strong>, tandis que Paul,<br />

confus, endolori et maugréant, s’aperçut<br />

que <strong>les</strong> photos étaient cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong><br />

sa <strong>de</strong>uxième union, ce qui n’ajoutait rien<br />

à sa gloire. Paul, qui s’était remarié peu <strong>de</strong><br />

temps après sa séparation, n’avait tenu<br />

qu’une petite décennie avec cette nouvelle<br />

épouse, qui lui avait fait amèrement regretter<br />

<strong>les</strong> qualités <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>. Depuis son <strong>de</strong>uxième<br />

divorce – particulièrement coûteux –, il goûtait<br />

aux charmes parfois moroses du célibat, et<br />

continuait d’appeler <strong>Lucie</strong> régulièrement,<br />

ne pouvant s’empêcher <strong>de</strong> lui prodiguer ses<br />

encouragements paternalistes, ce que celle-ci<br />

détestait.<br />

En finissant son verre <strong>de</strong> champagne, elle<br />

aborda le sujet qui <strong>la</strong> picotait.<br />

- Alors, cette Marthe, c’est du sérieux ?<br />

- En l’occurrence, je dirais que… oui.<br />

- Tu hésites ?<br />

- C’est-à-dire au départ, c’est ma cliente. Je<br />

m’occupe <strong>de</strong> sa société…<br />

- Et tu as joint l’utile à l’agréable…<br />

- C’est un peu ça, oui. Alors, que penses-tu<br />

14<br />

d’elle ?<br />

- Tu sais, je l’ai à peine vue…<br />

- Pourtant, tu t’es toujours fait une opinion<br />

sur <strong>les</strong> gens en peu <strong>de</strong> temps. Mais merci<br />

<strong>de</strong> ton tact, je comprends, vous n’êtes pas<br />

exactement faites du même bois.<br />

- Disons que <strong>la</strong> fatigue du voyage a pu altérer<br />

mes facultés <strong>de</strong> jugement, mais elle est très,<br />

comment dirais-je… théâtrale.<br />

Paul sourit du choix du terme. Il posa son<br />

verre et se tourna vers elle.<br />

- Tu te souviens <strong>de</strong> ce film qu’on était allés<br />

voir, Fleur d’amour ?<br />

- Oh oui, ça fait un bail… c’est celui avec<br />

Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

- Exactement. Figure-toi que Marthe est sa<br />

nièce.<br />

- Quand je dirai ça à <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>… C’est une fan<br />

inconditionnelle. Mon ex-mari avec sa nièce…<br />

Mais elle doit être très âgée, non ?<br />

- Euh non, Marthe doit avoir 55 ans, se<br />

renfrogna Paul, un peu vexé.<br />

- Non, je te parle <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

- Ah oui, pardon, elle a environ 85 ans, et elle<br />

ne se porte pas si mal. La tête va bien, mais le<br />

cœur f<strong>la</strong>nche un peu.<br />

- Et c’est sérieux, donc ?<br />

- Ça va, elle se soigne.<br />

15


- Mais non, je te parle <strong>de</strong> ta fiancée…<br />

- Ah ! Elle ? Oui, je pense.<br />

- Tu penses, se moqua <strong>Lucie</strong>.<br />

- Si, si, on a parlé mariage, mais rien ne<br />

presse. Pour l’instant, on se fréquente…<br />

- Quel joli mot ! Il veut tout et rien dire.<br />

Paul fut sauvé par <strong>la</strong> sonnerie <strong>de</strong> l’interphone.<br />

Patrice entra dans l’appartement et embrassa<br />

ses parents. Une fois posé, il leur offrit <strong>de</strong>ux<br />

ca<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> Tokyo, d’où il arrivait juste : un<br />

lecteur MP3 vraiment miniature pour Paul,<br />

et un appareil photo numérique minuscule,<br />

mais qui faisait <strong>de</strong>s images d’une qualité<br />

ahurissante pour <strong>Lucie</strong>. Ses parents, ravis,<br />

lui offrirent en retour un ca<strong>de</strong>au commun :<br />

une veste en cuir, idéale pour <strong>les</strong> pays où il ne<br />

fera ni trop chaud ni trop froid, p<strong>la</strong>isantèrentils.<br />

Ils passèrent à table, car il était déjà tard. Paul<br />

ne cuisinant pas vraiment, il avait commandé<br />

chez un traiteur un bel assortiment <strong>de</strong> petits<br />

p<strong>la</strong>ts, hors <strong>de</strong> prix mais délicieux. Au cours du<br />

repas, <strong>la</strong> conversation tourna essentiellement<br />

autour du travail <strong>de</strong> Patrice, que <strong>Lucie</strong> ne<br />

comprenait pas toujours, sauf qu’il était<br />

à longueur d’année aux quatre coins du<br />

mon<strong>de</strong> pour former <strong>les</strong> clients <strong>de</strong> sa société<br />

aux subtilités <strong>de</strong>s logiciels qu’elle mettait au<br />

16<br />

point.<br />

Elle l’envia en apprenant qu’il repartait pour<br />

Dubaï dès le len<strong>de</strong>main, alors qu’il faisait si<br />

froid à Paris cet hiver. Dès <strong>la</strong> fin du repas,<br />

Patrice leva le camp, victime d’un accès<br />

<strong>de</strong> fatigue dû au déca<strong>la</strong>ge horaire. <strong>Lucie</strong> le<br />

remercia <strong>de</strong> lui prêter son appartement, où<br />

elle <strong>de</strong>vait accueillir son amie <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui en<br />

profitait pour passer un peu <strong>de</strong> temps à Paris<br />

et aller voir ses petits-enfants, en évitant <strong>la</strong><br />

fatigue <strong>de</strong> s’installer chez eux.<br />

- Tu veux que j’appelle un taxi ? <strong>de</strong>manda<br />

Paul. On a un abonnement…<br />

- Merci, le coupa Patrice, mais je vais profiter<br />

du métro parisien. Il me manque.<br />

17


Chapitre 2<br />

Surdose fatale<br />

<strong>Lucie</strong> avait dormi chez Paul, dans <strong>la</strong> chambre<br />

d’amis qui avait été autrefois celle <strong>de</strong> Patrice.<br />

Le matin, elle fut réveillée par un grand bruit.<br />

Se levant précipitamment, elle enfi<strong>la</strong> son<br />

peignoir et se rendit dans <strong>la</strong> chambre <strong>de</strong> Paul,<br />

qui avait glissé sur le parquet avec ses vieux<br />

chaussons. <strong>Lucie</strong> le releva tant bien que mal.<br />

Paul souffrait, mais il était surtout furieux <strong>de</strong><br />

cette chute stupi<strong>de</strong>. Sa jambe gauche était<br />

partie en avant et il s’était affaissé en tordant<br />

<strong>la</strong> jambe droite. <strong>Lucie</strong> essaya en vain <strong>de</strong><br />

joindre un taxi, pendant que Paul s’habil<strong>la</strong>it<br />

avec difficulté. Il lui donna alors un numéro<br />

spécial, expliquant le système d’abonnement<br />

qu’utilisait Marthe. Quelques minutes plus<br />

tard, ils étaient dans une confortable berline<br />

grise, qui fi<strong>la</strong> rapi<strong>de</strong>ment en direction <strong>de</strong><br />

l’hôpital. Paul tenta <strong>de</strong> joindre Marthe pour<br />

lui expliquer <strong>la</strong> situation.<br />

- Non, ne te dérange pas, <strong>Lucie</strong> s’occupe <strong>de</strong><br />

moi… Mais non, mais non… Mais si, mais si,<br />

j’ai aussi besoin <strong>de</strong> toi, bien sûr, bisous.<br />

<strong>Lucie</strong> leva <strong>les</strong> yeux au ciel <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mièvrerie<br />

presque ado<strong>les</strong>cente <strong>de</strong> Paul.<br />

Aux urgences, comme leur nom ne l’indiquait<br />

18<br />

pas, on patienta, et patienta encore, puis Paul<br />

fut embarqué sur un brancard. Diagnostic :<br />

une entorse. Soin : un strap bien serré<br />

pendant quinze jours. Lorsqu’ils ressortirent,<br />

Marthe venait à leur ren<strong>contre</strong>. Elle <strong>de</strong>manda<br />

<strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Paul, mais elle semb<strong>la</strong>it<br />

nerveuse et préoccupée, consultant sans<br />

cesse son portable discrètement. Quand il<br />

sonna, elle regarda le nom <strong>de</strong> l’appe<strong>la</strong>nt, et<br />

tressaillit.<br />

- Oui, Agnès, bonjour… Quoi ?<br />

Marthe eut une mine catastrophée.<br />

- Mais vous avez appelé le SAMU ? Ils sont<br />

là ? J’arrive…<br />

Elle raccrocha, et dit d’une voix b<strong>la</strong>nche :<br />

- C’est Ma<strong>de</strong>leine. Elle… elle ne respire plus.<br />

C’est affreux, Ma<strong>de</strong>leine est morte… Agnès<br />

l’a découverte inanimée, elle a appelé <strong>les</strong><br />

secours.<br />

Ils ordonnèrent au chauffeur <strong>de</strong> se rendre<br />

directement chez Ma<strong>de</strong>leine, une maison<br />

située dans une impasse privée du<br />

XVI e arrondissement, près du Trocadéro. Ils<br />

entrèrent par un petit jardin dans une bâtisse<br />

<strong>de</strong> p<strong>la</strong>in-pied couverte <strong>de</strong> lierre. Marthe <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>vançait, courant presque, et <strong>Lucie</strong> resta<br />

en arrière pour soutenir Paul, qui boitait. En<br />

entrant, <strong>Lucie</strong> fut impressionnée par le séjour,<br />

19


visiblement aménagé par un décorateur<br />

<strong>de</strong> cinéma. Sur p<strong>la</strong>ce, quelques pompiers,<br />

mé<strong>de</strong>cins et policiers s’affairaient en silence.<br />

<strong>Lucie</strong> vit Marthe accablée, <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>rrière<br />

une jeune fille effondrée sur une chaise.<br />

C’était Agnès, l’aidante <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

Interrogée par un policier, elle s’accusait <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Mme Davin.<br />

- Je lui ai donné <strong>la</strong> même dose que d’habitu<strong>de</strong>,<br />

à <strong>la</strong> même heure… J’aurais dû m’apercevoir…<br />

Elle dormait pourtant, mais j’aurais dû rester<br />

près d’elle… C’est ma faute.<br />

Le policier tenta <strong>de</strong> <strong>la</strong> réconforter, puis<br />

abandonna pour questionner Marthe. <strong>Lucie</strong><br />

entendit <strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> réponses, tandis qu’elle<br />

regardait le mur <strong>de</strong> photos encadrées. Au<br />

milieu <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> tournage <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong><br />

époques, plusieurs portraits d’Agnès faisaient<br />

ressortir un sourire qui était aujourd’hui<br />

absent. Quant à Marthe, elle n’apparaissait<br />

que sur une ancienne photo, qui montrait un<br />

groupe <strong>de</strong> jeunes comédiens sur une petite<br />

scène.<br />

- Oui, elle souffrait du cœur, mais elle<br />

suivait un traitement, expliquait Marthe<br />

machinalement au policier… Non, je n’étais<br />

pas passée <strong>la</strong> voir <strong>de</strong>puis quelques jours…<br />

Le corps <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine fut enfin emporté,<br />

20<br />

et <strong>la</strong> scène se vida. Marthe dit à Agnès <strong>de</strong><br />

rentrer chez elle, puis <strong>de</strong>manda à <strong>Lucie</strong> <strong>de</strong><br />

raccompagner Paul, car elle désirait être un<br />

peu seule.<br />

Ils reprirent le taxi, qui attendait, et <strong>Lucie</strong><br />

instal<strong>la</strong> Paul chez lui. Elle attendit avec lui<br />

<strong>la</strong> réception <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaise rou<strong>la</strong>nte qu’il avait<br />

commandée, puis se rendit chez Patrice.<br />

21


Chapitre 3<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> à Paris<br />

Le len<strong>de</strong>main, <strong>Lucie</strong> se réveil<strong>la</strong> chez son<br />

fils, déjà reparti à l’autre bout du mon<strong>de</strong>.<br />

Elle préparait le repas pour <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui<br />

n’arrivait pas. Prévenue <strong>la</strong> veille du décès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

comédienne, celle-ci en avait été très peinée.<br />

Elle <strong>de</strong>vait arriver ce midi par le train et venir<br />

directement <strong>la</strong> rejoindre. Patrice possédait<br />

un petit loft d’artiste, en haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> butte<br />

Montmartre, avec une vue partielle, mais<br />

superbe, sur Paris. Un lieu <strong>de</strong> passage un<br />

peu impersonnel, estimait cependant <strong>Lucie</strong>,<br />

qui découvrait à chacune <strong>de</strong> ses visites – très<br />

espacées – <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong> divers pays. Des<br />

objets d’art plus que <strong>de</strong>s bibelots. « J’ai un fils<br />

qui a du goût », se dit-elle.<br />

Patrice n’aimait visiblement pas <strong>les</strong> gros<br />

meub<strong>les</strong>, <strong>les</strong> lumières en p<strong>la</strong>fonnier et le<br />

désordre. Chaque objet avait sa p<strong>la</strong>ce attitrée,<br />

du fauteuil installé près <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> baie<br />

vitrée aux tirages d’art accrochés aux murs,<br />

qui représentaient <strong>de</strong>s torses nus d’hommes,<br />

saisis dans <strong>de</strong>s postures très graphiques.<br />

<strong>Lucie</strong> avait investi <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> cuisine<br />

américaine, au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle trônaient<br />

quatre p<strong>la</strong>ques chauffantes à induction que<br />

22<br />

l’on discernait à peine dans <strong>la</strong> continuité du<br />

p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> travail en aluminium brossé. <strong>Lucie</strong><br />

avait souri en ouvrant le frigo américain, qui<br />

ne contenait que du champagne, du saumon,<br />

et quelques cannettes <strong>de</strong> sodas diététiques.<br />

Un appartement <strong>de</strong> célibataire, mais pas<br />

encore <strong>de</strong> vieux garçon…<br />

On sonna. C’était <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. Elle c<strong>la</strong>qua une<br />

bise sur <strong>la</strong> joue <strong>de</strong> son amie, et s’engouffra<br />

dans l’appartement pour se vautrer sur une<br />

chaise.<br />

- Paris est une ville <strong>de</strong> fous, que dis-je, <strong>de</strong><br />

Huns ! Je n’en peux plus. On m’a volé mon<br />

portefeuille dans le train, et à <strong>la</strong> gare, aucun<br />

taxi n’a voulu me prendre sans argent. En<br />

plus, j’ai <strong>la</strong>issé mon portable à Jacques, je ne<br />

pouvais pas te prévenir.<br />

- Mais qu’est-ce que tu as fait ?<br />

- Je n’ai pas osé passer sans ticket dans le<br />

métro. Alors j’ai fait <strong>la</strong> manche, tu te rends<br />

compte, moi faire <strong>la</strong> manche à <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gare <strong>de</strong> Bercy… Évi<strong>de</strong>mment, personne ne<br />

m’a rien donné. Et personne n’a voulu non<br />

plus me prêter son portable pour t’appeler.<br />

- Ma pauvre !<br />

- C’est le cas <strong>de</strong> le dire ! Finalement, je suis<br />

partie à pied, en traînant ma valise et en<br />

<strong>de</strong>mandant mon chemin à tous <strong>les</strong> carrefours.<br />

23


Je pensais que ça me ferait <strong>de</strong> l’exercice,<br />

mais il fait un froid <strong>de</strong> canard ! Au bout<br />

d’une <strong>de</strong>mi-heure <strong>de</strong> marche, j’ai regardé un<br />

p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> bus sous un abri, trouvé celui qui<br />

correspondait vaguement à ce quartier et<br />

m’y suis engouffrée en resquil<strong>la</strong>nt. Moi, une<br />

<strong>contre</strong>venante ! Un cauchemar. Jure que tu<br />

ne le répéteras jamais à Jacques !<br />

- Mais <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>…<br />

- Jure.<br />

- Je jure…<br />

Cette promesse faite, el<strong>les</strong> se mirent à table en<br />

vitesse, et <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> dévora <strong>la</strong> sa<strong>la</strong><strong>de</strong> minceur<br />

<strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>, regrettant <strong>de</strong> ne pas trouver dans<br />

son assiette une potée auvergnate.<br />

Puis el<strong>les</strong> parlèrent <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, incol<strong>la</strong>ble sur <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> son idole,<br />

avait apporté un album très complet – et<br />

diablement lourd – sur l’ancienne star, rempli<br />

<strong>de</strong> coupures <strong>de</strong> presse jaunies. Elle le feuilleta<br />

avec <strong>Lucie</strong>, racontant mille anecdotes sur <strong>la</strong><br />

carrière <strong>de</strong> <strong>la</strong> défunte.<br />

- C’est… enfin c’était une artiste exceptionnelle.<br />

Elle a triomphé au cinéma, au théâtre, mais<br />

elle a aussi connu <strong>de</strong>s drames terrib<strong>les</strong>. Son<br />

mari s’est noyé et, <strong>la</strong> même année, son fils a<br />

péri dans un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> voiture. Du coup<br />

elle a tout arrêté l’année suivante, on ne l’a<br />

24<br />

plus jamais revue. Trente ans <strong>de</strong> carrière, et<br />

puis plus rien ! Tu t’imagines comme nous,<br />

<strong>les</strong> fans, on a été déçus !<br />

Sur une <strong>de</strong>s photos, <strong>Lucie</strong> reconnut Marthe.<br />

