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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

*<br />

* *<br />

Un monsieur âgé, comme nous sortions de Moerbeke, allait, à<br />

tout petits pas, d’un côté de la route. Son chien, un chien minuscule,<br />

tout à fait comique d’avoir, à quatorze centimètres de terre,<br />

une petite crinière de lion et une houppette au bout de la queue,<br />

trottinait sur l’autre accotement. Très <strong>du</strong>r d’oreille, sans doute, le<br />

vieux monsieur n’entendit la corne de l’auto que très tard. Aussitôt,<br />

il siffla son chien. Le chien, voyant venir l’auto, hésita tout<br />

d’abord, et, afin de bien montrer le danger de la traversée, il<br />

poussa quelques grêles aboiements. Mais les vieux messieurs, si<br />

parfaitement lâches devant leur femme ou leur bonne, se vengent<br />

intrépidement sur leurs chiens, dont ils exigent une obéissance<br />

passive. Donc, le vieux monsieur siffla le chien, pour la<br />

seconde fois, et plus énergiquement. Alors, sans hésiter davantage,<br />

le pauvre cabot déguisé bondit à l’appel de son âne,<br />

pardon! de son cheval de maître.<br />

— Moussu! Moussu! cria Brossette.<br />

— Ploc! Ploc! Ploc! fit la dame.<br />

Brossette n’avait pas achevé de pousser ce cri, la dame de<br />

taper dans ses mains, que le pneu avait fait <strong>du</strong> chien, de sa crinière<br />

et de sa houpette, un tout petit pâté.<br />

— Ah! la chale bête!<br />

Je descendis pour mêler mes condoléances à la douleur <strong>du</strong><br />

vieux monsieur. Il ne voulut rien entendre. À peine s’il me<br />

regarda. Épouvanté, désespéré, à la vue de cette galette de poils<br />

noirs, qu’un peu de sang rougissait, il ne cessait de répéter :<br />

— Ah! bien, merci!… Ah! bien, merci!… Il est mort… Oui…<br />

Oui… Il est bien mort!… Et que va dire Rébecca? Comment<br />

faire? Mon Dieu! Ah! mon Dieu!… Comment faire?…<br />

Et comme je lui offrais de le recon<strong>du</strong>ire à la maison, avec la<br />

dépouille de son chien :<br />

— Non… non!… Chez moi?… Non… non… C’est<br />

affreux!… Je ne peux plus rentrer chez moi… Je ne peux plus<br />

rentrer chez moi. Ah! bien, merci!…<br />

<strong>La</strong> tête penchée, les mains aux cuisses, il tournait, maintenant,<br />

autour de ce rond noir, qui avait été un chien, son chien… le<br />

chien de Rébecca… et il gémissait :<br />

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