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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

L’chemin n’est point trop bon… il n’est point trop mauvais, non<br />

plus… Il est comme ça… quoi!…<br />

Il nous fallut bien en passer par là…<br />

— Toujours sus vot’droite!… répéta le garde champêtre, pendant<br />

que nous faisions marche arrière… Y a pas à s’tromper…<br />

Le chemin était affreux, hérissé de culs de bouteilles,<br />

encombré de cailloux coupants… J’y laissai deux pneus.<br />

Le paysan n’a pas encore compris, ne comprendra probablement<br />

jamais que les routes ont été construites pour qu’on y circule<br />

d’un point à un autre. Il s’imagine, de bonne foi, peut-être,<br />

qu’elles ne sont faites que pour lui, pour les différents besoins de<br />

son exploitation et les services de ses élevages. Les gendarmes,<br />

les gardes champêtres, les agents voyers, les maires, les préfets et<br />

les ministres se l’imaginent aussi. Il est donc bien enten<strong>du</strong> qu’on<br />

doit y rencontrer, comme dans l’arche de Noé, toutes les bêtes<br />

de la création, et leur fumier.<br />

Excellent terrain d’observation pour un chauffeur qui a <strong>du</strong><br />

loisir, et qui veut étudier ce que j’appellerai : la faune des<br />

routes…<br />

*<br />

* *<br />

Rien de plus divers que la façon des animaux de se comporter<br />

au passage des autos. Elle instruit sur leur caractère et le degré de<br />

leur intelligence. Or il s’en faut que le classement, qui en résulte,<br />

corresponde aux idées qui ont cours, encore moins aux vieux dictons<br />

et aux métaphores populaires.<br />

Le cheval, à propos de qui, il me faut bien répéter, pour la cent<br />

millionième fois, l’agaçante parole de Buffon, le cheval, « la plus<br />

noble conquête de l’homme », qui voit, sans s’émouvoir, son<br />

camarade d’attelage tomber, expirer à ses côtés, le cheval est stupide.<br />

Pourtant, s’il croise une charrette d’équarrisseur, où se<br />

dressent, en l’air, les quatre sabots d’un compagnon mort, aussitôt<br />

il se met à trembler, frissonne, s’emballe. Au dire des naturalistes<br />

les plus experts, on ne saurait voir dans ce trouble la<br />

manifestation d’une sensibilité altruiste, ni la peur égoïste de la<br />

mort, mais seulement une protestation olfactive, la révolte<br />

inconsciente de l’odorat. Le cheval a peur de l’odeur, peur de la<br />

couleur, de la lumière, de l’ombre, de son ombre, de l’ombre de<br />

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