- Elle, comme tu sais, c’est sa nièce, commenta<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. La <strong>de</strong>rnière personne <strong>de</strong> sa<br />

famille… Elle a tenté <strong>de</strong> faire carrière comme<br />

actrice, elle a même épousé le producteur <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine, mais elle n’a jamais percé.<br />

<strong>Lucie</strong> avait appris à <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> <strong>les</strong> liens récents<br />

qu’elle avait avec Marthe. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> <strong>la</strong> félicita<br />

d’être si proche <strong>de</strong> quelqu’un <strong>de</strong> connu. <strong>Lucie</strong><br />

haussa <strong>les</strong> épau<strong>les</strong>.<br />

Le len<strong>de</strong>main matin, el<strong>les</strong> prirent le petit<br />

déjeuner en écoutant <strong>la</strong> radio. « La mort,<br />

avant-hier, <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin, â gée <strong>de</strong><br />

quatre-vingt-cinq ans, continue <strong>de</strong> susciter<br />

<strong>de</strong>s hommages unanimes. Cette gran<strong>de</strong><br />

actrice s’était illustrée dans <strong>de</strong> nombreux<br />

films <strong>de</strong>s années 1950, ainsi qu’au théâtre,<br />

décrochant plusieurs hautes récompenses,<br />

avant <strong>de</strong> quitter définitivement <strong>les</strong> p<strong>la</strong>nches<br />

dans <strong>les</strong> années 1980. Le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Culture a ainsi évoqué une gran<strong>de</strong> étoile<br />

qui venait <strong>de</strong> s’éteindre… Ces <strong>de</strong>rnières<br />

années, Ma<strong>de</strong>leine Davin vivait seule dans<br />

25


un hôtel particulier du XVI e arrondissement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> capitale. L’enterrement aura lieu après<strong>de</strong>main,<br />

dans <strong>la</strong> plus stricte intimité, au<br />

cimetière <strong>de</strong> Passy. »<br />

- Ce que ça me rend triste, dit <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>,<br />

éteignant le poste.<br />

- Mais enfin, tu ne <strong>la</strong> connaissais pas<br />

directement.<br />

- C’est tout comme. Une artiste comme ça, on<br />

n’en a pas beaucoup.<br />

<strong>Lucie</strong> débarrassa <strong>la</strong> table et appe<strong>la</strong> Paul<br />

pour prendre <strong>de</strong> ses nouvel<strong>les</strong>. Son pied se<br />

reposait, ce qui n’était pas le cas <strong>de</strong> Marthe.<br />

- Une vraie pile électrique, l’informa-t-il. Elle<br />

prépare l’enterrement, elle s’occupe <strong>de</strong> tout…<br />

- Et ça va ? Elle tient le coup ?<br />

- Oui, elle dit que c’est un acci<strong>de</strong>nt<br />

malheureux, mais elle s’y attendait. Ma<strong>de</strong>leine<br />

était âgée, il fal<strong>la</strong>it se résigner à accepter que<br />

ce<strong>la</strong> arrive un jour.<br />

- Si tu veux, je peux t’accompagner <strong>de</strong>main à<br />

l’enterrement.<br />

- Je n’osais pas te le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, mais ça<br />

m’arrange, en fait. Mais tu ne <strong>de</strong>vais pas voir<br />

ton amie ? Elle est arrivée ?<br />

- Oui, mais elle sera <strong>de</strong> corvée <strong>de</strong> petitsenfants.<br />

Elle en a pour <strong>la</strong> journée, mais<br />

promis, je te <strong>la</strong> présenterai avant qu’elle ne<br />

reparte.<br />

26<br />

Chapitre 4<br />

Requiescat in pace<br />

Ma<strong>de</strong>leine Davin fut inhumée au cimetière <strong>de</strong><br />

Passy le len<strong>de</strong>main, par une froi<strong>de</strong> matinée<br />

d’hiver. Une petite quinzaine <strong>de</strong> personnes à<br />

<strong>la</strong> mine grave se recueil<strong>la</strong>ient dans une salle<br />

mo<strong>de</strong>ste, où reposait le cercueil <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine.<br />

Moyenne d’âge, 75 ans, se dit <strong>Lucie</strong> en<br />

entrant. Elle poussa Paul dans sa chaise<br />

rou<strong>la</strong>nte et l’instal<strong>la</strong> dans <strong>la</strong> travée. Marthe<br />

s’approcha d’eux, en robe haute couture grise<br />

et voilette noire, très élégante. Elle se pencha<br />

vers Paul et l’embrassa fugacement.<br />

<strong>Lucie</strong> présenta ses condoléances à Marthe, qui<br />

l’écoutait à peine, toute à sa douleur. Marthe<br />

<strong>la</strong> remercia vaguement et al<strong>la</strong> réceptionner<br />

le <strong>de</strong>rnier bouquet <strong>de</strong> fleurs. <strong>Lucie</strong> ne se<br />

sentait pas à sa p<strong>la</strong>ce. Elle n’aimait pas <strong>les</strong><br />

enterrements et ne connaissait pas Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin. Elle prévint Paul qu’elle le retrouverait<br />

<strong>de</strong>hors et sortit tandis que Raymond Peyrol<strong>les</strong>,<br />

un vieux comédien qui avait été maintes fois<br />

le partenaire <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine, commençait à lire<br />

une épitaphe pleine <strong>de</strong> tristesse.<br />

À l’extérieur, quelques dizaines <strong>de</strong> badauds<br />

très âgés attendaient, espérant une <strong>de</strong>rnière<br />

vision <strong>de</strong> <strong>la</strong> star enfermée dans son cercueil.<br />

27


Quelques journalistes battaient le pavé,<br />

escomptant peut-être filmer à <strong>la</strong> sortie une<br />

vieille gloire en pleurs. Un peu en retrait,<br />

<strong>Lucie</strong> repéra Agnès, l’aidante <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin. La jeune femme semb<strong>la</strong>it accablée <strong>de</strong><br />

chagrin. <strong>Lucie</strong> s’approcha d’elle et se présenta<br />

à nouveau. Agnès lui adressa un sourire<br />

perdu.<br />

- Mais pourquoi n’entrez-vous pas ? s’étonna<br />

<strong>Lucie</strong>.<br />

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.<br />

Je ne suis pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille et en plus, je ne<br />

crois pas que je pourrais affronter ça.<br />

- Pourquoi ?<br />

- Je me sens responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine. Et puis, avec toutes ces questions<br />

<strong>de</strong>s policiers, je ne sais même plus si j’ai envie<br />

<strong>de</strong> me défendre. Ils m’ont encore convoquée<br />

ce matin. Je ne sais plus quoi leur dire.<br />

Voyant approcher un journaliste f<strong>la</strong>irant<br />

une possible remontée d’informations, <strong>Lucie</strong><br />

saisit Agnès par le bras et l’attira un peu à<br />

l’écart. Agnès lui raconta que Ma<strong>de</strong>leine<br />

l’avait embauchée un peu plus <strong>de</strong> cinq ans<br />

auparavant. À cette époque, Agnès traversait<br />

une pério<strong>de</strong> difficile et Ma<strong>de</strong>leine lui avait<br />

beaucoup apporté.<br />

- Je me suis énormément attachée à elle. C’est<br />

28<br />

une personne qui avait su rester jeune. Elle<br />

écoutait, observait <strong>les</strong> gens autour d’elle. On<br />

<strong>la</strong> présentait comme une star recluse, mais<br />

c’était le contraire, elle était dans <strong>la</strong> vraie vie…<br />

- Et physiquement ?<br />

- Depuis quelques années, elle faiblissait<br />

un peu, bien sûr. Elle <strong>de</strong>venait un peu plus<br />

dépendante, elle était percluse d’arthrite,<br />

malgré <strong>de</strong>s massages réguliers. Elle se<br />

dép<strong>la</strong>çait lentement, mais elle avait vraiment<br />

toute sa tête.<br />

- Mais c’est son cœur qui a lâché ?<br />

- Oui, je ne suis pas infirmière, mais elle<br />

m’avait expliqué. Elle était traitée par <strong>de</strong>s<br />

anticoagu<strong>la</strong>nts. C’est un traitement à long<br />

terme, qui nécessite une prise <strong>de</strong> sang<br />

mensuelle pour être certain d’être dans<br />

<strong>la</strong> bonne posologie, car le médicament<br />

s’administre par <strong>de</strong>mi-cachet, voire par quart<br />

<strong>de</strong> cachet. C’est moi qui le lui donnais, à<br />

heure fixe. Ce<strong>la</strong> faisait <strong>de</strong>s années qu’elle le<br />

prenait, et il n’y a jamais eu <strong>de</strong> problème.<br />

- Elle était âgée, son cœur était faible…<br />

- Elle est morte <strong>de</strong>s suites d’une hémorragie,<br />

ce qui correspondrait soit à un dérèglement<br />

<strong>de</strong> son organisme, soit à une surdose. Là où<br />

je m’en veux, c’est <strong>de</strong> ne pas avoir été là pour<br />

déceler <strong>les</strong> signes annonciateurs.<br />

29


- Quels signes ?<br />

- J’étais très proche d’elle. À force <strong>de</strong> l’assister,<br />

je <strong>de</strong>vinais quand elle al<strong>la</strong>it bien ou mal. En<br />

ce moment, elle était plutôt en bonne santé.<br />

Pour moi, sa mort ne cadre pas avec son état<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers jours, elle me paraît comme<br />

prématurée… mais c’est souvent le cas, m’at-on<br />

dit…<br />

- La mort est toujours prématurée…<br />

Agnès renif<strong>la</strong>, <strong>de</strong>meurant pensive quelques<br />

instants.<br />

- Je restais souvent dormir chez elle, repritelle,<br />

et je <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>is régulièrement. Elle<br />

semb<strong>la</strong>it bien dormir et je n’ai rien vu.<br />

- Vous ne pouviez pas vous douter, quand<br />

même…<br />

- Peut-être, mais mon métier, c’est d’ai<strong>de</strong>r, et<br />

dans ce cas, je n’ai rien fait pour elle.<br />

Elle fondit en <strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> nouveau. <strong>Lucie</strong> ne<br />

savait que dire. Agnès se ressaisit.<br />

- Pardonnez-moi…<br />

<strong>Lucie</strong> secoua <strong>la</strong> tête pour signifier à Agnès<br />

qu’elle comprenait et que cette <strong>de</strong>rnière<br />

pouvait se <strong>la</strong>isser aller avec elle.<br />

- Ma<strong>de</strong>leine, paradoxalement, me remontait<br />

le moral ; elle aimait <strong>la</strong> vie et savait toujours<br />

prendre <strong>les</strong> choses avec fantaisie…<br />

- Vous avez dû vivre <strong>de</strong> bons moments et je<br />

30<br />

suis certaine qu’elle était heureuse <strong>de</strong> passer<br />

ses <strong>de</strong>rnières années avec vous.<br />

Agnès regarda <strong>Lucie</strong> avec gratitu<strong>de</strong>.<br />

- Vous êtes gentille… merci.<br />

L’office était terminé et le cortège se dirigea<br />

vers le caveau. Marthe passa <strong>de</strong>vant Agnès<br />

et <strong>Lucie</strong>, poussant Paul dans son fauteuil.<br />

Agnès eut un mouvement vers Marthe, qui<br />

ne s’arrêta pas, lui adressant un rapi<strong>de</strong> signe<br />

<strong>de</strong> tête qui <strong>la</strong> maintint à distance. <strong>Lucie</strong> en<br />

fut désolée pour Agnès, et un peu choquée.<br />

L’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marthe n’était pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus<br />

gran<strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse. Elle resta un instant avec <strong>la</strong><br />

jeune fille.<br />

- Vous connaissiez bien Marthe, je suppose ?<br />

<strong>de</strong>manda <strong>Lucie</strong>.<br />

- Bien sûr, elle passait souvent voir sa tante.<br />

- Elle ne semble pas vous apprécier.<br />

- Ça doit être dur pour elle, peut-être m’en<br />

veut-elle <strong>de</strong> ne pas l’avoir sauvée… c’est une<br />

chose que je peux très bien comprendre.<br />

- Mais non, ne dites pas ça.<br />

Raymond Peyrol<strong>les</strong> passa <strong>de</strong>vant Agnès, le<br />

visage creusé par <strong>la</strong> tristesse autant que par<br />

ses ri<strong>de</strong>s. Il prit <strong>la</strong> jeune femme dans ses bras,<br />

tandis qu’elle fondait en <strong>la</strong>rmes à nouveau.<br />

Il attendit en silence qu’elle se reprenne, et<br />

l’encouragea d’un sourire en se détachant,<br />

31


avant <strong>de</strong> rejoindre <strong>la</strong> triste procession. Agnès<br />

décida <strong>de</strong> rentrer chez elle, et partit après que<br />

<strong>Lucie</strong> et elle eurent échangé leurs numéros<br />

<strong>de</strong> téléphone.<br />

32<br />

Chapitre 5<br />

Buffet froid<br />

Un buffet sobre, mais très chic, avait été<br />

dressé chez Ma<strong>de</strong>leine Davin. Une quinzaine<br />

<strong>de</strong> personnes avaient rejoint le petit groupe<br />

présent au cimetière. Après l’émotion <strong>de</strong><br />

l’enterrement, une certaine détente réservée<br />

s’instal<strong>la</strong>it et toutes <strong>les</strong> conversations<br />

tournaient naturellement autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> star<br />

disparue. <strong>Lucie</strong> se sentait <strong>de</strong> trop et regardait<br />

Paul, assis dans son fauteuil, près du buffet.<br />

Très à l’aise, son assiette sur <strong>les</strong> genoux, il<br />

mimait <strong>les</strong> circonstances <strong>de</strong> l’acci<strong>de</strong>nt à<br />

un auditoire compatissant, tout en suivant<br />

<strong>de</strong>s yeux Marthe qui passait <strong>de</strong> convive<br />

en convive, très mondaine malgré sa mine<br />

réservée et ses traits tirés. <strong>Lucie</strong> s’éloigna<br />

et déambu<strong>la</strong> dans <strong>la</strong> maison, observant <strong>les</strong><br />

souvenirs <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin exposés sur<br />

<strong>les</strong> murs. Photos, affiches, bibelots, coupures<br />

<strong>de</strong> presse encadrées, lettres <strong>de</strong> metteurs en<br />

scène célèbres, le lieu était un vrai musée.<br />

Ce sera bientôt un mausolée, songea-t-elle<br />

tristement. Elle pensa à <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui aurait<br />

certainement envié sa visite, et vit d’autres<br />

photos d’Agnès accrochées çà et là. Sur<br />

l’une d’el<strong>les</strong>, Agnès posait, souriante, un<br />

33


petit garçon dans <strong>les</strong> bras. <strong>Lucie</strong> revint se<br />

mêler aux convives, s’agaçant malgré elle <strong>de</strong><br />

l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marthe, qui virevoltait parmi <strong>les</strong><br />

invités, f<strong>la</strong>ttée d’être le centre <strong>de</strong>s attentions.<br />

<strong>Lucie</strong> entendit <strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> conversations.<br />

- C’était une gran<strong>de</strong> artiste…<br />

- Généreuse !<br />

- Et surtout, quelle mo<strong>de</strong>stie…<br />

- Je me rappelle <strong>la</strong> fois où elle avait joué, alors<br />

qu’elle était ma<strong>la</strong><strong>de</strong>…<br />

À un autre endroit, mezza voce :<br />

- Pauvre Marthe, elle n’a plus <strong>de</strong> famille,<br />

maintenant…<br />

- Et cette famille, quel drame, déjà avec son<br />

mari…<br />

<strong>Lucie</strong> posa quelques questions polies à<br />

Raymond Peyrol<strong>les</strong>, qui lui apprit le malheur<br />

qui avait déjà frappé Marthe. Son mari était<br />

mort d’une crise cardiaque, <strong>la</strong> <strong>la</strong>issant veuve<br />

<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> vingt ans. Le vieil acteur<br />

estimait que son remariage serait pour elle<br />

une très bonne chose, surtout avec un homme<br />

comme Paul. <strong>Lucie</strong> se rapprocha d’un autre<br />

groupe, posté <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> photos <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine.<br />

- Et tous ces souvenirs, qu’allez-vous en<br />

faire ? <strong>de</strong>manda-t-on à Marthe.<br />

- Je crois que je vais organiser une vente, je<br />

ne veux pas gar<strong>de</strong>r ça, tous ces souvenirs me<br />

34<br />

pèseront trop.<br />

Marthe, sentant une nouvelle présence dans<br />

<strong>la</strong> pièce, se tourna vers un homme qui faisait<br />

son entrée dans le salon.<br />

- Ah ! Maître, merci d’être venu.<br />

Elle fit quelques courtes présentations. C’était<br />

le notaire <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine, un petit homme<br />

sec, plutôt réservé. Marthe le prit à part et<br />

commença une discussion à voix basse. <strong>Lucie</strong><br />

vit le notaire sortir un calepin, puis noter une<br />

date. Elle rejoignit Paul.<br />

- Elle est <strong>la</strong> seule héritière, c’est ça ? lui<br />

<strong>de</strong>manda-t-elle.<br />

- Tout à fait, tu es bien renseignée.<br />

- C’est sûr ?<br />

- Elle a déjà fait <strong>de</strong>s recherches <strong>de</strong>puis<br />

longtemps.<br />

<strong>Lucie</strong> vit alors Marthe décrocher discrètement<br />

quelques photos <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine posant avec<br />

