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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

qu’on ne suppose. Il n’obéit jamais qu’à son impulsion <strong>du</strong><br />

moment — il en a de généreuses — et il est incapable d’y résister,<br />

quitte à s’en repentir, cruellement, par la suite… Il y a beaucoup<br />

de neurasthénie dans son cas. De même que tous les neurasthéniques,<br />

l’Empereur montre, jusque dans ses actes les plus déséquilibrés,<br />

une certaine logique, une logique à rebours… Ainsi, on<br />

le blâme, par exemple, pour une décision artistique : il passe<br />

immédiatement une revue. On crie : il peint un tableau. On le<br />

siffle : il fait un opéra. On se plaint : il se déguise en musulman et<br />

s’en va pèleriner en Terre sainte. On le blague dans un journal<br />

illustré : il exige aussitôt qu’on découvre, pour le lendemain, le<br />

remède de la tuberculose. Vous me répondrez que ce sont là jeux<br />

dangereux, de la part d’un homme de qui dépend la sûreté d’un<br />

grand Empire?… Sans doute… Mais il en a de plus dangereux<br />

encore, et que je vais vous dire, si vous n’êtes pas fatigué…<br />

*<br />

* *<br />

Je n’étais pas fatigué; <strong>du</strong> moins, je ne sentais pas ma fatigue.<br />

Voulant profiter des bonnes dispositions de von B… que quatre<br />

bouteilles de vin de Moselle et <strong>du</strong> Rhin invitaient aux pires<br />

confidences, je l’engageai fort à continuer. Je jouissais de savoir<br />

ce qu’un Allemand éclairé, sans trop de parti pris, sans trop<br />

d’aveuglement nationaliste, pense de son Empereur et de son<br />

Allemagne…<br />

Von B… alluma donc un nouveau cigare, comme font, à un<br />

moment intéressant de leur récit, tous les conteurs expérimentés,<br />

et il poursuivit :<br />

—Voulez-vous la vérité?… toute la vérité?… Eh bien, on<br />

n’aime plus l’Empereur chez nous… On n’y croit plus… On le<br />

redoute, voilà tout… et c’est ce qui fait qu’on le tolère encore.<br />

Il fatigue, il énerve, il décourage, il surmène, il embête… eh<br />

bien, oui, voilà… il embête tout le monde, depuis le Premier<br />

ministre, obligé à ne pratiquer jamais que la politique <strong>du</strong> mensonge<br />

— et la mauvaise foi finit par dégoûter même un Premier<br />

ministre 1 —, jusqu’au dernier des soldats, qui sent son<br />

1. Depuis 1900, le chancelier est Bernhard von Bülow (1849-1929), qui restera au<br />

pouvoir jusqu’en juillet 1909.<br />

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