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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

métaux? Qui donc oserait confier des capitaux impro<strong>du</strong>ctifs à<br />

cette jeunesse hardie qui, faute de trouver chez elle l’emploi de<br />

son activité et de sa force, est contrainte de s’expatrier et de travailler<br />

à l’enrichissement des autres pays?… Comme je suis loin<br />

ici, de ces bons Français, rentiers et gogos, qui se disent toujours<br />

la lumière et la conscience <strong>du</strong> monde, et que je vois perpétuellement<br />

assis au seuil de leurs boutiques, devant la porte de leurs<br />

demeures, abrutis et amers, crevant de leur paresse, s’appauvrissant<br />

de leur épargne, passant leurs lourdes journées à s’envier, se<br />

diffamer les uns les autres! Nul effort indivi<strong>du</strong>el, nul élan collectif…<br />

Quand je reviens dans des régions traversées quelques<br />

années auparavant, je les retrouve un peu plus sales, un peu plus<br />

vieilles, un peu plus diminuées; et chacun s’est enfoncé, un peu<br />

plus profondément, dans sa routine et dans sa crasse. Ce qui<br />

tombe n’est pas relevé. On met des pièces aux maisons, comme<br />

les ménagères en mettent aux fonds de culotte de leur homme.<br />

On ne crée rien. C’est à peine si on redresse un peu ce qui est par<br />

trop gauchi, si on remplace aux toits les ardoises qui manquent,<br />

les portes pourries, les fenêtres disloquées… N’ayant rien à faire,<br />

rien à imaginer, rien à vendre, rien à acheter, ils économisent…<br />

Sur quoi, mon Dieu?… Mais sur leurs besoins, leurs joies, leur<br />

dignité humaine, leur instruction, leur santé… Affreuses petites<br />

âmes, que ce grand mensonge antisocial, l’épargne, a con<strong>du</strong>ites à<br />

l’avarice, qui est, pour un peuple, ce que l’artériosclérose est<br />

pour un indivi<strong>du</strong>. Ce n’est pas de leurs bas de laine que la France<br />

a besoin, mais de leurs bras, de leur cerveau, de leur travail et de<br />

leur joie… Et ce n’est pas leur faute, après tout… On ne leur a<br />

jamais dit : « Vivez! Travaillez! » On leur a toujours dit :<br />

« Épargnez! » Ils épargnent…<br />

J’évoquai la petite ville où je suis né, et que j’avais revue, quelques<br />

mois auparavant… Oh! comme elle pesa à mon enfance!<br />

Quels souvenirs d’ennui mortel j’en ai gardés! Et comme elle<br />

fatigue encore, souvent, mes nuits des cauchemars persistants<br />

qu’elle m’apporte! Quelle cure longue et pénible il m’a fallu<br />

suivre, pour me laver de tous les germes mauvais qu’elle avait<br />

déposés en moi! Eh bien, je l’ai revue… Depuis cinquante ans,<br />

rien n’y est changé. Ni les êtres, ni les choses. Pas une maison<br />

nouvelle ne s’est élevée; pas une in<strong>du</strong>strie — si petite soit-elle —<br />

ne s’y est fondée. Sur la rivière, le même moulin broie toujours la<br />

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