Agnès. Elle se dirigea vers elle.<br />

- On dirait que ce<strong>la</strong> vous gêne <strong>de</strong> voir <strong>les</strong><br />

photos <strong>de</strong> cette personne.<br />

- On ne peut rien vous cacher, ma chère.<br />

<strong>Lucie</strong> se raidit <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> con<strong>de</strong>scendance <strong>de</strong><br />

Marthe, qui enchaîna sans prêter <strong>la</strong> moindre<br />

attention à sa réaction.<br />

- Je n’ai jamais compris <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu’elle<br />

occupait dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> ma tante.<br />

35


- Jalouse ?<br />

Marthe lui adressa un <strong>de</strong>mi-sourire atroce,<br />

accompagné d’un regard qui signifiait qu’une<br />

personne <strong>de</strong> sa condition ne saurait s’abaisser<br />

à être jalouse d’une gar<strong>de</strong>-ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. Elle lâcha<br />

un simple non, <strong>la</strong>pidaire et léger. <strong>Lucie</strong><br />

poursuivit, comme pour elle-même, adoptant<br />

le ton détaché <strong>de</strong> son interlocutrice.<br />

- Pourtant Ma<strong>de</strong>leine gardait <strong>de</strong>s photos<br />

d’elle sur sa commo<strong>de</strong>, et je n’en ai pas vu<br />

beaucoup <strong>de</strong> vous…<br />

- Je vous avouerais que cette personne,<br />

comme souvent <strong>les</strong> gens <strong>de</strong> sa condition, a eu<br />

tendance à s’incruster auprès <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine…<br />

C’est humain.<br />

La suffisance <strong>de</strong> Marthe commençait à taper<br />

sérieusement sur <strong>les</strong> nerfs <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>.<br />

- Vous y allez un peu fort. Si elle n’avait pas<br />

été là, qui aurait pris soin <strong>de</strong> votre tante ?<br />

Vous ? J’ai beaucoup <strong>de</strong> peine à le croire.<br />

- C’était son métier, elle était payée pour ça.<br />

Les aidantes sont là pour… ai<strong>de</strong>r, c’est tout.<br />

Mais pardonnez-moi, je dois raccompagner<br />

M. et Mme Bragard, qui s’en vont.<br />

<strong>Lucie</strong> resta sur p<strong>la</strong>ce, pétrifiée par <strong>la</strong> colère.<br />

Paul, qui avait suivi l’échange <strong>de</strong> loin, lui<br />

<strong>la</strong>nça un sourire narquois en s’approchant.<br />

- Bon, je ne sais pas si tu seras invitée à notre<br />

36<br />

mariage.<br />

- Paul, ta vie ne me regar<strong>de</strong> pas, mais je crois<br />

que tu mérites mieux que cette…<br />

- Cette ?<br />

<strong>Lucie</strong> était en colère et ne parvenait pas à<br />

s’apaiser, elle préféra <strong>la</strong>isser tomber. Paul<br />

enchaîna :<br />

- Je reconnais qu’elle a son caractère, mais le<br />

contexte n’est pas facile, reconnais-le. Marthe<br />

a <strong>de</strong>s côtés très câlins que tu ne soupçonnes<br />

pas.<br />

- Ah oui, quand <strong>la</strong> tigresse rétracte ses<br />

griffes… Bon, il faut que j’aille retrouver<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, je te <strong>la</strong>isse avec ta… fiancée. Tu es<br />

entre <strong>de</strong> bonnes mains…<br />

37


Chapitre 6<br />

Le « J’accuse » <strong>de</strong> Marthe<br />

<strong>Lucie</strong> rentra chez son fils par le service <strong>de</strong><br />

taxi <strong>de</strong> Paul, qu’elle commençait à apprécier.<br />

Elle entra dans l’appartement, tiraillée entre<br />

<strong>la</strong> colère et l’abattement. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> était là.<br />

Elle n’avait pas encore pu aller voir ses petitsenfants,<br />

car elle avait perdu trop <strong>de</strong> temps à<br />

déc<strong>la</strong>rer <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> ses papiers.<br />

- J’ai visité trois commissariats ; à chaque<br />

fois, ce n’était pas le bon. Ensuite, il était trop<br />

tard pour aller chez ma fille. Je suis revenue<br />

ici et j’ai fait <strong>les</strong> courses… Tu par<strong>les</strong> d’une<br />

journée ! Et toi, c’était comment ?<br />

<strong>Lucie</strong> lui raconta l’enterrement, répondant<br />

<strong>de</strong> son mieux à ses mille questions. Puis elle<br />

lui avoua sa dispute avec Marthe, et <strong>les</strong> mots<br />

qu’elle avait eus avec Paul. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> estima<br />

que <strong>les</strong> enterrements remuaient toujours<br />

<strong>les</strong> gens et, avec son bon sens pratique, lui<br />

conseil<strong>la</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser faire <strong>les</strong> choses. Sur ce,<br />

elle passa dans l’espace dédié à <strong>la</strong> cuisine,<br />

et farfouil<strong>la</strong> dans <strong>les</strong> p<strong>la</strong>cards à <strong>la</strong> recherche<br />

d’ustensi<strong>les</strong> pour préparer le repas. <strong>Lucie</strong><br />

alluma l’ordinateur <strong>de</strong> Patrice et envoya un<br />

mail à son fils, qui <strong>de</strong>vait déjà dormir à cette<br />

heure. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> éplucha quelques légumes.<br />

38<br />

Séparées par le muret <strong>de</strong> béton lisse qui<br />

délimitait <strong>la</strong> cuisine et le séjour, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

amies restèrent silencieuses.<br />

- Tu es jalouse, en fait.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> avait presque crié pour se faire<br />

entendre <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>, qui tapotait sur le c<strong>la</strong>vier à<br />

l’autre bout du loft. <strong>Lucie</strong> haussa <strong>les</strong> épau<strong>les</strong><br />

sans répondre.<br />

- Et puis, souviens-toi ce que tu m’avais<br />

dit, poursuivit <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. Le jour où tu t’es<br />

remariée avec Serge, Paul faisait <strong>la</strong> tête. C’est<br />

un peu normal, non ?<br />

<strong>Lucie</strong> s’approcha <strong>de</strong> son amie, contourna le<br />

muret d’aluminium brut qui faisait office <strong>de</strong><br />

bar, et commença à mé<strong>la</strong>nger <strong>les</strong> légumes<br />

qui risso<strong>la</strong>ient dans une sauteuse. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong><br />

respecta son silence.<br />

- Dis donc, ton fils, il n’est pas trop équipé<br />

pour cuisiner. J’ai eu un mal <strong>de</strong> chien à<br />

trouver quelque chose <strong>de</strong> décent pour faire<br />

ma fameuse potée <strong>de</strong> légumes.<br />

- Bon d’accord, tu as raison, une fois <strong>de</strong> plus,<br />

avoua <strong>Lucie</strong>.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> sourit.<br />

- Et toi aussi, tu te remarieras, ajouta-t-elle.<br />

- Mais non !<br />

- Mais si !<br />

El<strong>les</strong> firent <strong>la</strong> paix en se mettant à table.<br />

39


<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> mangea en silence, tout en regardant<br />

<strong>les</strong> photos <strong>de</strong> nus masculins qui lui faisaient<br />

face.<br />

- Dis voir, dit-elle au bout d’un moment, je<br />

peux te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelque chose ?<br />

- Bien sûr, répondit <strong>Lucie</strong>.<br />

- Tu ne te vexeras pas ?<br />

- Non, vas-y.<br />

- Bon, d’accord… Patrice, ton fils, tu t’es déjà<br />

<strong>de</strong>mandé pourquoi il n’avait pas d’enfants ?<br />

- Oui, mais tu as vu <strong>la</strong> vie qu’il mène.<br />

Comment veux-tu qu’il fon<strong>de</strong> une famille ?<br />

- Tu ne t’es jamais dit que c’était parce<br />

que… euh… parce qu’il n’aimait pas trop <strong>les</strong><br />

femmes ?<br />

<strong>Lucie</strong> regarda <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, <strong>de</strong>venue écar<strong>la</strong>te.<br />

- Patrice ? Homosexuel ?<br />

- Non, je n’ai pas dit ça… enfin, je l’ai dit sans<br />

le dire.<br />

- Je ne me le suis jamais <strong>de</strong>mandé. Pourquoi<br />

tu penses ça ?<br />

- Ben, tu vois, son appartement est bien<br />

rangé, il a <strong>de</strong> beaux habits, et il y a toutes<br />

ces photos, là. Ça fait quand même… enfin,<br />

tu vois ce que je veux dire, quoi…<br />

<strong>Lucie</strong> éc<strong>la</strong>ta <strong>de</strong> rire.<br />

- Tout ça ne veut rien dire. Patrice a toujours<br />

été très organisé, et <strong>les</strong> photos, c’est <strong>de</strong> l’art,<br />

40<br />

ça peut être une déco à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>…<br />

- Quand même…<br />

- De toute façon, s’il est heureux, c’est le<br />

principal. Ça ne me dérangerait pas.<br />

Le len<strong>de</strong>main matin, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> partit chez sa<br />

fille et <strong>Lucie</strong> se rendit chez Paul en métro.<br />

Penau<strong>de</strong>, elle s’excusa d’avoir critiqué Marthe<br />

si vertement, surtout dans le contexte <strong>de</strong><br />

l’enterrement. Paul ba<strong>la</strong>ya l’autocritique d’un<br />

sourire et lui proposa un thé. <strong>Lucie</strong> entendit<br />

alors <strong>de</strong>s bribes étouffées <strong>de</strong> conversation.<br />

Marthe par<strong>la</strong>it très fort dans <strong>la</strong> pièce<br />

adjacente.<br />

- Marthe essaie <strong>de</strong> régler quelques problèmes<br />

avec son avocat, expliqua Paul. Elle est dans<br />

mon bureau et elle analyse <strong>la</strong> comptabilité <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine.<br />

- Ma<strong>de</strong>leine était aussi ta cliente ?<br />

- Oh, je rendais service…<br />

- Ça a l’air <strong>de</strong> bien l’énerver <strong>de</strong> compter ses<br />

sous… Oh pardon, je recommence à être<br />

méchante…<br />

- Eh bien, tu ne crois pas si bien dire. Disons<br />

que Marthe est un peu déçue <strong>de</strong>s dispositions<br />

testamentaires <strong>de</strong> sa tante.<br />

- Déshéritée ?<br />

- On le dirait. Elle est assez furieuse.<br />

41


- Elle n’hérite pas ? De rien ?<br />

- Eh bien… a priori, non !<br />

- C’est ça qui <strong>la</strong> met dans cet état ?<br />

- Eh oui !<br />

- Pourtant, elle n’a pas l’air <strong>de</strong> manquer<br />

d’argent…<br />

- Les apparences sont parfois trompeuses.<br />

Marthe est quelque peu dépensière…<br />

- Mais son mari <strong>de</strong>vait être très riche, non ?<br />

Je suis désolée <strong>de</strong> dire ça, mais ça <strong>de</strong>vrait<br />

aller, tout <strong>de</strong> même ?<br />

- À vrai dire, son capital a plus que fondu et,<br />

pour ce que j’en sais, ses finances ne sont pas<br />

au mieux.<br />

Paul servit le thé. <strong>Lucie</strong> observa en souriant<br />

son rituel. Paul agrémentait toujours son<br />

infusion d’une cuillerée <strong>de</strong> miel liqui<strong>de</strong>,<br />

qu’il <strong>la</strong>issait couler en minces filets dorés,<br />

fasciné comme un enfant par <strong>les</strong> arabesques<br />

éphémères qui se dissolvaient dans le liqui<strong>de</strong><br />

fumant.<br />

- Mais je ne t’ai pas dit le pire, reprit-il en<br />

touil<strong>la</strong>nt sa boisson. Agnès vient <strong>de</strong> l’appeler.<br />

Elle était convoquée par le notaire, elle aussi.<br />

- Non ?<br />

- Alors elle y est allée et elle a appelé Marthe<br />

en sortant. La petite était sous le choc !<br />

- Pourquoi ?<br />

42<br />

- Parce que c’est elle qui hérite <strong>de</strong> tout !<br />

- Incroyable ! Je comprends mieux que Marthe<br />

soit <strong>de</strong>venue folle.<br />

- Pas si folle que ça. Elle a assez vite réagi.<br />

Elle est persuadée qu’Agnès a fait exprès<br />

<strong>de</strong> lui donner plus <strong>de</strong> médicaments qu’il ne<br />

fal<strong>la</strong>it.<br />

- Quoi ?<br />

- Oui, elle l’accuse, et veut porter p<strong>la</strong>inte pour<br />

homici<strong>de</strong> volontaire, et avec préméditation, ou<br />

un truc <strong>de</strong> ce genre. Elle tente <strong>de</strong> construire<br />

un p<strong>la</strong>n d’attaque avec son avocat, mais pour<br />

l’instant ils ne savent pas ce qu’ils vont faire.<br />

- Et t’y crois, à ça ?<br />

- Oh moi, tu sais, je n’ai pas d’avis. Je crois<br />

qu’elle fait une réaction irrationnelle. Ça ne<br />

doit pas être facile à encaisser.<br />

- En tout cas, <strong>la</strong> situation a l’air <strong>de</strong> t’amuser.<br />

- On peut dire ça comme ça, sourit Paul.<br />

- Tu vois, c’est ça qui m’énervait chez toi, fit<br />

<strong>Lucie</strong>. Cette façon <strong>de</strong> tout prendre à <strong>la</strong> légère,<br />

c’est super agaçant.<br />

- Ah ah ! Dans <strong>de</strong>ux minutes, je sens que tu<br />

vas prendre <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> Marthe.<br />

Alors que <strong>Lucie</strong> al<strong>la</strong>it répondre, Marthe surgit<br />

comme une bombe. Saluant à peine <strong>Lucie</strong>,<br />

elle s’adressa à Paul.<br />

- Ça y est, je suis certaine que cette Agnès a<br />

43


tué ma tante. Je peux le prouver !<br />

Paul et <strong>Lucie</strong> regardèrent Marthe avec <strong>de</strong>s<br />

yeux ronds.<br />

- L’appât du gain, forcément, poursuivit<br />

Marthe. Mais tu vois, il y a <strong>de</strong>s lois, en<br />

France. Nul ne peut réc<strong>la</strong>mer l’héritage d’une<br />

personne qu’il a assassinée. Comme Agnès a<br />

tué Ma<strong>de</strong>leine, elle ne pourra pas hériter.<br />

- Elle semb<strong>la</strong>it l’adorer, pourtant, fit<br />

doucement Paul.<br />

- Elle adorait son argent, c’est ça que je pense.<br />

- Une minute, intervint <strong>Lucie</strong>. Tout <strong>de</strong> même,<br />

c’est une accusation grave.<br />

- Oui, mais je ne sors pas ça à <strong>la</strong> légère.<br />

- Enfin, <strong>les</strong> policiers l’ont interrogée, ils n’ont<br />

rien trouvé <strong>de</strong> suspect, et si le mé<strong>de</strong>cin légiste<br />

a bien constaté une surdose, ça ne veut pas<br />

dire que c’est un meurtre.<br />

- Je ne suis pas d’accord… s’il y a surdose,<br />

c’est qu’on lui en a fait prendre trop. C’est<br />

donc criminel. Les policiers pensent que<br />

Ma<strong>de</strong>leine aurait par mégar<strong>de</strong> pris un <strong>de</strong>micachet<br />

sans prévenir Agnès, qui lui en aurait<br />

donné une autre moitié. Je n’y crois pas.<br />

- Pourtant, <strong>la</strong> police, elle, semble y croire,<br />

objecta <strong>Lucie</strong>.<br />

Marthe eut un bref soupir <strong>de</strong> doute, et ajouta :<br />

- Selon moi, il faut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à qui profite<br />

44<br />

le crime. Déjà, j’avais bien senti qu’elle<br />

s’incrustait. Elle a dû travailler ma tante au<br />

corps, se rendre indispensable, lui raconter<br />

un film, jouer <strong>la</strong> pauvresse. Elle a vu sa<br />

chance et l’a saisie. Et Ma<strong>de</strong>leine a accepté le<br />

scénario.<br />

- Mais Ma<strong>de</strong>leine ne se serait pas <strong>la</strong>issé faire.<br />

