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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

qui a même un peu de génie 1 … Comme nous serions fiers<br />

d’elle!… Comme elle serait émouvante, adorable, si elle pouvait<br />

rester une simple femme, et ne point accepter ce rôle burlesque<br />

d’idole que lui font jouer tant et de si insupportables petites perruches<br />

de salon! Tenez! la voici chez elle, toute blanche, toute<br />

vaporeuse, orientale, éten<strong>du</strong>e nonchalamment sur des coussins…<br />

Des amies, j’allais dire des prêtresses, l’entourent, extasiées<br />

de la regarder et de lui parler.<br />

L’une dit, en balançant une fleur à longue tige :<br />

— Vous êtes plus sublime que <strong>La</strong>martine!<br />

— Oh!… oh!… fait la dame, avec de petits cris d’oiseau effarouché…<br />

<strong>La</strong>martine!… C’est trop!… C’est trop!<br />

— Plus triste que Vigny!<br />

— Oh! chérie!… chérie!… Vigny!… Est-ce possible?<br />

— Plus barbare que Leconte de Lisle… plus mystérieuse que<br />

Maeterlinck!<br />

— Taisez-vous!… Taisez-vous!<br />

— Plus universelle que Hugo!<br />

— Hugo!… Hugo!… Hugo!… Ne dites pas ça!… C’est le<br />

ciel!… c’est le ciel!…<br />

— Plus divine que Beethoven!…<br />

— Non… non… pas Beethoven… Beethoven!… Ah! je vais<br />

mourir!<br />

Et, presque pâmée, elle passe ses doigts longs, mols, on<strong>du</strong>leux,<br />

dans la chevelure de la prêtresse qui continue ses litanies,<br />

éper<strong>du</strong>e d’adoration.<br />

— Encore! encore!… Dites encore!<br />

Ces façons sont inconnues de la femme allemande. Chez elle,<br />

on sent que la culture n’est pas une chose exceptionnelle, ni de<br />

métier, qu’elle n’est pas une aventure, une religion, et — qu’on<br />

me permette ce mot peu galant — une blague. <strong>La</strong> femme allemande<br />

ne cherche pas à nous étonner, à nous éblouir; elle<br />

cherche à s’instruire un peu plus, à comprendre un peu plus, au<br />

contact des autres. Elle a de la sincérité, <strong>du</strong> naturel, de la passion,<br />

de l’intelligence — ce qui est une grande sé<strong>du</strong>ction — et, comme<br />

elle appartient à une race douée au plus haut point de l’esprit<br />

1. Il s’agit d’Anna de Noailles (1876-1933), auteur de Cœur innombrable (1901),<br />

Le Visage émerveillé (1904), <strong>La</strong> Domination (1905).<br />

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