PLAISIR(S) - CREC

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Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 219 probablement en peu de temps, est à prendre en fin de compte pour ce qu’elle est : « de usar y tirar ». En conclusion, ce récit, qui rappelle les premiers films débridés de Pedro Almodóvar, notamment Laberinto de pasiones (1982) ou, surtout, Pepi, Luci, Bom, y otras chicas del montón (1980) et son concours d’« erecciones generales », tous films d’un mauvais goût très sûr, typique de la Movida, n’est peut-être pas un chef-d’œuvre de la littérature, loin s’en faut, mais constitue à coup sûr une expérience fort plaisante. Ce livre drôle, voire férocement jubilatoire, pouvait être un morceau de choix en tant qu’objet d’étude pour le décorticage d’une mécanique du plaisir. Que l’on soit ou non sensible à ce genre d’écriture, il s’agit là d’un livre où la question du plaisir est primordiale. En effet, le plaisir que l’on peut prendre à lire Fuego en las entrañas est conditionné à un certain nombre de points : produit d’une époque fortement dés- hiérarchisante et irrespectueuse des genres et des formes établis, il évoque encore pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, cette époque qui donnait le primat au plaisir, à tous les plaisirs – et où le sexe avait une grande part –, particulièrement dans un pays qui sortait de la dictature. Pour apprécier cette histoire écrite par un auteur lui aussi irrespectueux – ou respectueux des genres, mais les poussant dans leurs derniers retranchements –, il faut peut-être, à la fois, garder son « âme d’enfant » à qui l’on raconte des histoires de méchant Chinois vengeur, et dans le même temps, assumer son côté « voyeur » de scènes pornographiques… Face à un archi-texte célèbre de la littérature et du cinéma populaires – ou de la bande dessinée et des séries télévisées – et partagé par tous, nul besoin d’intellectualiser, semble nous dire Almodóvar, qui a bien dû s’amuser, lui d’abord, avec cette histoire de serviettes hygiéniques diaboliques, et nul besoin non plus de traquer nécessairement la parodie, ou même le pastiche, derrière l’exagération, même si l’on a voulu montrer que l’ironie et la distance étaient présentes dans ce récit. Cette pochade destinée à amuser ses amis et peut-être à épater le bourgeois, Almodóvar n’en reviendrait sans doute pas qu’elle fasse l’objet d’une étude dans un groupe de recherches de l’Université, mais que ce soit sous l’espèce du plaisir qu’on peut prendre à la lire, et que l’on conclue en ces termes devrait lui causer… un immense plaisir.

220 LE(S) PLAISIR(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES) LE PLAISIR DE LA DISTANCE. À PROPOS DE TORRENTE, EL BRAZO TONTO DE LA LEY (1998), DE SANTIAGO SEGURA "On dirait que l'idée de plaisir ne flatte plus personne" Roland Barthes 1 Marie-Soledad RODRIGUEZ, Université de Paris III Choisir comme objet d’étude le film de Segura, dans le cadre d’une recherche sur le plaisir, c'est déjà avouer quelque secret penchant pour l’œuvre et vouloir s'interroger sur ce plaisir, souvent insaisissable, auquel nous avons cédé lors de la vision de Torrente, comme un grand nombre de spectateurs. Ainsi que l’ont noté divers journalistes : « Los adolescentes y los jóvenes que acuden a las salas para ver Torrente se parten de risa » 2 . Rappelons que ce film est parvenu à concurrencer les superproductions américaines en matière d’audience, puisqu’il a été vu par 2.854.858 spectateurs 3 , et reste, à ce jour, le film espagnol ayant réalisé les plus grosses recettes sur le territoire national. Si l’engouement qu’il a fait naître au sein d'un public plutôt jeune est attesté par les chiffres d'entrées, l'accueil qu'il a reçu de la critique a été en général bienveillant, ce qui peut paraître plus surprenant. En effet, ce film composite, qui relève du registre comique, se présente comme une parodie du film « costumbriste » 4 et du genre policier, tire une partie de son inspiration de la bande dessinée et des jeux vidéos, se revendique comme production de série B, ainsi qu’en attestent certains aspects un peu relâchés du scénario. C'est assez dire qu’a priori il ne possède pas les qualités auxquelles sont 1 Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 75. 2 Fátima RODRIGUEZ, Tribuna de actualidad, 25-5-1998. 3 Chiffre fourni par le PIC (punto de información cultural) en août 1999. La sortie en salles du film a eu lieu le 13 mars 1998. 4 A partir du moment où le personnage principal est construit comme représentatif de certaines caractéristiques madrilènes ou espagnoles.

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LE(S) <strong>PLAISIR</strong>(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES)<br />

LE <strong>PLAISIR</strong> DE LA DISTANCE.<br />

À PROPOS DE TORRENTE, EL BRAZO TONTO DE LA LEY (1998), DE<br />

SANTIAGO SEGURA<br />

"On dirait que l'idée de plaisir ne flatte plus personne"<br />

Roland Barthes 1<br />

Marie-Soledad RODRIGUEZ, Université de Paris III<br />

Choisir comme objet d’étude le film de Segura, dans le cadre d’une recherche sur le plaisir,<br />

c'est déjà avouer quelque secret penchant pour l’œuvre et vouloir s'interroger sur ce plaisir,<br />

souvent insaisissable, auquel nous avons cédé lors de la vision de Torrente, comme un grand<br />

nombre de spectateurs. Ainsi que l’ont noté divers journalistes : « Los adolescentes y los<br />

jóvenes que acuden a las salas para ver Torrente se parten de risa » 2 . Rappelons que ce film<br />

est parvenu à concurrencer les superproductions américaines en matière d’audience, puisqu’il<br />

a été vu par 2.854.858 spectateurs 3 , et reste, à ce jour, le film espagnol ayant réalisé les plus<br />

grosses recettes sur le territoire national. Si l’engouement qu’il a fait naître au sein d'un public<br />

plutôt jeune est attesté par les chiffres d'entrées, l'accueil qu'il a reçu de la critique a été en<br />

général bienveillant, ce qui peut paraître plus surprenant. En effet, ce film composite, qui<br />

relève du registre comique, se présente comme une parodie du film « costumbriste » 4 et du<br />

genre policier, tire une partie de son inspiration de la bande dessinée et des jeux vidéos, se<br />

revendique comme production de série B, ainsi qu’en attestent certains aspects un peu<br />

relâchés du scénario. C'est assez dire qu’a priori il ne possède pas les qualités auxquelles sont<br />

1 Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 75.<br />

2 Fátima RODRIGUEZ, Tribuna de actualidad, 25-5-1998.<br />

3 Chiffre fourni par le PIC (punto de información cultural) en août 1999. La sortie en salles du film a eu lieu le<br />

13 mars 1998.<br />

4 A partir du moment où le personnage principal est construit comme représentatif de certaines caractéristiques<br />

madrilènes ou espagnoles.

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