Elle n’était pas sénile.<br />

- Ma tante faiblissait, ces <strong>de</strong>rniers temps.<br />

- Mais le testament, elle l’avait fait quand ?<br />

<strong>de</strong>manda <strong>Lucie</strong><br />

Marthe s’arrêta.<br />

- En fait, elle l’avait fait établir il y a <strong>de</strong>ux ans,<br />

avoua-t-elle.<br />

- Et il y a <strong>de</strong>ux ans, comment était-elle ?<br />

- Pareil. J’ai toujours pensé que ma tante<br />

n’avait pas toute sa tête. En tout cas, je ne<br />

vais pas me <strong>la</strong>isser faire…<br />

Paul, qui voyait se profiler <strong>les</strong> vrais ennuis,<br />

tenta <strong>de</strong> calmer le jeu.<br />

- Mais tu ne peux pas aller trouver <strong>la</strong> police et<br />

leur dire ça comme ça, c’est grave…<br />

- C’est lumineux. Elle hérite <strong>de</strong> tout, elle était<br />

sur p<strong>la</strong>ce, il lui était facile <strong>de</strong> faire boire ce<br />

médicament à Ma<strong>de</strong>leine. Déjà, elle était en<br />

train <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r son compte. J’ai bien épluché<br />

<strong>la</strong> comptabilité <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine ; elle a fait virer<br />

à Agnès environ dix mille euros sur <strong>de</strong>ux ans,<br />

45


en toute discrétion, par petites touches… À<br />

moins qu’Agnès ne se soit servie elle-même,<br />

en manipu<strong>la</strong>nt ma tante !<br />

- Tout <strong>de</strong> même !<br />

- On peut le prouver, il arrivait qu’on lui<br />

rembourse <strong>de</strong>s frais, mais là, il y en a pour<br />

beaucoup. Vous savez, <strong>de</strong>s gens comme cette<br />

femme, quand ils sentent qu’ils tiennent une<br />

vieille personne dépendante, ils n’hésitent<br />

pas.<br />

- Mais vous ne vous en êtes pas aperçue ?<br />

- Non, j’aidais ma tante sur quelques papiers,<br />

<strong>les</strong> remboursements <strong>de</strong> mutuelle, et Paul<br />

surveil<strong>la</strong>it ses p<strong>la</strong>cements, je n’étais pas<br />

dans <strong>les</strong> détails. Mais j’aurais dû m’en douter<br />

quand elle a pris <strong>la</strong> bague…<br />

- Quelle bague ?<br />

- Un petit diamant. Je n’avais pas accordé<br />

d’importance à ce détail mais, il y a six mois,<br />

quand je suis passée chez ma tante, j’ai vu<br />

qu’Agnès portait une <strong>de</strong> ses bagues. Quand<br />

elle a vu que je regardais le bijou, elle l’a<br />

retiré. Elle était un peu gênée. J’en ai parlé<br />

à Ma<strong>de</strong>leine peu après, et elle m’a dit qu’elle<br />

ne se souvenait pas <strong>de</strong> ce bijou. Mais ma<br />

tante aussi semb<strong>la</strong>it un peu fausse, en me<br />

répondant.<br />

<strong>Lucie</strong> tergiversa, trouvant l’argument un peu<br />

46<br />

maigre.<br />

- Il ne faut pas vous tromper : si elle est<br />

innocente, c’est terrible <strong>de</strong> l’accuser. Et si<br />

elle est coupable, il faut <strong>la</strong> confondre, car je<br />

suppose qu’elle a bien préparé son coup. Les<br />

policiers ne l’ont pas inquiétée.<br />

- C’est vrai, renchérit Paul. Que faire ?<br />

<strong>Lucie</strong> ne dit rien.<br />

Marthe s’assit lour<strong>de</strong>ment dans le canapé, et<br />

mit ses mains sur sa figure, l’air très abattu.<br />

Paul eut un mouvement vers elle.<br />

- Je ne sais pas quoi faire, c’est horrible,<br />

soupira-t-elle. Je crois que je dois aller voir <strong>la</strong><br />

police et porter p<strong>la</strong>inte, non ? Qu’en pensestu,<br />

Paul ?<br />

- Eh bien, peut-être que…<br />

- Le mieux, le coupa <strong>Lucie</strong> énergiquement,<br />

c’est d’aller trouver cette personne. Je lui ai<br />

parlé avant-hier, je peux tenter d’en savoir<br />

plus.<br />

- Bonne idée, dit Paul en attendant<br />

l’approbation <strong>de</strong> Marthe. En plus, tu peux<br />

vraiment faire confiance à l’intuition <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>.<br />

Marthe capitu<strong>la</strong>, et accepta d’attendre que<br />

<strong>Lucie</strong> questionne Agnès pour évaluer son<br />

hypothèse.<br />

47


Chapitre 7<br />

Sombre scénario<br />

<strong>Lucie</strong> rentra chez Patrice dans un état <strong>de</strong><br />

perplexité avancé. Elle fut heureuse d’y<br />

retrouver <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui l’attendait déjà,<br />

revenue plus tôt que prévu pour échapper à<br />

l’épidémie <strong>de</strong> gastro-entérite qui avait frappé<br />

<strong>la</strong> maisonnée <strong>de</strong> sa fille.<br />

- Je n’en reviens pas, expliqua <strong>Lucie</strong>, on a<br />

une gentille fille qui aurait occis Ma<strong>de</strong>leine, et<br />

<strong>la</strong> méchante qui serait <strong>la</strong> victime flouée. C’est<br />

le mon<strong>de</strong> à l’envers…<br />

- Ah, tu vois, tu peux changer d’avis sur <strong>les</strong><br />

gens.<br />

- Je ne change pas d’avis, cette femme est<br />

antipathique, mais ce n’est pas une raison<br />

pour l’accabler. Peut-être exagère-t-elle par<br />

dépit. Et puis, si cette pauvre artiste a été<br />

tuée, il faut le savoir. Ce serait un meurtre<br />

crapuleux sur une personne sans défense. En<br />

tout cas, je vais m’intéresser un peu à cette<br />

histoire. J’ai ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong>main avec Agnès.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> lui présenta son album <strong>de</strong> photos.<br />

- Tiens, je vais te montrer quelque chose.<br />

Regar<strong>de</strong>, c’est <strong>la</strong> photo du mari <strong>de</strong> Marthe…<br />

- Ah oui, et c’est elle, là, à côté. Elle a un air<br />

pincé. On dirait qu’elle est constipée.<br />

48<br />

- Tu es incorrigible. Mais tu sais ce qu’on<br />

avait dit, à l’époque ?<br />

- Non.<br />

- Qu’il avait été empoisonné. C’était une<br />

méchante rumeur, et tu sais pourquoi ?<br />

- Non.<br />

- En fait, il a produit un film, avec Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin en ve<strong>de</strong>tte, bien sûr. L’histoire tournait<br />

autour d’un meurtre maquillé en acci<strong>de</strong>nt.<br />

Quand il est mort, <strong>les</strong> critiques se sont<br />

souvenus du film, car il meurt <strong>de</strong> <strong>la</strong> même<br />

manière.<br />

- Comment ?<br />

- En fait, dans le film, il y a un empoisonnement<br />

à <strong>la</strong> digitaline, ça provoque un arrêt du cœur,<br />

et personne ne pouvait s’en apercevoir, à<br />

l’époque, c’était un poison très discret. Les<br />

gens ont fait le rapprochement… et se sont<br />

mis à cancaner. Les médias, tu sais, déjà à ce<br />

moment-là, ne faisaient pas toujours dans <strong>la</strong><br />

finesse…<br />

<strong>Lucie</strong> feuilleta le cahier <strong>de</strong> <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>,<br />

parcourant quelques manchettes. Des gros<br />

titres dramatiques, <strong>de</strong>s scoops bidon. Une<br />

interview <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine qui jugeait <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

son producteur injuste et brutale. Interrogée<br />

sur <strong>la</strong> rumeur, elle déc<strong>la</strong>rait que <strong>la</strong> fiction et <strong>la</strong><br />

réalité étaient <strong>de</strong>ux choses différentes, avant<br />

49


<strong>de</strong> mettre fin à l’interview. S’ensuivait un<br />

commentaire sur le mystère <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d’un<br />

homme en bonne santé. Elle tomba ensuite<br />

sur une interview <strong>de</strong> Marthe, qui déc<strong>la</strong>rait :<br />

« Je sais ce que <strong>les</strong> gens pensent : à qui profite<br />

le crime ? Mais, il n’y a pas <strong>de</strong> crime, il y a<br />

juste un drame, et <strong>les</strong> gens ont trop exagéré<br />

cette histoire… »<br />

- « À qui profite le crime ? », répéta <strong>Lucie</strong> à<br />

voix haute.<br />

- Hein ? Qu’est-ce que tu dis ?<br />

- Marthe accuse Agnès. Si Agnès est coupable,<br />

alors elle perd l’héritage, et donc Marthe<br />

hérite.<br />

- Ça, c’est ce que Marthe espère, mais il faut<br />

prouver qu’Agnès est une criminelle.<br />

- Oui, mais écoute ça, c’est juste une<br />

hypothèse. Pourquoi Marthe a-t-elle pensé<br />

immédiatement au meurtre ? Parce qu’elle<br />

savait que Ma<strong>de</strong>leine n’était pas morte<br />

naturellement. Elle l’a affirmé haut et fort.<br />

À mon avis, Marthe a tué Ma<strong>de</strong>leine pour<br />

hériter, mais elle ignorait qu’Agnès était<br />

héritière. Maintenant, sa seule chance est<br />

d’accuser Agnès, qu’elle déteste, et comme<br />

elle sait que Ma<strong>de</strong>leine a été assassinée, elle<br />

sent qu’elle peut <strong>la</strong> faire condamner.<br />

- Il y a quand même cette histoire d’argent<br />

50<br />

donné à Agnès, ça ne p<strong>la</strong>i<strong>de</strong> pas en sa faveur.<br />

- C’est vrai. Mais si l’on applique <strong>la</strong> logique<br />

qu’elle applique vis-à-vis d’Agnès, on pourrait<br />

tout à fait envisager que ce soit Marthe qui ait<br />

tué sa tante…<br />

- Soit, tu as <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> ne pas aimer<br />

cette femme, mais là, tu élucubres, estima<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>. D’habitu<strong>de</strong>, <strong>les</strong> rumeurs, tu <strong>les</strong><br />

pourfends.<br />

- J’utilise mon droit à <strong>la</strong> contradiction. Tu<br />

sais ce qu’on dit, ajouta <strong>Lucie</strong> pour choquer<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> : il n’y a pas <strong>de</strong> fumée sans feu…<br />

- C’est va<strong>la</strong>ble pour <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux suspectes ! Tu<br />

construis un scénario qui t’arrange bien.<br />

- Tu as raison… reconnut son amie. Qui<br />

croire ?<br />

<strong>Lucie</strong> al<strong>la</strong> se doucher pendant que <strong>Mathil<strong>de</strong></strong><br />

préparait le dîner. Quand elle revint, <strong>les</strong><br />

cheveux mouillés et en peignoir, elle semb<strong>la</strong>it<br />

reposée, moins soucieuse.<br />

- Dis voir, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, si tu aimes tant le cinéma,<br />

ça ne t’a jamais parlé, <strong>de</strong> jouer un rôle ?<br />

- Oh, mais j’ai déjà joué !<br />

- Ah bon ?<br />

- C’était il y a vingt-cinq ans, j’ai tenu le rôle<br />

<strong>de</strong> Chimène dans Le Cid. J’étais un peu vieille<br />

pour le personnage, mais Rodrigue avait<br />

quinze ans <strong>de</strong> plus que moi ! On s’est éc<strong>la</strong>tés !<br />

51


- Tu as joué dans un théâtre ?<br />

- Sur une estra<strong>de</strong>, <strong>de</strong>vant quarante<br />

pensionnaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> retraite <strong>de</strong><br />

ma mère. Un succès énorme. Dommage,<br />

personne n’a filmé ça.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> rigo<strong>la</strong>it. <strong>Lucie</strong>, atterrée, <strong>la</strong> regardait<br />

en secouant <strong>la</strong> tête.<br />

- En tout cas, si quelqu’un m’embauche, je<br />

signe !<br />

52<br />

Chapitre 8<br />

L’héritière en questions<br />

<strong>Lucie</strong> se réveil<strong>la</strong> tôt et fit quelques exercices<br />

d’assouplissement avant <strong>de</strong> déjeuner d’un thé<br />

fort, accompagné <strong>de</strong> toasts qu’elle fit dorer<br />

dans un grille-pain aux lignes si mo<strong>de</strong>rnes<br />

qu’elle l’avait d’abord pris pour un poste <strong>de</strong><br />

radio. Elle quitta le loft en <strong>la</strong>issant un mot<br />

à <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui dormait encore. Grâce à un<br />

itinéraire imprimé à partir d’un site Internet,<br />

elle se rendit chez Agnès, qui vivait en<br />

banlieue. Elle emprunta une rame <strong>de</strong> métro<br />

passablement bondée, s’étonnant qu’aucun<br />

voyageur ne se levât pour lui <strong>la</strong>isser un<br />

siège, avant <strong>de</strong> croiser le regard complice et<br />

résigné d’un vieil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong>bout, qui semb<strong>la</strong>it<br />

avoir assisté <strong>de</strong>puis longtemps à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> politesse. <strong>Lucie</strong> <strong>de</strong>scendit au terminus,<br />

puis monta dans un bus, qui prit <strong>la</strong>rgement<br />

le temps <strong>de</strong> démarrer, et partagea l’espace<br />

secoué avec <strong>de</strong>s ménagères <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète<br />

portant <strong>de</strong> lourds sacs <strong>de</strong> toile remplis <strong>de</strong><br />

courses. Elle arriva enfin à <strong>de</strong>stination, et se<br />

trouva <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> tour où vivait Agnès.<br />

Le terre-plein qu’elle traversa pour atteindre<br />

l’entrée se fissurait par endroits, <strong>la</strong>issant<br />

émerger quelques herbes faméliques et grises<br />

53


qui imploraient <strong>la</strong> lumière. <strong>Lucie</strong> manipu<strong>la</strong><br />

un interphone et une voix crachotante l’invita<br />

à monter au onzième étage. Elle attendit<br />

l’ascenseur encore plus longtemps que le<br />

bus. Il était été réquisitionné par une joyeuse<br />

équipe qui déménageait, et qui s’excusa<br />

bruyamment <strong>de</strong> l’avoir fait attendre. <strong>Lucie</strong><br />

arriva enfin, se disant qu’elle avait du mérite,<br />

mais elle erra encore dans l’interminable<br />

couloir à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte d’Agnès,<br />

tout en profitant en stéréophonie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s<br />

voisins. Elle vit alors sortir une jeune femme<br />

souriante, qu’elle prit <strong>de</strong> loin pour Agnès, et<br />

qui s’avéra être sa sœur. Elle <strong>la</strong> <strong>la</strong>issa entrer<br />

tandis qu’elle-même sortait faire <strong>de</strong>s courses,<br />

tirant un petit garçon dans sa poussette.<br />

Agnès accueillit <strong>Lucie</strong> dans le minuscule<br />

appartement <strong>de</strong> sa sœur, qu’elle partageait<br />

avec elle lorsqu’elle ne dormait pas chez<br />

Ma<strong>de</strong>leine. Les papiers peints avaient besoin<br />

d’un coup <strong>de</strong> neuf, et un vieux téléviseur au<br />

son coupé diffusait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins animés. Agnès<br />

éteignit l’appareil, proposant un thé à <strong>Lucie</strong>,<br />

qui l’accepta volontiers.<br />

- Merci d’avoir consenti à me revoir, fit-elle.<br />

Je vou<strong>la</strong>is prendre <strong>de</strong> vos nouvel<strong>les</strong>.<br />

Agnès se préparait du café dans <strong>la</strong> kitchenette<br />

attenante au séjour.<br />

54<br />

- C’est très gentil à vous. Je vais un peu<br />

mieux.<br />

- J’ai appris également <strong>la</strong> bonne nouvelle.<br />

Ma<strong>de</strong>leine fait <strong>de</strong> vous son héritière ?<br />

- Oui, c’est incroyable. Le notaire m’a dit<br />

qu’elle lui avait <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> ne m’en parler<br />

qu’après sa mort. Je n’en reviens pas. Je ne<br />

sais pas quoi faire, d’ailleurs…<br />

- Pourquoi ?<br />

- Eh bien, je pensais que l’héritage reviendrait<br />

à Marthe. Je l’ai toujours entendue dire ça.<br />

- Apparemment, Ma<strong>de</strong>leine en a décidé<br />

autrement.<br />

- Tout <strong>de</strong> même, je n’ai pas tout compris. Le<br />

notaire m’a parlé <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, <strong>de</strong> titres, ou<br />

d’actions, je ne sais plus. Peut-être faudrait-il<br />

que j’en <strong>la</strong>isse à Marthe, non ?<br />

- A priori, vous n’y êtes pas obligée, précisa<br />

<strong>Lucie</strong>, surprise <strong>de</strong> <strong>la</strong> générosité d’Agnès. Bien<br />

sûr, vous pouvez refuser l’héritage. Mais à<br />

votre p<strong>la</strong>ce…<br />

<strong>Lucie</strong> ne termina pas sa phrase, désignant<br />

l’endroit où Agnès vivait d’un coup d’œil<br />

circu<strong>la</strong>ire. Agnès hocha <strong>la</strong> tête.<br />

- C’est ce que me dit ma sœur, que je m’embête<br />

pour rien.<br />

<strong>Lucie</strong> sirota son thé, puis reprit.<br />

- Vous étiez souvent chez Ma<strong>de</strong>leine ?<br />

55


- En fait, oui. Vous savez, le jour où j’ai<br />

rencontré Ma<strong>de</strong>leine, ça a changé ma vie.<br />

J’étais… comment dire, un peu… dépressive,<br />

je n’avais pas <strong>de</strong> travail. Elle m’a simplement<br />

<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> lui raconter ma vie, et elle a<br />

