06.05.2013 Views

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

appartient chez vous aux charretiers, par droit électoral. Et puis,<br />

l’Allemand, qui est pourtant un très brave homme, n’a aucune<br />

sympathie pour l’écrasé. L’écrasé a toujours tort, n’étant le plus<br />

souvent qu’un infirme, un pauvre diable, rien <strong>du</strong> tout. D’ailleurs,<br />

je dois dire que l’accident est infiniment plus rare ici, où il n’y a<br />

pas de règlement, qu’en France, où il y en a tant, et de si vexatoires.<br />

Il conta :<br />

— Figurez-vous, mon cher… l’année dernière, à Paris, en<br />

haut de l’avenue de Friedland, une jeune fille, traversant la<br />

chaussée, glissa sur le pavé et tomba sous les roues de mon automobile.<br />

Je me précipitai; je la relevai. Elle était très pâle, toute<br />

maculée de boue. Heureusement, elle n’avait rien… rien… Tout<br />

à fait rassuré, je remontais dans la voiture, quand la mère, qui se<br />

démenait sur le trottoir, cria : « Non… non… arrêtez-le!… Un<br />

agent!… Un agent! » <strong>La</strong> jeune fille déclara bravement que<br />

c’était de sa faute… qu’elle avait été imprudente… qu’elle avait<br />

glissé… qu’elle n’avait rien, etc. <strong>La</strong> mère tirait sa fille par le bras;<br />

elle clamait, furieuse : « Tais-toi donc!… Mais tais-toi donc!…<br />

Qui te demande quelque chose? » Et elle s’adressa à la foule,<br />

assemblée subitement autour de nous, et qui n’avait rien vu :<br />

« Oui! oui! », dit la foule, donnant instinctivement raison à la<br />

mère… Un agent survint. Malgré les déclarations réitérées de<br />

cette jeune fille, éprise de justice, procès-verbal me fut aussitôt<br />

dressé… Quinze jours après, on me condamnait à douze cents<br />

francs de dommages et intérêts… Mais je ne regrette rien, car il<br />

me fut donné, à cette occasion, de relever un trait de votre caractère<br />

imaginatif, romanesque, qui m’a beaucoup amusé. En sortant<br />

de l’audience, un avocat, derrière moi, disait le plus<br />

sérieusement <strong>du</strong> monde : « Cette déposition de la jeune fille est<br />

louche… Il y a sûrement quelque chose là-dessous… Ce doit<br />

être l’amant! » C’est égal, en Allemagne, une telle condamnation<br />

était impossible…<br />

<strong>La</strong> conversation dévia. Nous en vînmes à parler des constructeurs<br />

d’automobiles, de la fabrication automobile. Il dit :<br />

— Quand on a vu chez nous l’essor que prenait cette in<strong>du</strong>strie<br />

— vous l’avez créée, mais elle vous échappera, un jour ou<br />

l’autre, parce que vous êtes un drôle de peuple, sé<strong>du</strong>isant en<br />

diable, mais peu tenace et léger —, l’Empereur a tout fait pour la<br />

312

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!