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LE(S) <strong>PLAISIR</strong>(S) EN ESPAGNE (XVIIIe – XXe SIÈCLES)<br />
contradiction essentielle de Sabelita : elle est victime innocente et chrétienne, mais se<br />
caractérise aussi par la forte sensualité et l’érotisme qu’elle dégage 1 .<br />
Femme désirante ou victime qui se culpabilise par la conscience de sa faute, Sabelita<br />
ignore le plaisir, défini comme projection vers l’objet du désir. Elle le suggère elle-même en<br />
affirmant : « soy una esclava y no puedo tener voluntad » 2 ; sans volonté, ou plutôt sans<br />
volition, pas de plaisir.<br />
Liberata la blanca est l’exact opposé de Sabelita. Loin de renfermer une dimension<br />
tragique, elle est pathétique : c’est la femme lubrique de la chair et du désir, mais qui ne<br />
semble animée par aucun sentiment, aucune passion, et qui se prostitue clairement 3 . Son but,<br />
bassement matériel est d’améliorer son statut social 4 . Elle est certes au centre des scènes les<br />
plus érotiques de la trilogie, mais n’est qu’un objet de consommation, un bien dont les<br />
maîtres usent à leur guise: Don Pedrito, d’abord, DJM ensuite. Dans les deux cas, elle est<br />
victime de leur sadisme, objet de leur plaisir 5 .<br />
Pichona est la prostituée que va voir Cara de Plata 6 , dans le lieu de plaisir que tient<br />
Ludivina : elle semble assumer son statut social à partir du moment où elle s’exhibe, rit et<br />
accepte de provoquer l’excitation de Cara de Plata. Pourtant, dès les premières apparitions,<br />
des indices suggèrent sa future soumission amoureuse envers Cara de Plata 7 . Sa chambre est<br />
1<br />
La séduction que peut exercer la princesse, la blonde dame, s’oppose au statut de victime, associée à Jésus,<br />
conféré par l’adjectif « nazareno » : « Sabelita está en lo alto, de pechos al arambol, rubia de mieles, el cabello<br />
en dos trenzas, la frente bombeada y pulida, el hábito nazareno » (CP, I,2). L’ adjectif « nazareno » est, par<br />
ailleurs, ambivalent et l’ambivalence prend ici tout son sens : il désigne également une école de peintres<br />
allemands du début du XIXe, précurseurs des Préraphaélites ; or, nombreux sont, dans la trilogie, les portraits<br />
féminins qui semblent relever de cette esthétique : pensons aux belles blondes, aux magnifiques rousses,<br />
femmes à la fois sensuelles et éthérées de Rosetti… La même tension entre son pouvoir de séduction, ici celui<br />
de sa voix, et son statut de victime tragique, est perceptible dans la didascalie suivante, de la même scène :<br />
« Sabelita deja oír el ceceo cantarín de su voz y, sobre las piedras viejas de la solana, entre el verde de los<br />
limoneros se enciende la nota morada y dramática de su hábito nazareno ». En osant un jeu de mots quelque peu<br />
laborieux, le contraste est résumé par les adjectifs : « enamorada » et « morada » (couleur du vêtement de la<br />
Passion christique).<br />
2<br />
AB, II,7.<br />
3<br />
Il suffit de relire la didascalie où elle se glisse, nue, dans le lit de DJM : « Toda blanca y temblorosa llega a la<br />
cama, mulle las almohadas y se oculta en las cobijas con arrumacos de gata ».<br />
4<br />
Elle en vient même à faire appel à la sorcellerie pour envoûter Sabelita et conserver son statut de<br />
« barragana’ ».<br />
5<br />
Le chien symbolise ce sadisme : les chiens de chasse qui violentent Liberata, DJM qui la traite telle un chien.<br />
6<br />
CP, II,5 : « Pichona, en justillo y zagalejo, sale por un lado de la cortinilla. Sobre los hombros desnudos,<br />
nácares y leche, tuerce el pico una pañoleta. […] Pichona ríe con lumbres en el rostro, y ajusta sobre los<br />
hombros la pañoleta ; Cara de Plata le hunde una mano en los pechos ».<br />
7<br />
Elle finit par accepter le verre que lui proposait Cara de Plata : « No se enfade ! ¡Venga la copa ! », « Por<br />
complaire », répond-elle quand celui-ci lui ordonne de boire ; « Bailaré si eso le contenta ! » conclut-elle enfin.