écouté sans rien dire, sans juger. Et elle<br />

m’a engagée. Et ma vie s’en est trouvée<br />

toute changée… tout embellie. Quand je <strong>la</strong><br />

remerciais, ça <strong>la</strong> faisait sourire. Alors, une<br />

dame comme ça, je me suis mise en quatre<br />

pour <strong>la</strong> servir, vous pensez. Je suis restée<br />

beaucoup avec elle, plus que mes heures. On<br />

est <strong>de</strong>venues amies. Maintenant qu’elle n’est<br />

plus là, ça va être dur, mais je sais qu’elle a<br />

tout fait pour que je m’en sorte.<br />

- Avec l’héritage, ça va être plus facile…<br />

- C’est vrai, mais il n’y a pas que l’argent dans<br />

<strong>la</strong> vie.<br />

<strong>Lucie</strong> sentit que <strong>la</strong> jeune femme était sincère,<br />

et elle changea <strong>de</strong> sujet.<br />

- Et Marthe, elle avait quel type <strong>de</strong> rapports<br />

avec sa tante ?<br />

- Elle en avait assez peu, à vrai dire. Marthe<br />

venait, lui posait <strong>de</strong>s questions sur sa santé<br />

et repartait presque aussitôt. En fait, une<br />

chose m’a frappée. Ma<strong>de</strong>leine par<strong>la</strong>it toujours<br />

<strong>de</strong> plein <strong>de</strong> gens. Elle écrivait à un tas d’amis,<br />

et recevait parfois <strong>de</strong>s faire-part <strong>de</strong> décès qui<br />

56<br />

<strong>la</strong> rendaient triste. Mais elle ne par<strong>la</strong>it pas,<br />

ou peu, <strong>de</strong> sa nièce. Et quand Marthe passait,<br />

el<strong>les</strong> ne discutaient pas vraiment.<br />

- El<strong>les</strong> se disputaient ?<br />

- Oh non, c’était plutôt feutré. Un jour, j’ai<br />

entendu Ma<strong>de</strong>leine reprocher à Marthe <strong>de</strong> ne<br />

même pas se souvenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> date anniversaire<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son propre mari. Marthe avait<br />

confondu <strong>la</strong> date <strong>de</strong> son anniversaire avec<br />

celle <strong>de</strong> sa mort. Elle a eu comme un rictus,<br />

et elle est partie… Mais c’était juste une<br />

fois. Marthe passait assez souvent, elle était<br />

dévouée. Mais je ne sais pas, j’ai l’impression<br />

que Ma<strong>de</strong>leine ne l’aimait pas vraiment.<br />

- Ça expliquerait qu’elle ne l’ait pas couchée<br />

sur son testament ?<br />

- Oui, probablement.<br />

Interrogée par <strong>Lucie</strong>, Agnès revint sur le jour<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine. Elle affirma que le<br />

légiste avait regardé toutes <strong>les</strong> analyses <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine <strong>de</strong>puis six mois.<br />

- Il a estimé que <strong>la</strong> mort était normale, si l’on<br />

peut dire, poursuivit Agnès, mais qu’il lui<br />

fal<strong>la</strong>it une analyse pour en être certain. Pour<br />

lui, il pouvait y avoir eu surdose. Il a <strong>de</strong>mandé<br />

si elle prenait elle-même ses médicaments. Je<br />

lui ai dit que c’était moi qui étais responsable<br />

<strong>de</strong> son traitement. Il a dit que s’il y avait<br />

57


surdose, le médicament en trop avait alors dû<br />

être pris <strong>la</strong> veille.<br />

- La veille, c’était jeudi ; donc, il ne s’est rien<br />

passé <strong>de</strong> spécial.<br />

- Non.<br />

- Vous étiez sur p<strong>la</strong>ce toute <strong>la</strong> journée ?<br />

- Non, le jeudi après-midi, je suis <strong>de</strong>s cours<br />

pour passer le concours d’infirmière. Mais<br />

juste <strong>de</strong>ux heures.<br />

- Et quand vous êtes revenue ?<br />

- Ma<strong>de</strong>leine dormait. Elle a peu mangé, on a<br />

papoté un petit moment, je lui ai donné son<br />

médicament, et elle s’est recouchée assez tôt.<br />

<strong>Lucie</strong> reposa sa tasse <strong>de</strong> thé et se <strong>la</strong>nça.<br />

- J’ai une question délicate à vous poser.<br />

- Allez-y, répondit Agnès, se crispant<br />

imperceptiblement.<br />

- Marthe prétend que vous avez touché <strong>de</strong><br />

l’argent <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine.<br />

- De l’argent ? Pour moi ? Oui, c’est vrai.<br />

Visiblement, Agnès tentait <strong>de</strong> gagner du<br />

temps.<br />

- Il s’agirait d’une dizaine <strong>de</strong> milliers d’euros.<br />

- Ça faisait tant que ça ?<br />

- Vous pouvez m’en parler ?<br />

Agnès but une gorgée <strong>de</strong> café, et se <strong>la</strong>issa<br />

aller.<br />

- Oui, maintenant que Ma<strong>de</strong>leine est morte,<br />

58<br />

ça n’a plus d’importance. Je savais que ça<br />

se saurait. Mais je l’ai fait pour lui rendre<br />

service, moi, j’étais <strong>contre</strong>, au début.<br />

- Vous avez touché <strong>de</strong> l’argent pour rendre<br />

service ? s’étonna <strong>Lucie</strong><br />

- Ah mais non, ce n’était pas moi. Il faut que<br />

je vous explique. Ma<strong>de</strong>leine disait que Marthe<br />

surveil<strong>la</strong>it tout le temps ses comptes, et<br />

qu’elle vou<strong>la</strong>it ai<strong>de</strong>r discrètement un <strong>de</strong> ses<br />

anciens partenaires, Raymond Peyrol<strong>les</strong>, un<br />

vieil acteur dans le besoin qui n’avait pas <strong>les</strong><br />

moyens <strong>de</strong> payer ses soins.<br />

- En effet, je vois qui c’est.<br />

- Alors, elle a eu l’idée <strong>de</strong> passer par moi,<br />

comme si on remboursait <strong>de</strong>s frais que j’avais<br />

avancés : souvent, je faisais <strong>les</strong> courses, et<br />

on avait mis <strong>de</strong> l’argent sur mon compte pour<br />

que je ne sois pas à découvert à cause <strong>de</strong>s<br />

achats que je faisais pour Ma<strong>de</strong>leine.<br />

- Mais c’est délirant, comment pouvez-vous<br />

espérer que l’on vous croie ?<br />

- C’est très simple. Cette histoire d’argent, ça<br />

me faisait peur, je ne vou<strong>la</strong>is pas d’ennuis.<br />

J’ai tout noté, et, à chaque fois, j’envoyais un<br />

virement à M. Raymond. Si vous voulez, je<br />

vous sors mes relevés bancaires.<br />

- Non, non, ce n’est pas <strong>la</strong> peine. Mais il y a<br />

aussi l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> bague ?<br />

59


- Ah non ! Ça, c’est un ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine.<br />

Je sais que Marthe en avait fait toute une<br />

histoire, c’est Ma<strong>de</strong>leine qui me l’a dit, mais<br />

elle a refusé que je <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>. Vous savez, elle<br />

me faisait <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> temps en temps :<br />

un billet pour l’anniversaire <strong>de</strong> mon neveu, ou<br />

pour Noël. Ça me gênait, mais elle insistait en<br />

disant qu’elle n’avait personne à gâter. Enfin,<br />

honnêtement, Ma<strong>de</strong>leine veil<strong>la</strong>it à ne pas le<br />

faire trop souvent. Elle était attentive à ça,<br />

le fait qu’elle soit riche, et que ce n’est pas<br />

donné à tout le mon<strong>de</strong>.<br />

El<strong>les</strong> furent interrompues par le retour <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sœur d’Agnès et <strong>de</strong> son fils, qui s’était mis<br />

à pleurer. <strong>Lucie</strong> en profita pour s’éclipser,<br />

déclinant l’invitation à déjeuner d’Agnès, qui<br />

n’insista pas.<br />

Une fois <strong>de</strong>hors, elle appe<strong>la</strong> Paul <strong>de</strong> son<br />

portable et lui fit part <strong>de</strong> ses conclusions.<br />

Agnès lui semb<strong>la</strong>it innocente, mais elle avait<br />

besoin <strong>de</strong> décanter <strong>les</strong> informations pour se<br />

faire une opinion.<br />

- Soit elle est vraiment très forte, et très<br />

bonne comédienne, soit elle est sincère et<br />

honnête. J’avoue que je ne sais pas trop, mais<br />

je pencherais en sa faveur, pour l’instant. En<br />

tout cas, j’ai le sentiment que Marthe n’est<br />

pas très nette dans cette histoire… Et zut, je<br />

60<br />

viens <strong>de</strong> rater mon bus !<br />

Quand Paul sut où se trouvait <strong>Lucie</strong>, il<br />

lui interdit <strong>de</strong> reprendre <strong>les</strong> transports en<br />

commun et lui envoya un taxi.<br />

- C’est pratique ce service, fit <strong>Lucie</strong>, mais<br />

quand même, quelqu’un pourrait l’utiliser à<br />

ta p<strong>la</strong>ce. Tu le saurais, s’ils te facturaient <strong>de</strong>s<br />

courses en plus ?<br />

- Ben oui, on surveille, c’est sûr. Tu as un<br />

compte et ils t’envoient le détail…<br />

61


Chapitre 9<br />

Un témoignage capital<br />

Pendant ce temps, Marthe recevait chez<br />

Ma<strong>de</strong>leine une visiteuse importante. Arlette<br />

Ringenbach, prési<strong>de</strong>nte du fan-club <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine Davin, était <strong>de</strong>vant elle : une petite<br />

femme aux lunettes ron<strong>de</strong>s, au chapeau<br />

un peu excentrique, vêtue d’un tailleur<br />

pied-<strong>de</strong>-poule qui <strong>la</strong> boudinait. Arlette<br />

Ringenbach semb<strong>la</strong>it pourtant très satisfaite<br />

<strong>de</strong> son apparence <strong>de</strong> sexagénaire comblée,<br />

et elle entra dans le séjour <strong>de</strong> Marthe en<br />

conquérante, lissant machinalement sa jupe<br />

et caressant le petit ange en or qui lui servait<br />

<strong>de</strong> broche.<br />

- Merci <strong>de</strong> me recevoir dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure <strong>de</strong><br />

Ma<strong>de</strong>leine Davin. Je suis très honorée. Tout<br />

d’abord, je vous présente mes condoléances.<br />

Marthe était horripilée par l’accent alsacien<br />

à couper au couteau d’Arlette, mais elle n’en<br />

<strong>la</strong>issa rien paraître.<br />

- Je vous remercie. Mettez-vous à l’aise.<br />

Comme une enfant affamée lâchée dans une<br />

fabrique <strong>de</strong> choco<strong>la</strong>t, Arlette Ringenbach fit le<br />

tour <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison, commentant avec extase<br />

le musée p<strong>la</strong>cardé <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin. Elle s’exc<strong>la</strong>mait en commentant avec<br />

62<br />

une exactitu<strong>de</strong> passionnée <strong>les</strong> dates et <strong>les</strong><br />

contextes. Elle remarqua également une<br />

photo du mari décédé <strong>de</strong> Marthe. El<strong>les</strong> en<br />

parlèrent un peu, faisant le parallèle avec<br />

<strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine, mais Marthe semb<strong>la</strong>it<br />

préférer éviter le sujet. Puis Arlette en vint à<br />

l’objet <strong>de</strong> sa visite.<br />

- En premier lieu, je vou<strong>la</strong>is vous dire<br />

combien je suis heureuse, même en <strong>de</strong> si<br />

tragiques circonstances, <strong>de</strong> ren<strong>contre</strong>r <strong>la</strong><br />

nièce <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin. Je vous ai vue<br />

dans quelques petits rô<strong>les</strong> et votre carrière<br />

n’a malheureusement pas été à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong><br />

votre talent.<br />

Marthe fit <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>ste, se <strong>de</strong>mandant quel<br />

besoin avait cette femme <strong>de</strong> s’exprimer comme<br />

si elle faisait un discours.<br />

- L’association <strong>de</strong> fans dont je suis prési<strong>de</strong>nte<br />

<strong>de</strong>puis maintenant quatorze ans existe<br />

<strong>de</strong>puis une trentaine d’années. Elle regroupe<br />

plus <strong>de</strong> cinquante membres répartis dans<br />

toute <strong>la</strong> France, et même en Belgique, unis<br />

par le culte <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin. Elle restera à<br />

jamais l’étoile qui a illuminé notre vie.<br />

Marthe n’en pouvait plus. Elle figea un sourire<br />

studieux et se résigna à l’attente. Arlette,<br />

<strong>de</strong>bout, par<strong>la</strong>it tout en touchant <strong>les</strong> reliques<br />

avec précaution.<br />

63


- Notre association serait donc plus<br />

qu’intéressée par <strong>la</strong> récupération <strong>de</strong> ces<br />

trésors, dans le but <strong>de</strong> constituer un musée.<br />

Elle serait prête à faire une offre substantielle.<br />

Mais nous comprendrions que vous désiriez<br />

gar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> souvenirs <strong>de</strong> votre tante par-<strong>de</strong>vers<br />

vous.<br />

- Non, pas du tout, un musée, c’est une très<br />

bonne idée.<br />

- Car voyez-vous, quelque part, Ma<strong>de</strong>leine<br />

– ça vous dérange si je l’appelle aussi<br />

familièrement ? – était un personnage public.<br />

Elle nous a tant donné, c’est un peu comme<br />

si sa mémoire nous appartenait. Il est <strong>de</strong><br />

notre <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> transmettre son héritage aux<br />

générations futures. Vous seriez donc d’accord<br />

pour un transfert <strong>de</strong> ces merveilleuses<br />

archives dans notre cénotaphe ?<br />

- Hé<strong>la</strong>s, ma bonne dame, <strong>la</strong> coupa alors<br />

Marthe, il m’est difficile <strong>de</strong> satisfaire votre<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>…<br />

- Ce n’est pas une question d’argent, j’espère ?<br />

s’inquiéta Arlette. Notre club compte <strong>de</strong>s<br />

membres fortunés, et nous avons déjà<br />

réfléchi à <strong>de</strong>s montages financiers adaptés,<br />

qui allégeraient <strong>les</strong> droits <strong>de</strong> succession<br />

scandaleusement élevés dans notre pays.<br />

- Je ne suis pas l’héritière, avoua Marthe.<br />

64<br />

Arlette s’immobilisa, chercha ses mots, et ne<br />

<strong>les</strong> trouva pas.<br />

- Mais pourquoi m’avoir reçue, alors ? souff<strong>la</strong>t-elle<br />

en se <strong>la</strong>issant tomber dans un fauteuil,<br />

désespérée.<br />

- Parce que nous pourrions trouver une<br />

solution, glissa Marthe en s’approchant.<br />

- Je vous écoute, dit Arlette, reprenant <strong>de</strong>s<br />

couleurs.<br />

- Je dois vous expliquer <strong>la</strong> situation, qui est<br />

loin d’être simple.<br />

Marthe entreprit <strong>de</strong> raconter sa vie à Arlette.<br />

Elle avait grandi dans l’ombre <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine,<br />

une personnalité écrasante, qui paraissait<br />

généreuse en public, mais lui en avait fait<br />

baver en privé. Devant <strong>les</strong> objections d’Arlette,<br />

qui peinait à croire sa version, elle expliqua<br />

qu’elle s’était beaucoup occupée <strong>de</strong> sa tante,<br />

mais que ses obligations professionnel<strong>les</strong><br />

l’avaient contrainte à trouver une personne<br />

pour l’ai<strong>de</strong>r. Cette personne avait jeté son<br />

dévolu sur l’actrice, dont <strong>la</strong> santé mentale<br />

défail<strong>la</strong>it <strong>de</strong>puis plusieurs années. Elle se<br />

retrouvait maintenant <strong>de</strong>vant un drame.<br />

Déshéritée par <strong>les</strong> manœuvres <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune<br />

femme, elle était en plus persuadée que<br />

celle-ci avait accéléré <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> sa victime<br />

pour s’emparer <strong>de</strong> sa fortune. Arlette<br />

65


écoutait, bouche bée, ponctuant son récit<br />

d’interjections alsaciennes scandalisées.<br />

Marthe raconta tous <strong>les</strong> détails, l’argent<br />

détourné, <strong>la</strong> bague et <strong>la</strong> possible surdose<br />

médicamenteuse criminelle, avant <strong>de</strong> fondre<br />

en <strong>la</strong>rmes. Arlette compatit et <strong>de</strong>manda si elle<br />

pouvait se rendre utile.<br />

- Vous savez, dit Marthe en renif<strong>la</strong>nt, ce<br />

n’est pas tant une histoire d’argent, mais je<br />

voudrais que <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> ma tante soit<br />

honorée.<br />

- Je pourrais peut-être contacter cette jeune<br />

femme ?<br />

- Non, elle refusera, je lui ai déjà <strong>de</strong>mandé<br />

<strong>de</strong> me <strong>la</strong>isser <strong>les</strong> affaires <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine, elle a<br />

refusé. Elle m’a dit qu’elle avait pris contact<br />

avec un acheteur japonais…<br />

- Japonais ? Mais pourquoi pas cosaque, tant<br />

que nous y sommes ? C’est honteux ! Quelle<br />

horrible personne, pourquoi ne portez-vous<br />

pas p<strong>la</strong>inte ?<br />

- Je me suis déjà renseignée, il y a fort peu <strong>de</strong><br />

chances que l’on arrive à prouver son forfait.<br />

Et puis, je ne veux pas passer pour vénale.<br />

- Que faire, alors ?<br />

Arlette s’était relevée, mais n’osait plus<br />

regar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> photos <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine.<br />

