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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Ceux-là se défendent par leur masse, qui est un obstacle<br />

infranchissable, comme une inondation, une coulée de lave qui<br />

marche… une ruée de pierres qui tombe…<br />

Dans certains pays, le Nivernais, le Bourbonnais, le Morvan,<br />

l’Auvergne, la Bretagne, les routes sont des écuries, des<br />

bergeries, des porcheries, des étables, des basse-cours, des clapiers,<br />

tout ce que vous voudrez, sauf des routes. Parfois, elles<br />

remplacent aussi l’aire des granges. Non contents d’y faire<br />

camper et gambader leurs bêtes, les paysans y installent leurs<br />

machines. Un jour, en Auvergne, nous fûmes arrêtés par une batteuse<br />

mécanique et ses accessoires qui barraient la route, en<br />

toute sa largeur. Les paysans refusèrent de nous livrer passage. Et<br />

ils s’interrompirent de travailler, pour nous regarder en riochant.<br />

— Vous n’avez pas le droit d’arrêter la circulation, dis-je…<br />

— J’avons l’droit d’battre l’blé… où qu’ça nous plaît…<br />

— Battez-le chez vous, dans le cour de votre ferme.<br />

— Ça nous encombre… Et puis nous sommes chez nous ici…<br />

D’où qu’vous êtes, vous?<br />

Un autre, les bras passés entre les dents de sa fourche, ricana :<br />

— Il n’est p’tête seulement pas <strong>du</strong> département…<br />

Un troisième dit :<br />

— Allons… passe-nous la gerbe…<br />

Et ils se remirent au travail… Avaient-ils lu Barrès?<br />

J’avisai un vieil homme que, à sa barbiche militaire et à la<br />

plaque qu’il portait au bras, je reconnus pour être le garde champêtre…<br />

Il avait écouté ce dialogue, sans rien dire, en hochant un<br />

peu la tête… Je le sommai de faire son devoir.<br />

— Bien sûr… bien sûr!… fit-il… J’vas vous dire, mon cher<br />

monsieur… Ces gens-là ont raison… Faut bien qu’ils battent<br />

leur blé, ces gens-là… ha!… ha!… ha! L’blé, c’est la nourriture<br />

<strong>du</strong> pauv’monde…<br />

Il ne voulut pas entendre nos protestations.<br />

— Tenez, mon cher monsieur… Redescendez jusqu’au<br />

pays… Prenez à droite… et puis encore à droite… au coin d’un<br />

petit café… Rémongeat, qu’on l’appelle…, le café Rémongeat…<br />

oui… Et puis vous suivrez tout droit… À deux kilomètres, p’tête<br />

trois… vous verrez un lavoir, sus vot’gauche… Prenez à droite<br />

<strong>du</strong> lavoir… Et puis toujours tout droit, jusqu’à la route…<br />

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