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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

— Parce que je n’aime point ces gens-là… Et puis, monsieur,<br />

parce que voilà une route épatante où nous ferions facilement <strong>du</strong><br />

quatre-vingt-dix… plus, peut-être…<br />

Et, après un silence :<br />

— C’est curieux!… Monsieur est bien sûr, au moins, que<br />

nous sommes en Allemagne?<br />

— Voyons!… Et la frontière?… Tout à l’heure?<br />

Il haussa les épaules.<br />

— Ça? Une frontière?… Oh! là! là!… Givet, oui… voilà une<br />

frontière… Mais <strong>du</strong> moment que monsieur est sûr!<br />

Et il grogna :<br />

— Sale pays, tout de même!<br />

Nous marchions lentement, comme dans une forêt enchantée,<br />

une forêt pleine d’embûches, de traquenards, de dangers, une<br />

forêt pleine d’ours, de tigres et de lions… Anxieux, nous interrogions<br />

l’horizon… Nous fouillions <strong>du</strong> regard, à droite et à gauche,<br />

la campagne, avec la peur de voir tout à coup surgir le casque à<br />

pointe <strong>du</strong> Règlement, avec la terreur de tout ce que devait cacher<br />

d’inconnu, de barbare, ce calme insidieux.<br />

Et la <strong>628</strong>-<strong>E8</strong> était impatiente. On la sentait, toute frémissante<br />

d’élans retenus… Elle semblait encapuchonner son capot,<br />

comme un ardent étalon son encolure, sous le mors qu’il mâche<br />

et qui le maîtrise. On eût dit vraiment qu’elle tirait sur le volant,<br />

comme un cheval sur ses guides… Je vis à l’horloge municipale<br />

d’un village qu’il était quatre heures et demie. Nous avions plus<br />

de deux cents kilomètres à faire, avant d’atteindre Düsseldorf,<br />

où nous eussions bien désiré arriver avant la nuit.<br />

Pourquoi, à ce moment, songeai-je à la guerre de 70? Pourquoi<br />

justement, au lieu de ses horreurs, me revient à l’esprit cet<br />

épisode intime et consolant qu’au retour mon père m’avait<br />

conté?<br />

Il avait dû loger, pendant un mois, un général prussien, son<br />

état-major et sa suite. Très discret, d’une é<strong>du</strong>cation parfaite,<br />

d’une bonne grâce très délicate, ce général n’avait pris de notre<br />

propriété que ce qui était indispensable à lui et à ses services. Il<br />

s’efforçait, par tous les moyens, de rendre moins humiliante,<br />

moins pénible, cette occupation, et il veillait à ce que rien —<br />

autant que cela était possible — ne fût changé des habitudes de<br />

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