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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

angles coupants et les lignes sèches, en modeler les découpures<br />

plates et les pleins affreusement rigides. Dans mon sommeil, son<br />

poids m’étouffait, m’écrasait; et, <strong>du</strong> parvis jusqu’à la pointe de<br />

ses flèches, mille formes tranchantes, mille figures, aux profils<br />

d’inquisiteurs, se détachaient, entraient en moi, comme autant<br />

d’instruments de torture… Je me réveillais, en sursaut, tout haletant,<br />

les tempes glacées.<br />

Le lendemain matin, je ne me sentis nullement disposé à<br />

revoir Cologne, ses églises, ses ponts, ses musées, et même son<br />

jardin zoologique, où, pourtant, je me souvenais d’avoir passé<br />

d’amusantes journées, parmi des bêtes splendides, et d’avoir<br />

interviewé un énorme oiseau, de la tribu des longirostres, qui ressemblait<br />

étonnamment à M. Maurice Barrès, en habit d’académicien…<br />

De tout cela, j’étais las, jusqu’au dégoût.<br />

En voyage, il y a des moments où les plus magnifiques musées<br />

ne vous disent plus rien; des moments où l’on ne ferait point un<br />

pas pour découvrir le plus émouvant chef-d’œuvre. L’art vous<br />

fatigue, vous énerve, comme les caresses d’une femme, après<br />

l’amour. Au sortir d’un musée, où je viens de me gorger d’art,<br />

comme au sortir d’un lit, où j’ai cru épuiser toutes les joies —<br />

toutes les joies? — de la possession, je n’éprouve plus qu’un<br />

besoin, mais un besoin impérieux : marcher, marcher, et fumer,<br />

fumer des cigarettes, afin de mettre de la distance et un nuage<br />

entre ces mêmes décevantes illusions et moi.<br />

Jamais non plus, autant que ce matin-là, je ne détestai cette<br />

manie traditionnelle qui nous pousse, à peine arrivés dans une<br />

ville, à nous précipiter dans ses musées, c’est-à-dire à nous<br />

inquiéter des morts, avant de nous mêler aux vivants. Et je me<br />

disais, en marchant, je me disais et me redisais tout haut, comme<br />

pour mieux m’affermir dans mes résolutions :<br />

— Non… non… je n’irai pas au musée… Je n’irai pas…<br />

Absolument comme un enfant, qui se dit :<br />

— Non… je n’irai pas à l’école aujourd’hui… Non… non… je<br />

n’irai pas…<br />

Je le connaissais, d’ailleurs, ce musée… L’idée de passer et de<br />

repasser devant les de Bruynn le Vieux 1 , les maître Guillaume,<br />

1. Barthélémy de Bruyn, peintre originaire d’Anvers, a vécu à Cologne de 1520 à<br />

1560; le musée de Cologne possède son portrait d’un certain Browiller.<br />

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