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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

fille s’est sacrifiée pour cela… que c’est une martyre… une martyre<br />

<strong>du</strong> progrès… Et vous serez tout de suite consolée… Maintenant,<br />

je vais prendre votre nom et votre adresse… Dès ce soir,<br />

j’écrirai à ma Compagnie d’assurances. C’est une excellente<br />

Compagnie… Elle vous offrira une petite indemnité… une<br />

indemnité, en rapport, bien enten<strong>du</strong>, avec votre situation sociale,<br />

qui me paraît plutôt médiocre… Enfin, soyez tranquille, elle fera<br />

les choses convenablement… Le plus à plaindre, c’est moi…<br />

Regardez ma voiture… Il va falloir que je prenne le chemin de<br />

fer, pour rentrer à Paris, ce qui est toujours pénible, pour un véritable<br />

automobiliste, comme je suis… Moi aussi je m’en console,<br />

en me disant que je travaille pour le progrès, et pour le bonheur<br />

universel… Adieu!<br />

Je ne voulus pas infliger à un si parfait chauffeur l’humiliation<br />

de rentrer à Paris en chemin de fer. Je lui offris une place dans<br />

ma voiture.<br />

Et, comme la mère, toujours penchée sur le cadavre de son<br />

enfant, continuait de sangloter :<br />

— Ah! me dit, tristement, cet éminent collègue, en s’installant,<br />

près de moi, le plus confortablement possible… nous<br />

aurons bien de la peine à inculquer la véritable notion <strong>du</strong> progrès…<br />

à ces pauvres gens-là… Ils ont la tê…<br />

Il n’acheva pas sa phrase, qui devait se compléter ainsi : « Ils<br />

ont la tête trop <strong>du</strong>re! » Peut-être, craignit-il que la petite paysanne,<br />

éten<strong>du</strong>e sur la route, ne lui donnât un trop facile<br />

démenti…<br />

Il était temps que je partisse… Depuis que je sentais le sol,<br />

sous mes pieds, mes idées d’automobiliste se brouillaient… Et<br />

déjà je commençais à me demander, non sans quelque terreur, si,<br />

réellement, j’étais bien le Progrès et le Bonheur.<br />

Un instant encore… et j’eusse certainement ajouté, au dicton<br />

des bêtes de la route :<br />

— Et puis, il n’y a rien… Et puis, il n’y a rien… Et puis, il y a<br />

l’automobiliste!…<br />

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