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Chimène et le Cid - Musée Pierre Corneille

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«Honneur, amour… »<br />

Toute l’action du <strong>Cid</strong> est sous-tendue par un puissant conflit moral, une véritab<strong>le</strong><br />

psychomachie qui fait s’affronter dans l’esprit des principaux personnages deux va<strong>le</strong>urs majeures,<br />

deux impérieuses postulations : l’honneur <strong>et</strong> l’amour. Les personnages <strong>le</strong>s plus jeunes utilisent<br />

beaucoup de mots associés au thème de l’amour <strong>et</strong> qui ont <strong>le</strong> radical amour-, tandis que <strong>le</strong>s plus<br />

âgés emploient très souvent des mots qui appartiennent au champ <strong>le</strong>xical de l’honneur <strong>et</strong> de la<br />

gloire.<br />

Rodrigue exprime puissamment l’antithèse dans <strong>le</strong>s stances qu’il déclame à la fin du premier acte<br />

: « …honneur, amour / Nob<strong>le</strong> <strong>et</strong> dure contrainte, aimab<strong>le</strong> tyrannie » ; <strong>et</strong> Don Diègue oppose plus<br />

rudement encore <strong>le</strong>s sentiments au souci de la gloire : « L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est<br />

un devoir ».<br />

C<strong>et</strong> antagonisme se décline en des termes analogues pour trois des principaux personnages du<br />

<strong>Cid</strong>, l’Infante, <strong>Chimène</strong> <strong>et</strong> Rodrigue pour qui l’amour est lié à la souffrance. Rodrigue est partagé<br />

entre l’amour qu’il éprouve pour <strong>Chimène</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s soins qu’il doit à l’honneur familial, bafoué par <strong>le</strong><br />

père de cel<strong>le</strong> qu’il aime : c’est sur ce di<strong>le</strong>mme que se referme <strong>le</strong> premier acte.<br />

Symétriquement, <strong>Chimène</strong> est partagée entre son amour pour Rodrigue <strong>et</strong> <strong>le</strong>s soins qu’el<strong>le</strong> doit à<br />

la mémoire de son père, tué par celui qu’el<strong>le</strong> aime : ce second di<strong>le</strong>mme assure une part<br />

essentiel<strong>le</strong> de l’intensité dramatique <strong>et</strong> pathétique des actes II à V.<br />

S’ajoute à cela <strong>le</strong> di<strong>le</strong>mme de l’Infante, partagée entre l’inclination qu’el<strong>le</strong><br />

éprouve depuis longtemps pour Rodrigue <strong>et</strong> la considération de son rang de<br />

princesse, qui lui interdit de seu<strong>le</strong>ment songer à une tel<strong>le</strong> mésalliance : c<strong>et</strong><br />

amour réprimé forme la matière de toutes <strong>le</strong>s interventions de Doña Urraque,<br />

dont <strong>le</strong> conflit moral est exposé à la scène 3 de l’acte premier.<br />

Sur ces affrontements axiologiques reposent la tension de la pièce, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

postures souvent paradoxa<strong>le</strong>s des personnages ; ils forment <strong>le</strong> principal<br />

obstac<strong>le</strong>, tout intérieur, s’opposant à un aboutissement heureux de l’amour<br />

réciproque qui fait tendre Rodrigue <strong>et</strong> <strong>Chimène</strong> l’un vers l’autre.<br />

Il faut cependant que ce conflit de va<strong>le</strong>urs soit <strong>le</strong>vé d’une façon ou d’une autre, puisque Le <strong>Cid</strong> se<br />

dénoue bel <strong>et</strong> bien sur « <strong>le</strong> beau succès d’une amour si parfaite » ; sa résolution, en outre, ne<br />

peut reposer entièrement sur une intervention externe, un coup de théâtre : il faut qu’il puisse être<br />

tranché par <strong>le</strong>s personnages eux-mêmes, qui autrement seraient voués à l’inaction.<br />

La dynamique de la pièce interdit toute faib<strong>le</strong>sse à Rodrigue : pour dénouer la joute héroïque <strong>et</strong><br />

amoureuse des amants ennemis, il faut donc que ce soit <strong>Chimène</strong> qui consente à l’inacceptab<strong>le</strong>,<br />

qui fléchisse <strong>et</strong> abandonne la lutte. Heureusement, à la fin de la pièce, il y a une victoire de<br />

l’amour sur l’honneur <strong>et</strong> <strong>le</strong> devoir : <strong>Chimène</strong> abdique de son honneur en pardonnant <strong>et</strong> en prenant<br />

pour mari l’assassin de son père.<br />

Le monde de l’élément masculin triomphe <strong>et</strong> el<strong>le</strong> devient <strong>le</strong> prix de la victoire de Rodrigue. Mais si<br />

son statut de femme l’empêche de sortir victorieuse, el<strong>le</strong> ne se conforme pas <strong>et</strong> dans sa dernière<br />

tirade el<strong>le</strong> m<strong>et</strong> en question la justice <strong>et</strong> défie la société féoda<strong>le</strong>.<br />

Ainsi, même si Corneil<strong>le</strong> déploie toutes <strong>le</strong>s ressources du sublime pour peindre la grandeur d’âme<br />

<strong>et</strong> la force de caractère de <strong>Chimène</strong>, cel<strong>le</strong>-ci ne se maintient pas à même hauteur d’héroïsme que<br />

Rodrigue ; el<strong>le</strong> ne parvient pas aussi parfaitement que lui à confondre dans un même élan <strong>le</strong>s<br />

impératifs de l’honneur <strong>et</strong> <strong>le</strong>s ardeurs de l’amour.<br />

C’est que <strong>le</strong> dramaturge a besoin de c<strong>et</strong>te disparité pour dénouer son intrigue.

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