- En fait, dit Marthe, il n’y aurait qu’une<br />

66<br />

solution, mais elle est un peu…<br />

- Un peu ?<br />

- Un peu… limite.<br />

Arlette se rassit, soudain attentive. Marthe<br />

lui proposa alors le marché suivant : Arlette<br />

prétendrait qu’Agnès lui avait proposé à<br />

plusieurs reprises le stock <strong>de</strong> souvenirs, en<br />

<strong>de</strong>mandant d’ailleurs beaucoup d’argent. En<br />

échange <strong>de</strong> ce faux témoignage, qui permettrait<br />

<strong>de</strong> faire peser <strong>les</strong> soupçons sur Agnès, Marthe<br />

s’engageait à lui donner tous <strong>les</strong> trésors tant<br />

convoités, à condition qu’elle <strong>les</strong> conserve<br />

tous ensemble. Arlette hésita, se <strong>de</strong>mandant<br />

si elle serait capable <strong>de</strong> mentir face à un<br />

policier, même si le jeu en va<strong>la</strong>it <strong>la</strong> chan<strong>de</strong>lle.<br />

Marthe <strong>la</strong> rassura. L’idée était simplement <strong>de</strong><br />

faire pression sur <strong>la</strong> meurtrière, qui <strong>de</strong>vait<br />

redouter plus que tout une enquête poussée.<br />

Craignant <strong>la</strong> prison, et constatant l’échec <strong>de</strong><br />

son coup, elle col<strong>la</strong>borerait. Elle renoncerait<br />

à l’héritage et disparaîtrait, heureuse <strong>de</strong> s’en<br />

tirer à si bon compte. Marthe hériterait alors,<br />

et Arlette pourrait disposer <strong>de</strong>s souvenirs<br />

pour l’association, sans aller jusqu’au faux<br />

témoignage.<br />

- Mais au final, <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin<br />

ne sera pas vengée, fit remarquer Arlette.<br />

- C’est vrai, rétorqua Marthe, mais c’est<br />

67


<strong>la</strong> seule manière <strong>de</strong> pouvoir conserver ses<br />

souvenirs, sans <strong>les</strong> voir partir au diable<br />

vauvert.<br />

L’argument fit mouche dans <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prési<strong>de</strong>nte.<br />

- Et puis, l’Histoire retiendrait que Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin est morte <strong>de</strong> sa belle mort, plutôt que<br />

d’un crime crapuleux qui <strong>la</strong> ferait passer à <strong>la</strong><br />

« une » <strong>de</strong>s journaux à scandale.<br />

Arlette accepta, serrant <strong>la</strong> main <strong>de</strong> sa complice<br />

avec effusion. Elle rédigea <strong>de</strong> sa main un<br />

témoignage, tandis que Marthe établissait<br />

une promesse <strong>de</strong> don <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> sa tante<br />

à l’association, dans le cas où elle en serait<br />

héritière. Ainsi couvertes, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux femmes<br />

se saluèrent, se promettant <strong>de</strong> se revoir très<br />

prochainement.<br />

68<br />

Chapitre 10<br />

Confrontation<br />

<strong>Lucie</strong> fut éveillée par un coup <strong>de</strong> fil <strong>de</strong> Paul,<br />

qui avait passé une très mauvaise nuit.<br />

- Tu comprends, s’énervait-il, d’un côté tu<br />

m’appel<strong>les</strong> en me disant qu’Agnès n’est peutêtre<br />

pas coupable, et <strong>de</strong> l’autre, j’ai Marthe<br />

qui débarque chez moi à l’heure du coq, en<br />

me disant qu’elle a une preuve irréfutable <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> préméditation. Je ne sais plus quoi penser.<br />

En plus, j’ai fait une bêtise.<br />

- Quelle bêtise ?<br />

- J’ai dit à Marthe que tu m’avais appelé à<br />

propos d’Agnès.<br />

- Ce n’est pas grave, ça !<br />

- Oui, mais du coup, je lui ai dit que tu avais<br />

<strong>de</strong>s soupçons à son sujet.<br />

- Aïe !<br />

- Comme tu dis. Alors voilà, convocation chez<br />

moi pour réunion d’urgence ce matin.<br />

- J’arrive !<br />

- Merci. Je t’envoie un taxi dans un quart<br />

d’heure en bas <strong>de</strong> chez Patrice.<br />

<strong>Lucie</strong> fit une toilette sommaire, s’habil<strong>la</strong><br />

en vitesse, ava<strong>la</strong> un quignon <strong>de</strong> pain qui<br />

mollissait sur le bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> table <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cuisine et s’enfuit en vitesse. Elle reconnut<br />

69


le chauffeur du taxi qui l’avait conduite<br />

lorsqu’elle était arrivée à <strong>la</strong> gare. Elle arriva<br />

chez Paul en moins <strong>de</strong> vingt minutes. Dans<br />

<strong>la</strong> pièce, l’ambiance était fébrile. Marthe,<br />

l’air très remonté, <strong>la</strong> salua d’un vague signe<br />

<strong>de</strong> tête marquant son hostilité. <strong>Lucie</strong> rendit<br />

compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation qu’elle avait eue<br />

avec Agnès. À chaque précision, Marthe se<br />

tournait vers Paul et levait <strong>les</strong> yeux au ciel avec<br />

ostentation, pour bien souligner <strong>la</strong> naïveté<br />

dont faisait preuve <strong>Lucie</strong>, qui continuait à<br />

dérouler son argumentaire sans en paraître<br />

affectée. Elle reconnut que, au sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

bague, c’était <strong>la</strong> parole d’Agnès <strong>contre</strong> celle <strong>de</strong><br />

Marthe, mais concernant <strong>les</strong> sorties d’argent,<br />

on pourrait tout à fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Raymond<br />

Peyrol<strong>les</strong> <strong>de</strong> confirmer sa version.<br />

- À moins qu’il ne soit <strong>de</strong> mèche, persif<strong>la</strong><br />

Marthe.<br />

- Ça ferait beaucoup, tout <strong>de</strong> même, estima<br />

Paul.<br />

Marthe gardait son attitu<strong>de</strong> narquoise, mais<br />

son sourire se crispait <strong>de</strong> plus en plus.<br />

- En tout cas, je maintiens ma version,<br />

affirma-t-elle. Cette petite peste ne s’en tirera<br />

pas comme ça.<br />

- Ce qui me surprend le plus dans cette affaire,<br />

répliqua alors <strong>Lucie</strong>, c’est que si l’on applique<br />

70<br />

<strong>les</strong> arguments que vous soutenez, ça marche<br />

aussi <strong>contre</strong> vous. Et même plutôt bien. Vous<br />

avez le même mobile, et terriblement besoin<br />

d’argent… À qui profite le crime ?<br />

Marthe se tourna un bref instant vers Paul,<br />

qu’elle fusil<strong>la</strong> du regard. Il s’excusa en<br />

ouvrant <strong>les</strong> bras d’un air impuissant.<br />

- Et alors ? Oui, j’ai <strong>de</strong>s problèmes d’argent,<br />

mais si tous ceux qui en ont se mettaient à<br />

tuer <strong>les</strong> autres, il n’y aurait plus grand mon<strong>de</strong><br />

sur terre.<br />

On sonna alors à <strong>la</strong> porte et Marthe changea<br />

immédiatement d’attitu<strong>de</strong>.<br />

- Voilà une personne dont le témoignage va<br />

modifier <strong>la</strong> donne, annonça-t-elle d’un air<br />

triomphant. Elle se précipita à <strong>la</strong> porte, et<br />

introduisit Arlette Ringenbach. La prési<strong>de</strong>nte<br />

alsacienne avait changé <strong>de</strong> tenue et portait<br />

fièrement un tailleur en <strong>la</strong>ine grise plutôt<br />

sobre. Elle avait remisé son chapeau à <strong>la</strong><br />

consigne, mais exhibait <strong>de</strong>s bouc<strong>les</strong> d’oreille<br />

aussi énormes que bril<strong>la</strong>ntes. Marthe <strong>la</strong><br />

remercia d’avoir répondu à sa convocation<br />

et <strong>la</strong> présenta. Paul <strong>la</strong> salua courtoisement.<br />

<strong>Lucie</strong> lui serra <strong>la</strong> main et dit en souriant :<br />

- Il faudra que je parle <strong>de</strong> votre association à<br />

une amie, qui est fan <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

- Qu’elle n’hésite pas à m’appeler, répondit<br />

71


Arlette. Nous accueillons sans cesse <strong>de</strong><br />

nouveaux membres.<br />

- Je suis certaine que vous avez <strong>de</strong> nombreux<br />

points communs, glissa <strong>Lucie</strong> affablement,<br />

résistant à l’envie <strong>de</strong> rire en entendant son<br />

accent.<br />

Marthe, s’énervant, écourta <strong>les</strong> mondanités.<br />

- Nous pourrions continuer notre conversation<br />

avec madame, abrégea-t-elle.<br />

- Très bien, reprit <strong>Lucie</strong>. Nous évoquions le<br />

fait que Ma<strong>de</strong>leine Davin donnait <strong>de</strong> l’argent à<br />

Raymond Peyrol<strong>les</strong>. Vous <strong>de</strong>vez le connaître ?<br />

ajouta-t-elle, se tournant vers Arlette.<br />

- Pas directement, bien sûr, répondit celle-ci,<br />

ravie d’être sollicitée, mais Raymond Peyrol<strong>les</strong><br />

était un grand acteur. Il a partagé <strong>la</strong> ve<strong>de</strong>tte<br />

dans trois films importants avec Ma<strong>de</strong>leine,<br />

avant d’être injustement oublié…<br />

Marthe considéra Arlette d’un œil courroucé.<br />

Elle eut un geste d’excuse et se reprit.<br />

- … mais je m’étonne d’apprendre qu’il était<br />

dans le besoin.<br />

Paul regarda <strong>Lucie</strong>, dans l’expectative. <strong>Lucie</strong><br />

se tourna vers Marthe et changea <strong>de</strong> sujet.<br />

- Cette information sera facile à vérifier. Vous<br />

ne vous êtes jamais posé <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir<br />

pourquoi Ma<strong>de</strong>leine vous avait déshéritée ?<br />

<strong>de</strong>manda-t-elle. Elle aurait pu vous <strong>la</strong>isser<br />

72<br />

quelque chose, non ?<br />

- Je n’ai pas à juger sa décision, même si elle<br />

est injuste.<br />

- Il n’y aurait pas <strong>de</strong> rapport avec <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

votre époux ?<br />

- C’est <strong>de</strong> <strong>la</strong> pure foutaise ! g<strong>la</strong>pit Marthe. Et<br />

je vous interdis <strong>de</strong> m’accuser <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong><br />

mon mari. Vous êtes un monstre… Les gens<br />

adorent dire et penser <strong>de</strong>s trucs sa<strong>les</strong>.<br />

- C’était une méchante rumeur, se récria<br />

Arlette, fusil<strong>la</strong>nt <strong>Lucie</strong> du regard. Vous ne<br />

pouvez pas en tenir compte.<br />

- Mais peut-être Ma<strong>de</strong>leine avait-elle <strong>de</strong>s<br />

informations ou <strong>de</strong>s intuitions différentes…<br />

- Je ne répondrai pas à ces calomnies, fit<br />

Marthe sur un ton définitif. Maintenant que<br />

notre chère enquêtrice a déballé ses ragots et<br />

ses intuitions, je voudrais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à notre<br />

invitée <strong>de</strong> nous délivrer son témoignage. Je<br />

vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> bien écouter ce qu’elle dira,<br />

car ensuite, vous n’aurez plus <strong>de</strong> doute sur <strong>la</strong><br />

culpabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> meurtrière.<br />

Paul, assis en retrait sur son fauteuil,<br />

approuva. Hésitant, il observait silencieusement,<br />

écoutant <strong>les</strong> arguments<br />

contradictoires. Il était très perplexe, et <strong>Lucie</strong><br />

savait qu’il n’aimait pas vivre <strong>de</strong>s sensations<br />

qu’il maîtrisait mal.<br />

73


Arlette Ringenbach se rac<strong>la</strong> un peu <strong>la</strong> gorge,<br />

se leva, et prit une pose que personne n’eut<br />

<strong>la</strong> présence d’esprit <strong>de</strong> juger ridicule. C’était à<br />

elle <strong>de</strong> jouer.<br />

- Le fan-club <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin existe <strong>de</strong>puis<br />

trente-trois ans, et il a été créé à Strasbourg.<br />

Il a pour vocation autant <strong>de</strong> défendre l’œuvre<br />

et <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> notre actrice préférée que <strong>de</strong><br />

collecter tous <strong>les</strong> supports qui contribueront<br />

à éviter l’oubli <strong>de</strong> cette immense artiste. Nous<br />

avons d’ailleurs récemment acquis une copie<br />

d’époque <strong>de</strong> Fleur d’amour, et…<br />

Marthe <strong>la</strong> coupa un peu sèchement, <strong>la</strong><br />

pressant d’aller au fait. Paul regarda <strong>Lucie</strong> en<br />

coin, se <strong>de</strong>mandant ce qui al<strong>la</strong>it suivre.<br />

- Euh oui, bien sûr. Vous savez, j’ai passé<br />

une très mauvaise nuit, je ne sais pas si<br />

Paris est une ville qui me convient si bien que<br />

ça… Mais comme je disais, après une nuit <strong>de</strong><br />

réflexion, j’ai décidé <strong>de</strong> dire <strong>la</strong> vérité.<br />

Marthe sourit, se préparant à triompher.<br />

- Voilà, dit-elle en désignant Marthe. J’ai<br />

rencontré cette dame hier, et nous avons<br />

évoqué <strong>la</strong> situation. Je ne vous cache pas<br />

que <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> mettre <strong>la</strong> main sur<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s archives et souvenirs <strong>de</strong><br />

notre Ma<strong>de</strong>leine m’a terriblement mis l’eau<br />

à <strong>la</strong> bouche, mais <strong>les</strong> conditions à remplir<br />

74<br />

pour cette… récupération m’ont assez déplu.<br />

Madame ici présente m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire un<br />

faux témoignage et d’accuser une innocente.<br />

Alors je déc<strong>la</strong>re solennellement renoncer à<br />

ces trésors, que je ne voudrais pas récupérer<br />

<strong>de</strong> manière aussi infâme. Ce serait salir son<br />

souvenir… C’est tout ce que j’ai à dire.<br />

Arlette se tut. On sentait qu’elle était ravie<br />

<strong>de</strong> son petit effet, dont elle vérifia l’impact<br />

auprès <strong>de</strong> l’auditoire. Paul était stupéfait.<br />

<strong>Lucie</strong> hochait <strong>la</strong> tête et app<strong>la</strong>udit en silence<br />

<strong>la</strong> prestation, se retenant <strong>de</strong> pouffer <strong>de</strong><br />

rire. Marthe, estomaquée, cherchait une<br />

explication qui ne venait pas dans le regard<br />

déterminé d’Arlette.<br />

- Il me semble que <strong>la</strong> partie est terminée,<br />

intervint alors <strong>Lucie</strong>.<br />

Marthe se leva, blême <strong>de</strong> rage.<br />

- C’est faux, vous ne pourrez rien prouver.<br />

- Dans ce genre <strong>de</strong> tractations occultes, je<br />

prends toujours mes précautions, ajouta<br />

Arlette. Voulez-vous que nous écoutions<br />

l’enregistrement <strong>de</strong> notre conversation ? Je<br />

ne suis pas une bonne espionne, désolée,<br />

il est <strong>de</strong> piètre qualité – mais tout <strong>de</strong> même<br />

audible. Et puis, il y a ces papiers que nous<br />

avons échangés…<br />

- Mais c’est quoi, ces procédés ? fulmina<br />

75


Marthe.<br />

<strong>Lucie</strong> ne <strong>la</strong>issa pas le temps à Marthe <strong>de</strong> se<br />

reprendre.<br />

- La veille du meurtre, asséna-t-elle, ou <strong>de</strong><br />

l’acci<strong>de</strong>nt, vous êtes passée chez votre tante<br />

pendant l’absence d’Agnès, car vous saviez<br />

que celle-ci se rendait à ses cours, comme<br />

chaque jeudi.<br />

- Pas du tout, je travail<strong>la</strong>is, comment en<br />

aurais-je eu le temps ?<br />

<strong>Lucie</strong> sortit alors un papier à l’en-tête <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

compagnie <strong>de</strong>s taxis <strong>de</strong> Marthe.<br />

- Pourtant, sur le listing <strong>de</strong>s trajets, que<br />

j’ai obtenu par Internet, il est fait état d’un<br />

véhicule qui est arrivé à 13 h 50 à l’entrée<br />

<strong>de</strong> l’impasse qui mène au domicile <strong>de</strong><br />

Mme Davin, et d’un autre qui en est reparti<br />

à 15 h 30. Au fait, Paul, désolée, j’ai utilisé<br />

ton co<strong>de</strong> pour avoir cette information, mais je<br />

pense que tu me pardonneras.<br />

- Quoi !? hoqueta Marthe.<br />

- Je pense que vous étiez <strong>de</strong>vant chez elle à<br />

guetter <strong>la</strong> sortie d’Agnès, vous êtes entrée<br />

ensuite…<br />

- Mais pas du tout !<br />

- … Ça <strong>la</strong>isse le temps <strong>de</strong> servir un petit thé<br />

