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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

portes, devant les boutiques, dont la plupart, d’ailleurs, étaient<br />

closes. Ils ne remuaient pas, ne parlaient pas, ne regardaient pas.<br />

Le bruit de l’automobile ne leur fit même pas lever la tête.<br />

Dans les plus petits villages, per<strong>du</strong>s au fond des terres, un<br />

chien étranger, un chemineau qui passe, une voiture d’ambulant,<br />

un vol d’oies sauvages, est un événement considérable. À plus<br />

forte raison, une auto… On s’inquiète, on s’assemble autour de<br />

ces choses inhabituelles, qui, pour un instant, rompent la monotonie<br />

de ces existences enfermées.<br />

À Rocroy, ils ne s’inquiétaient de rien, ne regardaient rien, si<br />

parfaitement immobiles que nous eûmes la pensée que c’étaient<br />

des mannequins d’étoupe, et que, si nous les avions effleurés<br />

d’une chiquenaude, ils fussent tombés sur le trottoir, avec un<br />

bruit mou… Notre surprise s’augmenta à découvrir que les<br />

devantures des boutiques s’ornaient d’enseignes telles que cellesci<br />

: « Épicerie parisienne… Boulangerie parisienne… Charcuterie<br />

parisienne… ». J’ignore l’idée que ces spectres se font de<br />

Paris, si Paris, pour eux, symbolise la vie ou la mort… Ce que je<br />

sais, c’est que tout était parisien, à Rocroy, et que tout était mort.<br />

On ne perçoit d’abord que le comique des choses; ce n’est<br />

qu’à la réflexion que le tragique apparaît.<br />

Il ne nous fallut pas longtemps pour sentir que cette ruine et<br />

que cette mort étaient bien la parfaite et douloureuse image de<br />

la ruine et de la mort que fut l’œuvre politique et militaire de<br />

Louis XIV, œuvre à jamais néfaste, que, plus tard, vint achever<br />

Napoléon, dont, par un prodige, la France n’est pas morte, mais<br />

qui pèse toujours sur elle d’un poids si lourd et si étouffant…<br />

Aujourd’hui, de probes et sagaces historiens entreprennent de<br />

réviser l’histoire de ce siècle abominable que, dans les écoles<br />

démocratiques et les salons libéraux, on appelle toujours le grand<br />

siècle. Vraiment, nous n’avons plus à avoir honte <strong>du</strong> nôtre, quoi<br />

qu’en aient les Académies, gardiennes sévères des mensonges <strong>du</strong><br />

passé.<br />

Que sont nos vices, notre corruption, notre vénalité, que sont<br />

nos pauvres petits Panamas, si on les compare aux vices, aux corruptions,<br />

aux concussions, aux trahisons de cette cour fameuse<br />

qu’on nous donne encore pour le modèle de l’honneur, <strong>du</strong><br />

patriotisme, de l’élégance et de la vertu? À peine des farces de<br />

collégien… Ma pensée allait, avec une sorte de reconnaissante<br />

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