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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

définitive. Par intérêt, par politique, le prêtre est devenu profondément,<br />

agressivement allemand. Il n’a même pas atten<strong>du</strong> le dernier<br />

chant <strong>du</strong> coq gaulois, pour renier sa patrie!… Au vrai, il n’y a<br />

plus ici que très peu d’Alsaciens, noyés sous un flot d’Allemands<br />

qui, après l’annexion, sont venus en Alsace, comme on va aux<br />

colonies, prospecter des affaires et chercher fortune. Ce n’est pas<br />

la crème de l’Allemagne. Nos fonctionnaires, tous allemands<br />

aussi, ne sont pas, non plus, la crème des fonctionnaires. Beaucoup<br />

avaient de vilaines histoires, là-bas… Au lieu des les mettre<br />

en prison, on les a mis en Alsace… Et ils espèrent se faire pardonner,<br />

en affichant un zèle exagéré… Ils sont rigoureux, formalistes,<br />

très <strong>du</strong>rs, et nous tiennent sous une tutelle un peu<br />

humiliante… Par exemple, nous avons ce qu’il y a de mieux<br />

comme armée… Sous ce rapport, on n’a pas lésiné, pas marchandé…<br />

vingt mille hommes!… Les meilleurs, les plus solides<br />

régiments de tout l’Empire… Oh! nous n’en sommes pas très<br />

fiers… Je dois dire pourtant que les militaires ont beaucoup<br />

per<strong>du</strong> de leur arrogance, de leur morgue… Les officiers sont<br />

affables, se mêlent davantage à la vie générale, vivent en bonne<br />

harmonie avec l’élément civil… Beaucoup sont riches et font de<br />

la dépense… Et puis, les musiques, qui se prodiguent dans les<br />

squares et sur les places, sont excellentes…<br />

Comme je lui parlais de l’énorme développement de la ville :<br />

— Oui!… fit-il assez vaguement… C’est surtout un décor,<br />

derrière lequel il y a bien de la misère… pour ne rien exagérer,<br />

bien de la gêne. Quoique l’Alsace ait un sol fertile, et qu’elle soit,<br />

pour ainsi dire, la seule province agricole de tout l’Empire, nous<br />

n’en sommes pas plus riches pour cela. <strong>La</strong> crise économique, qui<br />

frappe les centres in<strong>du</strong>striels de la métropole, nous atteint, nous<br />

aussi… Les impôts nous écrasent… <strong>La</strong> vie est horriblement<br />

chère, quarante-cinq pour cent de plus qu’autrefois… Matériellement,<br />

nous ne sommes donc pas très heureux… Moralement,<br />

politiquement, nous restons, sous l’autorité de l’Allemagne, ce<br />

que nous étions sous celle de la France : soumis, passifs, et<br />

mécontents… On se trompe beaucoup en France sur la mentalité<br />

et la sentimentalité de l’Alsacien. Il n’est pas <strong>du</strong> tout tel que<br />

vous le croyez, tel que le représentent de fausses légendes, et<br />

toute une littérature stupidement patriotique… L’Alsacien<br />

déteste les Allemands, rien de plus exact… Vous en concluez<br />

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