06.05.2013 Views

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

OCTAVE MIRBEAU<br />

de maison cossue. Ses gros doigts, courts et boullus, très blancs,<br />

étaient gainés de bagues, où des feux étincelaient. En parcourant<br />

le menu, il haussait les épaules, parlait fort, maugréait, semblait<br />

mâcher ses mots comme de la viande trop <strong>du</strong>re.<br />

D’elle, qui nous tournait le dos, je remarquai seulement, sous<br />

les cheveux on<strong>du</strong>lés qui la couronnaient comme d’une tiare<br />

légère, une rigole qui se creusait à partir de la nuque, détail que<br />

Gérald, tout à l’heure, dans l’intime description de son inconnue,<br />

nous avait donné.<br />

Notre ami, très gêné, fit observer tout à coup, à voix basse,<br />

combien nos cigares faisaient de fumée… Il y avait, dans ses<br />

paroles, une insistance suppliante. De temps en temps, le gros<br />

monsieur, sans nous regarder, mais avec ostentation, agitait l’air<br />

<strong>du</strong> plat de ses mains gantées d’or et de pierreries, et soufflait<br />

bruyamment :<br />

—Pfouou!… Pfouou!…<br />

Ah! s’il n’y avait eu que le gros monsieur!… Nous nous<br />

levâmes, sans plus parler… Les autres défilèrent avant moi,<br />

devant la table aux roses… Pas un, je l’avoue à notre honte, n’eut<br />

le bon goût ni la force de résister au désir de retourner la tête. Et<br />

moi, plus goujat que tous, sans même me donner l’excuse de la<br />

liberté <strong>du</strong> voyage, bravant les regards de la dame et le monocle<br />

furieux <strong>du</strong> mari, je me retournai aussi brusquement, m’arrêtai<br />

quelque secondes, sous prétexte d’épousseter les revers de mon<br />

smoking, où un peu de cendre de cigare était tombé, et je vis,<br />

avec une sorte de joie jalouse et basse, le joli visage blond<br />

s’empourprer… Tout au plus ne cédai-je pas à la tentation de<br />

dire, en passant :<br />

—Me… Monsieur…<br />

Dehors, je complimentai Gérald, qui avait retrouvé toute son<br />

assurance. Après nous avoir traités de « cochons », pour la<br />

forme, il nous avoua :<br />

— C’est curieux… Vous savez que, si elle n’avait pas rougi en<br />

me voyant dans la salle… je crois, ma parole, que je ne l’eusse pas<br />

reconnue! Dame, habillée, n’est-ce pas?… Mais qu’est-ce que ça<br />

peut bien être que ces types-là?… Il faudra que je le demande au<br />

portier…<br />

261

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!