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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

blonde, penchée au balcon des fenêtres en fleurs… Ah! pauvre<br />

« Vieil Heidelberg » 1 !<br />

*<br />

* *<br />

Il était tard quand nous pénétrâmes enfin, lanternes allumées,<br />

dans Cologne. Le soir, les détails se resserrent, se fondent dans la<br />

masse. Des villes et des paysages, il ne reste plus que des silhouettes<br />

monochromes. J’eus l’impression que j’arrivais à Pontoise,<br />

au crépuscule. Le pont, le fleuve, les tours, les maisons en<br />

escalade, tout y était. Mais la hâte, l’activité, le mouvement de la<br />

foule, l’absence de magistrats promenant leurs familles, de bourgeois<br />

prenant le frais à la bouche des caniveaux, de boutiquiers<br />

qui se caressent le ventre, devant leurs boutiques, dissipèrent vite<br />

cette illusion patriotique.<br />

Nous descendîmes de voiture, devant l’hôtel <strong>du</strong> Dôme<br />

qu’écrase, de son ombre, la plus colossale, la plus colossalement<br />

laide cathédrale <strong>du</strong> monde.<br />

Le dîner fut mauvais et parfaitement maussade. Nous eûmes<br />

un von B… transformé, quinteux, querelleur, avec l’exclusivisme,<br />

les préjugés, la suffisance agressive d’un bon Allemand,<br />

abonné à la Gazette de la Croix. Il railla âprement le socialisme,<br />

défendit la cathédrale de Cologne, « qui est la plus belle cathédrale<br />

<strong>du</strong> monde », les Mercédès, « qui sont les meilleures automobiles<br />

<strong>du</strong> monde », l’Empereur Guillaume, « qui est le plus<br />

génial Empereur <strong>du</strong> monde », le goût de Berlin, « qui est le goût<br />

le plus admirable <strong>du</strong> monde », enfin, la vertu allemande, « qui<br />

est la plus solide vertu <strong>du</strong> monde »… Et il revenait à la cathédrale,<br />

avec une sorte d’hostilité comique, la bouche pleine de<br />

nourritures et de bredouillements :<br />

— <strong>La</strong> plus belle…, vous entendez…, la plus belle <strong>du</strong> monde!<br />

Moi, de mon côté, puérilement, je m’acharnais :<br />

— <strong>La</strong> plus laide… la plus laide… la plus laide <strong>du</strong> monde!<br />

1. C’est le titre d’une pièce en cinq actes de Wilhelm Meyer-Foerster, créée au<br />

Théâtre Antoine le 29 janvier 1906. En Allemagne, cette évocation nostalgique de la<br />

jeunesse estudiantine avait remporté un immense succès.<br />

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