PLAISIR(S) - CREC
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Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 155 incompatibilité avec l’humour. Tous deux fonctionnent par désacralisation, dans le cas de ces trois romans, à la fois du sentimentalisme et de la sexualité. Celle-ci est, avec la mort, un des tabous avec lequel l’humour joue le plus volontiers. Le couple érotisme-humour qui s’exprime particulièrement dans le roman, pour des raisons de représentation, est fatal au premier. L’écriture comique doit remplir certaines conditions pour mettre en scène le plaisir ou l’érotisme, en particulier le détournement et le refus de l’explicite qui souligne l’interdit, mais un autre caractère de cette écriture, cette fois-ci structurelle, est particulièrement approprié au récit du plaisir, de l’errance amoureuse: la structure linéaire, la succession de récits et surtout la digression 1 . Cette composition digressive, évidente dans les trois romans de Jardiel Poncela – et parfois critiquée – est une grande source de liberté et fait entrevoir un vrai plaisir de l’accumulation. Ce plaisir, qui se rit parfois de la cohérence (la fin de Amor..., la biographie du chien russe dans Pero...¿hubo...), explique peut-être qu’il n’y ait de place réelle que pour le plaisir du langage 2 . On pourrait dire, peut-être abruptement, que ce type de production romanesque pose l’idée du plaisir comme pure construction langagière. A travers l’humour et le scepticisme, Jardiel Poncela interroge la réalité du plaisir et la possibilité d’appréhender conceptuellement ou moralement celui-ci. Surtout, ses romans nous montrent combien les années 20 sont décisives dans l’extension de cette nouveauté : le plaisir comme condition nécessaire au bonheur collectif et individuel, impudence que les années 30 s’efforceront de corriger, souvent de la façon la plus brutale. 1 L’écriture comique, p. 51. 2 Un personnage de Jardiel Poncela est particulièrement paradigmatique, et je finirai sur lui : le docteur Flagg, menteur invétéré, mythomane et conteur fascinant malgré son physique grotesque. Il fait une première apparition dans Amor.., où il séduit Sylvia en lui racontant sa vie extraordinaire, et réapparaît, plus grave, dans La Tournée de Dios, où il sera le dernier ami de Dieu et surtout le protagoniste d’une scène délirante où il accouche l’héroïne sans douleur en la faisant hurler de rire.
156 LE(S) PLAISIR(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES) LES CLÉS (TEXTUELLES) DES MAISONS CLOSES Évelyne RICCI, Université de Dijon Dans le cadre d'une réflexion sur le plaisir, il nous a paru tentant d'étudier les représentations littéraires que les romans galants des premières décennies du siècle dernier offrent des maisons closes, ces lieux entièrement consacrés à l'exercice du plaisir et à sa jouissance. S'intéresser à ces transcriptions littéraires plutôt qu'à la réalité s'explique, d'abord, par l'inexistence de sources d'archives qui permettraient de connaître ces maisons autrement que par les documents de police, les seuls à être à ce jour conservés (et, encore, très parcimonieusement). À défaut, les romans constituent une source de documentation d'autant plus intéressante qu'ils ont été soumis au filtre de la création artistique. La manière dont les romanciers transcrivent la réalité dans leurs œuvres en dit long sur la vision qu'ils ont de ces lieux de plaisir et sur l'image qu'ils veulent transmettre à leurs lecteurs, à une époque où la société espagnole se débat dans les tourments de la répression et de la libération des corps, comme le rappelle Serge Salaün, à propos de la sicalipsis au théâtre : La sicalipsis caractérise une certaine massification de l'offre et, surtout, de la demande sexuelle qui concerne toutes les couches de la population ; elle exprime et métaphorise […] un besoin urgent d'émancipation et de libération des mœurs, contre des siècles de répression cléricale et d'obscurantisme, contre ce dimorphisme sexuel qui conditionne l'éducation et la culture du corps selon que l'on est un homme ou une femme 1 . La représentation qu'offrent les romanciers des maisons closes permet, à travers le filtre de la création littéraire, de mieux appréhender les fantasmes, les attentes, les craintes ou les désirs liés à ces lieux et de mieux connaître ainsi les relations qu'entretient la société de la 1 Serge SALAÜN, "Les mots et la «chose». Le théâtre «pornographique» en Espagne", dans Réel, Virtuel et Vérité, Hispanistica XX, 19, 2001, p. 222.
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LE(S) <strong>PLAISIR</strong>(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES)<br />
LES CLÉS (TEXTUELLES) DES MAISONS CLOSES<br />
Évelyne RICCI, Université de Dijon<br />
Dans le cadre d'une réflexion sur le plaisir, il nous a paru tentant d'étudier les<br />
représentations littéraires que les romans galants des premières décennies du siècle dernier<br />
offrent des maisons closes, ces lieux entièrement consacrés à l'exercice du plaisir et à sa<br />
jouissance. S'intéresser à ces transcriptions littéraires plutôt qu'à la réalité s'explique, d'abord,<br />
par l'inexistence de sources d'archives qui permettraient de connaître ces maisons autrement<br />
que par les documents de police, les seuls à être à ce jour conservés (et, encore, très<br />
parcimonieusement). À défaut, les romans constituent une source de documentation d'autant<br />
plus intéressante qu'ils ont été soumis au filtre de la création artistique. La manière dont les<br />
romanciers transcrivent la réalité dans leurs œuvres en dit long sur la vision qu'ils ont de ces<br />
lieux de plaisir et sur l'image qu'ils veulent transmettre à leurs lecteurs, à une époque où la<br />
société espagnole se débat dans les tourments de la répression et de la libération des corps,<br />
comme le rappelle Serge Salaün, à propos de la sicalipsis au théâtre :<br />
La sicalipsis caractérise une certaine massification de l'offre et, surtout, de la demande sexuelle<br />
qui concerne toutes les couches de la population ; elle exprime et métaphorise […] un besoin<br />
urgent d'émancipation et de libération des mœurs, contre des siècles de répression cléricale et<br />
d'obscurantisme, contre ce dimorphisme sexuel qui conditionne l'éducation et la culture du corps<br />
selon que l'on est un homme ou une femme 1 .<br />
La représentation qu'offrent les romanciers des maisons closes permet, à travers le filtre de<br />
la création littéraire, de mieux appréhender les fantasmes, les attentes, les craintes ou les désirs<br />
liés à ces lieux et de mieux connaître ainsi les relations qu'entretient la société de la<br />
1 Serge SALAÜN, "Les mots et la «chose». Le théâtre «pornographique» en Espagne", dans Réel, Virtuel et<br />
Vérité, Hispanistica XX, 19, 2001, p. 222.