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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Que de fois je suis venu ici, déprimé, surmené, les nerfs<br />

ten<strong>du</strong>s et vibrants, par conséquent prédisposé à toutes les impulsions<br />

mauvaises! Et, après deux jours passés à <strong>La</strong> Haye, où ce qui<br />

reste d’un peu sauvage, d’un peu inquiétant dans le caractère<br />

hollandais disparaît, après deux jours de flânerie devant le Vivier,<br />

le Palais de Rembrandt, que gardent les cygnes, le Palais de la<br />

Petite Reine douloureuse, où ne veille aucun soldat, après deux<br />

jours de promenades, le long de ces jolies rues, de ces jolis jardins,<br />

si joliment fleuris, à travers cette belle campagne verte qui<br />

s’étale autour de la ville, comme un doux et somptueux tapis,<br />

voici que s’opère en moi la détente miraculeuse… Tout s’apaise,<br />

âme, muscles, nerfs et cerveau. Je suis heureux de vivre, sans<br />

hâtes fébriles, sans désirs brusques et sursautants. Avec une tranquillité<br />

complète, je jouis de toute cette mélancolie qui<br />

m’entoure et me pénètre, non point la mélancolie amère comme<br />

le fiel où elle alla chercher son nom, mais cette mélancolie rayonnante<br />

que, jeune, j’ai tant de fois connue aux approches de<br />

l’amour, et que donnent aussi les quelques instants de parfait<br />

bonheur, dont tout homme, même le plus dénué, garde en soi, au<br />

fond de soi, sans savoir d’où il est venu, le souvenir miséricordieux<br />

et lointain : peut-être un paysage entrevu le soir après une<br />

journée de marche fatigante; peut-être le regard d’espoir d’un<br />

malade aimé, peut-être moins encore…<br />

Comment ne pas croire à l’amour, à la fraternité de l’avenir,<br />

quand, sur toutes les routes, sur toutes les digues, de <strong>La</strong> Haye à<br />

Haarlem, vous ne rencontrez que des visages heureux, que des<br />

chapeaux, des corsages, des mains, des bicyclettes, des voitures,<br />

fleuris de tulipes, de narcisses et de jacinthes; que des sentiers<br />

d’eau argentée où, entre des rives rouges, des rives pourprées,<br />

des rives d’or, les barques glissent silencieusement, chargées de<br />

leurs moissons rouges, de leurs moissons pourprées, de leurs<br />

moissons d’or?… Un jour, nous avons croisé un petit détachement<br />

de fantassins… Ils chantaient, avec des accords délicieux,<br />

des chansons idylliques, des sortes de lieds d’amour… Et des<br />

tulipes, comme dans les vases de la maison, trempaient leurs<br />

tiges au goulot <strong>du</strong> canon des fusils.<br />

<strong>La</strong> paix rayonne tellement partout, elle habite si bien ces<br />

demeures lustrées et souriantes, qui s’espacent dans les ver<strong>du</strong>res<br />

de ce continuel jardin qu’est la Hollande… et je la sens si forte en<br />

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