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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

son état de maladie, qui le préoccupe plus qu’on ne croit,<br />

l’influence sourde, mais lente et tenace, qu’exerce sur lui, malgré<br />

lui, l’Impératrice 1 . L’Impératrice a toujours détesté cette sorte<br />

de laisser-aller bohème qui, chez l’Empereur, où deux mondes<br />

opposés sont souvent en conflit, se mêlait, quelquefois, aux raideurs<br />

de l’esprit féodal qu’elle nous accusait de pervertir. Oh!<br />

elle n’est pas des plus intelligentes, ni des plus sympathiques. Je<br />

la tiens pour la personne la plus ennuyeuse qui soit dans le<br />

monde. Mon Dieu! je n’exige pas d’une femme qu’elle soit belle;<br />

je lui demande d’être gracieuse. Or l’Impératrice manque totalement<br />

de ce qui est le plus nécessaire à son sexe, de ce qui fait<br />

toute la femme : le charme. Elle a de la vertu… elle est la vertu,<br />

et, comme la vertu, elle est triste, un peu bornée, revêche, sectaire,<br />

par conséquent sans bonté. Plus qu’à son é<strong>du</strong>cation religieuse,<br />

plus qu’à ce qu’il croit être la nécessité politique,<br />

Guillaume doit à sa femme cette espèce de piétisme absurde qui<br />

donne, souvent, à ses discours une note si comique et si fausse.<br />

Elle nous fait beaucoup regretter cette vieille et douce Augusta 2<br />

— vertueuse, elle aussi, mais plus humainement —, à qui votre<br />

Jules <strong>La</strong>forgue disait des choses si jolies et lisait des vers français<br />

— <strong>du</strong> Baudelaire, je crois… il n’alla pas jusqu’à Verlaine —, qui<br />

eussent fait mourir de honte notre Impératrice d’aujourd’hui…<br />

Un détail, inconnu chez vous… et qui vous amusera… L’Impératrice<br />

s’est attribué, dans l’État, une mission bureaucratique<br />

assez singulière… Elle est le censeur des pièces qu’on représente<br />

au Schauspielhaus de Berlin. Et je vous assure qu’elle remplit ses<br />

fonctions en conscience. Ainsi… tenez… elle raye impitoyablement,<br />

sur tous les manuscrits, le mot : Amour, qui lui paraît de la<br />

dernière inconvenance. Elle ne le tolère — probablement par<br />

résignation nationale — que dans les drames de Schiller, et aussi<br />

dans les œuvres françaises que jouent, sur le Théâtre Impérial, les<br />

tournées de Coquelin, lequel est au Schloss presque aussi<br />

national que Schiller. Et puis, d’être dit en français, peut-être<br />

que ce mot indécent offre moins de dangers pour la vertu alle-<br />

1. Augusta-Victoria, princesse de Schleswig-Holstein, née en 1858, a épousé le<br />

futur Guillaume II en 1881 et lui a donné sept enfants.<br />

2. L’impératrice Augusta (1811-1890) était l’épouse de Guillaume I er et la mère<br />

de Frédéric III.<br />

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