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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

Il expliqua :<br />

— Spinoza… mon Dieu!… c’était un philosophe… un philosophe<br />

fameux. Il est mort… Évidemment, il est mort… comme<br />

tout le monde… Mais ça ne fait rien… On a fait de sa maison…<br />

un musée… un musée très curieux… Vous y verrez de vieilles<br />

savates, en feutre…, des savates portées par lui… et des verres<br />

de lunettes… car il était aussi opticien… des verres de lunettes<br />

polis par lui… C’est amusant… c’est même très intéressant… Et<br />

puis, beaucoup d’autres choses… Spinoza… la maison Spinoza…<br />

Vous vous rappellerez?…<br />

Redoutant les aventures, connaissant le genre d’émotion que<br />

procurent les vieilles savates des grands hommes, un peu las de<br />

musées et pressés d’arriver à Haarlem, où Franz Hals 1 nous<br />

attendait, et où nous devions visiter un établissement d’horticulture,<br />

nous reprîmes la grande route…<br />

Je songeais à Descartes, au mouvement de ses pensées<br />

qu’aucun importun ne devait troubler, en ces contrées paisibles.<br />

Je songeais à ses méditations sur les bêtes et à la peine avec<br />

laquelle <strong>La</strong> Fontaine acceptait sa théorie <strong>du</strong> mécanisme<br />

animal… Qui fut pour elles plus sévère? Le savant qui leur refusait<br />

rigoureusement l’intelligence, même la sensibilité, ou le plus<br />

charmant de nos poètes que leur spectacle émerveilla, mais qui<br />

ne leur fit parler que la langue de nos vices et de notre sottise?<br />

Ma rêverie se perdait, au loin, dans le polder, au-dessus<br />

<strong>du</strong>quel des vols de vanneaux tournaient. Il s’étendait à l’infini,<br />

avec ses rares peupliers, hauts et graciles, ses troupeaux, les<br />

routes brillantes de ses eaux qui se croisent, et ses vannes<br />

qu’actionnent de tout petits moulins à vent… Puis le polder finit,<br />

la digue devint une route; apparurent des petits bouquets de bois<br />

et des champs de sable, diaprés de tulipes et de narcisses, dont la<br />

magnificence — je ne suis pas fâché d’en convenir — ne fait pas<br />

oublier celle de nos coquelicots et de nos sanves sauvages.<br />

Tout à coup, à notre gauche, je distinguai le menu troupeau —<br />

deux vaches et trois moutons — que gardait une petite bergère<br />

blonde, jolie malgré sa taille carrée et son court jupon, aux plis<br />

1. Franz Hals (1580-1666), né à Anvers, est venu à Haarlem vers 1591-1592. Le<br />

musée de la ville possède nombre de ses toiles : Les Gardes civiques, Les Régents et les<br />

Régentes, et plusieurs Banquets d’officiers <strong>du</strong> corps des archers.<br />

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