à sa tante, dans lequel il pourrait y avoir un<br />

comprimé pilé à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce du sucre, non ?<br />

76<br />

- C’est faux !<br />

- Alors, à qui profite le crime ?<br />

Un silence.<br />

Marthe se tourna vers Paul.<br />

- Paul, raisonne-<strong>la</strong>, dis quelque chose !<br />

Paul, qui était resté silencieux jusqu’alors,<br />

se passa <strong>la</strong> main sur le visage, révé<strong>la</strong>nt une<br />

tristesse que <strong>Lucie</strong> ne lui connaissait pas.<br />

- J’ai l’impression que j’ai été p<strong>la</strong>cé malgré<br />

moi dans <strong>la</strong> position d’un juge, mais il m’est<br />

difficile d’être objectif face à ce que je viens<br />

d’entendre.<br />

Marthe reprit vaguement espoir quand Paul<br />

se tourna vers elle.<br />

- Je me rends compte que je connais<br />

finalement un peu mieux mon ex-femme<br />

que je ne te connais. Je suis désolé, mais je<br />

crains qu’elle n’ait raison sur <strong>la</strong> manière dont<br />

<strong>les</strong> choses se sont passées. Ce<strong>la</strong> étant, tu as<br />

aussi raison : nous ne pourrons rien prouver<br />

à notre niveau, mais <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> police<br />

rompus aux techniques <strong>de</strong> l’interrogatoire<br />

pourraient se faire une meilleure idée.<br />

- Comment peux-tu penser une chose<br />

pareille ?<br />

- Marthe, je ne suis plus si jeune, j’ai un<br />

peu vécu et je me targue <strong>de</strong> connaître un<br />

peu <strong>la</strong> nature humaine. Quand nous avons<br />

77


commencé à nous fréquenter, j’étais conscient<br />

<strong>de</strong> tes défauts, mais ils ne me dérangeaient<br />

pas. Je me suis tout <strong>de</strong> même trompé dans<br />

mon évaluation. C’est un sentiment un peu<br />

douloureux, mais il passera. Les récents<br />

événements m’ont un peu ouvert <strong>les</strong> yeux, et<br />

je pense que nous <strong>de</strong>vrions cesser <strong>de</strong> nous<br />

voir pendant un long moment. Ça m’a déplu<br />

que tu essaies <strong>de</strong> m’utiliser pour me faire<br />

approuver ton p<strong>la</strong>n, que tu joues <strong>la</strong> victime<br />

outragée, alors que tout était en p<strong>la</strong>ce, sans<br />

<strong>la</strong> moindre improvisation. Ta malchance, si<br />

l’on peut dire, est d’être tombée sur <strong>Lucie</strong>, à<br />

qui l’on ne fait pas gober n’importe quoi.<br />

- Mais Paul, pas toi, tu ne peux pas me lâcher<br />

comme ça. On doit se marier…<br />

- Désolé, mais maintenant, à vrai dire, je<br />

crains un peu pour ma santé en te côtoyant.<br />

Sidérée, muette, tétanisée, passant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

fureur à l’effroi, Marthe s’expliqua.<br />

- De toute façon, ce n’était qu’une question<br />

<strong>de</strong> temps ! Ma tante a toujours été arrogante,<br />

et elle n’aimait personne. Elle ne m’a jamais<br />

aimée. Lorsque j’ai épousé son producteur,<br />

j’étais une comédienne débutante, et elle a<br />

tout fait pour m’empêcher <strong>de</strong> réussir. Alors,<br />

peut-être que je l’ai empoisonnée, mais elle<br />

avait assez vécu. C’était un peu à moi d’en<br />

78<br />

profiter. J’aurais pu installer mes locaux dans<br />

sa maison et en profiter pour re<strong>la</strong>ncer mes<br />

coachings. Mais à cause <strong>de</strong> cette héritière qui<br />

surgit <strong>de</strong> nulle part, tout est par terre. Alors<br />

non, je ne l’ai pas tuée, je l’ai juste aidée à<br />

partir.<br />

Arlette, <strong>Lucie</strong> et Paul <strong>la</strong> regardaient, horrifiés<br />

par son cynisme. Marthe s’arrêta, prenant<br />

probablement conscience <strong>de</strong> son avenir<br />

à court terme, et quitta l’appartement<br />

précipitamment.<br />

- Elle a oublié son sac, en plus, constata<br />

Arlette.<br />

Après un moment <strong>de</strong> flottement, Paul voulut<br />

présenter à cette <strong>de</strong>rnière ses excuses pour <strong>la</strong><br />

tournure prise par <strong>les</strong> événements.<br />

- Je suis désolé, mais je vou<strong>la</strong>is vous féliciter<br />

pour votre attitu<strong>de</strong> plus que morale, et…<br />

- Ah, au fait, Paul, le coupa <strong>Lucie</strong>, tu vou<strong>la</strong>is<br />

ren<strong>contre</strong>r ma meilleure amie.<br />

- Euh oui, mais…<br />

- Eh bien, tu l’as <strong>de</strong>vant toi. <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, je te<br />

présente Paul, mon premier mari.<br />

- Bonjour Paul, dit alors Arlette-<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>,<br />

débarrassée <strong>de</strong> son accent alsacien.<br />

Décrochant ses gigantesques bouc<strong>les</strong>, elle se<br />

massa <strong>les</strong> oreil<strong>les</strong> avec sou<strong>la</strong>gement. Vous<br />

m’avez trouvée bien, dans mon rôle ?<br />

79


Paul mit cinq bonnes secon<strong>de</strong>s à comprendre,<br />

puis éc<strong>la</strong>ta <strong>de</strong> rire.<br />

- Je dois reconnaître que votre… prestation<br />

est bluffante.<br />

- Ça, ma vieille, j’avoue aussi que ton jeu était<br />

digne <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Davin.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong> en rosit <strong>de</strong> fierté et félicita à son tour<br />

<strong>Lucie</strong> pour sa persévérance. <strong>Lucie</strong> remercia,<br />

puis se tourna vers Paul.<br />

- Désolée. C’était le seul moyen <strong>de</strong> confondre<br />

Marthe.<br />

Il hocha <strong>la</strong> tête, encore sous le coup <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

surprise.<br />

- Merci, lui sourit-il. Je me pique d’avoir un<br />

jugement sûr, mais je m’étais totalement<br />

trompé. La vérité fait parfois un peu mal…<br />

80<br />

Chapitre 11<br />

Les adieux à <strong>la</strong> capitale<br />

<strong>Lucie</strong> et <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> avaient bouclé leurs valises,<br />

et el<strong>les</strong> attendaient l’arrivée <strong>de</strong> Patrice pour<br />

lui rendre ses clés. Pour le remercier <strong>de</strong> son<br />

hospitalité, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> lui avait acheté un livre<br />

sur <strong>la</strong> statuaire grecque. <strong>Lucie</strong> reçut sur son<br />

portable un appel <strong>de</strong> Jacques. Il cherchait<br />

à joindre <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> : un homme avait trouvé<br />

son portefeuille et s’était donné <strong>la</strong> peine<br />

d’appeler tous <strong>les</strong> numéros <strong>de</strong> son carnet<br />

pour <strong>la</strong> retrouver. Obligée <strong>de</strong> convenir du<br />

bout <strong>de</strong>s lèvres que <strong>les</strong> Parisiens n’étaient pas<br />

tous <strong>de</strong>s brutes, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> téléphona à cette<br />

gentille personne. Elle l’informa qu’elle <strong>de</strong>vait<br />

quitter <strong>la</strong> capitale dans <strong>la</strong> matinée. Comme<br />

il n’habitait pas très loin, il se proposa <strong>de</strong><br />

passer tout <strong>de</strong> suite rapporter l’objet. Un<br />

quart d’heure plus tard, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> s’étrang<strong>la</strong> à<br />

moitié en ouvrant <strong>la</strong> porte à un jeune homme<br />

très efféminé, qui lui rendit son portefeuille<br />

avant <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>mi-tour. <strong>Lucie</strong> éc<strong>la</strong>ta <strong>de</strong> rire<br />

<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> gêne <strong>de</strong> <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, qui admit avec<br />

humilité qu’elle avait autant d’a priori sur <strong>les</strong><br />

homosexuels que sur <strong>les</strong> Parisiens.<br />

Patrice arriva enfin, accompagné d’une<br />

hôtesse <strong>de</strong> l’air en tailleur aux couleurs d’une<br />

81


compagnie aérienne bien connue. Elle serrait<br />

amoureusement le bras du jeune homme<br />

lorsqu’ils entrèrent dans l’appartement.<br />

Devant l’accueil ébahi <strong>de</strong> <strong>Lucie</strong>, et surtout <strong>de</strong><br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, l’hôtesse salua en riant ces <strong>de</strong>ux<br />

vieil<strong>les</strong> dames changées en statues <strong>de</strong> sel.<br />

Elle picora d’un baiser furtif <strong>les</strong> lèvres d’un<br />

Patrice qui masquait mal sa déception <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

voir partir. Elle lui promit <strong>de</strong> le rappeler très<br />

vite et se vo<strong>la</strong>tilisa illico.<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, <strong>de</strong> nouveau, ava<strong>la</strong> son chapeau…<br />

- J’ai vraiment tout faux, souff<strong>la</strong>-t-elle en<br />

aparté à <strong>Lucie</strong>.<br />

- C’est ça, <strong>les</strong> illusions, c’est comme au<br />

cinéma. On aime bien voir ce qui n’existe<br />

pas…<br />

<strong>Lucie</strong> embrassa son fils, <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> lui donna<br />

son ca<strong>de</strong>au en s’excusant, et el<strong>les</strong> filèrent<br />

prendre leur train. <strong>Lucie</strong> appe<strong>la</strong> un taxi en<br />

utilisant le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Marthe.<br />

- Aux frais <strong>de</strong> <strong>la</strong> princesse, ou plutôt <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sorcière…<br />

82<br />

Épilogue<br />

Quelques jours plus tard, chez <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> et<br />

Jacques, <strong>Lucie</strong> retrouvait son fauteuil préféré<br />

dans le jardin. Ils dégustaient une infusion<br />

brû<strong>la</strong>nte à base <strong>de</strong> tilleul et <strong>de</strong> citron,<br />

chau<strong>de</strong>ment emmitouflés pour profiter,<br />

malgré le froid, <strong>de</strong>s timi<strong>de</strong>s rayons <strong>de</strong> soleil<br />

hivernaux.<br />

- Alors, Paris, c’était comment ? <strong>de</strong>manda<br />

Jacques.<br />

- Une ville difficile, mais passionnante, dit<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>.<br />

- Paris est vraiment <strong>la</strong> capitale du cinéma !<br />

ajouta <strong>Lucie</strong>, fixant <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> qui se<br />

rengorgeait.<br />

- Pas <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> <strong>de</strong> notre fuyar<strong>de</strong> ? <strong>de</strong>manda<br />

<strong>Mathil<strong>de</strong></strong>.<br />

- J’ai eu Paul hier au téléphone. Il a déjà porté<br />

p<strong>la</strong>inte et fait rouvrir le dossier. Mais Marthe<br />

est introuvable. Elle a dû quitter <strong>la</strong> France.<br />

- Elle ne tiendra pas longtemps ; ça, c’est sûr.<br />

- En tout cas, commenta <strong>Lucie</strong>, <strong>la</strong> vie d’Agnès<br />

va changer. Et dire qu’elle était prête à donner<br />

<strong>de</strong>s sous à Marthe, tu t’imagines ?<br />

- En fait, conclut <strong>Mathil<strong>de</strong></strong>, si Marthe n’avait<br />

pas paniqué et fait tout ce foin, elle aurait<br />

83


peut-être touché une partie <strong>de</strong> l’héritage.<br />

- Et si elle avait été gentille avec sa tante, elle<br />

n’aurait pas eu besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> tuer, rétorqua<br />

<strong>Lucie</strong>.<br />

- Avec <strong>de</strong>s si, on mettrait Paris en bouteille,<br />

dit Jacques en finissant son breuvage.<br />

84<br />

AVERTISSEMENT AU LECTEUR<br />

Ce livre se veut une récréation ludique et une<br />

passerelle « à suspense » pour abor<strong>de</strong>r un sujet<br />

très grave, qui nous concerne tous ; celui <strong>de</strong>s<br />

Acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie Courante.<br />

Si Ma<strong>de</strong>leine Davin est morte d’une intoxication<br />

médicamenteuse, ce n’est pas dû à une prise<br />

acci<strong>de</strong>ntelle, un mé<strong>la</strong>nge malheureux ou une<br />

erreur <strong>de</strong> prescription, mais à l’intervention<br />

criminelle d’une nièce cupi<strong>de</strong>.<br />

En effet, sans <strong>la</strong> cruauté et l’âpreté au gain <strong>de</strong><br />

Marthe, cette célèbre octogénaire qui prenait<br />

soin <strong>de</strong> sa santé aurait poursuivi sa vie, en<br />

compagnie <strong>de</strong> son aidante, injustement<br />

accusée.<br />

Dans le mon<strong>de</strong> réel, sauf cas exceptionnel, il<br />

n’y a pas <strong>de</strong> meurtrier qui nous guette.<br />

Ce qui implique que <strong>les</strong> soins prodigués à<br />

Ma<strong>de</strong>leine Davin et <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> son<br />

aidante auraient produit leur résultat, celui<br />

<strong>de</strong> permettre à une femme âgée encore vive<br />

d’esprit d’éviter un drame et <strong>de</strong> préserver son<br />

autonomie.<br />

85


3ACTEURS UNIS CONTRE LES<br />

ACCIDENTS DE LA VIE COURANTE<br />

L’Institut national <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation<br />

(établissement public à caractère industriel et<br />

commercial), <strong>la</strong> Commission <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécu rité<br />

<strong>de</strong>s consommateurs (autorité administrative<br />

indépendante créée par <strong>la</strong> loi du 21 juillet 1983)<br />

et Macif Prévention se sont unis pour lutter<br />

<strong>contre</strong> <strong>les</strong> Acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie Courante, l’un <strong>de</strong>s<br />

problèmes <strong>de</strong> santé publique <strong>les</strong> plus épineux<br />

qui soient. Corédacteurs d’un livre b<strong>la</strong>nc sur le<br />

sujet remis au gouvernement en 2008, coauteurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> charte <strong>contre</strong> <strong>les</strong> AcVC et <strong>de</strong> l’appel re<strong>la</strong>tif<br />

à l’éligibilité <strong>de</strong> ce combat au statut <strong>de</strong> Gran<strong>de</strong><br />

Cause nationale, ils ont souhaité aller encore plus<br />

loin, en offrant au plus grand nombre <strong>de</strong>s outils<br />

<strong>de</strong> lutte diversifiés, simp<strong>les</strong>, efficaces et ludiques.<br />

Le livre que vous venez <strong>de</strong> lire en fait partie.<br />

86<br />

Les « AcVC » : un fléau national !<br />

Chaque année, <strong>les</strong> Acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie Courante<br />

(AcVC) sont responsab<strong>les</strong> du décès <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

19 000 personnes. Il se produit 11 millions<br />

d’<strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> <strong>de</strong> ce type par an, qui entraînent<br />

4,5 millions <strong>de</strong> consultations dans <strong>les</strong> services<br />

d’urgence et représentent à eux seuls près <strong>de</strong><br />

10 % <strong>de</strong>s dépenses annuel<strong>les</strong> <strong>de</strong> santé.<br />

Définition <strong>de</strong>s AcVC<br />

Que sont ces AcVC ? Des <strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> d’une gran<strong>de</strong><br />

variété, qui regroupent tous <strong>les</strong> <strong>acci<strong>de</strong>nts</strong><br />

hors <strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> du travail et <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion.<br />

Les plus importants en nombre et en gravité<br />

sont <strong>les</strong> chutes, suffocations, intoxications,<br />

noya<strong>de</strong>s, <strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> causés par le feu.<br />

87


Les seniors face aux Acci<strong>de</strong>nts<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Vie Courante<br />

Nous ne sommes pas tous égaux <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />

AcVC. Les seniors font partie <strong>de</strong>s personnes<br />

<strong>les</strong> plus exposées. C’est tout l’enjeu <strong>de</strong> prendre<br />

en compte, en amont, <strong>les</strong> facteurs <strong>de</strong> risques<br />

afin d’adopter <strong>de</strong>s comportements sûrs.<br />

Les chutes représentent plus <strong>de</strong> 80 % <strong>de</strong>s<br />

<strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie courante chez <strong>les</strong> personnes<br />

