06.05.2013 Views

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

En Allemagne, la nuit, traversant des bois, j’ai souvent rencontré<br />

des lapins, des foules énormes de lapins, et jamais je n’en<br />

ai capturé ni écrasé. Ils étaient charmants — bien que ce fussent<br />

des lapins d’Allemagne —, charmants à jouer, tout blancs sur la<br />

route, blanche de la lumière <strong>du</strong> phare. Ils allaient, venaient, bondissaient,<br />

gambadaient, tenaient de curieux conciliabules, et ne<br />

se décidaient à fuir, en montrant la blanche houppette de leur<br />

derrière, que lorsque la voiture était sur eux…<br />

Oui, mais — me pardonnent les lapins de France — en Allemagne,<br />

ce sont de fameux lapins.<br />

*<br />

* *<br />

Marsiens…<br />

<strong>La</strong> nuit est complète, plus une âme sur la route, ni même un<br />

spectre de voiture. Plus un village éclairé, plus une maison<br />

vivante. Les abois des chiens se sont apaisés. Ceux de nous, qui<br />

ne dorment pas dans la voiture, se traînent sur la berge, lamentablement,<br />

pour se réchauffer. Les phares trouent le sol de trous<br />

noirs, teignent les simples on<strong>du</strong>lations en précipices, et grandissent<br />

nos ombres démesurément. Brossette travaille, s’acharne.<br />

Une enveloppe trouée, une chambre à air éclatée, se tordent<br />

dans le fossé… Nous avons le sentiment d’être des victimes, et le<br />

souvenir, seulement, d’avoir eu très faim…<br />

Enfin, le quatrième pneu remis, nous repartons et montons<br />

une côte très rude.<br />

Bientôt une lueur, une sorte d’aurore, mais froide, apparaît à<br />

l’horizon, s’épand et, peu à peu, occupe tout le ciel. Ce n’est<br />

sûrement pas le jour, mais, sans doute, la naissance d’un astre qui<br />

monte sur la nuit pour la dissiper… Un astre, en effet, un astre<br />

prodigieux!… Brusquement, il surgit sur la crête, énorme, aveuglant,<br />

éblouissant, éclaboussant, roule vers nous, au ras de la<br />

terre. Il ronfle, crache le tonnerre, et, dans une nuée de poussière<br />

d’or, entraîne, avec des gémissements de sirène, des cris, des<br />

rires de femmes, sans rien d’autre de visible que des éclats de<br />

cuivre, et des bouts de voiles couleur de lune… Et comme un<br />

éclair, il passe, remmenant avec lui les ténèbres qu’il a, un instant,<br />

déchirées… Puis, une nouvelle lueur au ciel, et, sur la route,<br />

288

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!