PLAISIR(S) - CREC
PLAISIR(S) - CREC PLAISIR(S) - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 135 mécanismes du plaisir, tout du moins une sorte de problématique confirmation du plaisir par des biais intellectuels. Mais les choix de Baroja et d’Ortega ne sont pas simplement intellectuels : tels qu’ils sont exposés, ils sont aussi belliqueux et polémiques. C’est la dynamique de l’affrontement, l’instinct théâtral de la scène et le désir de séduire le public coûte que coûte, les éléments qui expliquent les dérives dans les textes des deux auteurs, plus soucieux de l’efficacité et de la puissance que de l’exactitude ou de la propriété de leurs arguments respectifs. Ortega ne sait pas résister à la tentation de s’exprimer depuis une position autoritaire et, par moments, méprisante, de policier des goûts et des nouveautés ; de son côté, Baroja souhaite garder la réputation de « eleuteromane » et « dogmatophage » (Juventud, 25) qu’il avait réussi à se forger. On dirait des vieux rôles de fable comique ; mais la discussion théorique entre les deux personnages n’en reste pas moins une pour autant. Tournons-nous alors vers la texture des répliques qui constituent cette discussion. Malgré son développement au long de plus d'une dizaine d’années et malgré la diversité des genres employés — compte rendu, prologue, essai, article —, nous croyons trouver en elle un principe poétique de répétition, c’est-à-dire le retour d'une série de motifs, de phrases ou de tournures qui semblent donner une structure dialectique au débat, tout en se faisant l’écho les uns des autres. La reprise des mots de l’Autre est un phénomène courant dans le discours polémique ; qu’elle soit ouverte ou cachée, elle accentue les effets polyphoniques de distorsion et d’ironie de manière subtile et complexe, tout en nous rappelant, comme le montrent les études de Mikhaïl Bakhtine, les dettes de la réflexion écrite vis-à-vis de la discussion orale, sa source culturelle d’origine. Sous les débats lettrés de la théorie, il n’y aurait donc qu’un échange dialogique 1 . Donc, ce dialogue critique fait penser aux jeux, au sens établi par Johan Huizinga dans Homo Ludens : une activité superflue qui crée la tension, une confrontation ou agon avec des règles établies, un spectacle qui fait plaisir. Ce spectacle se développe de façon fortement formalisée, dans un espace rituel clos et sur une série de répétitions, comme on peut le voir dans diverses manifestations culturelles telles que les cérémonies religieuses, les disputes académiques et, tout particulièrement, les discussions parlementaires. Ce n’est pas, selon Huizinga, que la culture soit une évolution du jeu ; c’est que, dans un sens profond, elle n’est qu’un jeu et elle se développe en suivant ses structures formelles. Ne pas prendre en compte la composante ludique dans les textes théoriques de Baroja et d'Ortega reviendrait à nous refuser 1 Mikhaïl BAKHTINE, La poétique de Dostoïevsky [1929], trad. Isabelle KOLITCHEFF, préf. Julia KRISTEVA, Paris, Eds. du Seuil, 1998, p. 253-289 (269-272).
136 LE(S) PLAISIR(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES) quelques-uns des plaisirs que nous pouvons tirer d’eux, et par conséquent, à ne pas bien saisir tout leur sérieux et toute leur ampleur.
- Page 86 and 87: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 88 and 89: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 90 and 91: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 92 and 93: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 94 and 95: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 96 and 97: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 98 and 99: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 100 and 101: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 102 and 103: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 104 and 105: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 106 and 107: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 108 and 109: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 110 and 111: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 112 and 113: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 114 and 115: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 116 and 117: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 118 and 119: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 120 and 121: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 122 and 123: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 124 and 125: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 126 and 127: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 128 and 129: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 130 and 131: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 132 and 133: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 134 and 135: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 138 and 139: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 140 and 141: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 142 and 143: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 144 and 145: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 146 and 147: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 148 and 149: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 150 and 151: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 152 and 153: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 154 and 155: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 156 and 157: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 158 and 159: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 160 and 161: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 162 and 163: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 164 and 165: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 166 and 167: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 168 and 169: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 170 and 171: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 172 and 173: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 174 and 175: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 176 and 177: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 178 and 179: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 180 and 181: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 182 and 183: Centre de Recherche sur l’Espagne
- Page 184 and 185: Les vers 4 à 7 sont identiques aux
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine 135<br />
mécanismes du plaisir, tout du moins une sorte de problématique confirmation du plaisir par<br />
des biais intellectuels.<br />
Mais les choix de Baroja et d’Ortega ne sont pas simplement intellectuels : tels qu’ils sont<br />
exposés, ils sont aussi belliqueux et polémiques. C’est la dynamique de l’affrontement,<br />
l’instinct théâtral de la scène et le désir de séduire le public coûte que coûte, les éléments qui<br />
expliquent les dérives dans les textes des deux auteurs, plus soucieux de l’efficacité et de la<br />
puissance que de l’exactitude ou de la propriété de leurs arguments respectifs. Ortega ne sait<br />
pas résister à la tentation de s’exprimer depuis une position autoritaire et, par moments,<br />
méprisante, de policier des goûts et des nouveautés ; de son côté, Baroja souhaite garder la<br />
réputation de « eleuteromane » et « dogmatophage » (Juventud, 25) qu’il avait réussi à se<br />
forger. On dirait des vieux rôles de fable comique ; mais la discussion théorique entre les deux<br />
personnages n’en reste pas moins une pour autant.<br />
Tournons-nous alors vers la texture des répliques qui constituent cette discussion. Malgré<br />
son développement au long de plus d'une dizaine d’années et malgré la diversité des genres<br />
employés — compte rendu, prologue, essai, article —, nous croyons trouver en elle un principe<br />
poétique de répétition, c’est-à-dire le retour d'une série de motifs, de phrases ou de tournures<br />
qui semblent donner une structure dialectique au débat, tout en se faisant l’écho les uns des<br />
autres. La reprise des mots de l’Autre est un phénomène courant dans le discours polémique ;<br />
qu’elle soit ouverte ou cachée, elle accentue les effets polyphoniques de distorsion et d’ironie<br />
de manière subtile et complexe, tout en nous rappelant, comme le montrent les études de<br />
Mikhaïl Bakhtine, les dettes de la réflexion écrite vis-à-vis de la discussion orale, sa source<br />
culturelle d’origine. Sous les débats lettrés de la théorie, il n’y aurait donc qu’un échange<br />
dialogique 1 .<br />
Donc, ce dialogue critique fait penser aux jeux, au sens établi par Johan Huizinga dans<br />
Homo Ludens : une activité superflue qui crée la tension, une confrontation ou agon avec des<br />
règles établies, un spectacle qui fait plaisir. Ce spectacle se développe de façon fortement<br />
formalisée, dans un espace rituel clos et sur une série de répétitions, comme on peut le voir<br />
dans diverses manifestations culturelles telles que les cérémonies religieuses, les disputes<br />
académiques et, tout particulièrement, les discussions parlementaires. Ce n’est pas, selon<br />
Huizinga, que la culture soit une évolution du jeu ; c’est que, dans un sens profond, elle n’est<br />
qu’un jeu et elle se développe en suivant ses structures formelles. Ne pas prendre en compte la<br />
composante ludique dans les textes théoriques de Baroja et d'Ortega reviendrait à nous refuser<br />
1 Mikhaïl BAKHTINE, La poétique de Dostoïevsky [1929], trad. Isabelle KOLITCHEFF, préf. Julia KRISTEVA,<br />
Paris, Eds. du Seuil, 1998, p. 253-289 (269-272).