<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 65 ans.<br />

62 % <strong>de</strong>s chutes <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

65 ans se produisent à domicile.<br />

Chaque année, 9 300 personnes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

65 ans décè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s suites d’une chute !<br />

Les intoxications font également partie <strong>de</strong>s<br />

<strong>acci<strong>de</strong>nts</strong> qui touchent plus fréquemment <strong>les</strong><br />

seniors.<br />

En 2006, 479 personnes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 65 ans<br />

sont décédées <strong>de</strong>s suites d’une intoxication<br />

acci<strong>de</strong>ntelle.<br />

88<br />

Plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> ces intoxications<br />

a été causée par une prise acci<strong>de</strong>ntelle <strong>de</strong><br />

médicaments ou une erreur <strong>de</strong> prescription.<br />

Les événements indésirab<strong>les</strong> médicamenteux<br />

sont 2 fois plus fréquents après 65 ans<br />

et 10 à 20% d’entre eux conduisent à une<br />

hospitalisation.<br />

Pourtant près <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers pourraient être<br />

évités.<br />

89


Des conseils, <strong>de</strong>s informations,<br />

<strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s… <strong>de</strong>venez acteur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

prévention.<br />

Voici quelques conseils <strong>de</strong> bon sens<br />

qui vous permettront d’éviter bien<br />

<strong>de</strong>s soucis. Pensez-y !<br />

• Tapis et carpettes<br />

Ne mettez jamais un tapis ou une carpette en<br />

haut d’un escalier. Limitez leur nombre. Dans<br />

tous <strong>les</strong> cas, pensez à <strong>les</strong> fixer ou à <strong>les</strong> faire<br />

fixer avec un adhésif double face.<br />

• Éc<strong>la</strong>irage et câb<strong>la</strong>ge<br />

Adoptez <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> d’ampoule très éc<strong>la</strong>irants,<br />

notamment dans <strong>les</strong> endroits sombres (cave,<br />

grenier, <strong>de</strong>scente d’escalier, vestibule, couloir…).<br />

Veillez à p<strong>la</strong>quer <strong>les</strong> câb<strong>les</strong> électriques le long<br />

<strong>de</strong>s plinthes afin d’éviter <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire courir en<br />

travers d’une pièce.<br />

90<br />

• Sols<br />

Attention aux sols carrelés fraîchement <strong>la</strong>vés.<br />

Mouillés, ils s’avèrent extrêmement glissants.<br />

Les parquets présentent eux aussi un danger<br />

important lorsqu’une <strong>la</strong>tte s’est soulevée. Si<br />

tel est le cas, pensez à <strong>la</strong> faire réparer par un<br />

proche ou un artisan.<br />

• Salle <strong>de</strong> bains, toilettes<br />

Pensez à fixer ou à faire fixer <strong>de</strong>s barres d’appui<br />

dans <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> bains et <strong>les</strong> toilettes pour<br />

vous ai<strong>de</strong>r à vous relever, et p<strong>la</strong>cez un tapis<br />

antidérapant dans le fond <strong>de</strong> votre baignoire<br />

et <strong>de</strong> votre douche.<br />

• Chaussure à son pied<br />

Un grand nombre <strong>de</strong> chutes proviennent par<br />

ailleurs d’un problème <strong>de</strong> chaussures. En<br />

effet, <strong>de</strong>s chaussures – ou chaussons – qui<br />

ne tiennent plus aux pieds peuvent entraîner<br />

<strong>de</strong>s pertes d’équilibre. Pensez à en changer <strong>de</strong><br />

manière régulière.<br />

91


• Animaux <strong>de</strong> compagnie<br />

Chats et chiens peuvent avoir <strong>de</strong>s comportements<br />

imprévisib<strong>les</strong>, se retrouver facilement<br />

dans vos jambes et vous faire tomber.<br />

Ne <strong>les</strong> per<strong>de</strong>z pas <strong>de</strong> vue, notamment lors <strong>de</strong><br />

vos dép<strong>la</strong>cements.<br />

• Rangement<br />

Évitez <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer en hauteur <strong>de</strong>s objets dont<br />

vous vous servez quotidiennement, comme <strong>la</strong><br />

vaisselle. Cette précaution vous évitera d’avoir<br />

à monter sur un tabouret ou un escabeau, par<br />

définition instab<strong>les</strong>.<br />

• Préservez votre équilibre<br />

Une hygiène <strong>de</strong> vie inadaptée fragilise l’organisme<br />

et augmente <strong>les</strong> risques <strong>de</strong> chute.<br />

Une alimentation équilibrée et une activité<br />

physique régulière sont essentiel<strong>les</strong>. Respectez<br />

un rythme quotidien <strong>de</strong> trois repas et une<br />

col<strong>la</strong>tion en essayant <strong>de</strong> manger au moins<br />

cinq fruits et légumes, trois produits <strong>la</strong>itiers<br />

variés, <strong>de</strong>s féculents à volonté et <strong>de</strong>ux fois<br />

<strong>de</strong>s protéines. Évitez <strong>les</strong> excès <strong>de</strong> sucre et <strong>de</strong><br />

matières grasses et buvez au minimum un<br />

litre d’eau chaque jour.<br />

92<br />

• Faites bon usage <strong>de</strong>s médicaments<br />

Si vous <strong>de</strong>vez suivre plusieurs traitements,<br />

attention aux interactions médicamenteuses.<br />

N’oubliez pas <strong>de</strong> signaler aux professionnels<br />

<strong>de</strong> santé tout traitement en cours et consultez<br />

régulièrement votre mé<strong>de</strong>cin pour réévaluer<br />

vos besoins. Évitez <strong>les</strong> erreurs <strong>de</strong> prise en vous<br />

fabriquant un ai<strong>de</strong>-mémoire ou en utilisant un<br />

pilulier. Évitez également l’automédication.<br />

• Souciez-vous <strong>de</strong> votre bien-être<br />

Rester en bonne santé, morale comme<br />

physique, contribue gran<strong>de</strong>ment à prévenir<br />

<strong>les</strong> risques d’acci<strong>de</strong>nt. N’hésitez pas à vous<br />

adresser aux professionnels <strong>de</strong> santé et<br />

paramédicaux pour faire le point sur votre<br />

situation. Des bi<strong>la</strong>ns réguliers sont uti<strong>les</strong><br />

pour dépister d’éventuels déficits visuels ou<br />

auditifs ou <strong>de</strong>s pathologies naissantes, comme<br />

pour bénéficier <strong>de</strong> conseils si vous éprouvez<br />

<strong>de</strong>s difficultés mora<strong>les</strong> ou affectives (peur,<br />

isolement, problème <strong>de</strong> sommeil, etc.).<br />

93


• À l’extérieur, regar<strong>de</strong>z où vous posez le<br />

pied !<br />

Restez attentifs à tous <strong>les</strong> obstac<strong>les</strong> au sol :<br />

dénivel<strong>la</strong>tions, sol rendu glissant par <strong>la</strong> pluie,<br />

<strong>les</strong> feuil<strong>les</strong> mortes, le verg<strong>la</strong>s ou <strong>les</strong> déjections<br />

canines.<br />

Dans le jardin, rangez <strong>les</strong> outils et accessoires<br />

tels que le tuyau d’arrosage, susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

rendre votre cheminement dangereux. Et,<br />

si vous montez sur un escabeau ou à une<br />

échelle, assurez-vous <strong>de</strong> leur stabilité.<br />

• Des dép<strong>la</strong>cements sereins<br />

Sur <strong>la</strong> voie publique, évitez toute précipitation,<br />

ainsi que <strong>les</strong> mouvements <strong>de</strong> foule. Prenez<br />

gar<strong>de</strong> à tous <strong>les</strong> véhicu<strong>les</strong> susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

se dép<strong>la</strong>cer sans bruit, tels que skateboard,<br />

roller ou vélo.<br />

94<br />

Il suffit parfois <strong>de</strong> quelques travaux<br />

pour améliorer <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong> votre<br />

domicile. De nombreuses ai<strong>de</strong>s<br />

financières existent pour contribuer à<br />

<strong>de</strong>s aménagements uti<strong>les</strong>.<br />

• La fédération PACT, réseau <strong>de</strong><br />

145 opérateurs au service <strong>de</strong> l’amélioration<br />

<strong>de</strong> l’habitat, intervient auprès <strong>de</strong>s personnes<br />

qui souhaitent sécuriser leur logement. Elle <strong>les</strong><br />

accompagne <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> phase initiale <strong>de</strong> conseil<br />

jusqu’à <strong>la</strong> réalisation d’un projet, en passant<br />

par le montage <strong>de</strong> dossiers administratifs et<br />

financiers.<br />

Pour connaître <strong>les</strong> coordonnées <strong>de</strong> l’association<br />

<strong>la</strong> plus proche <strong>de</strong> chez vous :<br />

http://www.pact-arim.org<br />

Tél : 01 42 81 97 70<br />

• Les départements et communes (via <strong>les</strong><br />

Centres communaux d’action sociale)<br />

proposent souvent <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s financières à<br />

l’amélioration <strong>de</strong> l’habitat.<br />

95


• L’Agence nationale <strong>de</strong> l’habitat accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

subventions pour l’amélioration <strong>de</strong> l’habitat.<br />

http://www.anah.fr<br />

Tél : 0826 80 39 39<br />

• Les Caisses d’allocations familia<strong>les</strong> proposent<br />

aux allocataires un prêt à l’amélioration<br />

<strong>de</strong> l’habitat au taux <strong>de</strong> 1 %. Il peut atteindre<br />

80 % <strong>de</strong>s dépenses engagées dans <strong>la</strong> limite<br />

<strong>de</strong> 1 067,14 euros, et il est remboursable en<br />

36 mensualités éga<strong>les</strong>*.<br />

• Certaines caisses <strong>de</strong> retraite et institutions<br />

<strong>de</strong> retraite complémentaire proposent <strong>de</strong>s<br />

ai<strong>de</strong>s pour améliorer l’habitat, à condition qu’il<br />

s’agisse <strong>de</strong> votre rési<strong>de</strong>nce principale.<br />

96<br />

Les avantages fiscaux<br />

Si vous faites appel à un professionnel pour<br />

réaliser <strong>de</strong>s travaux d’amélioration <strong>de</strong> votre<br />

habitat d’ici au 31 décembre 2011, vous<br />

pouvez bénéficier d’une TVA à 5,5 % au lieu <strong>de</strong><br />

19,6 %. Cette mesure concerne <strong>les</strong> logements<br />

d’habitation achevés <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans,<br />

que vous en soyez propriétaire, locataire ou<br />

simple occupant.<br />

Pour <strong>les</strong> dépenses d’instal<strong>la</strong>tion ou <strong>de</strong><br />

remp<strong>la</strong>cement d’équipements spécialement<br />

conçus pour <strong>les</strong> personnes âgées, vous<br />

bénéficiez d’un crédit d’impôt égal à 25 % du<br />

montant <strong>de</strong>s dépenses (dans <strong>la</strong> limite d’un<br />

p<strong>la</strong>fond déterminé).<br />

Par ailleurs, <strong>les</strong> petits travaux permettant<br />

<strong>la</strong> mise en sécurité du logement entrent<br />

dans le cadre <strong>de</strong>s services à <strong>la</strong> personne.<br />

À ce titre, ils ouvrent droit aux avantages<br />

fiscaux et sociaux dont bénéficient <strong>les</strong> services<br />

à <strong>la</strong> personne. Le financement par un tiers<br />

(mutuelle, collectivité locale, entreprise…) <strong>de</strong><br />

l’audit du domicile et <strong>de</strong>s petits travaux pourra<br />

ainsi être versé sous forme <strong>de</strong> Chèques emploi<br />

service universels (CESU) préfinancés sur le<br />

modèle du chèque-restaurant.<br />

D’autre part, toute personne âgée qui effectuera<br />

97


<strong>de</strong> petits travaux à domicile bénéficiera, sur <strong>la</strong><br />

main-d’œuvre, d’une réduction d’impôt égale<br />

à 50 % <strong>de</strong>s sommes qui seront effectivement<br />

restées à sa charge*.<br />

Un guichet unique pour vous conseiller et<br />

vous informer :<br />

<strong>les</strong> Centres locaux d’information et <strong>de</strong><br />

coordination (CLIC).<br />

Guichets d’accueil, <strong>de</strong> conseil, d’orientation<br />

et d’accompagnement <strong>de</strong>s personnes âgées,<br />

<strong>les</strong> CLIC se situent dans une triple logique <strong>de</strong><br />

proximité, d’accès facilité aux droits et <strong>de</strong> mise<br />

en réseau entre <strong>les</strong> professionnels (professions<br />

<strong>de</strong> santé, d’accompagnement à domicile et <strong>de</strong><br />

l’aménagement <strong>de</strong> l’habitat) et <strong>les</strong> différents<br />

acteurs locaux.<br />

http://clic-info.personnes-agees.gouv.fr<br />

Vous saurez tout sur <strong>les</strong> chutes et <strong>les</strong><br />

moyens <strong>de</strong> <strong>les</strong> prévenir…<br />

Causes, conséquences, moyens <strong>de</strong> prévention,<br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> dépistage <strong>de</strong>s risques, avancées<br />

scientifiques… www.protec-chute.com est<br />

le premier site européen d’information et <strong>de</strong><br />

conseil sur <strong>les</strong> chutes <strong>de</strong>s personnes âgées.<br />

* En date <strong>de</strong> juin 2010, susceptible d’évolutions.<br />

98<br />

La prévention passe aussi par le bien-être<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> personne. Une alimentation saine, un<br />

environnement social rassurant, une prise<br />

en charge <strong>de</strong>s troub<strong>les</strong> liés à l’âge (vision,<br />

mémoire, locomotion…) contribuent à<br />

éviter nombre d’<strong>acci<strong>de</strong>nts</strong>. S’informer,<br />

faire le point et participer à <strong>de</strong>s ateliers<br />

peut vous ai<strong>de</strong>r.<br />

• Les caisses d’assurance ma<strong>la</strong>die, d’assurance<br />

vieil<strong>les</strong>se, caisses <strong>de</strong> retraite et<br />

régimes complémentaires peuvent proposer<br />

<strong>de</strong>s actions d’information et <strong>de</strong>s bi<strong>la</strong>ns <strong>de</strong><br />

prévention qui abor<strong>de</strong>nt <strong>les</strong> champs médical,<br />

social et psychologique. Certains complètent<br />

cette approche par un accompagnement<br />

personnalisé et <strong>de</strong>s ateliers sur <strong>de</strong>s thèmes<br />

variés : sommeil, équilibre, mémoire,<br />

nutrition, médicaments… Des actions en<br />

faveur du bien-vieillir qui ai<strong>de</strong>nt à éviter <strong>les</strong><br />

risques <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie courante.<br />

• Renseignez-vous également auprès du<br />

CHU le plus proche <strong>de</strong> votre domicile.<br />

Certains (ceux <strong>de</strong> Lille, Poitiers et Montpellier,<br />

notamment) mettent en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s projets<br />

multidisciplinaires intéressants pour évaluer<br />

<strong>les</strong> risques et <strong>les</strong> prévenir.<br />

99


• Des associations tel<strong>les</strong> que <strong>la</strong> Fédération<br />

française EPMM Sports pour tous ou SIEL<br />

Bleu (Sport initiative et loisirs) proposent <strong>de</strong>s<br />

programmes <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong>s chutes basés<br />

sur <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> développement <strong>de</strong> l’équilibre,<br />

combinés à <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> prévention sur<br />

<strong>la</strong> nutrition et <strong>les</strong> comportements à risque.<br />

À travers son service Domi SIEL, l’association<br />

SIEL Bleu propose également <strong>de</strong>s programmes<br />

d’activités physiques adaptées à domicile,<br />

qui bénéficient <strong>de</strong>s avantages fiscaux liés au<br />

CESU (voir ci-<strong>de</strong>ssus).<br />

www.sportspourtous.org<br />

Tél : 01 42 72 95 55<br />

www.sielbleu.org<br />

Tél : 0820 825 686<br />

100<br />

- Ustensi<strong>les</strong> 2011 -<br />

101


102<br />

103


Une étoile s’éteint<br />

<strong>Lucie</strong> et <strong>Mathil<strong>de</strong></strong> mettent le cap sur <strong>la</strong><br />

capitale. La première pour y passer un peu<br />

<strong>de</strong> temps avec son ex-mari Paul et leur<br />

fils Patrice, <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> pour profiter <strong>de</strong><br />

ses petits-enfants. La mort <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine<br />

Davin, gloire du cinéma <strong>de</strong>s années<br />

cinquante et tante <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle amie <strong>de</strong><br />

Paul, va cependant quelque peu bousculer<br />

leur p<strong>la</strong>n initial et <strong>les</strong> propulser dans une<br />

aventure pleine <strong>de</strong> péripéties. Entre jet-set<br />

sur le retour et bil<strong>la</strong>rd à trois ban<strong>de</strong>s, <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux amies auront besoin <strong>de</strong> toute leur<br />

malice pour comprendre <strong>les</strong> ressorts d’un<br />

scénario bien tortueux.

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