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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

exact que, chez nous, on n’embête pas les touristes par des règlements<br />

prohibitifs. On m’assure pourtant qu’il en est de terribles…<br />

Mais on se garde bien de les appliquer. <strong>La</strong> circulation est<br />

absolument libre, mieux encore, elle est protégée… On a l’ordre<br />

d’être extrêmement aimable, et cet ordre, venant de haut, est<br />

toujours et partout obéi. Je sais aussi — il m’en a quelquefois<br />

parlé — que l’Empereur rêve de doter l’Allemagne entière de<br />

routes pareilles à celles <strong>du</strong> Rhin, de faire, en quelque sorte, de<br />

l’Allemagne, la plus belle piste automobile <strong>du</strong> monde… Oh!<br />

sous ce rapport, il a d’autres idées que M. Loubet. Votre excellent<br />

M. Loubet en est venu à trouver que même le cheval est un<br />

véhicule de progrès bien trop hardi, bien trop moderne; il préfère<br />

s’en tenir désormais aux mules des chansons castillanes. L’âge<br />

aidant, nous le verrons peut-être dans une petite voiture à âne.<br />

Son attitude agressive envers l’automobilisme est celle d’un petit<br />

bourgeois borné, peureux, misonéiste. Guillaume, lui, a parfaitement<br />

compris qu’il y a là une in<strong>du</strong>strie énorme, dont les bénéfices<br />

sont incalculables, qu’il se doit, comme chef de l’État, de<br />

l’encourager, de la protéger et, s’il le peut, de l’accaparer, pour le<br />

bien de son pays. Cela n’est pas douteux. Mais il y a autre chose.<br />

Malgré nos assurances ouvrières qui sont, je crois bien, les plus<br />

libérales <strong>du</strong> monde — et ce n’est pas beaucoup dire —, malgré<br />

notre transformation économique, nous sommes restés, par bien<br />

des côtés, un pays féodal, un pays de castes. <strong>La</strong> noblesse y tient<br />

toujours le haut <strong>du</strong> pavé, et aussi la richesse, qui est une sorte de<br />

noblesse aussi puissante et plus active que l’autre. Il n’y a pas que<br />

les officiers qui, sur notre sol asservi, fassent sonner insolemment<br />

leurs éperons et leurs sabres. Au village, le hobereau est maître; à<br />

l’usine, le patron tient ses ouvriers comme des serfs… Nous<br />

avons — ce que l’on ne croirait plus possible que dans les opérettes<br />

—, nous avons une loi de lèse-majesté.<br />

Ici, von B… pouffa de rire :<br />

— Remarquez que, cette loi, les magistrats l’appliquent férocement,<br />

plus encore par conviction que par courtisanerie… Voilà<br />

pourquoi, en plus des idées de conquêtes commerciales, caressées<br />

par l’Empereur, les automobilistes ont raison chez nous…<br />

Ils ont raison comme la voiture de maître a raison <strong>du</strong> fiacre,<br />

comme le militaire a raison <strong>du</strong> pékin… Ce sont les barons de la<br />

route. <strong>La</strong> route leur appartient par droit féodal, comme elle<br />

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