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Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 33<br />
et de comportement universel. L’importance attribuée aux signes de prestige, le respect accordé<br />
à la « force » physique ou à la « gloire » sont des attitudes communes aux individus de toutes les<br />
sociétés. A travers sa quête de jouissance, l’homme construit son identité. Connaître le plaisir,<br />
c’est se réconcilier avec soi-même et tenter d’aboutir dans son projet d’être 1 . La société exacerbe<br />
la crise d’identité de l’individu en lui proposant une large galerie de modèles de réussite. La<br />
conscience de l’inégalité produit le désir, qui apparaît par sentiment d’un manque, d’une fracture<br />
entre ce que l’on veut connaître, ou avoir, et ce que l’on a en réalité. Dans le plaisir et la<br />
jouissance, l’homme trouve sa paix. L’envie, écrit Helvétius, contrarie l’aspiration au bonheur<br />
puisqu’elle signifie l’impossibilité de coïncider avec soi-même. Le désir n’en finit jamais. C’est<br />
pourquoi de nombreux auteurs tels que Jovellanos, Tomás de Iriarte ou encore Meléndez Valdés<br />
recommandent à l’homme un contentement serein, un conformisme d’inspiration stoïcienne. Par<br />
la suspension du vain désir, l’homme peut espérer trouver la sérénité et vivre à l’abri de l’envie<br />
au sein de la société inégalitaire. Jovellanos écrit ainsi dans son Epístola moral sobre los vanos<br />
deseos :<br />
¿Quieres, como el vulgo idiota, / De la felicidad y la fortuna / Los nombres confundir ? / ¿O por los<br />
vanos bienes y gustos con que astuta brinda, / El verdadero bien medir ? / [...] con sus bienes crece su deseo, /<br />
Y quanto más posee, mas anhela. / [...)] Huye, y en virtud busca tu asilo : / Que ella feliz te hará. / No hay,<br />
no lo pienses, / Dicha más pura que la dulce calma, / Que inspira al varón justo. Ella modesto / Le hace en<br />
prosperidad : ledo, tranquilo / En sobria medianía : resignado / En pobreza y dolor / [...] Sabiduría y virtud<br />
son dos hermanas / Descendidas del cielo para gloria / Y perfección del hombre 2 .<br />
Jovellanos prêche ici la morale de la médiocrité dorée. Si, comme il l’affirme, la vertu<br />
seule conduit au vrai bonheur, elle le doit au repos intérieur de l’âme qu’elle signifie, et à<br />
l’approbation de la société qu’elle suscite : l’individu qui ne serait pas vertueux se verrait en<br />
effet sanctionné par les lois et sombrerait de fait dans le malheur.<br />
Les passions humaines et l’énergie du désir de plaisir peuvent être réorientées au bénéfice de<br />
la chose publique. Les lois tentent non seulement de les contraindre mais aussi d’en tirer parti.<br />
Le législateur peut détourner la quête individuelle de plaisir afin que cette force d’animation<br />
profite à l’intérêt collectif. Par exemple, on n’interdira pas les habits luxueux mais on<br />
recommandera l’achat de produits espagnols, pour le bien de l’industrie nationale et par souci de<br />
l’équilibre de la balance du commerce. L’État saura de même saluer l’utilité d’un citoyen,<br />
occupé en vérité à servir son intérêt privé, en accordant des médailles, des titres nobiliaires à de<br />
1<br />
Buffon écrira à la même époque que « nos vrais plaisirs consistent dans le libre usage de nous-mêmes” »(Buffon,<br />
Histoire naturelle, « De l’homme »).<br />
2<br />
JOVELLANOS, G.M. de, Epístola moral del señor Jovellanos sobre los vanos deseos y los estudios de los<br />
hombres. Lima, Bernardino Ruiz, 1815, pp. 5 et suivantes.