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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

— J’suis écrasé… J’vas mourir… qu’on me foute une<br />

indemnité!<br />

Il était complètement ivre.<br />

*<br />

* *<br />

Je me rappelle qu’une nuit, nous allions de Dordrecht à Rotterdam…<br />

Nuit émouvante!… Nous allions lentement, silencieusement.<br />

Et nous écoutions l’eau, l’eau infinie de Hollande,<br />

sourdre et chanter, partout, autour de nous. Nos phares qui<br />

éclairaient magiquement la brume où tourbillonnaient des poussières<br />

d’or, d’argent, d’émeraude et de rubis, où passaient des<br />

insectes nocturnes, des papillons de feu; nos phares qui parfois,<br />

éclairaient un coin de canal, et des silhouettes d’ombres glissant<br />

sur le canal, éclairèrent, subitement, l’effort d’un cheval blanc<br />

qui amenait à nous, de Rotterdam à Dordrecht, sans doute, une<br />

très grosse voiture de déménagement. À peine avions-nous distingué<br />

le charretier endormi profondément sur son siège, que le<br />

cheval, effrayé par les lumières — car la lumière l’effraye comme<br />

les ténèbres — se retourna brusquement, et faisant faire sur la<br />

digue, par bonheur très large à cet endroit, demi-tour à la voiture,<br />

remporta le mobilier à notre suite, vers Rotterdam, d’où il devait<br />

venir… Son maître ne s’était pas réveillé. <strong>La</strong> secousse <strong>du</strong> virage<br />

lui avait même davantage calé la tête sur un paquet d’oreillers, et<br />

les reins sur un paquet de matelas. Il dormait, comme sur son lit,<br />

confortablement, bouche ouverte, ventre ballant, jambes écartées…<br />

Et les guides étaient enroulées à son poignet pendant.<br />

Nous ne pûmes nous empêcher de rire aux éclats, en songeant<br />

à la tête ahurie qu’il ferait, après s’être réveillé, peut-être, une<br />

fois ou deux, sur la grande route enténébrée, partout pareille,<br />

lorsqu’il se retrouverait, le matin, avec sa voiture, son mobilier et<br />

son cheval, à Rotterdam, d’où il avait dû partir la veille.<br />

Ainsi vont les réformes sociales qui sont de pauvres chevaux à<br />

qui tout fait peur, et dont les con<strong>du</strong>cteurs sont toujours<br />

endormis… Elle partent, un beau soir, ardentes, fringantes… Le<br />

moindre incident de route leur fait rebrousser chemin… et elles<br />

reviennent, le matin, au point d’où elles étaient parties.<br />

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