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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Ainsi, nous lui connaissons quelques liaisons qui furent célèbres.<br />

Mais les autres?… Mais toutes les autres? Car ce fut un grand<br />

conquérant d’âmes.<br />

Il était courtaud, boulot, bedonnant, très laid : l’allure épaisse<br />

d’un chantre d’église. <strong>La</strong> première impression en était désagréable.<br />

M me Hanska 1 a dit que, lorsqu’elle le vit pour la première<br />

fois, elle eut honte de son enthousiasme et ne pensa qu’à<br />

fuir… Quoi! C’était là cet homme sublime, ce héros?<br />

Comme tous ceux qui écrivent beaucoup, Balzac parlait<br />

peu… Mais, dès qu’il parlait, le charme opérait. Il y avait, dans sa<br />

parole, une telle autorité, une telle sé<strong>du</strong>ction, qu’on oubliait très<br />

vite ses disgrâces physiques. L’esprit rayonnait des yeux et donnait<br />

au visage de la beauté. Il avait conscience de sa force fascinatrice,<br />

comme il avait conscience de son génie. C’était,<br />

d’ailleurs, la même chose… Balzac créait de l’amour comme il<br />

créait un livre. Pas plus que les idées, les femmes ne pouvaient lui<br />

résister. Pourtant, j’ai sur lui ce détail intime et un peu ridicule,<br />

que la nature l’avait parcimonieusement armé pour l’amour. Il<br />

est d’autant plus beau que, n’ayant pas — ou si peu — de quoi<br />

satisfaire les femmes, il lui ait été donné, plus qu’à aucun autre, la<br />

vertu délicate et rare de les exalter.<br />

Quelqu’un qui a souvent rencontré Balzac me disait :<br />

« Quand on parlait femmes, il se gonflait d’orgueil et faisait la<br />

roue, comme un dindon… Mais il ne racontait jamais rien. »<br />

Malgré son infatuation, parfois comique, Balzac était infiniment<br />

discret. Il poussa la discrétion sur sa vie sentimentale jusqu’au<br />

mensonge, jusqu’au mystère, jusqu’aux complications un peu<br />

naïves <strong>du</strong> mélodrame. Il se vantait d’être chaste, pour mieux<br />

dérober ses vices et ses bonnes fortunes. Afin qu’on n’en<br />

retrouvât plus les traces, il effaçait les pas derrière lui. Cette<br />

discrétion, si rare chez un homme de lettres — mais Balzac<br />

n’était point un homme de lettres et, si belle qu’elle soit, son<br />

œuvre est peut-être ce qui nous intéresse le moins en lui —, nous<br />

irrite beaucoup, parce qu’elle nous le cache davantage. Lui, dont<br />

1. Éveline Rzewuska, noble polonaise, épouse <strong>du</strong> comte Hanski. Elle est née en<br />

Ukraine en 1800 et décédée à Paris en 1882. Elle a correspon<strong>du</strong> avec Balzac à partir<br />

<strong>du</strong> 7 novembre 1832 et, veuve en 1841, a fini par l’épouser, le 14 mars 1850.<br />

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