PLAISIR(S) - CREC
PLAISIR(S) - CREC PLAISIR(S) - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 187 Incarner le langage et spiritualiser le corps : tel est le dessein de l'écriture de Rafael Alberti. C'est une calligraphie, une œuvre à la fois lyrique et picturale échafaudée sur la ligne, « andamio y sostén de la peintura ». Le dessin le plus abstrait, celui qui exprime l'expérience esthétique dans ses volutes et ses répétitions est celui de l'arabesque. Baudelaire écrit : « L'arabesque est le plus idéal des dessins » 1 . Cette ligne exacte comme une lettre de l'alphabet enveloppe dans un même geste le sujet et l'objet. Elle conjugue l'imaginaire de la dilatation et celui de la poursuite, deux mouvements complémentaires de la jouissance. Le tournoiement de l'arabesque accomplit, à la fois, l'extase dionysienne de l'abandon et le plaisir apollinien de la maîtrise. Il dit le retour, non comme une image figée, mais comme un élan créateur. Le plaisir esthétique est à la charnière de la chair et de l'esprit. C'est une expérience globale, une eurythmie, que Baudelaire décrit comme le fruit de la contemplation des lignes, dans Mon coeur mis à nu, et dont Jean-Pierre Richard souligne l'importance dans la conception baudelairienne de la poésie 2 . L'eurythmie, c'est l'heureuse harmonie qui naît des proportions d'une œuvre plastique et la régularité des battements du cœur. Dans sa globalité, A la pintura est un chef-d'œuvre de composition. La manière dont les sonnets et les poèmes consacrés aux couleurs sont enchâssés dans les quarante-huit poèmes numérotés fait songer aux strophes d'un poème 3 . L'eurythmie définit aussi bien le plaisir du lecteur-spectateur que celui du créateur. Ces deux figures se confondent pour Rafael Alberti. Le dernier poème de A la Pintura, “Picasso”, annonce une écriture fondée sur la vue, le toucher et l'ouïe, sensuelle comme une synesthésie : Arabescos. Revelaciones. Canta el color con otra ortografía y la mano dispara una nueva escritura. 1 Charles BAUDELAIRE, loc. cit. 2 Jean-Pierre RICHARD, op.cit., p. 144. 3 Alberti écrit dans La arboleda perdida : « Desde mis días iniciales, pretendí que cada una de mis obras fuese enfocada como una unidad, casi un cerrado círculo en que los poemas, sueltos y libres en apariencia, completaran un todo armónico, definido », phrase citée et commentée par Robert MARRAST, introduction à Marinero en tierra. La amante. El alba del alhelí, Madrid, Castalia, 1982, p. 21.
188 LE(S) PLAISIR(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES) LES ROMANS POLICIERS DE MANUEL VÁZQUEZ MONTALBÁN(1974-1981) : FILATURES ET PLAISIRS. Claire PALLAS, Université de Paris III. Les lignes qui suivent ne prétendent pas exposer ex cathedra de vérité définitive ou exhaustive sur le plaisir et sa diversité. Elles s’efforceront d’inscrire un cadre d’étude plausible de ses manifestations, pour le moins intelligibles, dans l’exercice d’un art consommé, la littérature, et plus spécifiquement, d’un genre (le roman policier) et d’un auteur (Vázquez Montalbán). Plutôt que de disserter sur l’existence du plaisir dans telle ou telle période de l’histoire, nous nous attacherons à observer dans quels registres il peut prendre vie, sous quels arcanes il peut se retrancher. Le plaisir est d’abord celui de chacun et de tous : le plaisir pour un dictateur d’inféoder une nation (il ne nous appartient pas ici d’élucider les raisons profondes qui l’orientèrent dans cette direction…). Le plaisir de l’appareil d’état qui met en œuvre la féodalité dans ses aspects institutionnels, juridiques et répressifs. Le plaisir du peuple à subir (en cultivant un autre plaisir de mémoire, celui du temps où…). Le plaisir du peuple à refuser de subir (en cultivant un autre plaisir projectif, celui du temps où les choses ne seront plus ce qu’elles ne doivent pas être…). Le plaisir, enfin, qu’il reste à chacun de jouir de la beauté des espaces intérieurs et extérieurs, naturels, culturels, émotionnels. Le plaisir profond de la famille, du clan, de la région ou de la religion retrouvés, au sein desquels s’ouvrent et se recroquevillent successivement les lieux d’agrément que chacun cultive et partage.
