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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

petite âme bourgeoise, très honnête, peu sensible, qui faisait ce<br />

qu’elle pouvait. Mais elle ne pouvait rien comprendre à une telle<br />

âme, si distante de la sienne; elle ne pouvait rien comprendre à<br />

ce génie, dont les hardiesses visionnaires, l’immoralité l’épouvantaient.<br />

Du reste, Balzac ne lui demanda pas de comprendre, de<br />

partager ses chagrins ou ses bonheurs, pas plus qu’on ne<br />

demande au vase de savoir pourquoi on le remplit de poisons ou<br />

de parfums.<br />

M me Surville sut ainsi beaucoup de choses, en gémit, en souffrit,<br />

et se tut.<br />

Un seul homme pouvait, devait écrire une vie de Balzac :<br />

M. de Spoelberch de Lovenjoul 1 . Tout ce qui existe de documents,<br />

sa piété fureteuse, sa curiosité passionnée l’ont rassemblé.<br />

Il a des trésors. Il les garde. Et cette vie prodigieuse, unique, dont<br />

lui seul connaît ce qui en demeure d’attestations certaines et<br />

d’authentiques témoignages, il ne l’a pas écrite; il ne l’écrira pas.<br />

De temps en temps, il en détache de menus fragments, il en agite<br />

de pauvres petites images, comme pour mieux aguicher notre<br />

curiosité, avec l’intention, peut-être ironique, de ne la satisfaire<br />

jamais. Allusions, réticences, commencements, inachèvements<br />

qui nous agacent et, après nous avoir surexcités au plus haut<br />

point, nous laissent encore plus ignorants, plus cruellement<br />

déçus.<br />

Jeu dangereux. L’imagination rôde autour des grands<br />

hommes, ardente, féroce, carnassière. Elle ne se contente pas des<br />

bavardages, maigres os qu’on jette à sa faim. Elle s’acharne à<br />

vouloir déterrer le gros morceau. Et, un jour, elle le « mangera »,<br />

mais à sa façon. Un jour (pour ne pas continuer des métaphores<br />

désobligeantes envers une aussi noble faculté), elle inventera —<br />

c’est son métier — elle inventera des légendes, mille fois plus<br />

préjudiciables que la réalité, à la gloire qu’on aura voulu préserver<br />

<strong>du</strong> mépris des sots, par le silence ou par le mensonge.<br />

Peut-être que M. de Spoelberch de Lovenjoul, qui est un<br />

homme honorable, une nature modeste, un écrivain de peu de<br />

1. Écrit en mars 1906 (note d’<strong>Octave</strong> <strong>Mirbeau</strong>). Charles de Spoelberch de Lovenjoul<br />

(1836-1907), richissime collectionneur belge, qui a légué toute sa documentation<br />

sur Balzac à l’Institut de France a publié en 1888 une Histoire des œuvres d’Honoré de<br />

Balzac.<br />

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