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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

une trombe pareille de lumière qui ne laisse encore que la nuit,<br />

pour sillage à sa course… Puis une autre… puis d’autres…<br />

Nous avons franchi la côte… C’est maintenant, autant qu’on<br />

peut le deviner par l’ombre moins dense, par plus de silhouettes<br />

vagues, et par plus de ciel, c’est maintenant un large plateau. Des<br />

bruits sourds, des gémissements lointains, des ronflements<br />

étouffés, des voix de métal à peine distinctes; plus près, des détonations,<br />

des crépitements! Et partout des astres, des astres qui<br />

courent, galopent, roulent, bondissent, se croisent, ont l’air de<br />

chevaucher des vagues… s’allument tout à coup, au haut d’une<br />

colline, et, derrière un pli de terrain, tout à coup s’éteignent…<br />

On dirait que les astres sont tombés <strong>du</strong> ciel sur la terre…<br />

Arrêtés de nouveau, nous entendons une sorte de halètement,<br />

puis des claquements de quelque chose en quoi nous devinons<br />

plutôt une bête qu’une machine… Ce ne peut être une auto,<br />

cette fois… car ce bruit est sans lumière. Rien ne s’éclaire autour<br />

de ce bruit qui se rapproche… Si, pourtant… un tout petit point<br />

de feu pâle, semblable à une luciole qui voyage dans l’ombre<br />

d’un oranger… Et, subitement, à notre gauche, nous voyons,<br />

tressautant sur la route, comme un coléoptère géant, pétant,<br />

pétaradant, une motocyclette, qui porte, agrippé à la selle, un<br />

être couché, qui n’a plus rien d’humain, une grosse larve, avec<br />

une peau de reptile noire et lisse…<br />

Et voici que nos phares, soudainement, ont fait surgir des<br />

ténèbres, devant nous, penchés sur une voiture énorme, éteinte<br />

et morte, deux hommes, de la couleur des arbres et de<br />

l’horizon… Je dis deux hommes : deux Marsiens, peut-être…<br />

Leurs formes sont sans aspérités, enfermées dans de longs sacsmaillots,<br />

qui les gantent des pieds à la tête et des doigts aux<br />

épaules. Du visage, ils ne laissent paraître qu’un petit triangle, un<br />

loup de chair, au-dessus <strong>du</strong>quel tremblent, en feu, les antennes<br />

de métal de leurs lunettes… Ils barrent la route… Deux bras<br />

s’agitent. <strong>La</strong> <strong>628</strong>-<strong>E8</strong> stoppe.<br />

L’un est petit… Il a la tête enfouie dans le capot gigantesque<br />

de la voiture. Il ne se dérange pas… L’autre, très long, très<br />

mince, s’est redressé… Il tient une tige d’acier que le mouvement<br />

de ses mains fait parfois étinceler. Il me demande, avec un<br />

accent russe, si je ne pourrais pas lui prêter une épingle, une<br />

épingle de cravate, et ce qu’il aimerait, c’est qu’elle fût en or…<br />

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