- Page 138 and 139: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 140 and 141: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 142 and 143: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 144 and 145: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 146 and 147: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 148 and 149: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 150 and 151: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 152 and 153: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 154 and 155: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 156 and 157: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 158 and 159: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 160 and 161: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 162 and 163: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 164 and 165: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 166 and 167: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 168 and 169: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 170 and 171: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 172 and 173: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 174 and 175: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 176 and 177: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 178 and 179: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 180 and 181: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 182 and 183: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 184 and 185: Les vers 4 à 7 sont identiques aux
- Page 186 and 187: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 190 and 191: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 192 and 193: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 194 and 195: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 196 and 197: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 198 and 199: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 200 and 201: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 202 and 203: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 204 and 205: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 206 and 207: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 208 and 209: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 210 and 211: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 212 and 213: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 214 and 215: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 216 and 217: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 218 and 219: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 220 and 221: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 222 and 223: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 224 and 225: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 226 and 227: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 228 and 229: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 230 and 231: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 232 and 233: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 234 and 235: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 236 and 237: Centre de Recherche sur l’Espagne
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 187<br />
Incarner le langage et spiritualiser le corps : tel est le dessein de l'écriture de Rafael Alberti.<br />
C'est une calligraphie, une œuvre à la fois lyrique et picturale échafaudée sur la ligne, « andamio<br />
y sostén de la peintura ». Le dessin le plus abstrait, celui qui exprime l'expérience esthétique dans<br />
ses volutes et ses répétitions est celui de l'arabesque. Baudelaire écrit : « L'arabesque est le plus<br />
idéal des dessins » 1 . Cette ligne exacte comme une lettre de l'alphabet enveloppe dans un même<br />
geste le sujet et l'objet. Elle conjugue l'imaginaire de la dilatation et celui de la poursuite, deux<br />
mouvements complémentaires de la jouissance. Le tournoiement de l'arabesque accomplit, à la<br />
fois, l'extase dionysienne de l'abandon et le plaisir apollinien de la maîtrise. Il dit le retour, non<br />
comme une image figée, mais comme un élan créateur. Le plaisir esthétique est à la charnière de<br />
la chair et de l'esprit. C'est une expérience globale, une eurythmie, que Baudelaire décrit comme<br />
le fruit de la contemplation des lignes, dans Mon coeur mis à nu, et dont Jean-Pierre Richard<br />
souligne l'importance dans la conception baudelairienne de la poésie 2 . L'eurythmie, c'est<br />
l'heureuse harmonie qui naît des proportions d'une œuvre plastique et la régularité des battements<br />
du cœur. Dans sa globalité, A la pintura est un chef-d'œuvre de composition. La manière dont les<br />
sonnets et les poèmes consacrés aux couleurs sont enchâssés dans les quarante-huit poèmes<br />
numérotés fait songer aux strophes d'un poème 3 . L'eurythmie définit aussi bien le plaisir du<br />
lecteur-spectateur que celui du créateur. Ces deux figures se confondent pour Rafael Alberti. Le<br />
dernier poème de A la Pintura, “Picasso”, annonce une écriture fondée sur la vue, le toucher et<br />
l'ouïe, sensuelle comme une synesthésie :<br />
Arabescos. Revelaciones.<br />
Canta el color con otra ortografía<br />
y la mano dispara una nueva escritura.<br />
1 Charles BAUDELAIRE, loc. cit.<br />
2 Jean-Pierre RICHARD, op.cit., p. 144.<br />
3 Alberti écrit dans La arboleda perdida : « Desde mis días iniciales, pretendí que cada una de mis obras fuese<br />
enfocada como una unidad, casi un cerrado círculo en que los poemas, sueltos y libres en apariencia, completaran un<br />
todo armónico, definido », phrase citée et commentée par Robert MARRAST, introduction à Marinero en tierra. La<br />
amante. El alba del alhelí, Madrid, Castalia, 1982, p. 21.